Page

Textes à l'appui : sélection de décisions de la Cour constitutionnelle d'Arménie

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 20 (Dossier : Arménie) - Juin 2006

Sélection de décisions de la Cour constitutionnelle d'Arménie (résumés)

Sur la conformité à la Constitution des obligations stipulées par le Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme concernant l'abolition de la peine de mort

  • Objet de l'examen : le traité international
  • Juge rapporteur : V. Hovhannissian
  • Origine : recours du président la République
  • Questions principales : le droit à la vie, la peine de mort, les compétences de l'Assemblée nationale

Conforme à la Constitution

Décision du 15 juillet 2003, SDO-437

La Constitution de la République d'Arménie autorise à titre provisoire et exceptionnel la peine de mort tout en laissant à la discrétion de l'Assemblée nationale, la détermination de son application à des infractions particulièrement graves. L'Assemblée nationale a compétence pour abolir la peine de mort soit en votant les amendements à la législation en vigueur soit en ratifiant un instrument juridique international, comme en l'espèce le Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme concernant l'abolition de la peine de mort.

Le président de la République d'Arménie a demandé à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la compatibilité avec la Constitution des obligations prévues par le Protocole susmentionné. La Cour constitutionnelle a déclaré qu'en adhérant à la Convention européenne des droits de l'homme et aux Protocoles nos 1, 4 et 7, la République d'Arménie s'était engagée à garantir la prééminence de l'État de droit sur son territoire, ainsi qu'à poursuivre les réformes et la démocratisation de la vie sociale et politique afin de se conformer aux normes en vigueur dans les pays d'Europe.

Après son indépendance, l'Arménie a adhéré aux traités internationaux et régionaux les plus importants en matière de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, reconnaissant comme valeurs suprêmes la vie humaine, la santé, l'honneur, la dignité et l'intégrité de la personne.

La Constitution est le garant juridique par excellence de la protection des droits de l'homme parmi lesquels le droit à la vie. La Constitution stipule que ce droit est absolu et inaliénable et l'article 45 précise qu'il ne peut en aucun cas être restreint. Ce droit est également consacré par l'article 17 de la Constitution, qui n'autorise, comme seule dérogation, que la peine de mort : aux termes de cette disposition, et jusqu'à son abolition, la peine de mort peut être prévue par la loi pour des « crimes extrêmement graves ».

La Cour, après avoir procédé à une analyse systématique du contenu de la Constitution, ainsi que des traités internationaux conclus par le pays, a estimé que ces dispositions révélaient le rejet de la peine de mort par la République d'Arménie et l'abolition du recours à cette sanction, en règle générale.

Considérant d'une part que l'article 17 de la Constitution n'autorise la peine de mort qu'à titre provisoire et exceptionnel, pour des « crimes extrêmement graves » et d'autre part qu'aux termes de l'article 62, l'Assemblée nationale exerce le pouvoir législatif, la Cour a estimé que la Constitution laissait à l'appréciation de l'Assemblée nationale la question de l'application de la peine de mort pour certaines infractions particulièrement graves. Cette dernière est compétente pour abolir la peine de mort, que ce soit en votant des amendements à la législation en vigueur ou en ratifiant un instrument juridique international.

La Cour constitutionnelle a déclaré que les obligations définies par le Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme concernant l'abolition de la peine de mort étaient compatibles avec la Constitution de la République d'Arménie.

Sur la conformité à la Constitution de la République d'Arménie des obligations fixées dans le traité portant statut de la Cour pénale internationale (avec une déclaration additionnelle) signé à Rome le 17 juillet 1998

  • Objet de l'examen : le traité international
  • Juge rapporteur : K. Balayan
  • Origine : recours du président la République
  • Questions principales : la souveraineté d'État, la compétence judiciaire, le délai de prescription, le droit de recours en grâce, l'amnistie, les compétences du président, les compétences de l'Assemblée nationale

Non conforme à la Constitution

Décision du 13 août 2004, SDO-502

La disposition prévoyant la complémentarité de la Cour pénale internationale (appelée ci-après la CPI) à la juridiction pénale nationale (partie 10 du préambule et article 1 du statut de la CPI) n'est pas conforme aux articles 91 et 92 de la Constitution arménienne. Le chapitre 9 de la Constitution, qui décrit avec précision le système judiciaire de la République d'Arménie, ne contient aucune disposition qui puisse être considérée comme autorisant que la compétence des juridictions nationales en matière pénale soit complétée, à travers un traité international, par celle d'une juridiction pénale internationale.

