Page

Le «référendum local» et la Constitution

Michel VERPEAUX - Professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 12 (Dossier : Le droit constitutionnel des collectivités territoriales) - mai 2002

Le « référendum local » n'a pas de chance avec le Conseil constitutionnel, qu'il s'agisse du « référendum communal » ou de la consultation locale des populations dans certaines parties du territoire français. S'agissant du premier, aucune des lois le concernant n'a été déférée au Conseil constitutionnel ou, lorsque cela a été le cas, le Conseil n'a pas jugé nécessaire de se prononcer à son propos. Quant à la consultation des populations locales, le juge constitutionnel qui, dans ce cas, a été saisi, a encadré son utilisation de façon particulièrement stricte jusqu'à la réduire à la formulation d'un simple avis destiné à éclairer le législateur. Afin de ne pas alourdir les développements et parce que deux contributions sont déjà consacrées au droit constitutionnel de l'outre-mer, il ne sera pas traité ici de la consultation des populations d'outre-mer, mais seulement de la consultation des électeurs locaux, telle qu'elle est organisée par les articles L. 2142-1 et suivants et L. 5211-49 et suivants du Code général des collectivités territoriales (désigné ci-après CGCT). Dans les deux cas, il s'agit bien de la consultation des électeurs des communes, organisée dans le cadre d'une seule commune (art. L 2142-1), ou dans plusieurs communes regroupées dans un établissement public de coopération intercommunale (art. L. 5211-49)(1).

Ces mécanismes de démocratie directe ne sont pas véritablement prévus par la Constitution de 1958. Il faut en effet écarter les hypothèses de référendums nationaux qui sont les seuls à mériter ce nom selon le Conseil d'État(2), et seul l'article 53, alinéa 3, apporte un élément de définition de la consultation de populations locales. Ces dernières, qui sont celles « intéressées » doivent exprimer leur accord à toute cession, échange ou adjonction de territoire. Dans sa décision 75-59 DC du 30 décembre 1975, le Conseil constitutionnel a ajouté à cette liste, l'hypothèse de la sécession, dans le cas où un territoire « cesserait d'appartenir à la République pour constituer un État indépendant ou y être rattaché » (3).

L'article 3 ne peut cependant pas servir de fondement à d'autres formes de consultation, bien qu'il prévoie expressément le référendum, car celui-ci n'est conçu que comme un mode d'expression de la souveraineté nationale et cet alinéa sert à annoncer les articles 11 et 89. Mais la souveraineté étant qualifiée de nationale, et « aucune section du peuple ni aucun individu » ne pouvant s'en attribuer l'exercice, selon l'alinéa 2 de ce même article, un quelconque référendum local ne peut trouver son fondement constitutionnel dans cet article. II faut écarter aussi l'article 76 nouveau, introduit par la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 et qui prévoit la consultation des « populations de la Nouvelle-Calédonie... sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 ». Cette disposition, destinée à organiser « une » consultation, n'a en réalité aucun caractère général.

Il faut alors chercher le fondement constitutionnel de la consultation locale dans d'autres dispositions. Le Conseil a apporté, à propos des consultations des populations d'outre-mer, une importante précision en fondant leur constitutionnalité sur l'alinéa 2 du Préambule de 1958(4). Mais, comme il l'a fermement rappelé lui-même dans les décisions 2000-428 DC et 2000-435 DC, ces consultations ne sont possibles qu'à l'égard des populations d'outre-mer et celles-ci peuvent être consultées sur leur volonté de se maintenir au sein de la République mais aussi sur l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République(5). Ce fondement est contestable en ce qui concerne les consultations dans les DOM et dans d'autres collectivités périphériques situées outre-mer puisque l'alinéa 2 fait référence expressément aux peuples des territoires d'outre-mer. Il est encore plus certain que cet alinéa 2 ne peut servir de fondement à des consultations communales des électeurs en métropole.

