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Présentation de la Cour d'Arbitrage de Belgique

Francis DELPÉRÉE - Membre correspondant de l'Institut, Professeur à l'Université catholique de Louvain, Assesseur au Conseil d'État

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 12 (Dossier : Belgique) - mai 2002

Voici plus de trente ans - c'était le 24 décembre 1970 -, la Belgique modifiait plusieurs articles de sa Constitution. Ni les Belges, ni leurs dirigeants ne mesuraient sur l'heure la portée exacte de l'opération. La révision était radicale, pourtant. La réforme de l'État aménageait, selon l'expression de Cyr Cambier, le démembrement des fonctions étatiques et, en particulier, la redistribution des attributs de la fonction législative(1).

Certes, l'État restait investi de responsabilités générales. Il continuait à les exercer sur l'ensemble du territoire. Mais, à côté de lui, d'autres collectivités politiques voyaient le jour. Par le truchement d'institutions spécifiques, les communautés et les régions étaient pourvues d'attributions et de moyens significatifs. Elles les exerçaient dans les domaines culturel, économique ou social. Leur action était néanmoins circonscrite à des cadres territoriaux restreints.

La Constitution morcelle, sinon la souveraineté, du moins la fonction législative. Dès 1970, elle en attribue des éléments essentiels aux communautés qu'elle organise. En 1980, elle pratique de même manière à l'égard des régions qu'elle a instituées. L'opération se complète en 1993 par l'octroi de compétences normatives à deux commissions communautaires établies dans la capitale.

L'équilibre du système constitutionnel s'en trouve bouleversé. La Belgique a cessé d'être un État unitaire. Elle est devenue un État plurilégislatif. Elle se présente désormais comme un État fédéral, au sens précis du terme. La Constitution coordonnée en 1994 prend acte de cette évolution - mieux vaut écrire : de cette révolution - institutionnelle. Elle ne peut manquer d'établir cette règle liminaire : « La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions » (art. 1er).

Telle est, en effet, la réalité, tout à la fois juridique et politique. La loi a cessé d'être générale. À l'encontre de ce que prescrit la Déclaration de 1789, elle n'est plus « la même pour tous ». Plusieurs législateurs sont habilités à intervenir de manière concomitante. Ils sont autonomes les uns par rapport aux autres. Tous mettent en oeuvre, sous des dénominations diverses - loi, décret, ordonnance -, des compétences de premier rang. Ils n'ont d'autres règles à respecter dans l'ordre interne que celles qui sont inscrites dans la Constitution commune.

L'irruption de ces autorités, toutes investies de la fonction législative au sein de l'État, ne va pas sans susciter une question inédite. Comment éviter, comment résoudre surtout les « conflits de lois » dès l'instant où il est précisé que chacune des interventions normatives des autorités communautaires ou régionales a, au même titre que celles du législateur national, « force de loi » ?

Trois réponses se dessinent.

La première est très imparfaite. Elle est procurée, dès 1970, par le pouvoir constituant lui-même. Celui-ci invite le législateur à concevoir une « procédure tendant à [...] régler les conflits entre la loi et le décret, ainsi qu'entre les décrets ».

La disposition constitutionnelle contient sa part de mystère : il faut beaucoup d'imagination pour découvrir derrière la procédure envisagée la première esquisse d'une institution de justice constitutionnelle. Elle est singulièrement imprécise. Elle laisse beaucoup de latitude au législateur.

Celui-ci ne s'est pas fait faute d'en profiter. Pour se mettre à l'abri de censures intempestives, il confie, le 3 juillet 1971, le règlement de tels conflits à une juridiction, aménagée pour la circonstance dans le giron du Conseil d'État. Il est aussitôt précisé que les arrêts de règlement que rendra la « section des conflits de compétence » pourront être annulés. Ils le seront ni plus ni moins par les Chambres législatives.

Voici donc le législateur national, on ne disait pas encore : fédéral, qui se réserve le droit de trancher les conflits entre les règles qu'il élabore lui-même et celles qui sont conçues par des législateurs particuliers. Quel plus bel exemple de justice retenue en matière constitutionnelle ! Quelle plus belle entorse aux règles du fédéralisme égalitaire ! Heureusement, l'institution restera dans les limbes. Elle sera supprimée, douze ans plus tard, avant d'avoir été mise en place(2).

Une deuxième réponse se dessine, dans les milieux scientifiques, cette fois. Devinant le mouvement centrifuge que les nouvelles dispositions constitutionnelles amorcent, une partie de la doctrine n'hésite pas à intervenir dans le débat politique. Dès 1971, elle pose crûment cette question. Comment faire fonctionner un État fédéral sans instaurer une cour constitutionnelle qui veille au respect des règles de répartition de compétences ? Comment ne pas plaider, sans retenue, « pour une juridiction constitutionnelle en Belgique » (3) ?

L'on ne saurait considérer que le propos ait fait sur le moment l'unanimité. Dans les milieux judiciaires, en particulier, l'accent est mis sur ce que l'on appelle aujourd'hui le contrôle de conventionnalité. La technique du contrôle diffus, sous la houlette de la Cour de cassation, semble également mieux s'inscrire dans les traditions constitutionnelles de la Belgique. Bref, l'appareil juridictionnel en place suffit.

Dans les milieux politiques, l'enthousiasme ne règne pas non plus. À supposer qu'une intervention juridictionnelle soit souhaitable, est-elle concevable ? De quel droit le juge va-t-il entrer dans l'hémicycle parlementaire ? Pour régler des conflits dont la charge politique, et plus encore linguistique, n'échappe à personne, ne va-t-il pas s'immiscer, au moins de manière indirecte, dans le processus de confection des lois ? Pis encore. Ne va-t-il pas alimenter la controverse plutôt que l'apaiser ?

Une troisième réponse est apportée dix ans plus tard. En 1980, le pouvoir constituant intervient à nouveau. Il agit en trois temps. Il renonce, d'abord, à réaliser la réforme biscornue que le législateur avait conçue, au moins sur papier, dès 1971. Il prend, ensuite, parti dans le débat doctrinal qui s'est ouvert depuis lors. Il ne récuse pas le contrôle de conventionnalité mais entend le situer à sa juste place. Il observe qu'un tel contrôle ne permet en aucune manière de résoudre les problèmes que suscite la coexistence des normes dans un système plurilégislatif. Il entend, enfin, prohiber un contrôle disséminé des lois. Il veut assurer l'unité de la jurisprudence.

Comment s'y prendre ? La Constitution établit une institution de justice constitutionnelle, et elle n'en crée qu'une seule. C'est la Cour d'arbitrage. Elle lui confie en monopole le contentieux constitutionnel des actes législatifs de toute espèce. En même temps, elle soustrait ce contentieux particulier à l'emprise des autres juridictions(4).

Trois traits caractérisent d'emblée la Cour d'arbitrage.

Elle s'inscrit parfaitement dans le modèle européen de justice constitutionnelle. Une juridiction spécialisée est constituée. Elle est distincte de celles qui existent dans l'ordre judiciaire et dans l'ordre administratif. Elle reçoit une mission spécifique : le contrôle direct ou indirect de la constitutionnalité des lois et des normes qui y sont apparentées.

Elle cherche également à prendre place dans le paysage juridictionnel de la Belgique. Il ne s'agit pas de concurrencer les juridictions existantes mais plutôt de compléter leur oeuvre. D'autres juges peuvent, à bon droit, déceler des questions de constitutionnalité. Ils ne sauraient pour autant les examiner. Il appartient à la seule Cour d'arbitrage de procurer les réponses appropriées.

Elle ne peut, par ailleurs, ignorer son ancrage au coeur du système fédéral de gouvernement. Si d'autres préoccupations, comme la protection des droits fondamentaux, se sont à juste titre exprimées depuis lors, si d'autres réformes sont aujourd'hui à l'ordre du jour, la fonction originelle qui a été confiée à l'institution continue à déterminer, pour une large part, son organisation, son fonctionnement et son activité. On le relevait récemment. Les arrêts rendus dans le domaine du partage des pouvoirs ne sont pas légion. Ce sont néanmoins les plus significatifs. En tout cas, ce sont ceux qui ont le plus de retentissement(5).

En d'autres termes, si, à partir de 1970, la Belgique n'était pas devenue un État fédéral, elle serait peut-être encore, comme des États plus nordiques, dans l'attente d'une cour constitutionnelle. À l'inverse, si la Cour d'arbitrage devait, demain, assurer à merveille la protection des droits de l'homme mais n'était plus en mesure de s'opposer efficacement aux débordements législatifs de l'État fédéral, des communautés et des régions, elle ébranlerait la confiance que les citoyens et les autorités publiques sont en droit de témoigner à la Constitution et, tout compte fait, à l'État fédéral. La Cour aurait, à ce moment, perdu le plus clair de son utilité et donc de sa légitimité.

I. La création de la Cour

La Cour d'arbitrage n'est pas comme Athéna. Elle n'est pas sortie toute harnachée du cerveau d'un Zeus constitutionnel. Elle ne s'est pas créée en une fois. Elle n'a vu le jour qu'au terme d'un parcours constitutionnel et législatif laborieux.

La Constitution belge est révisée - mieux vaut écrire : complétée -, le 29 juillet 1980. À ce moment, une disposition nouvelle est inscrite à l'article 142 (anciennement : 107 ter), alinéa 1er: « Il y a, pour toute la Belgique, une Cour d'arbitrage dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont déterminés par la loi. »

Il faudra près de trois ans pour concevoir cette loi organique et y régler notamment le délicat problème de la présidence. Il s'agit de la loi du 28 juin 1983 portant l'organisation, la compétence et le fonctionnement de la Cour d'arbitrage.

Il faudra encore attendre plus d'un an pour voir désigner les premiers membres de la Cour. En définitive, la nouvelle juridiction est installée le 1er octobre 1984. Elle compte aujourd'hui près de dix-huit ans. Elle a dépassé l'âge de raison. Elle est près d'atteindre l'âge de la majorité qui prépare, dit-on, celui de la maturité.

Mais l'histoire de la Cour ne s'arrête pas en 1984. L'institution est à peine établie que la Constitution est, une nouvelle fois, révisée. La modification intervient le 15 juillet 1988. L'existence de la Cour d'arbitrage n'est pas mise en cause, à cette occasion. Au contraire. Ses attributions sont étendues de manière significative et ses modes de saisine facilités. Il est précisé, au même moment, que la loi organisant la Cour d'arbitrage doit désormais être adoptée ou modifiée selon les modes de confection d'une loi spéciale(6).