L'Arménie est tenue de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales énoncés dans l'article 4 de la Constitution. Elle ne peut donc assumer aucune obligation non prévue par la Constitution et impliquant une limitation des droits de l'homme susceptible de créer une situation moins favorable pour les personnes placées sous sa juridiction en matière de protection des droits de l'homme et des libertés.

Il serait toutefois possible d'adopter un amendement à la Constitution reconnaissant les obligations énoncées par le statut de la CPI en la considérant comme un organe complétant les juridictions nationales.

Sur la base d'une requête présentée par le président de la République, la Cour constitutionnelle a examiné la conformité à la Constitution des obligations énoncées dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Dans son préambule, la Constitution arménienne confirme la fidélité du peuple arménien aux valeurs universelles. L'article 4 de la Constitution prévoit que l'État assure la protection des libertés et des droits de l'homme conformément aux normes et principes juridiques internationaux. Ces dispositions de la Constitution constituent les bases de l'engagement à défendre des valeurs universelles comme la paix, la sécurité et le bien-être de la population. La création de la CPI permanente a pour objectif la protection de ces valeurs.

Le statut définit les relations entre les États et la CPI en vue de concilier la souveraineté nationale avec l'obligation de reconnaître la compétence de la CPI. L'article 12 prévoit notamment que la CPI peut exercer sa compétence si l'État sur le territoire duquel le comportement en cause s'est produit, ou dont la personne accusée du crime est un national est partie au statut. La compétence de la CPI pour juger des crimes les plus graves prévus par le statut est définie comme complémentaire à la compétence nationale en matière pénale. Ce principe découle particulièrement de l'article 17, selon lequel la CPI peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime prévu dans le statut lorsque l'État compétent n'en n'a pas la volonté, ou est dans l'incapacité de mener à bien l'enquête ou les poursuites. En même temps, l'article 17 indique avec précision les éléments qui constituent une base objective pour évaluer le manque de volonté d'un État, ainsi que son incapacité à mener à bien l'enquête ou les poursuites. L'article 19 du statut accorde à l'État lui-même la possibilité de contester la compétence de la CPI et la recevabilité d'une requête au motif qu'il a engagé une enquête ou des poursuites.

La question de l'articulation entre la souveraineté de l'État et la compétence de la CPI est également soulevée par les articles 54.2, 57.3.d et 99.4 du statut. Ces dispositions qui accordent au procureur des pouvoirs assez étendus, les accompagnent de garanties prenant en compte la souveraineté de l'État et destinées à empêcher tout abus de pouvoir de la part de ce dernier. Ainsi lorsque le procureur demande à la chambre préliminaire l'autorisation de prendre directement des mesures spécifiques dans le cadre d'une enquête sur le territoire d'un État partie, celle-ci doit tenir compte, dans la mesure du possible, des vues de l'État concerné. Elle ne peut autoriser le procureur à prendre des mesures d'investigation qu'après avoir constaté qu'en l'espèce, l'État est manifestement incapable de donner suite à une demande de coopération parce qu'aucune autorité compétente de son appareil judiciaire national n'est disposé à le faire. Le procureur peut prendre certaines mesures d'investigation sur le territoire de l'État partie, sans la présence des autorités de cet État, si ces mesures n'impliquent pas le recours à des moyens de contrainte et si elles sont essentielles à l'enquête. En outre, le procureur ne peut réaliser des mesures d'investigation spécifiques qu'après avoir mené avec l'État requis des consultations aussi étendues que possible. Ainsi, on peut considérer que les articles 54.2, 57.3.d et 99.4 du statut découlent du principe de complémentarité et ne portent pas atteinte à la souveraineté de l'État partie.