Il est néanmoins possible de chercher ce fondement dans l'article 72. Ce dernier précise quels sont les organes compétents pour administrer les collectivités territoriales et permet de s'interroger sur les conditions d'une éventuelle consultation des électeurs communaux. D'autres dispositions constitutionnelles, non expressément rédigées dans ce but, peuvent contribuer à définir constitutionnellement cette forme de consultation locale, ce qui revient à en reconnaître son utilisation.

I. Les collectivités territoriales s'administrent par des conseils élus

Brutalement formulée, la question est de savoir si les collectivités territoriales peuvent être administrées par d'autres organes que les conseils ou si l'affirmation de l'article 72, alinéa 2, selon laquelle elles « s'administrent librement par des conseils élus » interdit que d'autres organes puissent gérer, à côté ou en plus des conseils élus, les collectivités territoriales.

Il faut avouer que, sur ce point, on ne peut faire que des supputations et formuler des hypothèses, tant la jurisprudence constitutionnelle est inexistante. Le juge administratif ne s'est pas lui non plus beaucoup manifesté en la matière, malgré le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion du 2 août 1982 qui a annulé la délibération du conseil général de la Réunion qui avait décidé de consulter la population réunionnaise en se fondant notamment sur l'article 72 de la Constitution(6) : « qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution, lesdits départements comme toutes les collectivités territoriales de la République, s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ; qu'il en découle qu'en l'état actuel, l'organisation par référendum des pouvoirs publics dans le cadre du département serait, hormis les cas très particuliers de modification territoriale, visée à l'article 53 de la Constitution et consécutive à des traités ratifiés ou approuvés en vertu d'une loi, entachée d'illégalité » (7).

Le juge constitutionnel a eu peu d'occasions de se manifester, compte tenu du faible nombre de saisines et de lois consacrées à cette question(8). La loi du 6 février 1992, qui a introduit la consultation communale des électeurs n'a pas fait l'objet d'une saisine et le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi, à propos de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, de la question de l'extension de la consultation au niveau intercommunal, qui était certes annexe par rapport à l'objet principal de la loi(9).

Mais le Conseil constitutionnel aurait pu se saisir d'office de ces questions en vertu de ses pouvoirs de contrôle de l'ensemble de la loi qui lui est soumise(10). Or, il ne l'a pas fait et la décision 94-358 DC du 26 janvier 1995 est muette sur la question de la consultation. On ne peut pas imputer cette absence aux conditions dans lesquelles est exercé le contrôle de constitutionnalité en France, et notamment pas le manque de temps, même si le contrôle a priori à la française présente sur ce point quelques failles(11). Mas il faut faire confiance au Conseil constitutionnel et considérer qu'il n'y avait pas de motif d'inconstitutionnalité majeure dans cette loi, rien qui ne valût d'être soulevé d'office. Encore faut-il se demander quelle aurait pu être cette inconstitutionnalité. La loi du 4 février 1995 a posé, à l'instar de celle de 1992, tellement de verrous à cette consultation que celle-ci ne peut être perçue comme une quelconque immixtion du suffrage universel dans l'administration des collectivités territoriales et l'on voit mal en quoi cette loi aurait pu être contraire au principe de l'article 72 alinéa 2.

La constitutionnalité implicite de la loi de 1995 permet de s'interroger, rétrospectivement, sur les autres lois qui ont introduit des mécanismes de consultation locale. Dans la mesure où la loi de 1995 ne faisait que compléter celle de 1992 qui, elle-même ne prévoyait qu'un mécanisme de consultation des électeurs et non de décision par ces derniers, il est possible de considérer que cette loi de 1992 bénéficie elle aussi d'une sorte de présomption de constitutionnalité.

Cette quasi-certitude est plus délicate à affirmer pour la loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes(12). Malgré le caractère symbolique de cette date en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité, la loi n'a pas fait l'objet d'une saisine. Mais il est vrai que cette loi n'était pas de nature à intéresser, à cette époque, les autorités de saisine. Quel dommage cependant pour le droit constitutionnel des collectivités territoriales !

