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Présentation de la Cour constitutionnelle sud-africaine

Xavier PHILIPPE - Professeur aux universités d'Aix-Marseille III et de Western Cape (Afrique du Sud), détaché auprès du ministère des Affaires étrangères (Ambassade de France en Afrique du sud)

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Afrique du sud) - février 2001

La Cour constitutionnelle sud-africaine est une institution nouvelle dans le paysage juridictionnel sud africain. Plus qu'une juridiction constitutionnelle garante de la conformité de l'action des pouvoirs publics aux exigences de la norme suprême, elle est également le symbole de la fin du régime d'apartheid, le symbole de la naissance du règne de la règle de droit et de la garantie des droits fondamentaux.

La décision de créer une Cour constitutionnelle remonte aux négociations constitutionnelles de 1992/1993. Durant celles-ci, la nécessité d'un contrôle de constitutionnalité s'est rapidement manifestée(1) et si les principes constitutionnels ne mentionnaient pas directement la création d'une Cour constitutionnelle, ils en contenaient déjà l'essence. La Cour sera créée par la Constitution intérimaire de 1993(2) : elle apparaît comme l'une des innovations majeures du nouvel État de droit et la seule véritable innovation au sein du pouvoir judiciaire. Son statut et ses fonctions seront confirmées par la Constitution de 1996 : elle demeure la juridiction suprême en matière constitutionnelle et constitue la plus haute institution judiciaire en Afrique du Sud.

La principale caractéristique de la Cour est de n'être ni fondée sur le modèle américain, ni de s'apparenter pleinement au modèle européen. En réalité, le choix du modèle de juridiction constitutionnelle en Afrique du Sud a été dicté par des considérations plus politiques que juridiques. L'établissement de l'État de droit et de la démocratie impliquait la création d'un organe chargé de vérifier le respect de la Constitution et de droits fondamentaux qui, aux termes de l'article 1 (c) de la Constitution de 1996 constitue l'une des valeurs fondamentales de la République sud-africaine(3) Deux possibilités s'offraient au pouvoir constituant : soit confier la mission du contrôle de constitutionnalité à l'ensemble des juridictions sous le contrôle de la Cour suprême(4) ; soit créer une juridiction spécialisée chargée - directement ou indirectement - du contrôle de constitutionnalité. Cette dernière solution fût retenue par les constituants. Ce choix fût dicté non par une évaluation technique de la meilleure des deux solutions mais par le simple fait que le pouvoir judiciaire dans son ensemble restait composé des mêmes personnes que celles ayant servies durant l'époque d'apartheid. En d'autres termes, il existait une crainte légitime de ne pas voir se développer pleinement la protection de la Constitution et des droits fondamentaux : les juridictions de l'ancien régime n'avaient pas spécialement brillé par la défense de ces derniers et la protection de la Constitution apparaissait comme une tâche trop importante pour être confiée aux juridictions existantes. La création d'une nouvelle juridiction s'est ainsi rapidement imposée(5) . Cette création ne doit cependant pas abuser, car si la Cour constitutionnelle est la juridiction suprême en matière constitutionnelles - et la seule à posséder le dernier mot ! - les autres juridictions supérieures(6) se sont également vues confier la capacité de traiter du contentieux constitutionnel lorsqu'une question de cette nature se posait lors d'un litige. Ces juridictions ont alors la possibilité de trancher elle-même la question de constitutionnalité ou, si elles estiment qu'il s'agit d'une question trop délicate, de renvoyer l'examen du contrôle de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle à travers une question préjudicielle. De ce point de vue, le modèle sud-africain se situe bien à mi-chemin entre le modèle américain et le modèle européen dans la mesure où il fait participer les juridictions ordinaires au contrôle de constitutionnalité tout en réservant le monopole final de la décision à la Cour constitutionnelle(7).