La Cour constitutionnelle a cependant identifié plusieurs points à propos desquels les obligations mises à la charge des parties au statut ne sont pas conformes à la Constitution.

La disposition selon laquelle la compétence de la CPI est complémentaire à celle des juridictions criminelles nationales (paragraphe 10 du préambule et article 1 du statut) est incompatible avec les articles 91 et 92 de la Constitution. Aux termes de l'article 91, la justice est exclusivement rendue par les tribunaux. L'article 92 prévoit que les tribunaux de première instance, les cours d'appels et la Cour de cassation ont une compétence générale, y compris pénale. Le chapitre 9 de la Constitution, qui décrit en détail le système judiciaire, ne contient aucune disposition qui puisse être considérée comme autorisant que la compétence des juridictions nationales en matière pénale soit complétée, à travers un traité international, par celle d'une juridiction pénale internationale.

Selon l'article 105 du statut, une peine d'emprisonnement prononcée par la CPI est exécutoire pour les États parties, qui ne peuvent en aucun cas la modifier. Cette disposition signifie que si des personnes relevant de la juridiction de la République d'Arménie font l'objet d'une condamnation par la CPI pour des crimes prévus par le statut, celles-ci ne peuvent présenter de recours en grâce, ni bénéficier le cas échéant d'une dispense ou d'une réduction de la durée de leur peine par le biais d'une amnistie comme c'est le cas lorsqu'elles sont condamnées pour des crimes identiques par les tribunaux nationaux.

L'Arménie étant tenue de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales énoncés dans l'article 4 de la Constitution, elle ne peut assumer en aucun cas une obligation qui ne résulte pas de la Constitution et implique une limitation des droits de l'homme susceptible de créer une situation moins favorable pour les personnes placées sous sa juridiction en matière de protection des droits de l'homme et des libertés.

Sur la conformité à la Constitution de la République d'Arménie de l'article 24 de la loi de la République d'Arménie « relative aux télécommunications »

  • Objet de l'examen : la loi de la RA
  • Juge rapporteur : A. Guloumian
  • Origine : saisine de 72 députés de l'Assemblée nationale
  • Principales questions : les compétences de l'Assemblée nationale, la libre concurrence économique, la législation antitrust

Non conforme à la Constitution

Décision du 27 janvier 1999, SDO-152

Saisie par 72 députés de l'Assemblée nationale le 27 janvier 1999, la Cour constitutionnelle a examiné la conformité à la Constitution de l'article 24 de la loi « relative aux télécommunications » adoptée le 17 février 1998.

La partie requérante contestait notamment la conformité de cette disposition à l'article 8 de la Constitution sur la libre activité économique et la garantie par l'État de la libre concurrence.

Les défenseurs de la loi affirmaient que celle-ci était conforme à la Constitution du fait que les restrictions apportées se rattachaient à un monopole naturel et avaient pour objectif d'améliorer l'état des télécommunications, et d'assurer les progrès technologiques au moyen des investissements étrangers.

Le litige portait sur la licence n° 60 accordée par le ministère des communications, et approuvée par le Gouvernement le 25 juin 1997, à la société anonyme de type fermé (ne faisant pas appel public à l'épargne) « Armenia telephone company » (« Armentel »), propriétaire du réseau public de télécommunications combinées. Celle-ci comportait l'attribution de droits exclusifs de prestation de services dans les télécommunications et la télévision haute définition HDTV (y compris la télévision par câble) pour une durée de 15 ans. Entrée en vigueur avant l'adoption de la loi, la licence contenait un engagement du Gouvernement à ce que les droits attribués soient garantis par la loi, y compris par la législation antitrust.

La Cour constitutionnelle, après avoir analysé l'article 24 de la loi du 17 février 1998 relative au maintien de la licence à Armentel, a considéré que le législateur avait établi non une norme d'application générale, mais des dispositions transitoires ; en entérinant dans les faits les conditions établies par le pouvoir exécutif à l'égard d'un sujet de droit, le législateur avait placé ce dernier en dehors de l'ordre juridique général.

