Page

Démocratie participative et démocratie semi-directe

Jean-Marie DENQUIN - Professeur à l'Université de Paris X Nanterre

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 23 (Dossier : La citoyenneté) - février 2008

Les élections présidentielles de 2007 ont été marquées par un événement remarquable sinon remarqué : la question de la démocratie a été évoquée durant la campagne. En faisant de la démocratie participative un de ses thèmes privilégiés, Mme Ségolène Royal a remis dans le débat une problématique délaissée. Car ici, « démocratie » ne peut être pris dans le sens de « régime qui respecte les droits de l'homme ». La démocratie participative, si elle existe, s'inscrit dans la problématique traditionnelle du Gouvernement du peuple par le peuple.

Mais que recouvre cette formule ? Les ouvrages consacrés à la question demeurent, en France, peu nombreux et sont de qualité très inégale(1). Fait remarquable, ils sont l'œuvre de sociologues, de politologues, de philosophes, mais non de juristes. Le faible empressement de ceux-ci à se saisir de l'objet tient sans doute à ce que ces phénomènes se développent largement en marge du droit. Cette situation est portée à leur crédit par leurs partisans, car elle permet de les présenter comme un produit de la spontanéité sociale. Mais elle multiplie les ambiguïtés : des notions vagues permettent toutes les interprétations et justifient les jugements de valeur les plus divergents(2). La forme juridique, en revanche, détermine l'institution en définissant son mode de recrutement et ses compétences.

Pourtant le phénomène n'est pas nouveau. En 1971 déjà, l'idée figurait dans le programme du Parti communiste français : « À tous les niveaux -- communes, départements, régions -- l'intervention des citoyens s'exercera, soit par l'intermédiaire de leurs représentants élus dans les assemblées, soit par celui de différentes organisations et associations, soit sous des formes diverses qui résulteront de leurs initiatives et de l'effort des élus pour associer le plus possible la population à la gestion des affaires. »(3). La démocratie participative a été évoquée régulièrement depuis dans les programmes du PCF et du Parti socialiste. Mais elle est également préconisée par des experts de la Banque mondiale, convergence qui pourrait susciter la réflexion.

La difficulté n'est cependant pas de juger le phénomène, mais plutôt de le décrire. Les auteurs qui l'évoquent ne fournissent pas de critère qui permette de déterminer où commence et finit la démocratie participative. Leurs ouvrages sont des juxtapositions d'objets hétérogènes, désignés sous des noms eux-mêmes fluctuants : les conseils de quartiers regroupent des citoyens censés exprimer le point de vue des habitants ; les commissions extra municipales, consultatives, regroupent des élus et des non élus ; les budgets participatifs visent à associer les citoyens à l'élaboration du budget des collectivités territoriales ; les jurys citoyens, dont les membres sont, au moins pour une part, tirés au sort, donnent leur avis sur une question déterminée ou portent un jugement sur l'action des élus. On range aussi dans cette catégorie des procédures qui visent à associer les usagers des services publics à la gestion de ceux-ci, voire des repas de quartier. Cette énumération, non exhaustive, suffit à mettre en lumière les incertitudes qui affectent la notion : la démocratie participative concerne-t-elle des procédures de concertation entre l'administration et les citoyens ? Permet-elle à ces derniers de prendre des décisions, y compris sur des matières politiques ? N'intéresse-t-elle que le niveau local ou peut-elle être étendue au niveau national ou européen ? Aux États-Unis l'idée de démocratie participative renvoie à la première hypothèse. Depuis 1946, l'Administrative Procedure Act oblige l'administration à prévenir les citoyens de son intention d'adopter une réglementation, à les consulter et prendre en considération leurs suggestions(4). En France, même si cette dimension n'est pas absente, le thème a une portée plus large : il intéresse la démocratie au sens classique.

Une autre incertitude tient au fait qu'existent déjà des procédures bien connues, qui permettent aux citoyens de participer effectivement aux décisions qui les concernent : ce sont les techniques de la démocratie semi-directe. Quels rapports la démocratie participative entretient-elle avec celle-ci ? Les réponses apportées à cette question sont peu -claires(5). Une confrontation entre les deux notions paraît nécessaire.