Cette loi prévoit en effet des mécanismes de consultation des électeurs des communes susceptibles d'être fusionnées. Dans cette loi et par cette procédure, les électeurs sont amenés à décider et non plus seulement à formuler un avis et, sans cette décision, la fusion ne peut se faire. L'article L. 2113-3 CGCT précise ainsi que la fusion est prononcée par arrêté du représentant de l'État si le projet recueille l'accord de la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits dans l'ensemble des communes concernées(13).

Sans vouloir réécrire l'histoire du contrôle de constitutionnalité, on peut estimer que ces électeurs participent directement à l'administration des collectivités territoriales au sens de l'article 72. Si cette affirmation peut être soutenue, celle selon laquelle la loi de 1971 n'aurait pas été constitutionnelle ne peut cependant pas l'être, sous peine de faire oeuvre inventive, faute de décision du Conseil constitutionnel.

Entre les lois non déférées et celles non jugées implicitement inconstitutionnelles, la question de la constitutionnalité du « référendum communal » n'a donc jamais été abordée par le Conseil. Cela n'a pas empêché la doctrine de s'y intéresser. Dans son commentaire du jugement précité du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, J.-F. Miclo a soutenu que le « référendum local » (14) n'était ni contraire à la Constitution ni interdit par elle, mais il visait les consultations locales qui ne pouvaient exprimer qu'un avis, qui n'étaient même pas prévues par une loi à cette époque(15). Quant à M. Guillaume-Hofnung, elle a évoqué « l'argumentaire ressassé sur la prétendue inconstitutionnalité du référendum local décisionnel » (16) ou, à propos d'éventuels référendums départementaux ou régionaux, « la prétendue inconstitutionnalité d'une loi consacrant le référendum ; inutile d'y revenir » (17). C. Chevilley-Hiver conclut aussi à la possibilité de concilier la libre administration par des conseils élus, même dotés « d'attributions effectives » au sens de la décision 85-196 DC du 8 août 1985, avec de véritables référendums locaux(18).

À la question de savoir si la Constitution interdit-elle à d'autres organes que les « conseils élus » d'administrer les collectivités territoriales, la première réponse spontanée consiste à constater que d'autres organes participent à cette administration. C'est ainsi que si l'article L. 2121-29 rappelle que « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune » (19), l'article L. 2122-18 précise que « Le maire est seul chargé de l'administration ». Les organes exécutifs participent de manière principale à la gestion locale, y compris par ce qu'il est convenu d'appeler des pouvoirs propres, exercés en dehors de toute intervention de l'organe délibérant(20).

Mais, compte tenu du mode de désignation de ces organes exécutifs par les organes délibérants(21) et du contrôle indirect exercé par ces derniers sur ces organes exécutifs(22), il est couramment admis que ces organes exécutifs n'échappent pas totalement aux organes délibérants et qu'ainsi l'esprit, à défaut de la lettre, de l'article 72 n'est pas méconnu(23). Admettre néanmoins cette proposition revient à estimer qu'une loi qui prévoirait une élection directe des organes exécutifs, comme cela était par exemple prévu dans la loi communale du 14 décembre 1789(24), serait contraire à l'article 72 alinéa 2.

De la même manière, les autres organes prévus par les lois et qui contribuent à la libre administration, comme les commissions permanentes au sein des conseils généraux et de conseils régionaux(25), ou les conseils économiques et sociaux régionaux, ne se justifient constitutionnellement que soit parce qu'ils sont sous l'étroit contrôle des assemblées délibérantes, soit parce qu'ils ne disposent, pour les conseils économiques et sociaux, que d'un pouvoir consultatif. Ceux-ci sont néanmoins placés auprès « du conseil régional et du président du conseil régional » selon l'article L. 4134-1 CGCT. De même, l'article L. 4131-2 CGCT précise que « Le conseil régional par ses délibérations, le président du conseil régional par l'instruction des affaires et l'exécution des délibérations, le conseil économique et social régional par ses avis concourent à l'administration de la région » (26). Une telle énumération, qui n'a pas d'équivalent pour les autres collectivités territoriales de droit commun, semble placer ces organes sur un relatif pied d'égalité et ne paraît pas exclure, a priori, que les électeurs consultés directement participent aussi à l'administration de la région. Au contraire, l'article L. 2121-1 CGCT dispose que « Le corps municipal de chaque commune se compose du conseil municipal, du maire et d'un ou plusieurs adjoints », ce qui symbolise seulement, par une formule d'un certain archaïsme, l'unité des organes de la commune(27).