D'après la Cour constitutionnelle, en stipulant que « l'effet des droits prévus par la licence doit être assuré par la législation de la République d'Arménie », le législateur avait outrepassé ses compétences en conférant à la loi une portée qui n'appartient qu'à la norme constitutionnelle et légitimé un acte par lequel le Gouvernement avait lui même outrepassé ses compétences au regard de l'article 5 alinéa 2 de la Constitution.

En effet :

  • l'article 4 de la licence litigieuse, prévoyant que « les droits exceptionnels » attribués par ce document à son détenteur « ne devaient pas être considérés comme une infraction à la législation, y compris aux lois antitrust », n'était de la compétence ni du ministre, ni du Gouvernement ;

  • l'exécutif n'est habilité à imposer des obligations et limiter les droits des citoyens en leur interdisant d'exercer librement une activité économique, que si cette restriction découle de la loi et de l'exigence de son application ;

  • la licence ne pouvait, dans le but de protéger tous les droits réservés à son détenteur, mettre à la charge du ministère des communications et des organismes mandatés par le Gouvernement, l'obligation d'interdire à toute autre personne de délivrer des prestations identiques ;

  • la licence n'était pas conforme aux principes établis par la décision 161 du 5 mars 1991 du Conseil des ministres « relative aux modalités de l'activité économique sur le territoire de la République d'Arménie ».

La Cour constitutionnelle s'est fondée également sur l'article 8 alinéa 3 de la Constitution selon lequel « l'État garantit le libre développement de la propriété, la libre activité économique et la libre concurrence ».

L'article 4 de la Constitution dispose que « L'État assure la protection des libertés et des droits de l'homme conformément à la Constitution et aux lois, ainsi qu'aux normes et principes juridiques internationaux ». La liberté d'exercer des activités économiques n'est pas une liberté absolue, elle peut être restreinte conformément aux normes et principes du droit international. Cependant la restriction doit avoir un fondement législatif, s'exercer dans le respect des droits et des libertés d'autrui et avoir pour objectif la satisfaction des exigences de la morale, de l'ordre public, et du bien-être social dans une société démocratique, conformément à l'article 29, alinéa 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et à l'article 12, point 3 du Pacte international sur les droits civils et politiques.

La libre concurrence économique n'interdit pas que certaines activités soient prohibées ou soumises à un régime de licence par l'État, lorsque celles-ci constituent un monopole de l'État, un monopole naturel ou sont régies par des droits exceptionnels, et que l'objectif poursuivi est la protection de la sécurité et des intérêts légaux de l'État et de la société, de l'ordre public, de la santé et de la morale publique, des droits et des libertés.

Cependant, dans ces domaines, les restrictions éventuelles à la libre activité et la libre concurrence économiques relèvent de la Constitution et du législateur.

Seul le pouvoir législatif est habilité à déterminer le cadre et la nature de ces restrictions qui doivent être formulées comme des règles d'application générale et obligatoire. Celles-ci doivent être édictées en vue d'assurer une véritable politique antitrust qui garantisse la concurrence loyale ainsi que le progrès économique et social.

En cas de lacune dans la législation, il est loisible au Gouvernement de prendre une initiative législative ; l'article 78 de la Constitution permet en outre à l'Assemblée nationale d'autoriser le Gouvernement à prendre, pour l'exécution de son programme, des décisions ayant force de loi dans un délai qu'elle établit et sous réserve de ne pas enfreindre les lois existantes.

La Cour constitutionnelle se basant sur les positions juridiques susmentionnées a déclaré l'article 24 de la loi non conforme aux exigences des articles 5 et 8 de la Constitution, car les restrictions apportées à la libre activité économique et à la libre concurrence n'avaient pas été établies préalablement par la loi, mais par le pouvoir exécutif. Le législateur ne pouvait, au moyen de dispositions transitoires, accorder force de loi à des dispositions particulières s'appliquant à une entreprise concrètement visée.