On entend par démocratie semi-directe l'ensemble des procédures où les citoyens sont appelés à répondre par oui ou par non à une question posée (référendums, initiatives, recall···). Ces procédures sont souvent qualifiées improprement de démocratie directe. Pour écarter cette erreur, il faut revenir à l'idée de « Gouvernement par le peuple ». Si l'on n'y voit pas seulement une métaphore ou une fiction, il est nécessaire que « le peuple » décide effectivement de quelque chose. Trois conditions y sont nécessaires. Il faut définir ce que l'on entend par « peuple ». Ce concept n'est ni donné ni transparent : il suppose la détermination de critères qui permettent d'établir si tel individu fait ou non partie du peuple. Il suppose la reconnaissance du principe de majorité, par lequel la volonté de la majorité est tenue pour équivalente à celle du peuple entier. Il suppose des procédures à travers lesquelles cette volonté s'actualise -- actualisation qui peut être immédiate ou médiate. Dans le premier cas on a une démocratie directe, dans le second une démocratie représentative.

Une actualisation immédiate de la volonté du peuple implique qu'il demeure maître des questions qui lui sont soumises. Un tel mécanisme n'est concevable que dans une assemblée. Si le peuple peut se réunir sous cette forme, la démocratie est directe. Or il va de soi que cette condition implique une réunion du peuple en un même lieu, et ne saurait être réalisée si, contrairement à ce qui était le cas à Athènes, le nombre des citoyens dépasse quelques milliers. Rien n'empêche en revanche d'utiliser le référendum dans les grands États. Mais il s'agit alors de démocratie semi-directe, car le peuple ne maîtrise plus les questions : il peut seulement y répondre.

Ces observations suffisent à faire pressentir qu'il existe entre démocratie participative et démocratie semi-directe des ressemblances et des différences. Elles se ressemblent en ce qu'elles impliquent toutes deux une défiance à l'égard du principe représentatif. Elles n'en diffèrent pas moins par leur logique profonde.

I. La défiance à l'égard du principe représentatif

La critique de la représentation est le point de départ commun des deux systèmes. Ils tendent aussi à écarter la notion de représentativité, souvent présentée comme une alternative salvatrice à celle-ci.

A. La critique de la représentation

L'idée de crise de la représentation est aujourd'hui devenue banale : les représentants ne traduisent pas les aspirations du peuple ; ils constituent une caste fermée dont les membres, unis malgré des oppositions de façade, ont pour but principal la préservation de leurs privilèges ; ils demeurent sourds aux malheurs du plus grand nombre ; ils briguent les voix des électeurs mais oublient leurs promesses dès que les élections sont finies, etc. Il n'est donc pas étonnant que les citoyens se disent, les sondages en témoignent, mal représentés par leurs élus.

Mais que veulent-ils dire par cette formule ? Sur quels indices fondent-ils cette affirmation ? À quelles conditions auraient-il le sentiment d'être bien représentés ? Sur ce point les enquêtes d'opinion n'apportent guère d'enseignements. Les réponses toutes faites à des questions stéréotypées ne témoignent que de l'accoutumance des sondés à la langue de bois médiatique. Certes on ne saurait attendre des personnes interrogées une virtuosité particulière dans l'art de l'introspection. Mais ces difficultés à conceptualiser leurs griefs traduisent aussi un fait objectif : la polysémie du terme « représentation ».

« Représenter » en effet, si l'on se limite au domaine politique, signifie trois choses. Le mot veut d'abord dire tenir lieu de. Cette acception se subdivise en un sens faible, où le représentant supplée le représenté quand celui-ci est indisponible, et un sens fort où le représentant se substitue à celui qu'il représente. Cette distinction est importante pour la théorie du mandat politique : le titulaire d'un mandat représentatif tient lieu au sens fort. En un second sens, représenter signifie ressembler à. En un troisième sens représenter signifie être le porte-parole de. Ces trois sens se recouvrent-ils ? Pas nécessairement. Supposons une circonscription peuplée majoritairement d'éleveurs de bovins. Si elle élit comme député un éleveur de bovins, celui-ci ressemble à ses électeurs (sens 2). Il peut être leur porte-parole (sens 3) et tient lieu d'eux quand il vote la loi (sens 1). Mais il se peut que, convaincus par les éleveurs de moutons, l'élu devienne le porte-parole de ceux-ci. Il représente toujours les éleveurs de bovins aux sens 1 et 2, mais plus au sens 3. L'élu peut aussi être un bijoutier qui, converti aux valeurs bovines, défend les éleveurs : il représente ceux-ci aux sens 1 et 3, mais pas au sens 2. Enfin si la circonscription élit un épicier hostile aux éleveurs, il ne les représente qu'au sens 1. Seul ce dernier ne peut être éliminé : l'élu tient toujours lieu, puisque telle est la prérogative qui lui est juridiquement conférée par l'élection. Les autres fonctions de représentation sont présentes ou non.