Tel est l'objet de la loi spéciale du 6 janvier 1989 relative à la Cour d'arbitrage (7). Elle tire parti des changements constitutionnels de 1988. Elle adapte le fonctionnement de la Cour à ses nouvelles attributions. Elle-même a été modifiée, mais sur des points de détail, par les lois spéciales des 16 juillet 1993, 24 juin 2000 et 2 avril 2001(8).

D'autres projets sont actuellement en discussion. Dans la mesure où l'article 142 de la Constitution n'est pas soumis à révision et ne saurait donc être modifié avant la fin de la législature - qui arrive à échéance en juin 2003 -, l'entreprise réformatrice risque d'être freinée sur des points essentiels. Il n'en reste pas moins qu'une loi spéciale, tirant parti des habilitations contenues dans l'article 142, alinéa 2, 3 °, de la Constitution, peut élargir le champ du contentieux constitutionnel.

II. La dénomination de la Cour

L'appellation procurée à la Cour d'arbitrage peut prêter à sourire. Elle peut induire en erreur sur ses responsabilités effectives. Il ne s'agit pas, comme dans une compétition sportive, de compter les points gagnants ou de recenser les pénalités. Il ne s'agit pas non plus de dégager une solution consensuelle au terme d'un débat où des avis contradictoires auraient été émis. Il s'agit moins de concilier les intérêts des parties que de trancher un litige.

Pour être clair, la mission de la Cour d'arbitrage revient à juger, à censurer et, si nécessaire, à annuler des lois. Dans cette dernière hypothèse, il revient même à la Cour d'arbitrage de supprimer, avec effet rétroactif, la norme législative qui est entrée en fraude dans l'ordre juridique. Le juge constitutionnel ressemble alors comme deux gouttes d'eau au juge administratif qui annule l'acte de l'autorité exécutive qui a été pris de manière irrégulière. À cette différence près, mais elle est de taille : lui s'attaque à la loi, sous ses différentes expressions.

À défaut d'être pleinement convaincante, la dénomination choisie s'explique aisément.

Dans un État qui pratique le fédéralisme de confrontation, les partenaires sont en situation de compétition. Ils se comparent. Au besoin, ils se jalousent. Ils peuvent être tentés d'accroître indûment leurs attributions ou leurs ressources. Par maladresse ou ignorance, ils peuvent excéder leurs pouvoirs et porter atteinte à ceux de leurs homologues. Il est légitime qu'une institution de justice arbitre, au sens premier de l'expression, ces différends. Il lui revient de faire respecter la règle du jeu, à savoir la Constitution, de siffler les fautes, à savoir les excès de compétence, et, au besoin, de renvoyer au vestiaire les joueurs impétueux ou récalcitrants, autrement dit : de censurer les interventions irrégulières. Le juge constitutionnel procure ainsi une interprétation uniforme aux règles sur le partage des pouvoirs et des moyens. Il assigne concrètement à chaque centre de décision politique son domaine de compétences.

Il y a plus. Dans un État complexe, la jurisprudence constitutionnelle peut s'inscrire dans une perspective conciliatrice. Elle ne cherche pas à provoquer l'auteur de la norme législative, eût-il manifestement méconnu la Constitution et les règles répartitrices de compétence. Il s'agit moins de sévir que d'apaiser. Comme l'indique le juge Martens, mais on peut présumer qu'il exprime ici les préoccupations de ses collègues, « le juge constitutionnel peut [...] altérer la rigueur de son contrôle par un souci de mesure qu'on ne peut qualifier autrement que de politique » (9). La jurisprudence de la Cour rend compte de cette préoccupation - mais la prudence ne l'emporte-t-elle pas sur le droit ? La Cour n'assure pas seulement la paix judiciaire. Elle tend aussi à réaliser la paix dans les comportements et, pourquoi pas ?, dans les esprits.

Comme on l'a déjà suggéré, mieux vaudrait, cependant, changer la dénomination de la Cour. L'appellation de « Cour constitutionnelle fédérale » rendrait compte des diverses missions qui lui sont imparties ou qui pourraient l'être à brève échéance.

III. La composition de la Cour

Il est permis de s'en étonner. La composition de la Cour d'arbitrage n'est pas établie, même dans ses grandes lignes, par la Constitution. Elle est inscrite, par contre, dans les articles 31 à 34 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Elle l'est de manière minutieuse. L'intention est claire. La Cour doit refléter jusque dans sa composition un ensemble d'équilibres qui sont ceux de la société politique belge.

À cet égard, trois règles distinctes méritent d'être mises en évidence.

La Cour d'arbitrage se compose, d'abord, de douze juges (art. 31, al. 1er). Ils sont âgés de quarante ans au moins et sont nommés à vie, ce qui signifie qu'ils exercent leurs fonctions jusqu'à soixante-dix ans (art. 32, al. 1er). Leur statut s'apparente, pour l'essentiel, à celui dont bénéficient les magistrats de la Cour de cassation et du Conseil d'État.

Ils sont nommés par le roi. Il va sans dire, cependant, que ce dernier ne dispose pas d'une compétence discrétionnaire. Il choisit un juge à la Cour d'arbitrage sur une liste de deux noms qui a été établie alternativement par la Chambre des représentants et le Sénat.

L'intervention d'une assemblée législative a pour but de donner au juge et, par là même à la Cour dont il fait partie, une légitimation démocratique. Avec cette précision importante : l'assemblée se prononce à la majorité des deux tiers (ibidem). Les candidats présentés doivent avoir la confiance de la majorité mais aussi celle de l'opposition. Ils doivent avoir l'appui d'une communauté mais doivent aussi être accrédités par l'autre(10).

La Cour d'arbitrage doit, ensuite, respecter, dans sa composition, le principe de la parité (art. 31, al. 1er). Six des douze juges doivent être d'expression française et forment à ce titre le groupe linguistique français de la Cour. Les six autres doivent être d'expression néerlandaise et composent le groupe linguistique néerlandais.

Chaque groupe linguistique choisit son président parmi ses membres. Il est précisé que « la présidence est exercée à tour de rôle par chaque président pour une période d'un an » (art. 54). Il est entendu que les deux présidents siègent dans toutes les affaires (art. 59, al. 1er), hormis celles qui font l'objet d'une procédure préliminaire. De cette manière, ils sont en mesure de préserver la continuité dans le traitement des dossiers et de garantir l'unité de la jurisprudence.

Le recours au principe de la parité se comprend aisément. Une Cour linguistiquement déséquilibrée serait aussitôt suspectée de favoriser, à l'occasion du règlement des conflits de compétence, les intérêts d'une communauté et de préjudicier l'autre. Comme d'autres institutions - le conseil des ministres, les juridictions supérieures, la haute administration... -, elle doit révéler, jusque dans son organisation interne, les équilibres sur lesquels repose l'État fédéral bipolaire.

Enfin, un autre principe de parité - professionnelle, cette fois - doit être respecté dans chaque groupe linguistique. Chaque juge doit faire état d'une expérience de cinq ans (art. 34, § 1er et 2). Mais cette qualification professionnelle est appréciée de deux manières distinctes. Trois juges doivent posséder une expérience juridique : ils ont la qualité de magistrat à la Cour de cassation ou au Conseil d'État, ils ont enseigné le droit dans une université belge ou ils ont rempli la fonction de référendaire à la Cour d'arbitrage. Les trois autres juges doivent se prévaloir d'une expérience politique : ils ont siégé à la Chambre des représentants, au Sénat ou dans un Conseil de communauté ou de région.

La présence de six juristes qualifiés(11), trois par groupe linguistique, se justifie aisément. Elle traduit la volonté de donner à la Cour un ancrage juridictionnel qui ne prête pas à discussion. L'influence des juristes au sein de l'institution peut être renforcée par le concours d'anciens parlementaires dont certains peuvent se prévaloir d'une expérience dans le domaine du droit.

La présence de six anciens parlementaires, elle, a parfois été critiquée. À tort, sans doute. La fonction de juger les lois peut requérir qu'une part au moins des membres de l'institution puissent témoigner d'une bonne connaissance du milieu parlementaire, de ses activités et de ses méthodes. Faut-il aller plus loin dans l'explication ? Faut-il considérer que les non-juristes ont pour mission spécifique de combattre les raisonnements étroitement juridiques et d'insuffler à l'institution une dimension plus politique(12) ?

Le propos serait excessif. Une chose est d'être attentif au contexte institutionnel, et notamment à sa dimension fédérale, de se montrer préoccupé par la protection effective des droits fondamentaux ou encore de s'attacher à mesurer les retombées institutionnelles des arrêts rendus(13). Une autre est d'introduire la dimension politique, pis encore : l'esprit de parti, dans l'exercice des missions de justice constitutionnelle. Si des considérations d'opportunité de ce type devaient se glisser dans les raisonnements et donc dans les décisions de la Cour, elles pourraient miner la confiance du citoyen dans l'oeuvre de justice constitutionnelle.

Une précision s'impose. Des équilibres politiques et professionnels commandent la composition d'autres juridictions constitutionnelles, notamment à l'échelle européenne. Mais, telle est l'originalité du système belge, ils sont prescrits, en toutes lettres et même en tous chiffres, dans la loi spéciale. Des proportions, au sens mathématique du terme, et pas seulement des pondérations, sont retenues. Elles ne sont pas conseillées mais imposées.

Est-il besoin d'ajouter que ces dispositions détaillées complexifient et, en tout cas, rigidifient l'opération de désignation d'un juge à la Cour d'arbitrage ? Un juge francophone qui présente la qualité d'ancien parlementaire ne pourra évidemment être remplacé que par une personne qui présente les deux mêmes particularités. Un juriste flamand ne saurait, en aucune manière, être choisi pour occuper ce siège. Si l'on prend en compte, au surplus, les règles de la représentation proportionnelle qui commandent l'opération de distribution des postes, il faut convenir que les marges d'appréciation de l'autorité parlementaire qui présente et, a fortiori, celles de l'autorité exécutive qui désigne s'avèrent étroites.

Au moment de leur nomination à la Cour, les juges quittent leurs fonctions initiales. Ils peuvent néanmoins conserver des charges réduites d'enseignement (art. 44, al. 2). En principe, la nomination à vie veut que ce départ s'opère sans esprit de retour. La loi spéciale reste, cependant, en défaut de régler la situation du juge qui démissionne en cours de fonction. Cette lacune gagnerait à être comblée.