Sur la conformité à la Constitution de la République d'Arménie de l'article 7, alinéa 2, point 1 de la loi « relative au défenseur des droits de l'homme »

  • Objet de l'examen : la loi de la RA
  • Juge rapporteur : V. Hovhannissian
  • Origine : la saisine du président de la République
  • Questions principales : le principe de l'indépendance du juge, le principe d'égalité des parties au procès

Non conforme à la Constitution

Décision du 6 mai 2005, SDO-563

Le droit pour le défenseur des droits de l'homme de demander aux tribunaux des renseignements sur des affaires concrètes met en cause l'administration de la justice, enfreint les principes d'indépendance du juge ainsi que d'égalité des droits des parties au procès.

La Cour constitutionnelle de la République d'Arménie a examiné la conformité à la Constitution de l'article 7, alinéa 2, point 1 de la loi du 6 mai 2005 « relative au défenseur des droits de l'homme ».

La disposition contestée accordait au défenseur des droits de l'homme (ci-après le défenseur) le droit de demander des renseignements sur les affaires en cours et de présenter au tribunal des propositions de nature à garantir aux citoyens le droit au procès équitable, tel que celui-ci est défini par le droit international. D'après la partie requérante, cette disposition était contraire à l'article 39 et à l'article 97 alinéa 1 de la Constitution, car elle violait les principes de l'indépendance de la justice et d'égalité des droits des parties au procès.

La partie requérante soutenait que, même si la notion de « renseignement » n'était pas précisée dans la disposition contestée, celle-ci devait être resituée par rapport à la logique générale de la loi, faisant ressortir à la fois les limites et la finalité de cette disposition ; toutefois, soulignait la partie requérante, la pratique judiciaire traduisait une conception bien plus extensive.

Après avoir analysé la disposition contestée à la lumière des articles 10 et 12 de la loi « relative au défenseur des droits de l'homme », la Cour a interprété la notion de renseignement et précisé le cadre de compétences dans lequel défenseur pouvait s'adresser aux tribunaux.

En effet, en vertu de l'article 10 point 1 de la loi relative au défenseur des droits de l'homme, celui-ci ne peut examiner des requêtes qui relèvent de la seule compétence judiciaire ; en outre, il se dessaisit d'une affaire dès que celle-ci est portée devant la justice. Il en résulte que le défenseur n'est habilité à demander des renseignements aux tribunaux qu'en ce qui concerne des affaires extrajudiciaires, et dans la mesure où la personne intéressée n'a pas introduit de demande ou de plainte en justice.

Par ailleurs, l'article 12 du point 1, sous-paragraphe 5 de la loi prévoit que : « Le défenseur, après avoir statué sur la recevabilité de la demande peut, dans le cadre de l'instruction, avoir connaissance des affaires pénales, civiles, administratives, disciplinaires, économiques dans lesquelles ont été rendues des décisions passées en force de chose jugée, ainsi que des dossiers dont les requérants ont été déboutés. »

Pratiquement cela exclut le droit pour le défenseur de demander aux tribunaux des renseignements ayant trait à une affaire concrète (qu'il s'agisse d'éléments de la procédure judiciaire ou de questions de fait).

La Cour a également pris en compte le rôle et les fonctions de l'institution du défenseur des droits de l'homme. Il résulte de la loi, de la Constitution ainsi que des normes et des principes universellement admis du droit international, que le défenseur a pour mission la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales lésés par les pouvoirs publics, les collectivités territoriales ainsi que leurs agents.

À la différence des autorités administratives, lorsque sont en cause les autorités judiciaires, la réparation du préjudice causé en cas de violation des droits de l'homme, ne peut être mise en œuvre que par la cour d'appel ou la Cour de cassation. Précisément les voies de l'appel et de la cassation sont réservées aux parties au procès. Ni le code pénal ni le code civil n'ayant habilité le défenseur des droits de l'homme à se pourvoir en appel ou en cassation, les actions en justice formées par ce dernier en vue du rétablissement de droits supposés violés ne pourraient qu'être rejetées.