Il est évidemment possible de rechercher de multiples explications au choix de ce modèle intermédiaire : histoire, tradition juridique, prise en considération des expériences étrangères... L'ensemble de ces facteurs a probablement influé sur la physionomie définitive du contentieux constitutionnel sud-africain. Avant tout, la juridiction constitutionnelle sud-africaine est le résultat d'une volonté simple des constituants : faire de la norme suprême et des droits et garanties qu'elle contient un instrument accessible et utilisable par tous les individus, conjurant ainsi plusieurs décennies de négation de ces mêmes droits sous le régime d'apartheid.

Le contentieux constitutionnel sud-africain se situe donc à la croisée des chemins et des systèmes, reflet de l'Afrique du Sud elle-même. Une autre question en guise d'introduction au paysage constitutionnel sud africain consiste à déterminer où se situe la Cour constitutionnelle dans l'organisation des pouvoirs de l'État. Est-elle dans ou hors du pouvoir juridictionnel ? La réponse peut se décomposer en plusieurs propositions. D'une part, la Cour constitutionnelle est organiquement intégrée au pouvoir juridictionnel. Sa composition, son statut et ses fonctions sont définies au chapitre 8 de la Constitution de 1996 et l'article 166 intitulé système judiciaire place la Cour constitutionnelle en tête des juridictions reconnues par la Constitution. D'autre part, sur le plan matériel, certaines fonctions de la Cour constitutionnelle sont exercées en combinaison avec celles des juridictions ordinaires et correspondent dans ce cadre à l'exercice d'une fonction judiciaire. On peut en déduire sans difficulté que la Cour constitutionnelle est intégrée au pouvoir judiciaire et qu'elle en constitue le sommet de la pyramide dès lors qu'une question de constitutionnalité entre en jeu. En revanche, d'un point de vue fonctionnel, certaines des attributions de la Cour correspondent manifestement à un pouvoir qui dépasse celui d'une juridiction ordinaire : ainsi, la mission d'homologation des textes constitutionnels nouvellement adoptés sort du cadre traditionnel des attributions d'une juridiction constitutionnelle et ne représente plus à proprement parler une fonction judiciaire ou juridictionnelle. Certes, le contentieux constitutionnel quotidien ne témoigne pas d'une activité débordante dans ces matières, mais elle existent et sont suffisamment originales pour être soulignées. Ici encore, l'Afrique du Sud a choisi un chemin de traverse mêlant classicisme et innovation.

I. Composition et fonctions de la Cour constitutionnelle

La Composition et les fonctions de la Cour sont définies aux articles 167 et suivants de la Constitution de 1996(8). Si la composition de la Cour est assez classique, les fonctions de la Cour sont en revanche plus diversifiées et pour certaines d'entre elles originales.

A. Composition de la Cour

L'article 167 (1) de la Constitution dispose que « la Cour constitutionnelle est composée d'un président, d'un vice-président et de neuf autres juges » , soit onze membres au total(9). Ce chiffre est complété par une règle de quorum : pour rendre une décision, un minimum de huit juges est nécessaire. Les juges constitutionnels sont nommés pour un mandat non renouvelable de douze ans, mais doivent impérativement se retirer dès qu'ils sont touchés par la limite d'âge de 70 ans(10). Cette dernière limite génère des mandats variables.

La procédure de nomination des juges constitutionnels obéit au même schéma de fonctionnement mais diffère sensiblement pour la nomination de deux d'entre eux : le président et le vice-président. Pour ces derniers, l'acte formel de nomination émane du président de la République mais celui-ci doit agir après consultation de la Commission du service judiciaire(11) ainsi que des chefs de partis représentés à l'Assemblée nationale. Son pouvoir de choix, sans être totalement discrétionnaire, est cependant assez vaste puisque le président n'est pas lié par les recommandations de la Commission du service judiciaire(12). Depuis l'instauration du régime démocratique en Afrique du Sud, le président Nelson Mandela a exercé ce pouvoir à trois reprises(13). Il a nommé M. Arthur Chaskalson président(14)et le juge Ismail Mahomed, vice-président de la Cour constitutionnelle. En 1997, après la nomination du Juge Mahomed aux fonctions de président de la Cour suprême(15), il a nommé M. Pius Langa, vice-président de la Cour constitutionnelle. Les fonctions de président et de vice-président de la Cour constitutionnelle sont évidemment importantes tant au sein du travail de la Cour qu'en ce qui concerne la représentation et la défense de l'institution.