IV. Les formations de jugement

La Cour d'arbitrage comprend, on le sait, douze juges. Ce n'est pas à dire que les formations de jugement les rassemblent tous.

La Cour siège, en principe, en formation restreinte de sept juges (art. 55, al. 1er), à savoir les deux présidents de la Cour, trois juges appartenant au groupe linguistique du président en exercice, les deux autres relevant de l'autre groupe. Parmi eux, il faut nécessairement deux juges qui peuvent se prévaloir d'une expérience juridique et deux autres d'une expérience parlementaire.

La formation est composée d'un nombre impair de membres. Il n'y a donc pas d'obstacle à préciser que « toute décision est prise à la majorité des voix » (art. 55, al. 4). L'arrêt de la Cour ne fait pas état, cependant, des majorités qui seraient intervenues en cours ou à l'issue du délibéré.

Dans les cas prévus par la loi spéciale, ou sur décision de l'un des deux présidents, la Cour d'arbitrage se réunit en séance plénière. Ce peut être le cas lorsque le dossier est important ou lorsqu'un revirement de jurisprudence est envisagé. La Cour est alors normalement composée de ses douze juges. Dans cette composition, elle ne peut statuer que si dix juges au moins sont présents ; il faut qu'il y ait en séance autant de juges d'expression française que d'expression néerlandaise. Lorsque la Cour d'arbitrage siège dans cette formation, le président en exercice dispose d'une voix prépondérante, en cas de parité de voix (art. 56, al. 4).

Il existe encore une chambre restreinte de trois juges (art. 69). Elle est composée du président et de deux rapporteurs. Ceux-ci appartiennent à des groupes linguistiques distincts. « Si le recours en annulation ou la question préjudicielle apparaît comme manifestement irrecevable ou ne relevant manifestement pas de la compétence de la Cour », la chambre restreinte peut décider, à l'unanimité, de mettre fin à l'examen de l'affaire, sans autre acte de procédure(14).

Une procédure mixte ne doit pas être perdue de vue. Elle a les faveurs de la Cour. Elle peut, en effet, contribuer à dégager le rôle. S'il apparaît, à l'occasion de la procédure préliminaire, que le recours en annulation est manifestement non fondé ou que la question préjudicielle est manifestement sans objet, les rapporteurs devant la chambre restreinte peuvent saisir la Cour. Celle-ci « peut alors décider de mettre fin à l'examen de l'affaire, sans autre acte de procédure, par un arrêt dans lequel, selon le cas, le recours ou la question est déclaré non fondé » (art. 72, al. 3). Elle rend alors ce qu'il est convenu d'appeler, dans le jargon de la Cour, un « arrêt de réponse immédiate ». C'est notamment le cas lorsque la Cour ne fait que confirmer une jurisprudence établie (CA, n° 28/99 du 3 mars 1999).

V. Les litiges portés devant la Cour

La Cour d'arbitrage présente un double visage. Elle est cour fédérale. Elle est aussi cour constitutionnelle. Elle se préoccupe des attributions des collectivités politiques. Elle est aussi attentive aux droits du citoyen. Elle s'attache à conjuguer ces deux angles d'analyse.

En tant que cour fédérale, et à l'instar d'autres institutions de justice constitutionnelle, celles qui fonctionnent dans les États composés, elle a pour mission de veiller à un partage aussi exact que possible des compétences entre les partenaires de la Fédération. En tant que cour constitutionnelle, et à l'instar des principales institutions de justice constitutionnelle qui existent en Europe, elle entend sauvegarder et, pourquoi pas ?, promouvoir les droits fondamentaux, en tout cas quelques-uns d'entre eux, ceux que la Constitution entend expressément garantir.

À la différence, par contre, d'autres institutions de justice constitutionnelle, la Cour d'arbitrage connaît exclusivement de la validité des normes législatives. Elle n'est pas investie de missions accessoires. Elle n'exerce pas le contentieux électoral. Elle ne statue pas sur la régularité des règlements d'assemblée. Elle ne se prononce pas sur la responsabilité du chef de l'État ou des ministres.

À la différence aussi d'autres institutions de justice constitutionnelle, la Cour d'arbitrage est une cour constitutionnelle spécialisée. En principe, elle ne peut connaître de la validité des lois au regard de toutes les dispositions de la Constitution. Seules retiennent son attention celles qui établissent des règles de répartition de compétence ou celles qui sont inscrites dans les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, soit les règles d'égalité et de non-discrimination ainsi que les droits et libertés dans le domaine de l'enseignement.

Cette limitation est plus formelle que réelle(15). En pratique, la Cour examine les affaires qui lui sont soumises dans les domaines les plus divers. Il suffit au requérant de faire le détour nécessaire par les articles 10, 11 et 24 de la Constitution pour introduire un recours recevable. Il suffit à la Cour de le suivre dans cette démarche pour examiner si les moyens qu'il invoque sont fondés. Des contrôles de constitutionnalité à l'infini peuvent se développer dans ces conditions. Selon l'expression consacrée, c'est « par le prisme » des dispositions contenues dans les articles qui viennent d'être rappelés que la Cour envisage la validité des lois au regard des dispositions inscrites dans les autres articles de la Constitution.

Deux méthodes de raisonnement confortent cette conception extensive - pour ne pas écrire : expansionniste - des attributions de la Cour. L'une prend appui sur l'article 10, l'autre sur l'article 11 de la Constitution.

L'article 10 établit la règle selon laquelle « les Belges sont égaux devant la loi ». Doit-il faire l'objet d'une lecture jointe à celle des articles 11 et 24 de la Constitution - auquel cas la Cour ne doit, à strictement parler, veiller qu'au respect du principe d'égalité dans le domaine de l'enseignement -? Peut-il faire, au contraire, l'objet d'une lecture autonome - auquel cas la Cour doit se préoccuper de vérifier si la règle d'égalité est observée en tous domaines : l'administration, la justice, la perception de l'impôt, les relations sociales, la vie familiale... Très tôt, la Cour choisit la seconde option. Elle élargit, du même coup, le champ de ses attributions et multiplie ses interventions.

L'article 11, première phrase, de la Constitution établit, pour sa part, que « la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination ». Une question surgit aussitôt. Quel instrument juridique peut assurer une telle « reconnaissance » ? À première vue, c'est la Constitution dont on sait qu'elle contient un titre II qui s'intitule fort à propos « Des Belges et de leurs droits ». La Cour d'arbitrage ne s'arrête pas à cette interprétation textuelle. Elle accepte volontiers l'idée que les Belges, mais d'autres aussi, puisent une partie de leurs droits dans des documents internationaux, tels les pactes des Nations unies ou la Convention européenne des droits de l'homme. Via l'article 11, une partie du droit conventionnel des droits fondamentaux s'inscrit de la sorte dans l'orbite des normes de référence.

Un seul regret. Mais il est vif. L'analyse de validité qui se réalise au départ d'une base constitutionnelle aussi restreinte et, pour une part, aussi imprécise risque d'être biaisée. Elle conduit à envisager toute question au regard de la règle constitutionnelle de l'égalité devant la loi mais s'interdit de l'examiner en tenant compte d'autres règles ou d'autres principes de valeur constitutionnelle qui auraient pourtant paru plus pertinents dans les circonstances de l'espèce(16).

Ici encore, mieux vaudrait accorder les textes à la réalité. Mieux vaudrait permettre à la Cour de juger toute affaire qui lui est soumise au regard de l'ensemble des prescriptions de la Constitution.

Dans l'état actuel des textes, quatre types de contentieux peuvent se développer.

1) Le contentieux de l'excès de compétence relève d'une première mission. L'expression est à prendre d'un point de vue chronologique. Si la Cour est invitée à se prononcer sur deux moyens distincts - l'un tiré d'un excès de compétence, l'autre de la violation des droits fondamentaux -, elle n'examinera le second qu'à titre subsidiaire (CA, n° 28/2000).

La Cour d'arbitrage connaît de la validité des lois et des règles équivalant aux lois, soit les décrets et les ordonnances. Dans l'exercice de cette tâche, elle peut être invitée à vérifier la constitutionnalité de tout type de loi(17) : loi matérielle, loi formelle, loi ordinaire, loi spéciale(18), loi interprétative, loi de délégation, loi-cadre, loi de ratification, loi de confirmation, loi d'assentiment à un traité, loi d'assentiment à un accord de coopération, et ainsi de suite. Elle peut exercer des contrôles identiques sur les instruments juridiques de même nature au niveau communautaire et régional. Par contre, elle doit décliner sa compétence à l'égard d'arrêtés, fussent-ils réglementaires.

La Cour confronte ces normes à la Constitution, tout au moins à celles de ses dispositions qui établissent une répartition des compétences entre l'État fédéral, les communautés et les régions. Contrairement à une idée reçue, il n'est pas aisé d'identifier de telles prescriptions. Certes, il est des exemples simples. Lorsque l'article 127, § 1er, 1 ° de la Constitution précise que les communautés règlent par décret les matières culturelles et que l'article 4 de la loi spéciale de réformes institutionnelles en donne une liste exhaustive de dix-sept rubriques, nul ne songe à soutenir qu'ils ne partagent pas des compétences. La règle est déjà moins claire lorsqu'en matière régionale, l'article 39 de la Constitution s'abstient de définir, sinon de manière négative, les attributions des régions et habilite une loi spéciale à en établir la liste, ce que fait l'article 6 de la loi spéciale de réformes institutionnelles en répertoriant une centaine de rubriques.

Mais le contrôle de validité ne s'arrête pas là. Des dispositions inscrites dans des lois spéciales - on vient de le voir - mais aussi dans des lois ordinaires, voire dans des arrêtés royaux de portée réglementaire(19) prolongent l'opération répartitrice. La Constitution permet à la Cour d'arbitrage de poursuivre son oeuvre en confrontant les normes fédérales et fédérées à leurs dispositions. La situation peut surprendre. D'un côté, une loi dite de réformes institutionnelles s'inscrit dans le dessein de la Constitution. Elle fait logiquement partie des normes de référence auxquelles la Cour a égard. D'un autre côté, cette loi ne change pas de nature. Elle reste une loi. À ce titre, elle peut être censurée si elle ne respecte pas la Constitution, en particulier les articles qui lui servent de fondement.