Une lecture stricte de l'article 72 semble interdire que les électeurs, qui ne peuvent aucunement être considérés comme étant sous la dépendance ou le contrôle des conseils élus, aient une quelconque attribution directe dans la libre administration des collectivités territoriales. On comprend alors pourquoi les consultations locales des électeurs sont étroitement encadrées par les textes en vigueur, ce qui justifie pleinement que les textes qui ont prévu ces consultations puissent être regardées comme conformes à la Constitution. Le Conseil constitutionnel ne pouvait pas, dans ces conditions, considérer que la loi du 4 février 1995 présentait une quelconque inconstitutionnalité dans la décision 94-358 DC précitée.

La comparaison avec l'article 3 de la Constitution est alors instructive car celui-ci prévoit expressément le double exercice de la souveraineté par le peuple « par ses représentants et par la voie du référendum » (28). Il n'existe rien de tel dans l'article 72 qui aurait pu, si le constituant l'avait souhaité, être rédigé de la manière suivante : « Les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus et directement par les électeurs ». Si l'article 72 pose une règle exclusive, il interdit toute reconnaissance législative d'un pouvoir de décision directe accordé aux électeurs ; s'il se contente au contraire de poser une condition de la libre administration par la présence d'organes élus, il permet l'existence, à côté des conseils, d'autres modalités de cette libre administration. Comme l'écrit M. Guillaume-Hofnung, l'article 72 n'exclut pas la « compétence des électeurs mais pose la compétence de principe des élus » (29). On pourrait aussi soutenir que ces conseils étant élus par des électeurs qui leur donnent en quelque sorte un mandat, ces derniers ne peuvent perdre le droit d'intervenir directement dans la gestion des collectivités territoriales.

Une clarification est sans doute nécessaire sur ce point et la lecture rigide de l'article 72 ne rend pas compte de la réalité des collectivités territoriales dans lesquelles les conseils élus ne sont pas les seuls à administrer les collectivités territoriales. Mais, si la Constitution ne prévoit pas expressément la consultation directe des électeurs, elle pose un certain nombre de règles qui ne peuvent être ignorées lorsque le suffrage universel est mobilisé.

II. Les conditions constitutionnelles de la consultation

La loi du 6 février 1992, complétée par celle du 4 février 1995, a souhaité encadrer très fortement les conditions dans lesquelles une consultation doit être organisée. Ces deux lois dressent ainsi la liste des autorités qui peuvent être à l'initiative de la procédure(30) et donnent à l'organe délibérant, le conseil municipal ou celui de l'établissement public de coopération intercommunale, un rôle essentiel : c'est en effet lui qui décide l'organisation de la consultation(31), et lui qui doit délibérer, au vu du résultat de celle-ci(32). Ces interventions obligatoires sont d'ailleurs surprenantes dans le cas des consultations relatives à des décisions susceptibles d'être prises par l'autorité exécutive(33). Tout semble donc être fait pour que les électeurs n'apparaissent pas comme l'auteur d'une décision mais remplissent le rôle dévolu à un simple organe consultatif.

Mais, en même temps que les lois et les décrets d'application ont souhaité ne pas donner un caractère décisionnel à la consultation des électeurs, ils ont aussi voulu entourer ces consultations des garanties propres à tout recours au suffrage universel. Ces conditions sont donc autant des garanties de l'expression libre du corps électoral que des contraintes et elles donnent à l'expression directe du suffrage une légitimité que semble exclure, de prime abord, l'article 72.