Les autres juges de la Cour sont nommés suivant une procédure définie, sensiblement similaire mais qui apparaît plus ouverte. Le président nomme toujours les juges en tant que chef de l'exécutif après consultation du président de la Cour constitutionnelle et des chefs des partis politiques représentés à l'Assemblée nationale. Les pouvoirs du président sont cependant davantage liés en raison de la procédure retenue par l'article 174 (4) de la Constitution de 1996. La Commission du service judiciaire doit préparer une liste comprenant trois noms de plus qu'il n'y a de postes à pourvoir. Le président doit choisir au sein de cette liste les personnes qu'il désire nommer mais doit justifier son refus s'il estime que les candidats proposés ne peuvent l'être et s'il demeure des postes à pourvoir. Dans un tel cas cependant, il appartient à la Commission du service judiciaire de compléter la liste en fournissant de nouveaux noms de façon à ce que la nomination puisse avoir lieu. On constate ici que si le président demeure l'autorité de nomination, son choix est conditionné par les propositions fournies par la Commission du service judiciaire . En d'autres termes, le président ne peut pas choisir qui il veut. S'il peut modifier l'ordre de présentation des candidats, il ne peut pas s'écarter des noms proposés ou doit demander à ce que la liste soit complétée en motivant son refus. Ce système de nomination aboutit concrètement à un partage du choix des nominations : La Commission du service judiciaire propose, le président dispose !

À cette procédure, s'ajoutent certaines conditions nécessaires pour pouvoir être nommé juge. La première est une condition de nationalité : les juges constitutionnels doivent obligatoirement être titulaires de la nationalité sud-africaine(16). La deuxième repose sur un quota nécessaire d'anciens juges : au moins quatre membres de la Cour constitutionnelle doivent être juges au moment de leur nomination. Il existe ainsi en permanence un minimum de membres du corps judiciaire au sein de la Cour. Enfin, la troisième condition est générale au pouvoir judiciaire : les nominations doivent tenir compte de la représentation des races et des genres qui compose la société sud-africaine(17), ce qui implique une composition raciale et une représentation des deux sexes à prendre en considération dans le processus de nomination. À cela s'ajoute une condition liée au minimum de capacités requises pour être juge qui s'applique également aux juges constitutionnels : les candidats doivent être « capables et dignes » (fit and proper), ce qui implique un minimum de qualification juridique mais ne permet pas de déterminer précisément les critères retenus pour déterminer le degré de capacité d'un candidat.

La vacance d'un poste de juge auprès de la Cour constitutionnelle est également prévue par la Constitution à travers la procédure de nomination d'un juge suppléant. Lorsqu'un juge est rendu indisponible pendant une certaine période(18), le président peut nommer un juge suppléant sur recommandation conjointe du ministre de la justice, du président de la Cour constitutionnelle et du président de la Cour suprême. Dans un tel cas, la Commission du service judiciaire n'est pas consultée. Cette procédure permet à la Cour de fonctionner en permanence avec le nombre de juges prévus par la Constitution.