Est-il possible de composer, au départ de ces éléments disparates, un bloc de constitutionnalité, comme on dit ailleurs ? La réponse ne peut être que négative. Une énumération de règles ne constituera jamais un système cohérent d'organisation fédérale des pouvoirs publics. Il y a quelques moellons. Mais le mortier fait défaut. Par la force des choses, la Cour d'arbitrage a dû combler le vide. Elle a rempli les interstices. Elle a contribué à l'édification d'une véritable doctrine fédéraliste à la belge. Elle ne s'est pas écartée, pour ce faire, des textes existants. Mais elle leur a donné chair. Elle n'a pas ignoré les leçons du droit public comparé. Mais elle a, prioritairement, fait oeuvre nationale. Elle a élaboré une grille de lecture de la Constitution fédérale et l'a progressivement imposée dans ses arrêts(20). À un point tel que nombre de dispositions constitutionnelles deviennent illisibles, et donc ineffectives, sans la jurisprudence de la Cour qui leur donne vie.

Un exemple illustre cette façon de faire. De manière singulière, la loi spéciale du 6 janvier 1989 souligne que la Cour d'arbitrage ne statue pas seulement, au contentieux préjudiciel, sur l'excès de compétence qu'a pu commettre un législateur fédéral, communautaire ou régional. Elle peut aussi connaître de normes qui « émanent de législateurs distincts », tous compétents pour agir dans un domaine particulier. En réalité, ces normes entrent en conflit parce que leurs auteurs leur ont donné des « champs d'application » qui se recouvrent (art. 26, 1er, 2 °). L'hypothèse est notamment celle de deux communautés également compétentes en matière d'enseignement mais qui ont choisi des critères différents de rattachement à l'ordre juridique communautaire. L'une a retenu, par exemple, le lieu de naissance de l'écolier, l'autre son lieu de résidence. Deux décrets vont vouloir se saisir d'une même question - c'est le conflit positif - ou vont, au contraire, décliner, tous deux, leur compétence - c'est le conflit négatif.

Il faut en convenir. Le législateur spécial s'est exprimé de manière maladroite. Il laisse entendre que chaque autorité normative n'a pas à se préoccuper des limites géographiques mises à ses interventions, qu'elle peut choisir, comme bon lui semble, et sans encourir de reproches de validité, ses critères de rattachement et qu'il revient au juge constitutionnel de faire le tri entre plusieurs lois valables pour dire in concreto celle qui doit s'appliquer dans une affaire déterminée. La Cour s'est rendu compte des dérives qu'un tel système pouvait engendrer. Elle rappelle à bon droit que la Constitution et la loi spéciale déterminent les champs d'application respectifs des lois, décrets et ordonnances. Elle souligne que les critères de rattachement retenus doivent se situer à l'intérieur du terrain d'action assigné aux différentes collectivités. Elle prive ainsi la disposition précitée du plus clair de son efficacité(21). Nul ne s'en plaindra.

2) Le contentieux de l'égalité et de la non-discrimination représente la part la plus importante des litiges déférés à la Cour(22). C'est l'occasion pour le juge constitutionnel de se prononcer sur les problèmes de société les plus divers, mais souvent aussi les plus significatifs. Le droit à la vie, le droit à la dignité humaine, le droit à un logement décent, pour ne prendre que ces exemples, sont examinés dans cette optique.

À dire vrai, cette jurisprudence ne saurait surprendre. La voie est tracée de longue date par les hautes juridictions belges, la Cour de cassation et le Conseil d'État, ou par des juridictions internationales, en particulier la Cour européenne des droits de l'homme. La Cour d'arbitrage ne fait que reprendre à son compte la quintessence de jurisprudences établies.

La filiation intellectuelle s'opère en ligne directe. En témoigne notamment ce qu'il est convenu d'appeler « l'antienne » des arrêts de la Cour. L'on y trouve des thèmes et des termes connus. « Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause ; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »(23).

Sur ce terrain profondément labouré, la Cour d'arbitrage affiche son originalité. Dans plus de quatre-vingt pour cent des affaires qu'elle traite, elle est confrontée au problème de l'égalité. Elle ne peut se contenter de répéter des formules toutes faites pour en tirer ensuite des conclusions abruptes. Elle se doit de mettre au point une méthode d'analyse qui lui permette de passer au crible les interventions législatives de l'État fédéral, des communautés et des régions.

Comment s'y prendre ? La démarche se veut systématique. Elle se décompose en cinq étapes successives.

Il y a lieu de procéder, d'abord, à un contrôle d'homogénéité. Certes, la loi est générale mais, comme l'écrivait déjà Jean Dabin, elle peut ne s'adresser qu'à des généralités de personnes(24). Pour être effective, pour s'adapter à des situations concrètes, pour intervenir de manière nuancée, elle doit faire oeuvre particulière. Elle doit instaurer la catégorie de personnes auxquelles ces dispositions seront applicables - étant entendu que toutes celles qui se trouvent hors catégorie ne seront pas affectées par cette règle de droit. Un premier risque de discrimination se présente ici. La moindre des choses est de vérifier si la catégorie retenue est cohérente. Ne contient-elle pas des éléments disparates ? Ne rassemble-t-elle pas des personnes dont la situation n'est pas suffisamment comparable ? N'exclut-elle pas, au contraire, des personnes qui auraient mérité de bénéficier du même traitement ? La Cour d'arbitrage n'hésite pas à censurer la loi dont les destinataires ne sont pas à suffisance identifiés ou profitent d'un statut privilégié qui devrait s'étendre à d'autres.

Il y a lieu ensuite d'assurer un contrôle d'intentionnalité. Le législateur a retenu un critère déterminé aux fins d'établir une catégorie particulière de personnes. Mais ce critère est-il régulier ? Ne s'expose-t-il pas lui-même à une critique de constitutionnalité pour méconnaître l'un des droits fondamentaux reconnus par la Constitution ? Sa mise en oeuvre n'implique-t-elle pas, par exemple, une violation de la vie privée des intéressés ? Mais il y a plus. Le critère retenu est-il justifié eu égard à l'objectif, au singulier ou au pluriel, que le législateur prétend poursuivre ? N'y a-t-il pas un fossé entre les intentions et les actes ? Encore une fois, la Cour d'arbitrage n'hésite pas à censurer la loi dont les finalités sont inconstitutionnelles ou dont les préoccupations affichées ne correspondent pas aux mesures prises.

Il y a encore lieu d'exercer un contrôle d'idonéité ou, si l'on préfère une expression moins vieillie, d'adéquation. Le critère retenu est-il « objectif et pertinent », selon la formule habituelle du juge constitutionnel ? Un critère peut ne pas être objectif si le législateur a agi intuitu personae. Il peut surtout ne pas être pertinent si le législateur a retenu un critère qui peut paraître objectif mais qui ne présente, en réalité, aucun lien avec l'objectif poursuivi ou avec la nature de la norme adoptée. L'âge ou le sexe sont, il faut le présumer, des critères objectifs. Ils ne sauraient pourtant justifier n'importe quelle différence de traitement. La Cour d'arbitrage censure les interventions législatives qui n'ont pas effectué « un partage correct entre ceux à qui la norme doit s'appliquer et ceux à qui elle ne s'applique pas » (25).

Il y a lieu, vérification supplémentaire, d'entrer dans la voie d'un contrôle d'efficacité. La mesure prise par le législateur permet-elle d'atteindre le but qu'il s'est fixé ou est-elle inappropriée de ce point de vue ? La vérification n'est pas commode. D'autant que le législateur sera naturellement enclin à choisir des mesures normatives qui lui permettent de concrétiser au mieux ses intentions. La Cour d'arbitrage n'hésite pas à invalider la mesure, souvent accessoire, qui est sans rapport avec l'objectif poursuivi et qui est à ce titre dépourvue de pertinence.

Reste, enfin, à procéder à un contrôle de proportionnalité. C'est « l'étape la plus délicate du raisonnement mais aussi la plus féconde » (26). Selon la formule consacrée, il faut s'assurer que la mesure législative n'est pas excessive, qu'elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour rencontrer les préoccupations de son auteur. Il n'est plus vrai de dire que « la fin justifie les moyens ». Au contraire, les moyens doivent être adaptés aux fins poursuivies. Dans cette perspective, seules des actions mesurées, des interventions calculées, des agissements pondérés - et notamment des atteintes graduées aux droits et aux libertés - trouvent grâce aux yeux de la Cour.

Comment ne pas l'ajouter ? Cette batterie de contrôles que ne laisse pas deviner une simple référence constitutionnelle à la règle de l'égalité des Belges devant la loi permet à la Cour d'entrer très avant dans le processus de confection de la loi. Elle lui permet de faire la chasse aux discriminations. Elle l'amène à concevoir une véritable méthodologie juridique et politique que le pouvoir législatif, à différents niveaux, se doit de respecter quand il exerce la fonction qui lui revient.

Une précision s'impose. La lutte contre les discriminations n'empêche pas la Cour d'admettre les discriminations positives. « Encore faut-il [...] qu'elles soient appliquées dans les seuls cas où une irrégularité manifeste est constatée, que la disparition de cette inégalité soit désignée par le législateur comme un objectif à promouvoir, que les mesures soient de nature temporaire, étant destinées à disparaître dès que l'objectif visé par le législateur est atteint et qu'elles ne restreignent pas inutilement les droits d'autrui » (CA, n° 9/94).

Commentant cet arrêt, l'on a pu écrire : « Le propos a le mérite de la franchise. Il marque, à coup sûr, l'irruption du propos politique dans le discours juridique. Pour autant qu'elle soit claire, la parole du législateur doit être prise pour argent comptant. La confiance politique devient critère de validité juridique. Le discours n'est pas hérétique dès l'instant où chacun convient qu'une inégalité manifeste subsiste et qu'elle doit être éradiquée par tous les moyens. Il n'est pas pour autant rassurant. Qui peut soutenir que des majorités abusives ne prendront jamais prétexte d'inégalités qu'elles considéreront aussitôt comme patentes pour imposer des solutions de droit qui s'inscriront pourtant en violation des règles essentielles d'égalité ? » (27). Ces considérations restent d'actualité.

3) La Cour d'arbitrage marque son originalité dans un troisième domaine contentieux, celui de l'enseignement.

L'on ne saurait s'en étonner. Depuis plus de cent soixante-dix ans, l'école est au coeur du débat constitutionnel(28). La « guerre scolaire » qui a défrayé la chronique dans les années cinquante a pu être réglée par des mesures de financement qui profitent tant à l'enseignement public qu'à l'enseignement privé (dit « libre »). Il ne convenait pas que l'organisation d'un État fédéral et l'attribution aux communautés des compétences en matière d'enseignement puissent remettre en question ces équilibres structurels. En clair, la protection de l'enseignement public en Communauté flamande et celle de l'enseignement privé en Communauté française doivent être assurées. En ce compris par la Constitution.