Après des hésitations au moment de l'élaboration de la loi du 6 février 1992, le législateur a en effet décidé que ne seraient consultés que les électeurs. Sont alors applicables, pour définir ces derniers, les règles qui découlent de l'alinéa 4 de l'article 3, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans les décisions 82-146 DC du 18 1982 et 92-308 DC du 9 avril 1992. Cet alinéa dispose que : « Sont électeurs... les nationaux français majeurs des deux sexes... » Bien que l'article 88-3 de la Constitution et la loi organique du 25 mai 1998(34) soient muets sur ce point, il faut sans doute considérer que les citoyens de l'Union européenne qui ne sont pas des ressortissants français peuvent participer aux consultations « communales ». Alors que l'article 88-3 n'envisage que le droit de vote et d'éligibilité aux « élections municipales », il faut comprendre que cette reconnaissance implique aussi le droit pour les citoyens de l'Union d'être consultés en tant qu'électeurs. Il va en quelque sorte de soi que ces citoyens de l'Union, puisqu'ils sont électeurs, puissent participer directement à la gestion de la collectivité où ils résident, même sous la forme d'une simple consultation. Encore faut-il que ces électeurs soient inscrits sur les listes électorales et qu'ils aient ainsi manifesté leur intention de participer à la vie locale. Ces listes sont complémentaires et spécifiques aux élections municipales(35) et l'article L. 2442-1 du Code général des collectivités territoriales qui fait référence aux « électeurs de la commune » qui peuvent être consultés, comprend tous les électeurs, quelle que soit la liste électorale sur laquelle ils sont inscrits. De même, l'article L. 2142-3, qui prévoit la consultation d'initiative populaire, fait mention du « cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales » susceptible de proposer une consultation, ce qui comprend tous les électeurs inscrits sans condition de nationalité française. Il en est de même des consultations organisées dans le cadre d'un établissement public de coopération intercommunale (art. L. 5211-49).

En tout état de cause, la qualité d'électeur qui est exigée interdit à des résidents étrangers qui ne sont pas citoyens de l'Union européenne, de participer à une quelconque consultation de la « population locale », comme cela avait été pratiqué dans certaines communes avant l'intervention de la loi de 1992(36). Parallèlement, cette condition liée à la qualité constitutionnelle d'électeurs interdit à ces mêmes étrangers d'être signataires de la demande de consultation (art. L. 2142-3 et L. 5211-49, préc.).

Ainsi, malgré le caractère consultatif de la procédure, le législateur n'a pas voulu ouvrir ce droit à des non-électeurs, qui ne seraient que des administrés. On peut alors se demander si cette restriction aux seuls électeurs-citoyens ne transforme pas la consultation en une procédure qui ne peut ressembler à une consultation administrative. L'intervention directe des seuls électeurs donne à cette procédure une importance sans rapport avec la demande d'un simple avis et elle pourrait justifier une forme directe de gestion directe des collectivités territoriales que semble pourtant interdire l'article 72.

De la même manière, en encadrant la procédure de consultation de façon aussi précise qu'une procédure électorale, le législateur entend considérer que le recours au suffrage universel direct ne peut pas être assimilé à une démarche anodine en ce qu'elle ne serait que consultative. C'est ainsi que les dispositions réglementaires du Code général des collectivités territoriales applicables à ces consultations renvoient aux articles du Code électoral concernant les opérations préparatoires au scrutin et les opérations de vote (art. R. 2142-8 et art. R. 5211-47 CGCT). Les scrutins doivent avoir lieu un dimanche (art. L. 55, C. élec.), ne durer qu'un seul jour (art. L. 54) et ils sont ouverts à 8 heures et clos le même jour à 18 heures (art. R. 41 du même Code). L'élection se fait dans chaque commune, à l'intérieur de bureaux de vote (art. L. 53 et art. R. 41). C'est également par renvoi aux dispositions du Code électoral que le scrutin doit être secret (art. 59), ce qui suppose le passage par un isoloir (art. L. 62) et des bulletins uniformisés. Quant au dépouillement des votes, qui constitue une garantie essentielle du respect de la démocratie, il est organisé par l'article R. 2142-9 CGCT qui s'inspire des dispositions des articles L. 65 et suivants du Code électoral(37).