Créée en 1995, La Cour constitutionnelle sud-africaine fût la seule véritable nouvelle juridiction émanant du nouvel ordre démocratique et juridique. Il n'est pas étonnant que les premiers juges nommés en son sein furent choisis en fonction de leur attachement passé à la défense de l'État de droit et des droits fondamentaux. En revanche, la procédure de nomination fit intervenir dans tous les cas un entretien avec le « candidat » à la fonction de juge avec les membres de la Commission du service judiciaire(19). En septembre 2000, la Cour était composée des personnalités suivantes : Justice Arthur Chaskalson, président (avocat à la Cour), Pius Langa (avocat) vice-président, Laurie Ackermann (juge), Richard Goldstone (juge), Tole Madala (juge), Johann Kriegler (juge), Cathy O'Regan (professeur de droit), Yvonne Mogkoro (professeur de droit), Albie Sachs (professeur de de droit), Sandile Ngcobo (juge), Zakeria Yacoob (avocat). La composition actuelle de la Cour dénote la volonté des autorités sud-africaines d'en faire le fer de lance de la représentativité au sein des races et des cultures. La Cour constitutionnelle doit en effet également relever le défi de s'insérer dans un ordre judiciaire dont la composition est encore marquée par les divisions du passé. Le choix des juges a donc dû et doit encore tenir compte des cette spécificité sud-africaine.

B. Les compétences de la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle sud-africaine s'est trouvée confrontée à une situation inédite : elle a dû s'insérer dans un ordre juridictionnel déjà existant. La Cour, aux termes de l'article 167 (3) de la Constitution de 1996, est la plus haute juridiction en matière constitutionnelle mais ne peut statuer que sur des questions de constitutionnalité ou sur des décisions en rapport avec une question de constitutionnalité. Elle dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour cette appréciation. Ce principe marque clairement la supériorité de la Cour constitutionnelle par rapport aux autres juridictions en matière constitutionnelle. Les constituants sud-africains ont engendré un système de justice constitutionnelle d'un type nouveau : le contrôle concentré diffus. Diffus, parce que la Constitution reconnaît clairement à d'autres juridictions (Hautes Cours, Cour suprême) le pouvoir d'exercer un contrôle de constitutionnalité : il existe donc une pluralité d'acteurs susceptibles d'exercer un tel contrôle. Concentré, parce que si une décision d'inconstitutionnalité est prise par une juridiction, elle doit être automatiquement confirmée par la Cour constitutionnelle. En d'autres termes, aucune décision d'inconstitutionnalité ne peut échapper au contrôle final de la Cour constitutionnelle. Cet aspect du contrôle en fait l'une de ses principales originalités mais ce n'est cependant pas la seule.

Les compétences de la Cour peuvent se subdivisent en trois catégories : les compétences exclusives, les compétences partagées et les recours directs.

1) Les compétences exclusives de la Cour

Ces compétences sont définies à l'article 167 (4) de la Constitution de 1996 et correspondent à celles traditionnellement allouées à une Cour constitutionnelle d'un État fédéral ou régional(20).

La Cour constitutionnelle est tout d'abord compétente pour examiner les questions de constitutionnalité liées aux litiges relatifs au statut, pouvoirs et fonctions des organes de l'État central ou provincial(21). Cette compétence concerne les conflits de compétence et de pouvoirs entre les organes de l'État central et ceux des provinces mais également les conflits au sein d'un même bloc, entre deux organes de l'État central ou entre organes des provinces. Cette compétence a donné lieu à peu de décisions depuis l'entrée en fonction de la Cour, à l'exception de quelques cas médiatisés. Cette compétence est classique dans les États fédéraux où la Cour tranche des conflits de compétence. La Constitution de 1996 fixe une répartition des compétences nationales, provinciales et locales. Certaines de ces compétences sont partagées, d'autres sont exclusives(22). Toutefois, même les compétences exclusives provinciales peuvent faire l'objet d'une intervention de l'État central si cela est nécessaire « pour maintenir la sécurité nationale, pour maintenir l'unité économique, pour maintenir des standards nationaux indispensables, pour établir des standards minimum pour la fourniture de services (publics), pour prévenir une action déraisonnable d'une province qui porterait atteinte aux intérêts d'une autre province ou à la nation dans son ensemble » (23). Cette dérogation à l'exercice des compétences exclusives des provinces doit s'effectuer sous le contrôle de la Cour constitutionnelle. Bien que le nombre de décisions soit encore restreint, la Cour n'a pas hésité à sanctionner une législation nationale intervenue dans le cadre d'une compétence exclusive en estimant que cette incursion était en l'espèce injustifiable par les dérogations offertes par l'article 44 (2).