Comment procéder ? Deux types de garanties sont procurées. L'une est procédurale, l'autre est plus fondamentale. Toutes deux affectent le fonctionnement de la Cour d'arbitrage.

D'une part, la Constitution organise, à partir de 1988, le recours en annulation des particuliers. Elle l'aménage en toute matière au profit de toute personne intéressée. Mais il ne fait pas de doute qu'à l'origine au moins, cette voie de recours est établie au profit de l'élève, de ses parents, du professeur, du directeur d'école ou de l'institution d'enseignement qui entend contester la validité d'un décret pris en matière d'enseignement. Les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances ou, plus exactement, des appréhensions. Actuellement, moins de cinq pour cent des affaires traitées par la Cour s'inscrivent dans ce contentieux(29).

D'autre part, la Constitution énonce, dans l'article 24, un ensemble de règles et de principes qui doivent guider l'action des particuliers et des pouvoirs publics dans le domaine de l'enseignement et qui fournissent autant de normes de référence au juge constitutionnel : liberté de l'enseignement, droit à l'enseignement, égalité entre les « réseaux » d'enseignement, droit dans l'enseignement public à une éducation morale ou religieuse, neutralité de l'enseignement organisé par la Communauté, liberté du choix de l'école pour les parents, droit aux subventions de l'enseignement libre...

Ces normes détaillées permettent à la Cour d'arbitrage de mieux dessiner les contours du paysage éducatif. Une jurisprudence novatrice conduit notamment à considérer que, quel que soit celui qui le dispense, l'enseignement relève de tâches de service public. Il s'agit d'un service public organique lorsque les collectivités politiques prennent en charge cette mission au niveau communautaire ou local. Il s'agit d'un service public fonctionnel lorsque des personnes privées contribuent à remplir ces tâches éducatives. Rien n'empêche, dès lors, de promouvoir l'égalité entre institutions d'enseignement, dans les conditions que prescrit l'article 24, § 4 de la Constitution.

4) Les autres attributions

À la faveur des contrôles qu'elle exerce, la Cour d'arbitrage peut être incitée à veiller au partage de responsabilités entre les autorités législatives et réglementaires, que ce soit au niveau fédéral, communautaire ou régional(30).

L'intervention du législateur, plutôt que du gouvernement, communautaire est prescrite par l'article 24, § 5, de la Constitution dans le domaine de l'enseignement(31). « Elle traduit la volonté du Constituant de réserver au législateur compétent le soin de régler les aspects essentiels de l'enseignement en ce qui concerne son organisation, sa reconnaissance » et son financement (n° 38/99). Le texte n'interdit pas des formes de délégation. Mais il convient que le législateur communautaire ait fait les « choix politiques », qu'il ait déterminé les « aspects essentiels » de l'organisation de l'enseignement et qu'il ait notamment arrêté des « directives » à l'intention du gouvernement communautaire (id.). Ce dernier assurera « la mise en oeuvre des principes » que le législateur a lui-même adoptés. Avec cette précision bien connue : « un gouvernement de communauté ne saurait combler l'imprécision de ces principes ou affiner des options insuffisamment détaillées » (n° 38/99).

La question pourrait se présenter, mais sans habilitation constitutionnelle, cette fois, dans d'autres domaines. Pourquoi ne pas intervenir là où la Constitution a réservé une matière à l'intervention du législateur fédéral et n'a donné au pouvoir gouvernemental que la faculté, très lâche au demeurant, de prendre des mesures d'exécution de la loi ?

VI. La saisine de la Cour

Pas plus qu'un autre juge, la Cour d'arbitrage ne statue d'office. Pour exercer la fonction que la Constitution lui assigne, elle doit être saisie. Selon l'article 142, alinéa 3, de la Constitution, « la Cour peut être saisie par toute autorité que la loi désigne, par toute personne justifiant d'un intérêt ou, à titre préjudiciel, par toute juridiction ». La loi spéciale du 6 janvier 1989 précise, en ses articles 2 et suivants, la manière d'introduire ces recours.

1) Le premier recours est le recours en annulation. C'est la voie d'accès la plus simple au prétoire du juge constitutionnel. Pourvu qu'il y ait intérêt, le requérant s'attaque - le mot n'est pas trop fort - bille en tête à la loi, au décret ou à l'ordonnance. Il en conteste la validité. Il n'y a pas lieu de s'interroger sur ses motivations. Don Quichotte, Chicaneau, agent d'un lobby international ou citoyen consciencieux, peu importe. La Constitution lui reconnaît un droit, celui de s'adresser au juge constitutionnel pour que celui-ci remplisse son office.

Certains y verront le point le plus avancé de la consécration de l'État de droit - David s'en prend à Goliath. D'autres y verront une dérive démocratique, sinon populiste - un individu isolé est en mesure de contester les volontés de la Nation, se fût-elle prononcée à une très large majorité. Ces préoccupations ne peuvent être perdues de vue. La pratique de la Cour d'arbitrage semble démentir, cependant, la crainte de voir des recours introduits dans la seule préoccupation de nuire, et notamment de paralyser de manière intempestive le processus de confection des lois.

Certes, dans ce cas, une vérification supplémentaire de constitutionnalité est requise. Mais elle n'est pas superflue. Elle s'impose, en particulier, lorsque le gouvernement et les assemblées prennent le parti de ne pas suivre les conseils autorisés qui leur sont prodigués, voire font délibérément fi des critiques juridiques qui leur sont adressées.

Le recours en annulation est aussi un recours rapide. Il n'est recevable que s'il est introduit dans les six moins de la publication au Moniteur belge de la norme critiquée. Celle-ci n'est peut-être pas encore entrée en vigueur. Si elle l'est, elle n'a pas fait l'objet de multiples mesures d'application. Elle n'a pas encore suscité de litiges. C'est la loi à l'état brut qui est contestée. Un contentieux objectif va pouvoir se développer. Si l'on sait que la Cour d'arbitrage est tenue de clore l'examen de ce dossier et de rendre son arrêt dans l'année qui suit, et elle respecte ces délais, il est permis de considérer que la formule retenue est satisfaisante. Elle ne prolonge pas outre mesure la période d'incertitude constitutionnelle qu'ouvre la publication de la loi.

Comme son nom l'indique, le recours en annulation est aussi un recours énergique. Il tend obtenir la suppression radicale d'une norme législative ou apparentée. Il vise à l'expulser, y compris pour le passé, de l'ordre juridique. À cet égard, l'arrêt d'annulation - il y en a, en moyenne, quinze par an -, représente toujours un séisme juridique. Les précautions que peut prendre la Cour pour en atténuer certains effets ne sauraient faire oublier ses effets destructeurs.

Ce recours bénéficie d'un réel succès. Près de quarante pour cent des affaires portées devant la Cour d'arbitrage le sont de cette manière. Un bon tiers sont couronnés de succès.

Le recours peut être mis en oeuvre par un requérant ordinaire ou par un requérant privilégié.

Le requérant ordinaire est un particulier - personne physique ou personne morale(32). Il doit justifier d'un intérêt pour agir. La Cour procède sur ce point à des vérifications préliminaires aux fins d'écarter l'action populaire. Le contrôle est effectif mais il peut être considéré comme libéral. Une loi relative aux droits politiques des citoyens pourra, par exemple, être attaquée par chacun d'eux puisqu'il dispose d'un intérêt à voir consacrer en ce domaine les principes de démocratie, et donc d'égalité politique en termes d'électorat et d'éligibilité. Tant il est vrai, comme le souligne la Cour, que « le droit de vote est un droit politique fondamental de la démocratie représentative » (CA, n° 9/89 du 27 avr. 1989 et n° 26/90 du 14 juill. 1990).

Le requérant privilégié est une autorité publique. Il ne doit pas justifier d'un intérêt particulier. Il est présumé le posséder. Mais il doit figurer parmi les autorités que la loi spéciale désigne. Il s'agit d'autorités exécutives, aux niveaux fédéral, communautaire ou régional ou d'assemblées délibérantes(33) agissant dans les mêmes ressorts. Comment ne pas constater que les requérants privilégiés restent discrets ? Comme s'il ne convenait pas que des partenaires ou des concurrents politiques se placent sur le terrain du droit public pour obtenir satisfaction. Comme s'il ne leur revenait pas, en tout cas, de prendre des initiatives significatives sur le plan procédural. Cette prudence ne les empêche pas d'intervenir en cours de procès et de développer les arguments qui leur paraissent aller à l'appui ou l'encontre de la norme examinée.

2) Une demande de suspension peut être jointe au recours en annulation. Selon l'article 19 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, « à la demande de la partie requérante, la Cour peut, par une décision motivée, suspendre en tout ou en partie la loi, le décret ou (l'ordonnance) qui fait l'objet d'un recours en annulation ».

L'explication est claire. Une norme fait d'ores et déjà l'objet d'un recours en annulation. Celui-ci sera examiné dans le délai d'un an. Faut-il lui permettre de sortir ses effets dans l'intervalle ? Faut-il l'autoriser à créer l'irrémédiable et empêcher l'arrêt d'annulation d'opérer avec plein effet rétroactif ? Un premier examen de l'affaire doit permettre d'assurer un règlement provisoire du litige.

Évidemment, le requérant qui a antérieurement ou concomitamment introduit un recours en annulation doit avancer des moyens sérieux, c'est-à-dire des arguments de droit qui revêtent « une apparence de fondement au terme d'un premier examen » (CA, n° 34/90 et 35/90 du 14 nov. 1990). Il doit aussi démontrer que l'exécution immédiate de la norme législative risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable.

La Cour d'arbitrage ne fait droit que de manière exceptionnelle à une demande de suspension. Si c'est le cas, elle doit statuer sur le recours en annulation dans les trois mois (art. 25).

3) La question préjudicielle s'inscrit dans une perspective différente -, on n'ose écrire : contradictoire - (art. 26 à 30)(34). Il ne s'agit pas, cette fois, d'expulser une norme de l'ordre juridique. Il importe plutôt d'en constater l'invalidité et d'en empêcher l'application dans un litige particulier. Même invalide, la norme demeure. Seul effet positif : le venin qu'elle contient, pour utiliser le mot de Dominique Turpin, à défaut d'être extirpé, est mis en sommeil ; il ne peut produire d'effets maléfiques dans un cas d'espèce.

La question préjudicielle est envisagée avec faveur en Belgique. Elle rassure et elle rassemble.