Toutes proportions gardées, les conditions posées par le Conseil constitutionnel pour admettre la validité des consultations des populations d'outre-mer sont, à cet égard, beaucoup moins radicales, car il se contente, en l'état actuel des textes qui lui sont soumis, d'évoquer les « populations » qui peuvent être consultées, sans exiger des conditions relatives à la qualité de citoyens(38). Or, on sait que les populations intéressées, outre-mer, pourraient ne pas se confondre toujours, dans l'esprit de certains tout au moins, avec les électeurs inscrits sur les listes électorales(39).

Ce même Conseil constitutionnel a cependant posé, toujours à propos de ces consultations des populations d'outre-mer, l'exigence d'une consultation dénuée de toute ambiguïté, c'est-à-dire au-dessus de tout soupçon de manoeuvre. Pour la satisfaire, « la question posée aux populations intéressées doit satisfaire à la double exigence constitutionnelle de clarté et de loyauté » (déc. 87-226 DC, préc., et déc. 2000-428 DC et 2000-435 DC). Cette exigence résulte de ce que les populations consultées doivent « manifester leur volonté » et cette dernière doit pouvoir s'exprimer de manière égale et de façon libre. Dans ces conditions sont ainsi respectées les obligations constitutionnelles posées par l'article 3 pour un suffrage « égal et secret », même si le Conseil ne fonde pas l'exigence d'une consultation claire et loyale sur une quelconque disposition écrite(40).

En matière de consultation des électeurs communaux, le juge administratif veille aussi à ce que la question établisse de façon précise l'objet de la décision sur laquelle porte la consultation(41).

Même si les électeurs locaux se contentent de formuler une « opinion » ou de donner un « avis », ils ne peuvent le faire qu'en respectant les conditions d'une véritable démocratie, puisque c'est à des citoyens que l'on demande de se prononcer. De la même façon, il faut estimer que la question posée doit être dépourvue de toute incertitude et si la consultation doit porter sur un texte, dans le cas de l'octroi d'un permis de construire(42) ou dans celui d'une délibération relative au projet d'aménagement du centre-ville(43) par exemple, ce texte ne doit rien contenir qui puisse induire en erreur le corps électoral concerné.

Consulter des citoyens d'une collectivité territoriale, ou de plusieurs dans le cadre d'un établissement public de coopération, en utilisant le suffrage universel direct, et non dans le cadre d'une simple enquête administrative ou selon toute autre forme de consultation, ne peut pas être une opération totalement détachable des exigences constitutionnelles, car cette opération requiert de respecter les conditions d'un véritable scrutin. Bien que non prévue par la Constitution, la « consultation locale des électeurs » est néanmoins encadrée par la Constitution. Rien n'interdit alors de souhaiter que cette forme de démocratie locale soit constitutionnellement connue. Mesdames, Messieurs les auteurs de saisine, saisissez la première occasion pour que le Conseil constitutionnel se prononce.