La Cour constitutionnelle est également compétente pour examiner la constitutionnalité d'un projet de loi adopté par l'Assemblée nationale ou une Assemblée provinciale à la demande du président de la République ou du chef de l'exécutif (Premier ministre) d'une province. Les autorités exécutives suprêmes ont en effet le pouvoir (et le devoir) de vérifier qu'un projet adopté est conforme à la Constitution et peuvent demander d'elles-mêmes, avant même que la Cour constitutionnelle ne soit saisie, à l'Assemblée compétente de reconsidérer sa position pour que celle-ci soit conforme aux exigences constitutionnelles. Si le président ou le Premier ministre provincial s'estime insatisfait par les modifications apportées, il peut saisir la Cour constitutionnelle d'une demande de contrôle de conformité de la loi à la Constitution. Il s'agit ici d'une forme de contrôle abstrait exercé par la Cour sur saisine du chef de l'exécutif. L'originalité de la procédure repose sur le contrôle préventif exercé par le président ou le premier ministre provincial qui participe préventivement à l'analyse de l'inconstitutionnalité.

Dans le même ordre d'idée, la Cour constitutionnelle peut également être saisie dans le cadre d'une saisine parlementaire nationale ou provinciale. Il s'agit d'un contrôle a priori assez classique enserré dans des conditions non moins classiques. À l'échelon central, seule l'Assemblée nationale dispose du pouvoir de saisine. Celle-ci doit répondre à deux conditions : d'une part, être signée par un tiers des membres de l'Assemblée nationale(24); d'autre part, être adressée à la Cour dans le délai de 30 jours après la promulgation de la loi par le président de la République. La Cour constitutionnelle dispose d'un pouvoir de suspension de l'acte législatif déféré si elle estime que la saisine possède une chance raisonnable de succès et que la suspension est de l'intérêt de la justice. Dans le cadre provincial, les principes sont les mêmes à l'exception du nombre de membres nécessaire à la saisine de la Cour : ce chiffre est de 20 % (un cinquième), ce qui est plus souple que pour la législation nationale. Cette compétence de la Cour suscite deux observations. D'une part, elle permet de rapprocher la Cour constitutionnelle sud-africaine du modèle européen. Même si cette compétence est encore peu utilisée aujourd'hui, elle pourra se révéler importante dans plusieurs années lorsque le contentieux constitutionnel aura atteint son rythme de croisière(25). D'autre part, elle constitue une arme pour l'opposition parlementaire. Si ceci peut se vérifier pour les provinces, les données politiques à l'échelon national sont différentes. En effet, la composition de l'Assemblée nationale est aujourd'hui telle qu'il est pratiquement impossible pour l'opposition de réunir le pourcentage fatidique d'un tiers. Le parti au pouvoir détient près de deux tiers des sièges à l'Assemblée nationale et il faudrait une union complète de l'opposition pour pouvoir engager une procédure de contrôle abstrait. Ce cas de figure reste donc largement théorique. Là encore cependant, il serait dangereux de croire que ce mécanisme est superflu. Une possible recomposition du paysage politique à l'avenir pourrait donner à ce chef de compétence son véritable visage qu'il ne possède pas encore aujourd'hui.