Elle rassure le juge du litige qui n'en est pas dessaisi. Le voici, au contraire, associé à la naissance du contentieux constitutionnel(35). Le voici respecté dans ses prérogatives, et d'abord dans celle de déceler l'inconstitutionnalité éventuelle d'une norme qu'il s'apprête à appliquer. Le voici assuré de bénéficier, même s'il n'est pas familiarisé avec les questions de droit public, d'une assistance constitutionnelle efficace. Le voici maître de la décision qu'il prendra en définitive. Seules entorses à son pouvoir de libre décision : la procédure est suspendue dans l'attente de la réponse de la Cour ; il y a lieu de tenir compte du constat d'invalidité prononcé éventuellement par le juge constitutionnel.

La procédure suivie rassure aussi la Cour d'arbitrage. La voici qui statue au milieu du gué. Un litige est en cours. Ce n'est pas à elle à le régler. Mais elle ne peut se dérober aux interrogations qui lui sont adressées. Dans cet exercice, elle a pour interlocuteur un autre juge ainsi que, mais de manière incidente, les parties au litige. Elle n'est pas confrontée directement avec les auteurs du texte critiqué. D'autant plus que ceux-ci sont peut-être morts et enterrés depuis belle lurette. Lorsque la Cour examine la validité de certains articles du concordat passé entre Napoléon et Pie VII, elle ne risque pas d'effaroucher les dirigeants de l'État fédéral belge, des communautés ou des régions. Elle statue lorsque les nerfs ne sont plus à vif.

Mieux que cela. La question préjudicielle permet de rassembler les juges - le juge du litige et le juge constitutionnel - autour d'une même problématique. Le premier décèle, le second juge. Le second répond, le premier statue in fine dans le litige dont il était saisi. Un « dialogue de juge à juge », selon la belle expression d'Anne Rasson, s'instaure pour faire oeuvre utile. Rien n'empêche, par exemple, la Cour d'attirer l'attention du juge du fond sur une modification législative intervenue entre-temps ; maintient-il ou non, dans ces circonstances, sa question(36) ?

Une jurisprudence nuancée de la Cour s'efforce de définir les responsabilités de l'un et de l'autre dans cet exercice de coopération juridictionnelle. Le juge du fond doit poser une question pertinente, véritable et utile(37). Le juge constitutionnel peut indiquer les deux interprétations dont la norme critiquée peut faire l'objet : elle assortit la première d'un constat de validité et la seconde d'un constat d'inconstitutionnalité (CA, n° 64/2001, 8 mai 2001).

L'opération ne va pas sans créer quelque malaise. « Sens et non-sens » (38), « forces et faiblesses » (39), « atouts et limites » (40) de la question préjudicielle... La doctrine hésite sur les formulations. Mais le diagnostic est le même. La procédure présente des mérites. Ils ont déjà été soulignés. Elles offrent aussi des inconvénients qui en constituent la contrepartie. Ils sont essentiellement au nombre de deux. Il y a le problème des délais et celui des effets.

D'un point de vue chronologique, l'on ne peut ignorer que la question préjudicielle peut être posée sans considération de délai. Rien n'empêche, on l'a vu, de remonter, sinon au déluge, du moins avant la création du Royaume. Elle entretient le contentieux constitutionnel plus qu'elle ne le clôt.

Du point de vue de l'autorité des arrêts, l'on doit se demander si la décision rendue sur question préjudicielle ne mériterait pas de bénéficier, elle aussi, d'une autorité absolue de chose jugée(41). Comment expliquer que le citoyen soit tenu d'interpréter la loi dans un sens et le juge dans un autre ? Si la réforme paraît trop radicale, pourquoi ne pas imposer au législateur l'obligation de se ressaisir de la question controversée et d'arrêter les solutions de droit qui s'inscriront tout à la fois dans le respect de la Constitution et dans celui des opportunités politiques ?

4) L'on ne saurait perdre de vue que le législateur spécial établit des règles différentes pour les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d'appel, d'opposition, de pourvoi en cassation ou de recours en annulation devant le Conseil d'État. En clair, il s'agit de la Cour de cassation et du Conseil d'État. Une crainte est clairement exprimée dans les milieux politiques. Ces hautes juridictions ne risquent-elles pas d'exercer dans l'ordre judiciaire ou administratif un contrôle diffus de constitutionnalité des lois ? Ou ne seront-elles pas tentées de déjouer l'intervention de la Cour d'arbitrage au motif que la question de constitutionnalité ne pose pas véritablement problème ? Elles seront tenues de saisir la Cour d'arbitrage sans pouvoir se prononcer sur le caractère pertinent ou véritable de la question posée. À supposer même que la Cour ait répondu dans des arrêts antérieurs à la question posée, ces hautes juridictions sont contraintes de renvoyer cette question au juge constitutionnel.

VII. La procédure devant la Cour

L'article 142 de la Constitution ne contient aucune règle de procédure. Il requiert une loi spéciale de déterminer « le fonctionnement » de la Cour(42). Parmi les dispositions qui méritent de retenir l'attention, l'on retiendra celles qui sont relatives à l'audience. En principe, celle-ci est publique, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les bonnes moeurs ; dans ce cas, la Cour le déclare par un arrêt motivé (art. 104). Celle-ci s'ouvre par une intervention des deux juges-rapporteurs. L'un indique les questions juridiques que la Cour doit résoudre. L'autre peut faire un rapport complémentaire(43). Les parties requérantes et les parties intervenantes, agissant en personne ou par l'entremise d'un avocat, ont alors la possibilité de commenter de manière concise les moyens qui figurent dans leur requête et qu'elles ont développés dans leur mémoire (art. 106, al. 4). Elles peuvent être invités à répondre aux questions du siège. À la clôture des débats, l'affaire est mise en délibéré (art. 106, al. 5). Les délibérations de la Cour, elles, sont secrètes (art. 108).

VIII. Les arrêts de la Cour

Quelle que soit la manière dont elle est saisie, la Cour d'arbitrage « statue par voie d'arrêt » (Const., art. 142, al. 2). Elle ne procure pas des avis. Elle ne donne pas des interprétations autorisées. Elle tranche par décision de justice le litige qui lui a été déféré. Ses arrêts sont définitifs et sans recours (art. 116). Évidemment, l'arrêt qu'elle rend présente des caractères différents en fonction des demandes qui lui ont été adressées.

1) Si le recours en annulation est recevable et si les moyens invoqués sont fondés, la Cour annule en tout ou en partie la loi fédérale, le décret ou l'ordonnance incriminé (art. 8, al. 1er). Elle le fait disparaître de l'ordre juridique concerné. Et ceci avec effet rétroactif : « la violation d'une règle constitutionnelle affecte la norme (incriminée) d'un vice congénital » (44). L'arrêt est revêtu de l'autorité absolue de chose jugée à partir de sa publication au Moniteur belge (art. 9, § 1er). Il s'impose à tous, personne publique ou privée. Par définition, il n'a pas d'effet positif. Il ne contient pas d'injonction à l'intention de l'auteur de la norme annulée. C'est à ce dernier que revient la tâche de concevoir les solutions les plus appropriées dans le contexte juridique qui vient d'être nettoyé.

Si le recours en annulation n'est pas recevable ou si les moyens invoqués ne sont pas fondés, la Cour formule un arrêt de rejet. Un tel arrêt a, pour les juridictions, autorité de chose jugée à l'égard des points de droit qu'il tranche (art. 9, § 2).

2) Si la Cour d'arbitrage fait droit à la demande de suspension, la norme incriminée est privée d'effet. Elle l'est pour une période de trois mois maximum qui prend cours à la date de l'arrêt. Si, dans ce délai, la Cour ne s'est pas prononcée sur le recours en annulation, la norme produit à nouveau tous ses effets (art. 25).

3) Si la question préjudicielle est recevable, la Cour y répond dans un arrêt où elle se prononce sur la validité de la règle au regard des dispositions constitutionnelles attributives de compétences ou au regard des articles 10, 11 et 24 de la Constitution. La juridiction qui a posé la question ainsi que tout autre juridiction qui serait confrontée au même problème, doit se conformer à la solution de droit qui est procurée (art. 28).

En clair, elle peut appliquer le texte qui, à la faveur d'un constat de validité, a été jugé conforme à la Constitution. Elle ne doit pas nécessairement le faire. Il se peut, en effet, qu'en fin de compte la norme jugée valide ne soit pas prise en considération pour la solution du litige.

Elle se voit, par contre, interdire de se fonder sur la norme qui a fait l'objet d'un constat d'inconstitutionnalité.

L'arrêt préjudiciel est revêtu d'une autorité relative renforcée de chose jugée(45). Il s'impose au juge à qui la réponse a été adressée et à ceux qui se trouveraient confrontés à la même difficulté juridique. C'est la raison pour laquelle ces autres juges peuvent se dispenser de poser à nouveau une question préjudicielle. Il leur suffit de se conformer à la solution apportée par la Cour.

Évidemment, la norme n'est pas supprimée pour autant. Elle continue à appartenir à l'ordonnancement juridique(46). La règle, pourtant réputée inconstitutionnelle, ne saurait être considérée comme nulle et non avenue par d'autres autorités que les juges. Il en va ainsi des officiers ou agents publics. Elle conserve également force de loi à l'égard des particuliers.

Comme l'écrit H. Simonart, « après avoir fait l'objet d'une déclaration d'irrégularité par la Cour d'arbitrage au contentieux des questions préjudicielles, une disposition législative ou décrétale ne peut plus être appliquée dans un autre litige sous prétexte qu'elle serait manifestement régulière. L'existence d'un tel arrêt prive, en effet, tout juge quel qu'il soit, de la possibilité de constater que la régularité de cette disposition ne constitue point une question véritable. Le juge n'est toutefois pas lié par un tel arrêt. Il est simplement placé devant l'alternative suivante : soit il se conforme à l'arrêt précédent, ce qui signifie concrètement qu'il refuse d'appliquer la disposition au litige dont il est saisi, soit il interroge à nouveau la Cour d'arbitrage à propos de la régularité de cette disposition » (47). Mais peut-il s'attendre, dans ces circonstances, à une autre décision ?

4) Une déclaration d'inconstitutionnalité a un autre effet. Elle contribue à la réouverture d'un délai de six mois pour l'introduction d'un recours en annulation contre la norme que la Cour d'arbitrage a considérée comme inconstitutionnelle. Ce recours nouveau n'est ouvert qu'au bénéfice des gouvernements fédéral et fédérés. Il ne l'est ni aux assemblées, ni au particulier.