Ces observations éclairent considérablement la « crise de la représentation » et le malaise que traduisent les appels à une démocratie participative. Cette crise tient d'abord à ce que les électeurs attendent des représentants plusieurs choses, dont aucune harmonie préétablie ne garantit qu'elles soient coprésentes et même compatibles. Comment l'élu pourrait-il être le porte-parole de tous les électeurs et leur ressembler simultanément ? Dès que l'on quitte le sens 1, où la qualité représentative constitue une proposition analytique (le représentant représente comme le triangle a trois angles), des divergences entre les significations sont inévitables. Un certain discours contemporain prétend cependant dépasser cette difficulté : il suffirait de remplacer la représentation par la représentativité.

B. Le rejet de la représentativité

Si l'on reprend les trois sens préalablement définis, il est évident que la représentativité contient l'idée de ressemblance. En effet le terme désigne une relation entre deux collections dont la moins nombreuse reproduit, selon certains paramètres, la composition de la plus nombreuse. Il en résulte que seule une collectivité peut être représentative en ce sens : une assemblée est ou non représentative d'une population. En revanche, si l'on considère un individu pris séparément, représentativité et désignation majoritaire se confondent : seul un individu issu du groupe le plus nombreux sera représentatif de l'ensemble, et l'individu ne sera représentatif d'un groupe que selon un ou plusieurs paramètres prédéfinis.

D'où une ambiguïté. Soit une société, composée de 70 % de A et de 30 % de B, qui élit un Parlement sur la base de cette distinction. Elle sera représentative si 70 % des députés sont A et 30 % B. En quel sens chaque élu sera-t-il représentatif ? Objectivement, chacun est représentatif du groupe A ou du groupe B. Mais, du point de vue des électeurs, il l'est si et seulement s'il défend les intérêts de la communauté dont il est issu. Les espoirs fondés sur la représentativité pour pallier les carences de la représentation reposent donc sur le postulat que la ressemblance produit automatiquement la solidarité avec le groupe d'origine et fait de l'élu le porte-parole de celui-ci. Les observations faites plus haut conduisent à considérer cette affirmation comme une pétition de principe.

La représentativité ainsi définie est-elle compatible avec la démocratie semi-directe et la démocratie participative ? La réponse est négative dans les deux cas, mais pour des motifs différents.

La démocratie semi-directe exclut le principe de représentativité parce qu'elle repose sur l'idée que tous les citoyens expriment directement leur volonté sur la question soumise à votation. Toute médiation étant écartée, le principe majoritaire s'applique strictement. L'égalité entre les citoyens est parfaite : chacun dispose d'une voix, quelle que soit la communauté à laquelle il appartient. Une objection, que la représentation n'évite pas mais qu'elle rend moins visible, surgit toutefois : le principe de majorité rend possible l'oppression des minorités.

La pertinence de cette objection est incontestable, mais elle doit être relativisée. En effet, dans une société politiquement hétérogène, une minorité ou des minorités additionnées peuvent décider du résultat d'une votation. Ce phénomène est d'ailleurs évoqué comme argument contre le référendum : des coalitions hétéroclites peuvent faire triompher un vote négatif. La critique est discutable car elle confond la décision sur une question avec le mécanisme électoral par lequel est désigné une assemblée. Mais le phénomène qu'elle décrit existe bien. Il faut donc en conclure que si, dans certains cas, les minorités sont desservies par la démocratie semi-directe, celle-ci peut, en d'autres conjonctures, décupler leur influence.

La démocratie participative exclut aussi implicitement la représentativité. Les procédures privilégiées par ses partisans, le tirage au sort et l'appel aux citoyens motivés, sont logiquement incompatibles avec la seconde. Le tirage au sort fait appel au hasard, et rien ne garantit qu'il suscitera une image ressemblante de la société. Le contraire est même probable. La motivation, d'autre part, est largement indépendante des variables politiquement pertinentes et ne reflète qu'elle-même. Faire confiance à la spontanéité des individus équivaut donc à renoncer à toute constitution d'un modèle réduit de la population.

II. L'opposition entre démocratie participative et démocratie semi-directe

Les deux systèmes ont le même ennemi. Mais si l'on essaie de préciser en quoi ils diffèrent, on constate que leur opposition à celui-ci n'est pas de même nature : la démocratie participative cherche à promouvoir une représentation contraire, et la démocratie semi-directe le contraire d'une représentation.