Le contrôle abstrait des normes existe donc dans le système sud-africain mais a davantage été conçu comme un soupape de sécurité que comme le mécanisme central du contrôle de constitutionnalité. Ce choix se comprend dans ce contexte particulier dans la mesure où le seul contrôle abstrait des normes serait apparu insuffisant pour corriger les excès du passé. Pour être crédible, le contrôle de constitutionnalité devait être accessible. Ce seul contrôle abstrait aurait été insuffisant.

Une autre compétence originale exclusive de la Cour constitutionnelle réside dans le « contrôle de constitutionnalité » des révisions constitutionnelles. Ce chef de compétence peut paraître curieux à l'observateur extérieur dans la mesure où le pouvoir constituant est souverain et possède un pouvoir discrétionnaire en matière de révision. Cependant, le rôle de la Cour peut se comprendre dans la mesure où la Constitution fixe des procédures de révision différentes selon les dispositions amendées. Ainsi, un vote de la majorité des trois quarts de l'Assemblée nationale et l'approbation d'au moins six provinces au Conseil national des provinces est nécessaire pour la révision de l'article 1er(26), l'alinéa 1er de l'article 74(27). De même, la Déclaration des droits fondamentaux qui figure au chapitre 2 de la Constitution, ne peut être modifié que dans les mêmes termes mais avec une majorité minorée des deux tiers. Les autres dispositions de la Constitution doivent être également amendées par une majorité qualifiée des deux tiers mais par la seule Assemblée nationale si la matière ne porte pas sur une compétence provinciale(28). Ces dispositions font partie du contrôle exercé par la Cour constitutionnelle. De même, une rationalisation de la procédure de révision constitutionnelle est également instituée par l'article 74 (5) de la Constitution et fait partie des dispositions que la Cour pourrait contrôler. Le contrôle de constitutionnalité des révisions constitutionnelles est donc moins surprenant qu'il n'y paraît de prime abord. En revanche, le contrôle des dispositions de fond des révisions constitutionnelles ne paraît pas avoir été visé par cette compétence de la Cour. Placée hors du contexte sud-africain, cette question pourrait apparaître déplacée. Cependant, dans ce contexte précis, elle l'est moins en raison du rôle extraordinaire que la Cour a joué dans le cadre de la procédure d'homologation de la Constitution de 1996. Après l'adoption du texte par l'Assemblée constituante, la Cour constitutionnelle avait été invitée à certifier que le texte définitif de la Constitution était conforme aux principes constitutionnels(29). On peut dès lors se demander si une révision constitutionnelle méconnaissant ces principes ou pour le moins la décision d'homologation de la Constitution de 1996 ne pourrait faire l'objet d'un contrôle de la Cour. La réponse est cependant incertaine et la Cour pourrait se montrer réticente à adopter une telle interprétation. Néanmoins, cette éventualité doit être mentionnée car elle n'est pas complètement impossible en raison du rôle exercé par la Cour constitutionnelle dans le passé.

Une autre compétence exclusive de la Cour repose sur le rôle qu'elle exerce en cas de manquement du Parlement ou du président à leurs obligations constitutionnelles. La Cour s'est vue reconnaître un pouvoir d'auto saisine en cas d'incompétence négative du Parlement ou de président(30).

Enfin, la Cour constitutionnelle est également compétente pour homologuer les Constitutions provinciales et leurs révisions, ce qui implique un contrôle du respect des compétences entre l'État central et les provinces(31), leur nombre et leur variété, ces compétences ne doivent pas abuser. La Cour constitutionnelle exerce la majorité de ces compétences à travers les compétences partagées avec d'autres organes ou dans le cadre d'un appel ou recours direct.

2) Les Compétences partagées de la Cour

La Cour constitutionnelle sud-africaine apparaît davantage comme une Cour d'appel intégrée au système juridictionnel spécialisée dans le contentieux constitutionnel dans le contentieux quotidien qu'elle traite.