5) Il arrive que la Cour rédige le dispositif de ses arrêts de manière complexe(48). Elle y inscrit des « réserves d'interprétation » et même, serait-on tenté d'écrire, des « réserves de décision ».

Elle ne supprime pas purement et simplement la norme critiquée mais l'annule « en tant qu » elle contient telle disposition ou « dans la mesure où » elle retient telle prescription(49). Cette façon de faire s'explique souvent par la manière dont la norme incriminée est rédigée. Elle ne facilite ni la lecture des arrêts, ni celle des normes ainsi retravaillées. Comment, par exemple, reproduire celles-ci dans les recueils de textes législatifs ?

Dans le même sens, les arrêts rendus sur question préjudicielle peuvent établir un constat d'invalidité d'une norme « en ce que » ou « en tant que » telle disposition particulière qu'elle contient prête à critique.

Ces réserves plaisent manifestement à la Cour. Elles témoignent de sa préoccupation de ne pas privilégier les solutions trop abruptes, de ménager la susceptibilité des assemblées et des gouvernements qui ont conçu la norme critiquée, de réaliser au sein de l'institution de justice constitutionnelle les consensus indispensables.

IX. Les projets de réforme

L'histoire de la Cour d'arbitrage, il faut l'espérer, n'est pas écrite une fois pour toutes(50). Dans les milieux politiques comme dans les cercles scientifiques, et même au sein de la Cour, des propositions sont régulièrement émises aux fins de parfaire l'organisation, le fonctionnement ou les attributions de la Cour.

Un phénomène marquant ne peut être tu. Le 4 septembre 2001, le gouvernement a déposé au Sénat un projet de révision du titre II de la Constitution (en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l'homme) (Doc. parl., Sénat, 2000-2001, n° 2-575/1). Au même moment, il a déposé un projet de loi visant à modifier la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage (en vue notamment d'étendre sa compétence au contentieux des droits et libertés) (Doc. parl., Sénat, 2000-2001, n° 2-897/1)(51). La Revue belge de droit constitutionnel a consacré un numéro spécial à l'examen des initiatives gouvernementales (avec des contributions d'Henri Simonart, Marc Verdussen, Élisabeth Willemart, David Renders, Christine Horevoets et Gérald Duffy) (2000, p. 181 et s.).

Les projets en cours suscitent deux types de questions. Elles relèvent de la technique mais aussi de la politique juridiques.

D'un point de vue technique, il faut se demander si l'attribution à la Cour du contentieux des droits fondamentaux peut se réaliser sans modification de l'article 142 de la Constitution, étant entendu que, comme on l'a déjà relevé, cette disposition n'est pas actuellement révisable. La réponse ne paraît pas faire de doute. Les compétences du juge constitutionnel peuvent être accrues à l'intervention du législateur spécial. Il suffit que celui-ci vise de nouveaux articles de la Constitution pour intégrer leurs dispositions parmi les normes de référence. Si la Constitution a été révisée entre-temps et si le titre II contient désormais une référence aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, l'on n'aperçoit pas l'obstacle juridique qui s'opposerait à une extension des attributions de la Cour(52).

Du point de vue de la politique juridique, il est permis également de s'interroger. Lorsqu'une Constitution se réfère sans plus à un texte de droit international, en particulier à la Convention européenne des droits de l'homme, elle peut susciter l'embarras. Renvoie-t-elle au texte ou à son interprétation ? Au principe ou à ses exceptions ? À la convention ou à ses protocoles ? Et, à supposer que les dispositions de la Constitution s'expriment déjà, ce qui est le cas, sur nombre de sujets traités dans la convention, à quelle norme - la constitutionnelle ou la constitutionnalisée - donner la préférence ?

L'on convient que l'exercice est difficile. Mais, pour plus de clarté et pour plus de sécurité, mieux vaudrait réécrire le texte du titre II de la Constitution en y intégrant les acquis nationaux et internationaux, sans oublier l'acquis communautaire qu'exprime, de manière très imparfaite, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. De cette manière, le citoyen serait informé du catalogue complet de ses droits et de ses devoirs. De son côté, le juge ne serait pas tenté d'instaurer la concurrence entre le contrôle de constitutionnalité et celui de conventionnalité. La Cour d'arbitrage, elle, remplirait pleinement son rôle. Elle s'affirmerait comme l'institution la plus apte à exercer, en monopole, la fonction de censure des normes législatives qui violent les droits et les libertés(53).

Conclusion

La Belgique est entrée, en 1980, dans le groupe des États constitutionnellement développés. Elle figure désormais dans le camp de ces États qui prennent leur Constitution au sérieux, qui cherchent à procurer à ses dispositions, ou en tout cas à certaines d'entre elles, une pleine effectivité et qui assortissent la proclamation des règles de droit constitutionnel d'un ensemble de garanties juridictionnelles.

La Cour d'arbitrage se porte bien. Elle a justifié les pronostics favorables qui avaient été émis au moment de sa fondation. Elle ne s'est pas laissé entraîner dans les querelles auxquelles les autorités politiques avaient trop commodément succombé. Elle a résolu sans tapage les litiges délicats qui lui étaient déférés. Au rythme actuel de près de cent cinquante arrêts par an, elle poursuit son petit bonhomme de chemin.

Certains la trouveront trop consensuelle. Un accord entre hommes de bonne volonté ne garantit pas le respect du droit constitutionnel. Il préserve l'existence de la Cour mais n'assure pas nécessairement celle de l'État fédéral. Lorsque les intérêts fédéraux, en particulier, entrent en conflit avec les préoccupations communautaires et régionales, il n'est pas certain que la bonne entente entre deux groupes linguistiques n'aboutisse pas à un appauvrissement des compétences les plus générales.

Certains la trouveront aussi trop conciliante. Pourquoi pas, s'il se justifie, un bon arrêt d'annulation ? Il n'est pas possible de « contenter tout le monde et son père », dit le proverbe. La Cour aime à se faire aimer. Elle ne manie le bâton qu'en dernière extrémité. Elle préfère les formulations plus atténuées. Ne perd-elle pas de vue la mission pédagogique qui est nécessairement la sienne ? Contribue-t-elle à suffisance à la prévention du contentieux constitutionnel ?

Certains la trouveront trop politique. Elle fait du droit. Elle rend la justice. Mais elle se montre également attentive à l'utilisation des deniers publics, elle a égard au poids des habitudes sociales, elle ne perd pas de vue les conséquences économiques de ses décisions... Cette vision très intégrante de la réalité juridique lui confère une place à part parmi les juridictions belges.

D'autres répondront. C'est pour cela que la Cour d'arbitrage a été créée. Dans un État en proie à toutes les diversités et dont les forces vives pratiquent parfois, sinon souvent, l'art de la querelle, il est bon qu'une institution, consciente des pièges et des chausse-trappe de la politique, exprime des préoccupations plus consensuelles et fasse, si possible, oeuvre pacificatrice. Que n'y en a-t-il d'autres !