(1) Pour une présentation complète de ces procédures, v. au Répertoire Bénoit des collectivités territoriales, Michel Verpeaux, le fascicule consacré à La consultation locale des électeurs, Dalloz. Pour une étude générale des procédures de consultation, y compris dans leur dimension historique, v. la très bonne thèse de Carole Chevilley-Hiver, La participation directe des citoyens aux décisions locales, Université de Franche-Comté, janv. 1999.
(2) CE, Ass., 30 oct., Sarran, Levacher et autres, notamment aux Grands arrêts de la jurisprudence administrative, 13e éd., Dalloz, p. 818 et les commentaires cités en référence.
(3) Cons. 2 de la déc. 75-59 DC du 30 déc. 1975, loi relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores. Afin de ne pas alourdir les développements, il sera renvoyé à la publication officielle des décisions au Journal officiel ou au Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, ce dernier ayant l'avantage de signaler les différents commentaires parus sur chaque décision.
(4) Cette jurisprudence avait été inaugurée lors de la décision 87-226 DC du 2 juin 1987, loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances. Dans cette décision, le Conseil avait considéré que les dispositions de l'article 53, alinéa 3, faisaient application aux traités et accords des « principes de libre détermination des peuples et de leur libre manifestation de leur volonté, spécifiquement prévus pour les territoires d'outre-mer par l'alinéa 2 du Préambule ». Ce dernier semblait donc réservé aux seules « populations », et non aux peuples, de ces territoires de pouvoir « manifester leur volonté » (cons. 5 et 6).
(5) Déc. 2000-428 DC du 4 mai 2000, loi organisant une consultation de la population de Mayotte et décision 2000-435 DC, loi d'orientation pour l'outre-mer. Cette dernière décision ne mentionne, en tant qu'objet de la consultation, que la seule évolution statutaire.
(6) JCP 1983, Hubert-Delisle, II, n° 19994, note J.-F. Miclo.
(7) Cette consultation ne devait avoir que valeur d'avis même si cet avis était considéré par le conseil général comme ayant une autorité supérieure à celle de l'avis émis par le conseil général lui-même.
(8) La décision 82-137 DC du 25 février 1982 relative à la loi n° 82-213 du 2 mars ne fait pas non plus mention de cette question, alors que l'article 1er de cette loi prévoyait qu'une loi « déterminerait le développement de la participation des citoyens à la vie locale ». De même, ni la loi n° 96-142 du 21 février 1996 relative à la partie législative du Code général des collectivités territoriales, ni la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, qui a réorganisé les dispositions législatives de ce Code en ce qui concerne notamment la consultation des électeurs dans le cadre des établissements publics de coopération intercommunale, n'ont fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel. Ces deux dernières lois, il est vrai, concernaient assez peu le fond de la question posée.
(9) L'article 85 de cette loi, qui insérait dans le Code es communes deux nouveaux articles relatifs à la consultation locale, faisait partie d'un chapitre intitulé « Du développement local » mais le rapport direct entre la consultation locale et le développement n'était pas probant.
(10) Cette possibilité était d'autant plus plausible que le Conseil s'est saisi lui-même de plusieurs articles de cette loi pour les déclarer contraires à la Constitution (v. les cons. 54 et s. de la déc. 94-358 DC).
(11) V. not. M. Verpeaux, « La procédure contradictoire et le juge constitutionnel », RFD adm., 2001, p. 339.
(12) JO du 18 juill. 1971, loi modifiée par la loi n° 82-213 du 2 mars 1982. Ses dispositions sont codifiées aux articles 2113-1 et suivants CGCT.
(13) Dans le sens de la reconnaissance du caractère décisionnel de la consultation en cas de projet de fusion, v. M. Guillaume-Hofnung, « Référendum local », fasc. 520, J.-Cl. Collectivités territoriales, nos 41 et s. Cet auteur souligne à juste titre que « l'inconstitutionnalité éventuelle de la loi du 16 juillet 1971 n'a fait obstacle ni à son vote ni à sa promulgation, or la suppression d'une commune contre le gré de son conseil municipal va bien au-delà de la simple » administration « de la commune, la mort dans un cas, la gestion quotidienne dans l'autre » (ibid., n° 41).
(14) C'est l'auteur lui-même qui utilise cette expression en l'assortissant de guillemets.
(15) JCP 1983, II, op. cit.