Se fondant sur l'article 67 de la loi relative à la justice constitutionnelle, la Cour a tranché la question de la constitutionnalité de la disposition contestée au vu de la lettre et de la jurisprudence formées au cours de son application

Considérant la pratique judiciaire, la Cour a estimé que les demandes adressées aux tribunaux par le défenseur et son adjoint - les renseignements exigés ainsi que les propositions formulées - n'étaient pas justifiées par des exigences d'indépendance et d'impartialité de la justice, qu'elles traduisaient une ingérence dans l'administration de cette dernière et pouvaient créer une inégalité entre les parties au procès.

Étudiant les dispositions en vigueur dans la majorité des pays européens, la Cour a établi les éléments suivants :

  • le défenseur des droits de l'homme n'examine pas les affaires qui font l'objet d'un procès judiciaire ;

  • les lois ne lui confèrent généralement pas expressément le droit d'obtenir des tribunaux des renseignements sur les circonstances des affaires pendantes, ni celui de formuler des propositions ;

  • lorsque le défenseur dispose d'un tel pouvoir, la loi en précise en même temps les limites.

La Cour a donc estimé que :

a) la loi relative à l'institution du défenseur des droits de l'homme avait laissé subsister des lacunes qui ont généré une jurisprudence contradictoire ;

b) la disposition conférant au défenseur le droit d'adresser des demandes de renseignements aux tribunaux était susceptible de mettre en cause l'indépendance de l'institution judiciaire en cas d'interprétation extensive, coupée de la logique générale de la loi ;

c) cette disposition était susceptible de mettre en cause l'indépendance de la justice, car de nature à entraver l'appréciation des circonstances de fait et de droit par le tribunal.

En conclusion, la Cour a considéré que la disposition contestée se heurtait à l'indépendance et à l'impartialité de la justice, qu'elle était source de contradictions et se traduisait par une ingérence dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire. Elle était donc contraire aux articles 39 et 97, alinéa 1 de la Constitution.

En revanche, la Cour a souligné que le défenseur avait le droit de demander des renseignements aux tribunaux dans le cadre des articles 10, 12, point 1, sous-paragraphe 5 et 17, point 1 de la loi relative au défenseur des droits de l'homme dès lors qu'il n'y pas d'ingérence dans un procès judiciaire, que la demande ne concerne pas une affaire concrète, ni des questions de fait ou de procédure relatives à une affaire en suspens.

Sur le litige relatif aux résultats de l'élection du président de la République d'Arménie du 5 mars 2003

  • Objet de l'examen : résultats de l'élection
  • Juges rapporteurs : A. Guloumian, H. Nazarian, M. Sevian
  • Origine : la saisine du candidat à la présidence de l'Arménie
  • Questions principales : les violations du code électoral, les lacunes du code électoral, la précision des termes « les résultats du scrutin » et « les résultats des élections », le non-respect des dispositions de la loi « Sur la télévision et la radio », le commentaire du principe de l'organisation de la campagne électorale juste et équitable, le statut et les compétences du mandataire du candidat

Conformité à la Constitution : la Cour a confirmé la décision de la Commission électorale centrale relative à l'élection du président arménien

Décision du 16 avril 2003, SDO-412

L'égalité entre les candidats est étroitement liée à la formation de l'opinion des électeurs et suppose la neutralité des organes de l'État dans la procédure électorale, en particulier dans la campagne et sa couverture médiatique. Conformément aux règles internationales, le principe selon lequel la campagne électorale doit être juste et équitable ne saurait s'interpréter de manière à exclure la liberté d'expression ou le droit à l'information.

Un candidat avait saisi la Cour constitutionnelle pour obtenir l'invalidation de l'élection présidentielle du 5 mars 2003 au motif qu'au cours de l'organisation, du déroulement et du dépouillement du scrutin, les principes fondamentaux du droit électoral prévus par la Constitution avaient été violés.