À la lecture de l'article 172 de la Constitution de 1996 intitulé Pouvoirs de juridictions en matière constitutionnelle , le contrôle de constitutionnalité est avant tout l'affaire de l'ensemble des juridictions ordinaires auxquelles ce rôle a été confié par la Constitution. Ceci vise les juridictions de première instance ( Magistrate Court ), les Cours d'appel ou Cour supérieures ( High Court ) et la Cour suprême ( Supreme Court of Appeal ). Toutes ces juridictions ne sont cependant pas placées sur un pied d'égalité. Les juridictions de première instance ne peuvent exercer de contrôle de constitutionnalité qu'à l'égard des actes administratifs(32) des dispositions de Common Law(33) et du droit coutumier(34). De ce fait, leur rôle en matière de contrôle de constitutionnalité est encore aujourd'hui résiduel(35). Les Hautes Cours et la Cour suprême(36) sont en revanche les juges constitutionnels ordinaires de première instance et doivent, à ce titre, déclarer l'inconstitutionnalité d'une disposition d'une loi nationale ou provinciale ou d'un acte ou conduite du président de la République qui contreviendrait à la norme suprême dans le cadre d'un litige dont ils seraient saisis. Aux termes de l'article 172 de la Constitution, ce contrôle de constitutionnalité est une obligation pour les juridictions et non une faculté. Une juridiction ne peut donc ignorer la question de constitutionnalité lorsqu'elle lui est soumise. Si le processus s'arrêtait là, le rôle de la Cour constitutionnelle pourrait n'être effectivement que résiduel. Or, la spécificité du contrôle de constitutionnalité sud-africain réside dans l'intervention obligatoire de la Cour dès lors qu'une décision d'inconstitutionnalité est prise par une juridiction ordinaire.

Le principe de base qui implique la qualification de compétence partagée entre les juridictions ordinaire et la Cour constitutionnelle repose sur la nécessité de faire confirmer par cette dernière toute décision d'inconstitutionnalité prise par une juridiction ordinaire : si le grief d'inconstitutionnalité est rejeté, la décision est donc immédiatement exécutoire ; s'il est accepté, la décision d'inconstitutionnalité est suspendue jusqu'à ce qu'elle soit confirmée par la Cour constitutionnelle. Ce processus de confirmation est automatique(37) et ne peut donner lieu de la part de la juridiction ordinaire qu'au prononcé de mesures provisoires en cas de nécessité. Telle est la raison pour laquelle il est possible de qualifier ce contentieux constitutionnel de contrôle diffus concentré : il peut être initié par toute juridiction supérieure ordinaire mais impose un contrôle ultérieur de la Cour constitutionnelle. Cette forme de contrôle à double détente possède l'avantage de faire participer les juridictions ordinaires au contrôle de constitutionnalité tout en réservant l'exclusivité de l'interprétation finale à la Cour constitutionnelle. En ce sens, la Cour constitutionnelle joue le rôle d'un juge d'appel objectif des questions constitutionnelles. Son rôle consistera à évaluer la décision d'inconstitutionnalité à l'aune des textes constitutionnels mais également de sa propre jurisprudence.

Á cette compétence de base s'ajoute ce que l'on pourrait appeler une variante : si la décision d'inconstitutionnalité rendue par une cour supérieure ordinaire doit être confirmée, elle peut également faire l'objet d'un appel formel de la part des parties(38) qui peuvent ainsi contester la décision prise du seul point de vue constitutionnel(39). La différence avec la situation précédente repose sur la possibilité offerte aux parties de contester la décision en faisant valoir leurs propres arguments(40). Le contrôle exercé par la Cour n'est plus seulement un contrôle de constitutionnalité objectif. Il implique la prise en considération des particularités du litige et prend ainsi un tour plus subjectif puisque les parties peuvent continuer à s'affronter sur l'application ou l'interprétation des dispositions constitutionnelles. Cette forme d'appel présente cependant une particularité par rapport aux autres formes d'appel examinés ci-dessous : elle ne donne lieu à aucune forme de filtrage préalable contrairement aux autres.