A. Une représentation contraire

Bien qu'ils appuient leur argumentaire sur une dénonciation de la crise de la représentation, les partisans de la démocratie participative ne récusent pas la démocratie représentative dans son principe. Ils admettent qu'une démocratie directe est impossible : le peuple ne peut pas et ne veut pas tout faire lui-même. L'expression même de démocratie participative suppose l'existence d'un système politique extérieur et antérieur : il faut que des représentants existent pour qu'il soit possible de les critiquer, de les influencer ou de les destituer. D'autre part, pour des raisons purement matérielles (impossibilité d'organiser une discussion entre un trop grand nombre de participants, exiguïté des locaux disponibles), la totalité des habitants d'une ville ou d'un quartier ne saurait participer à l'élaboration d'un budget participatif, à une commission extra municipale, à un jury citoyen. La démocratie participative concerne donc la partie, non le tout. En termes juridiques elle ne peut être érigée en droit subjectif : il ne saurait exister un droit à être désigné par le sort ni à être déclaré motivé. La dichotomie entre représentant et représenté qu'implique la représentation subsiste donc, mais il s'agit d'une autre représentation.

Elle est autre en ce que le caractère aléatoire du volontariat et du tirage au sort est censé produire certains effets. Le tirage au sort favorise statistiquement les classes les plus nombreuses. Il avantage les hommes sans qualités au détriment des élites. Il neutralise l'influence de celles-ci sur les électeurs. Il peut donc être présenté comme le seul moyen de représenter les non représentés, au second et troisième sens, ceux qui ne seront jamais élus, quels que soient le mode de scrutin et le système des partis, en raison de leurs handicaps sociaux(6). L'appel aux volontaires motivés peut aussi être un moyen de surreprésenter des communautés minoritaires auxquelles l'application stricte du principe de représentativité assignerait des limites étroites.

Les objections qu'appelle ce système sont cependant sérieuses. Le mode de sélection qu'il préconise est purement négatif. Le fait de ne pas être élu prouve seulement qu'on n'est pas élu : il ne garantit en rien que le non élu est ipso facto plus honnête, compétent, dynamique et près du peuple que l'élu. Un non expert n'a pas d'expertise : cela ne prouve pas qu'il ait de l'intuition ou du bon sens. L'effet supposé de représentation des non représentés est largement neutralisé par le fait que beaucoup d'individus tirés au sort ne répondent pas à la convocation (7). La qualité paradoxale de représentant représentatif des individus non représentés se perd par le fait même de représenter : ou la mission confiée à cet être problématique est brève -- elle risque alors d'être insignifiante, et les non représentés demeurent sans représentation -- ou elle dure, mais ce nouveau représentant va perdre la qualité qui le qualifiait : il cesse d'être comme tout le monde. Enfin la confrontation des professionnels et des amateurs risque fort de conduire à l'instrumentalisation des seconds par les premiers.

L'inconvénient le plus grave est cependant la mise en cause du principe d'égalité. La promotion des individus motivés semble normale dans un cadre associatif ou partisan mais devient discutable si l'on touche, fût-ce indirectement, aux choix qui engagent la collectivité. Ici, la faculté pour chacun d'opiner sur un pied d'égalité est effectivement un droit. Or il est à craindre que les individus qui n'ont pas le bon profil -- vieux, peu motivés, ruraux, politiquement incorrects··· -- perdent l'influence que leur donne collectivement le bulletin de vote. Qu'ils puissent individuellement être tirés au sort ne compense pas ce sacrifice.

B. Le contraire de la représentation

La démocratie semi-directe, parce qu'elle n'est que semi, part d'un constat analogue au précédent. Elle ne peut exister que comme une variante de la démocratie représentative : toutes les décisions, tous les textes à valeur normative ne sont pas soumis à référendum. Elle n'est qu'une alternative partielle, mais une vraie alternative, à la représentation.

La votation est en effet susceptible d'offrir des procédures décisionnelles et pas seulement consultatives(8). À travers elles, les citoyens peuvent effectuer des choix qui s'imposent aux représentants, alors que la démocratie participative ne vise qu'à influencer et contrôler a posteriori ceux-ci -- pouvoirs d'ailleurs déjà impliqués, pour une part, dans l'élection. La procédure de votation est applicable à toutes les problématiques alors que la démocratie participative parait adaptée aux matières qui impliquent concertation et négociation. Les deux types de procédures ne sont d'ailleurs pas incompatibles : la démocratie semi-directe peut intervenir au moment de la décision et la démocratie participative avant. La votation est également applicable à toute échelle, du quartier à l'Europe. La démocratie participative trouve sa limite : si des jurys citoyens sont susceptibles de juger l'action d'élus locaux ou d'un député, on voit mal comment ils pourraient, à l'échelon national, apprécier la politique d'une majorité sortante.