Il avançait notamment les arguments suivants :

  • pendant la campagne, le principe d'égalité avait été violé, les candidats n'ayant pas bénéficié des conditions d'une concurrence libre et loyale ;

  • un certain nombre de mandataires avaient été placés en détention administrative pour participation à des réunions et manifestations non autorisées ;

  • il y avait un certain nombre de cas de vote par une personne à la place d'une autre, de scrutins non secrets et de bourrage des urnes ;

- les mandataires du requérant avaient été privés de la possibilité de suivre de près le déroulement de l'élection ; ils s'étaient notamment heurtés à des obstacles lorsqu'ils avaient voulu exercer leur droit de demander le contrôle de la conformité des procès-verbaux établis sur les lieux de vote avec les résultats de l'élection.

En défense, la Commission électorale centrale contestait les allégations du requérant en s'appuyant sur les éléments suivants :

  • pendant la campagne électorale, le principe d'égalité avait été respecté, les candidats ayant bénéficié des mêmes tarifs pour le temps d'antenne payant, du même temps d'antenne gratuit et de la même couverture médiatique ;

  • la violation alléguée des droits des personnes ayant demandé à effectuer des contrôles n'était pas fondée, car certaines demandes n'avaient pas été présentées dans les délais légaux et d'autres l'avaient été par des personnes non habilitées.

Sur l'ensemble de ces points, la Cour constitutionnelle a déclaré qu'à l'évidence, chaque mandataire était investi de droits et responsabilités dans un cadre spécifié. Le code électoral, de manière raisonnable, présume qu'un mandataire suit le travail dcommission électorale, le jour du scrutin, dans un bureau de vote désigné. N'étant pas investi de responsabilités juridiques directes concernant le déroulement de l'élection dans d'autres bureaux de vote ou circonscriptions, ce mandataire ne peut pas contester les résultats de ces autres bureaux ou circonscriptions, a fortiori de douzaines d'entre eux.

En revanche, la Cour constitutionnelle a jugé que le placement en détention administrative pour participation à des réunions et manifestations non autorisées constituait une entrave à l'exercice de la liberté de réunion, énoncée à l'article 11 CEDH.

Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a estimé que la restriction à l'obtention de copies de documents, tels que les procès-verbaux, énoncée à l'article 30 du code électoral, était conforme à la position juridique approuvée en octobre 2002 par la session plénière de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe, selon laquelle les listes électorales signées par les électeurs sont protégées par le secret du scrutin et ne peuvent être rendues publiques. Toutefois cette règle ne s'oppose pas à ce que les listes électorales soient examinées lors de contrôles effectués conformément à un impératif légal.

S'appuyant sur les résultats de l'enquête effectuée, la Cour a jugé que, lors de l'élection présidentielle de 2003, dans certains bureaux, notamment au cours du vote et du dépouillement, s'étaient produites des fraudes incompatibles avec l'avenir démocratique du pays. Ces fraudes étaient notamment contraires aux obligations souscrites par l'Arménie à travers l'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'article 3 du Protocole 1 de la CEDH et l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Afin d'évaluer l'incidence de ces irrégularités sur les résultats globaux de l'élection, la Cour constitutionnelle a décidé de diminuer le total des voix attribuées au vainqueur de l'élection du nombre de suffrages exprimés en faveur du candidat arrivé en tête dans les bureaux de vote concernés par les fraudes.

La Cour a décidé également de mettre à la disposition du parquet général les documents nécessaires afin que celui-ci puisse procéder à une enquête approfondie en vue d'identifier tous les responsables des fraudes électorales et mettre en jeu leur responsabilité, conformément à la loi, ainsi que permettre l'information de la Cour et du grand public sur les résultats de l'enquête.

Après avoir évalué l'ampleur des divergences et des résultats reconnus comme contestables ainsi que l'incidence des fraudes électorales dûment établies sur l'exercice du droit de vote, eu égard à la différence entre les suffrages exprimés en faveur des divers candidats à l'élection présidentielle du 5 mars 2003, la Cour a confirmé la décision de la Commission électorale centrale relative à l'élection du Président arménien.