(1) C. Cambier, « Deux aspects de la révision de la Constitution : la décentralisation et la redistribution des pouvoirs », Journal des tribunaux, 1971, p. 168.
(2) R. Andersen, P. Nihoul et S. Depré, « La Cour d'arbitrage et le Conseil d'État », in Regards croisés sur la Cour d'arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 144 à 146.
(3) P. de Visscher et F. Delpérée, « Pour une juridiction constitutionnelle en Belgique », in Actualité du contrôle juridictionnel des lois, travaux des VIes Journées juridiques Jean Dabin (1971), Bruxelles, Larcier, 1993, p. 241.
(4) P. Vandernoot considère que cette option s'inscrit dans l'article 142, alinéa 2, 3 ° de la Constitution : « Cette disposition ne subordonne l'extension des compétences de la Cour d'arbitrage qu'à une simple intervention législative. » Elle ne requiert pas une nouvelle révision constitutionnelle (« Le mécanisme préjudiciel devant la Cour d'arbitrage : forces et faiblesses », in Revue de la Faculté de droit, Bruxelles, 2002, p. 5).
(5) F. Delpérée, C. Horevoets, A. Rasson-Roland et B. Renauld, « Chronique de jurisprudence constitutionnelle. Belgique », Annuaire européen de justice constitutionnelle, 2000, p. 551 et s., ici p. 604.
(6) Une loi spéciale est une loi bicamérale intégrale. Pour être adoptée, elle doit recueillir une majorité qualifiée des deux tiers des suffrages dans chacune des chambres législatives. Elle doit aussi être appuyée, dans chacune d'elles, par une majorité absolue de parlementaires du groupe linguistique français et du groupe linguistique néerlandais.
(7) Les références aux dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sont reproduites ci-dessous sans mention de date et d'intitulé.
(8) A. Rasson-Roland, « Les lois spéciale et ordinaire du 2 avril 2001 relatives à la Cour d'arbitrage », Revue belge de droit constitutionnel (ci-après RBDC), 2001, p. 197.
(9) P. Martens, « Le métier de juge constitutionnel », in La saisine du juge constitutionnel. Aspects de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 38.
(10) Une part des effets bénéfiques de cette règle est annihilée dès l'instant où les groupes politiques constitués dans les assemblées peuvent être tentés de se concerter. Ils fermeront les yeux sur les mérites et les défauts des candidats proposés par les autres groupes à condition que ceux-ci leur rendent la monnaie de la pièce. La technique retenue n'évite pas, dans ce cas, les pièges de la politisation, au sens le plus particratique du terme. Adde : C. Courtoy, « La formation et le renouvellement de la Cour d'arbitrage », CPDK, 2000, p. 539.
(11) Avec cette précision qu'apporte l'article 34, § 2, alinéa 2 : l'un d'entre eux au moins doit provenir de la Cour de cassation ou du Conseil d'État, un autre de l'université.
(12) E. Cerexhe, « La Cour d'arbitrage », in La Belgique. Un État fédéral en évolution, Bruxelles-Paris, Bruylant-LGDJ, 2001, p. 129.
(13) À l'occasion de différents litiges, la Cour d'arbitrage ne peut manquer de tenir compte des conséquences financières des décisions qu'elle pourrait prendre. La présence d'anciens parlementaires, et même d'anciens ministres, parmi les juges explique peut-être l'attention qui est portée aux aspects budgétaires du contentieux constitutionnel. Dans certains cas, cependant, la Cour n'hésite pas à annuler les dispositions d'une loi alors qu'elle sait pertinemment que la décision intervenue sera génératrice de dépenses supplémentaires pour la collectivité publique.
(14) M. Verdussen et D. de Bruyn, « La procédure préliminaire devant la Cour d'arbitrage », RBDC, 1996, pp. 295-316.
(15) A. Alen, « D'une Cour d'arbitrage à la Cour constitutionnelle », RBDC, 1999, p. 58 ; H. Simonart et M. Verdussen, « La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux », RBDC, 2000, p. 184.
(16) F. Melin-Soucramanien, Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris-Aix, Economica et PUAM, 1997, p. 308 : « Le cas belge constitue, heureusement, un phénomène unique ».
(17) La Cour d'arbitrage ne peut, vérifier la conformité de dispositions constitutionnelles par rapport à d'autres. Elle est également incompétente pour connaître de la validité de lois qui ne font que transcrire ou mettre en oeuvre une « option consacrée dans la Constitution » (parmi des arrêts récents : CA, nos 81/2000, 100/2000 reproduit ci-après p. 76 et 103/2000).
(18) En ce compris la loi spéciale organisant la Cour d'arbitrage (CA, n° 25/99).
(19) Une loi spéciale de réformes institutionnelles, celle du 8 août 1988, charge le Roi de rédiger un arrêté royal qui détermine les principes généraux du droit de la fonction publique qui s'appliquent dans les administrations communautaires et régionales. Il s'agit d'un règlement. À ce titre, il peut être annulé par le Conseil d'État (il l'a été : CE, n° 47.689, 31 mai 1994, Leclercq, APT, 1995, p. 79, obs. F. Leurquin-de Visscher). Mais, par ailleurs, il établit un ensemble de dispositions qui, promulguées au niveau fédéral, échappent désormais à la compétence des communautés et des régions. L'arrêté royal du 26 septembre 1994 peut être considéré comme répartissant des compétences dans le domaine de la fonction publique.
(20) Sur l'ensemble de la question, F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles-Paris, Bruylant-LGDJ, 2000, pp. 583 et s.
(21) CA, nos 9/86, 10/86, 17/86 et 72/96. Une confirmation peut être apportée : aucune affaire déférée au juge constitutionnel n'a été tranchée sur la base de l'article 26, § 1er, 2 ° de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
(22) On trouvera dans l'étude de R. Leysen, B. Paty et A. Rasson-Roland (« Un cap est franchi : le millième arrêt de la Cour d'arbitrage », RBDC, 2000, p. 3) des données numériques sur l'importance respective des différents contentieux.
(23) J.-Cl. Scholsem, « L'égalité devant la Cour d'arbitrage », in Liber amicorum Prof. Em. E. Krings, Bruxelles, Story Scientia, 1991, p. 775 ; B. Renauld, « Objectifs du législateur et contrôle de constitutionnalité. Observations sous l'arrêt n° 22/94 du 8 mars 1994 », RBDC, 1994, p. 347 ; L.-P. Suetens, « Gelijkheid en discriminatie in de rechtspraak van het Arbitragehof », in Gelijkheid en non discriminatie. Égalité et non-discrimination, Antwerpen, Kluwer, 1991, p. 95.
(24) J. Dabin, Théorie générale du droit, Bruxelles, Bruylant, 1944, p. 56.
(25) « La jurisprudence de la Cour d'arbitrage en 2000 » (cit.), p. 282.
(26) B. Renauld, « Le 12e protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : l'égalité en marche », Revue du droit des étrangers, 2001, p. 347. Adde : P. Martens, « L'irrésistible ascension du principe de proportionnalité », in « Présence du droit public et des droits de l'homme », Mélanges offerts à J. Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 49.
(27) F. Delpérée, A. Rasson-Roland et M. Verdussen, « Les discriminations positives », in Annuaire international de justice constitutionnelle, 1997, p. 75 ; F. Delpérée, « L'égalité en droit public belge », EDCE, 1996, p. 431 s.; id., « Les discriminations en droit public belge », in Les discriminations, Travaux de l'Association Henri Capitant, 2002 (à paraître).
(28) Dès l'origine, la Constitution consacre cette règle : « L'enseignement est libre ». Avec cette traduction concrète. L'école n'est le monopole de personne, ni de l'État, ni des collectivités locales, ni des communautés religieuses. Chacun a le droit d'ouvrir une école, de l'organiser et d'y dispenser un enseignement, dans le respect des règles que les pouvoirs publics peuvent imposer aux fins d'assurer, par exemple, un enseignement de qualité ou d'organiser la délivrance des diplômes. Au cours des xixe et xxe siècles, trois réseaux d'enseignement se sont constitués. L'un relevait de l'État et est pris en charge aujourd'hui par les communautés, un autre des collectivités locales et un troisième des milieux catholiques.
(29) Il est vrai aussi que chaque recours invite à vérifier la constitutionnalité d'une législation organique en matière scolaire. Il intéresse, par la force des choses, des milliers d'étudiants et d'enseignants.
(30) A. Rasson-Roland, « Le recours des particuliers auprès de la Cour d'arbitrage », in La saisine du juge constitutionnel (dir. F. Delpérée et P. Foucher), Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 163 ; F. Delpérée, « La justice constitutionnelle et le recours des particuliers », RFD const., 1990, p. 676.
(31) F. Delpérée et A. Rasson-Roland, La Cour d'arbitrage, Bruxelles, Larcier, 1996, p. 97.
(32) L'ouverture d'un recours aux particuliers a suscité des craintes. La Cour n'allait-elle pas être « envahie » par un ensemble de requêtes individuelles qui porteraient atteinte à l'efficacité de ses interventions ? Ces appréhensions se sont révélées injustifiées. Le nombre de normes nouvelles qui peuvent être attaquées dans un délai de six mois reste limité. Les griefs qui peuvent être retenus sont réduits. Comme on l'a rappelé, un système de filtrage a été, par ailleurs, instauré en vue d'éliminer les recours manifestement irrecevables, en vue de déceler les cas dans lesquels la Cour est manifestement incompétente ou le recours irrecevable. Il permet également de régler sans délai les recours en annulation qui sont manifestement non fondés (loi spéciale, art. 69 à 73).
(33) Les présidents d'assemblée législative introduisent un recours à la demande des deux tiers de leurs membres.
(34) Sur l'ensemble de la question, C. Horevoets et P. Boucquey, Les questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage. Aspects théoriques et pratiques, Bruxelles, Bruylant, 2001.
(35) « Une jurisprudence constante réserve à la juridiction qui pose la question préjudicielle le soin de statuer sur l'applicabilité d'une norme à l'affaire dont elle a été saisie et de poser une question au sujet de cette norme. C'est donc le juge a quo qui détermine la règle applicable au litige dont il est saisi (CA, n° 55/2000, 17 mai 2000) », RBDC, 2001, p. 262.
(36) CA, n° 10/99 du 28 janv. 1999.
(37) Sur le sens de cette expression, F. Delpérée et A. Rasson-Roland, op. cit., p. 64.
(38) M. Leroy, « Sens et non-sens dans le règlement des conflits », Journal des tribunaux, 1989, p. 558.
(39) P. Vandernoot, op. cit., ibidem.
(40) M. Verdussen, « Les atouts et les limites du renvoi préjudiciel à la Cour d'arbitrage », in La saisine du juge constitutionnel..., p. 180.
(41) A. Pizzorusso, F. Delpérée et F. Rubio Llorente, « Les effets des décisions du juge constitutionnel », Annuaire international de justice constitutionnelle, 1994, pp. 11-23.
(42) Le 14 février 1989, la Cour a, pour sa part, établi son règlement (Moniteur belge, 23 févr. 1989).
(43) « L'intervention des juges-rapporteurs a été instaurée dans le souci non seulement d'accélérer la procédure mais aussi d'assurer une contradiction des débats » (CA, n° 49/97).
(44) E. Cerexhe, op. cit., p. 139.
(45) F. Delpérée et A. Rasson-Roland, Recueil d'études sur la Cour d'arbitrage 1980-1990, Bruxelles, Bruylant, 1990, p. 51.
(46) Adde : la note d'H. De Croo, président de la Chambre des représentants, sur « l'influence des arrêts de la Cour d'arbitrage sur le travail parlementaire » (Précis de droit parlementaire, Bruxelles, novembre 2001, III, 22): « La Cour est tenue de notifier ses arrêts aux présidents des assemblées, ce qui [...] peut éventuellement entraîner une initiative des membres de l'assemblée - initiative législative, exercice du droit de contrôle, etc. »
(47) H. Simonart, La Cour d'arbitrage. Une étape dans le contrôle de la constitutionnalité de la loi, Bruxelles, Story Scientia, 1988, p. 257, cité par J. van Compernolle et M. Verdussen, « La guerre des juges aura-t-elle lieu ? À propos de l'autorité des arrêts préjudiciels de la Cour d'arbitrage », Journal des tribunaux, 2000, p. 298 ; M. Melchior, « De quelques aspects des questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage », RBDC, 1995, p. 68.
(48) L. Favoreu, « La décision de constitutionnalité », RIDC, 1986, p. 611 ; B. Lombaert, « Les techniques d'arrêt de la Cour d'arbitrage », RBDC, 1996, p. 352 ; J.-J. Fernandez Rodriguez , « Typologie des dispositifs des décisions des cours constitutionnelles », RBDC, 1998, p. 333 ; B. Frydman, « L'autorité des interprétations de la Cour », in Revue de la Faculté de droit, Bruxelles, 2002, p. 107 ; G. Rosoux, « Les réserves d'interprétation dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage : une alternative à l'annulation », RBDC, 2001, p. 385.
(49) Par exemple, CA n° 52/99 du 26 mai 1999.
(50) P. Martens, « La Cour d'arbitrage et le troisième millénaire », Journal des tribunaux, 2000, p. 5 ; J. Velaers, Van Arbitragehof tot Grondwettelijk Hof, Anvers, Maklu, 1990.
(51) Les chambres réunies du Conseil d'État ont remis, le 25 avril 2000, un avis critique sur l'avant-projet de loi spéciale. Aux yeux de la section de législation, une extension indirecte de la compétence de la Cour d'arbitrage « excéderait l'habilitation que l'article 142, alinéa 2, 3 ° de la Constitution a donnée au législateur spécial ».
(52) Contra : H. Simonart et M. Verdussen (op. cit., ibidem) qui reconnaissent que « le procédé est formellement acceptable » mais qui souhaitent néanmoins que la réforme envisagée fasse l'objet d'un débat constitutionnel.
(53) F. Delpérée, « La modification des compétences de la Cour d'arbitrage. Observations de synthèse », RBDC, 2000, p. 209.