Certes la démocratie semi-directe présente des inconvénients bien connus. Les votations par oui et par non conduisent parfois à de mauvaises décisions. Elles impliquent des alternatives tranchées alors que les débats parlementaires permettent, en théorie, une réflexion collective. Elles risquent d'être manipulées par les gouvernants qui maîtrisent le principe, le sujet, le moment et la formulation des questions posées et peuvent, en jouant sur ces paramètres, induire les réponses.

Ces arguments sont inégalement pertinents. Le premier est une pétition de principe. Il faudrait démontrer ce qui est tenu pour acquis, à savoir que telle décision est mauvaise : elle est tenue pour bonne par ceux qui l'ont prise. Il faudrait aussi démontrer que les représentants ne prennent jamais de mauvaises décisions. La démocratie semi-directe ne prétend pas répondre à un objectif d'efficacité mais à un impératif moral : permettre aux citoyens de se mêler de ce qui les regarde. La seconde objection est pertinente, bien que les délibérations parlementaires s'achèvent aussi par un vote. Enfin les dangers de manipulation sont réels, mais ils tiennent au fait que la démocratie semi-directe est instrumentalisée par les élus. Soit ils n'utilisent pas les procédures inscrites dans les textes -- en France les réticences à l'utilisation du référendum local sont bien connues, bien qu'il ait été constitutionnalisé -- soit ils s'en servent non pour consulter les citoyens mais comme arme dans le combat qui les oppose à leurs adversaires.

Il existe un moyen d'écarter cet inconvénient : c'est de rendre possible une consultation qui ne soit pas décidée par les élus, autrement dit une initiative populaire. Cette procédure réconcilie démocratie participative et démocratie semi-directe. La mise en œuvre de l'initiative -- collecte des signatures, formulation des questions -- implique l'action de citoyens motivés. Mais tous les citoyens sont appelés à s'exprimer et la majorité d'entre eux décide. Ces mécanismes sont applicables à l'adoption des normes juridiques et aux choix qui intéressent la collectivité. Ils le sont aussi à la surveillance des élus, si celle-ci parait nécessaire : plutôt que de constituer des jurys citoyens, aisément manipulables, il serait préférable d'adopter la procédure américaine du recall.

Une conclusion simple parait s'imposer. La démocratie participative a sans doute ses vertus. Elle permettrait peut-être de dégager des solutions neuves. Mais elle n'est aujourd'hui vraiment convaincante que dans le domaine où elle se confond avec la démocratie semi-directe. L'initiative populaire est le véritable enjeu. C'est sur elle qu'il convient de prendre position.

(1) Voir notamment A. Bevort, Pour une démocratie participative, Presses de Sciences-po, 2002 ; M. Falise, La démocratie participative, L'aube, 2004 ; M.H. Bacqué, H. Rey et Y. Sintomer (dir.), Gestion de proximité et démocratie participative, La Découverte, 2005 ; Y. Sintomer, Le pouvoir du peuple, La Découverte, 2007 ; M. Crépon et B. Stiegler, De la démocratie participative, Mille et une nuits, 2007.
(2) Voir, par exemple, à propos des jurys citoyens, Y. Sintomer, précité, p. 8-11.
(3) Changer de cap. Programme pour un Gouvernement démocratique d'union populaire, Éd. sociales, 1971, p. 121-122.
(4) E. Zoller, Introduction au droit public, Dalloz, 2006, p. 140.
(5) Certains partisans de la démocratie participative considèrent que la démocratie semi-directe est une variante de celle-ci. D'autres y sont hostiles. Il arrive aussi que les deux soient identifiées.
(6) Ceci explique les accents de revanche sociale que prennent souvent les plaidoyers en faveur de la démocratie participative. On touche parfois à une sorte de dimension carnavalesque. En témoigne par exemple cette formule attribuée à des organisateurs de repas de quartier toulousains : « Quand les citoyens mangent ensemble dans la rue, il y a des élus qui digèrent mal. » (A. Bevort, ouv. cit., p. 21).
(7) Voir M.H. Bacqué, H. Rey et Y. Sintomer, ouv. cit., p. 143. La démocratie athénienne était possible parce que les citoyens s'y comportaient comme des militants. Voir P. Veyne, L'empire gréco-romain, Le Seuil, 2005, p. 79-116.
(8) Sur la notion ambiguë de référendum consultatif, nous nous permettons de renvoyer à notre étude « Référendums consultatifs », dans Pouvoirs, n° 77, Le Seuil, 1996, p. 79-93.