Sur le litige relatif aux résultats des élections à l'Assemblée nationale au système majoritaire dans la circonscription n° 16, qui ont eu lieu le 25 mai 2003

  • Objet de l'examen : résultats de l'élection
  • Juge rapporteur : Z. Goukassian
  • Origine : le recours de Ch. Kotcharian - candidat aux élections à l'Assemblée nationale
  • Questions principales : les violations du code électoral et du code pénal, la non-exécution des exigences de la disposition de l'article 36 de la loi « Sur la Cour constitutionnelle »
  • Solution du litige électoral : la Cour a prononcé l'invalidation des élections dans la circonscription n° 16

Décision du 1er juillet 2003, SDO-434

Lorsqu'en violation du code électoral, une personne qui n'a pas qualité pour être nommée membre de la commission électorale d'une circonscription est néanmoins désignée comme telle, viciant, par sa présence, la composition de la commission, les résultats du scrutin dans ladite circonscription doivent être déclarés sujets à caution.

Aux termes de la Constitution, la Cour constitutionnelle doit statuer dans les 30 jours suivant la réception de la requête. Par conséquent, lorsque l'organisme compétent omet de diligenter une enquête sur une allégation de falsification du scrutin dans certains bureaux et d'en présenter les résultats à la Cour dans les délais prescrits, cette dernière doit déclarer sujets à caution les résultats dudit scrutin.

Un candidat ayant participé aux élections législatives du 25 mai 2003 dans la circonscription n° 16 a sollicité auprès de la Cour constitutionnelle l'invalidation des élections dans cette circonscription au motif que des infractions au code électoral avaient été commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin, et que celles-ci avaient influé sur les résultats.

Le requérant affirmait notamment qu'une personne n'ayant pas qualité pour être nommée membre de la commission électorale d'un bureau de vote, avait néanmoins été désignée comme telle ; que des tiers avaient voté en lieu et place des personnes habilitées à le faire ; que la liste des votants établie dans certains centres de vote différait de celle qui avait été utilisée par la commission électorale du bureau concerné ; que la commission électorale de la circonscription n'avait pas procédé selon les règles à la vérification de la conformité des procès-verbaux des commissions électorales avec les résultats réels du scrutin ; que dans deux bureaux de vote, les bulletins avaient été modifiés durant le comptage des voix et que les signatures des membres de la commission sur les bulletins de vote avaient été falsifiées ; qu'enfin, la commission électorale de la circonscription avait commandé et diffusé plus de bulletins que prévus par la loi.

La Cour a pu en effet constater que la commission électorale de la circonscription n° 16 avait commandé plus de bulletins de vote que ne le prévoyait le code électoral. Elle a également relevé qu'une personne non habilitée par le code électoral avait néanmoins été nommée membre de la commission électorale d'un bureau de vote. Elle en a conclu que les résultats du scrutin dans ce bureau de vote (n° 0365) n'étaient pas fiables.

La Cour a également considéré l'allégation de falsification des signatures des membres de la commission électorale sur les bulletins de vote dans deux bureaux (n° 0347 et n° 0351): le parquet devant lequel le requérant avait porté plainte n'ayant pas procédé à l'enquête nécessaire dans le délai prévu par la loi, ni présenté les résultats devant la Cour constitutionnelle, celle-ci a estimé qu'elle n'avait pas reçu les informations suffisantes pour infirmer ou confirmer les accusations du requérant, et trancher dans les 30 jours. Elle a déclaré par conséquent que les résultats du scrutin dans ces deux bureaux de vote étaient sujets à caution.

Considérant la différence entre les voix exprimées en faveur du requérant et celles en faveur du candidat arrivé en tête (1118), ainsi que le nombre (90) de résultats inexacts et non fiables des trois bureaux de vote (n° 0347, n° 0351 et n° 0365), la Cour a conclu à l'impossibilité de déterminer lequel des candidats était élu. Elle a ainsi prononcé l'invalidation des élections dans la circonscription n° 16.