(16) M. Guillaume-Hofnung, Le référendum, PUF, coll. « Que sais-je » ?, éd., 1994, p. 122.
(17) M. Guillaume-Hofnung, Référendum local, op. cit., n° 58.
(18) C. Chevilley-Hiver, op. cit., p. 89 et s. Déc. 85-196 DC, loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie.
(19) V. aussi les art. L. 3211-1 CGCT pour le conseil général ou L. 4221-1 pour le conseil régional.
(20) L'exemple le plus caractéristique concerne les pouvoirs de police administrative du maire, définis aux art. L. 2122-34 et L. 2212-1 et s. CGCT.
(21) V. les art. L. 2122-4, L. 3122-1 et L. 4133-1 CGCT applicables respectivement à l'élection du maire, du président du conseil général et du président du conseil régional.
(22) Comme l'affirme l'art. L. 2122-21 CGCT qui précise que le maire est chargé d'exécuter les décisions « sous le contrôle du conseil municipal », ou l'art. L. 3221-1 qui dispose " (le président du conseil général) prépare et exécute les délibérations du conseil général ". Dans le même sens, v. l'art. L. 4231-1 à propos du président du conseil régional.
(23) Telle est l'opinion de J.-B. Auby, « La loi du 6 février 1992 et la citoyenneté locale », RFD adm., 1993, p. 37.
(24) Il s'agit du décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités.
(25) V. respectivement les art. L. 3122-4 et s. et L. 4133-4 et s. CGCT.
(26) Cette disposition est inscrite au titre des « Dispositions générales » d'un titre du CGCT consacré aux « Organes de la région ».
(27) Celle-ci est attestée par la présence de cet article dans un chapitre du CGCT relatif au « Conseil municipal ».
(28) Souligné par nous.
(29) M. Guillaume-Hofnung, Référendum local, op. cit., n° 63.
(30) Aux art. L. 2142-2 et L. 5211-49 CGCT.
(31) V. les art. L. 2142-2 et 5211-49 CGCT. Pour plus de détails, v. M. Verpeaux, La consultation locale des électeurs, op. cit.
(32) V. les art. L. 2142-5 et 5211-51 CGCT CGCT et idem.
(33) V. l'arrêt du Conseil d'État, Section, Rec. p. 463, Géniteau, RFD adm. 1996, p. 471, concl. C. Chantépy, AJDA 1996, p. 154 et p. 111, chron. Stahl et Chauvaux, Dalloz 1996, p. 273, note Verpeaux, à propos de la délivrance par le maire d'un permis de construire.
(34) Loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998 déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution relatif à l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant en France, autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et portant transposition de la directive 94/80/CE du 19 décembre 1994 (JO du 26 mai 1998, p. 7975). Cette loi prévoit seulement que ces citoyens de l'Union autres que français, « peuvent participer à l'élection des conseillers municipaux dans les mêmes conditions que les électeurs français » (nouvel art. LO 227-1, C. élec.). Elle ne comporte aucune référence aux dispositions relatives aux consultations locales.
(35) En application de l'article LO 227-2 du Code électoral, issu de la loi organique précitée du 25 mai 1998.
(36) Tel fut le cas, par exemple, du référendum organisé le 15 novembre 1987 par la commune de Mons-en-Baroeul sur le futur réseau de télédistribution par câble et qui était ouvert aux étrangers résidant dans la commune.
(37) En ce qui concerne les consultations organisées dans le cadre d'un établissement intercommunal, l'article R. 5211-47 opère aussi un renvoi aux dispositions de l'article R. 2142-9 à propos du dépouillement de votes.
(38) Déc. 2000-428 DC (cons. 6) et 2000-435 DC préc. (cons. 43). La loi n° 2000-391 du 9 mai 2000 organisant la consultation de la population à Mayotte prévoyait néanmoins qu'étaient admis à participer « à la consultation les électeurs inscrits sur les listes électorales de Mayotte » (JO du 10 mai 2000, p. 6975).
(39) Est évoquée ici l'éventuelle restriction du droit d'être consultés au détriment des résidents métropolitains de certains départements d'outre-mer ou, au contraire, l'ouverture de ce droit aux « natifs » de ces mêmes départements qui pourraient résider en métropole. Cette question est de la plus haute importance en ce qui concerne la définition des « citoyens ».
(40) V. le cons. 7 de la déc. 87-226 DC, le cons. 15 de la déc. 2000-428 DC et le cons. 44 de la déc. 2000-435 DC.
(41) Pour des exemples, v. C. Chevilley-Hiver, op. cit., p. 475 qui estime que la question doit être à la fois précise et objective.
(42) Jurisprudence Géniteau, préc.
(43) CE, 1er mars 1996, Association de défense contre l'implantation d'une grande surface en centre-ville de Saint-Michel-de-Maurienne, req. n° 161197, RFD adm., 1996, p. 480.