Il est nécessaire d'ajouter qu'en pratique la question de constitutionnalité évoquée devant une juridiction supérieure ordinaire peut être traitée en question préalable. Concrètement, cela signifie que la juridiction saisie de l'affaire au fond rendra une première décision sur la seule question de constitutionnalité et réservera son jugement final après que la décision d'inconstitutionnalité ait été confirmée par la Cour constitutionnelle.

Cette compétence partagée constitue un principe auquel la Cour constitutionnelle est très attachée car elle estime que la protection de la Constitution et sa suprématie dépendent de l'ensemble de l'ordre juridictionnel et non pas d'elle seule. Le contrôle de constitutionnalité n'est pas envisagé en Afrique du Sud séparément des autres questions.

3) Les recours directs devant la Cour constitutionnelle

a) L'appel direct devant la Cour constitutionnelle

La Constitution de 1996 a créé une soupape de sécurité supplémentaire. L'article 167 (6) de la Constitution institue une possibilité d'appel direct devant la Cour constitutionnelle depuis n'importe quelle juridiction (y compris inférieure) lorsqu'il y va de l'intérêt de la justice. La procédure dans un tel cas impose un examen préalable de la recevabilité par la Cour constitutionnelle. En effet, la Cour ne vérifie pas seulement que la requête présente des chances raisonnables de succès mais que de surcroît sa résolution directe par la Cour est nécessaire dans l'intérêt de la justice. Cette notion est évidemment difficile à cerner avec précision et dépend du contexte de l'affaire. Par exemple, si la question posée dans une affaire précise risque de se reproduire rapidement devant d'autres juridictions, une réponse rapide sera bénéfique non seulement pour l'affaire ayant généré l'appel mais également pour d'autres cas similaires : les chances de succès de la recevabilité de l'appel direct seront fortes. En revanche, un risque sérieux d'inconstitutionnalité qui peut être sanctionné directement par une juridiction ordinaire ou par le jeu normal de l'appel sera probablement considéré comme insuffisant pour permettre un tel appel direct. La Cour constitutionnelle a d'ailleurs formulé dans son règlement intérieur les éléments qu'elle prend en considération pour apprécier la satisfaction des conditions posées par l'article 167 (6) (b). Lors de l'audience consacrée à la recevabilité, la Cour examine si la question de constitutionnalité est suffisamment importante, si les éléments de preuve sont suffisants pour qu'elle se prononce et que sa décision ait des chances d'influer sur le jugement final de l'affaire portée devant la juridiction(41). En tout état de cause, la Cour dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour définir ce que sont dans chaque cas précis « les intérêts de la justice ».

La procédure est sensiblement différente lorsque l'appel direct devant la Cour constitutionnelle est formé à l'issue d'une décision rendue par la Cour suprême. En effet, dans ce cas, malgré la possibilité qu'ont eu les requérants de soulever l'exception d'inconstitutionnalité au cours du litige, la Cour constitutionnelle estime qu'il serait dangereux de laisser la question de constitutionnalité sans réponse. Elle peut donc accepter un appel direct contre une décision de la Cour suprême pour autant qu'elle soit liée à la violation d'une disposition constitutionnelle. Dans un tel cas cependant, la recevabilité de l'appel direct est conditionnée par les mêmes règles que celles précédemment évoquées. Toutefois leur appréciation ne sera pas la même du seul fait de l'absence d'autre recours.

b) Le recours direct en inconstitutionnalité

L'article 167 (6) (a) de la Constitution de 1996 permet également à la Cour constitutionnelle d'accepter un recours direct en inconstitutionnalité lorsque cette demande favorise les intérêts de la justice. Cette disposition est en réalité assez proche de celle relative à l'appel direct devant la Cour (elles font partie du même article) à ceci près que le recours direct en inconstitutionnalité n'est pas nécessairement lié à une instance en cours. Ce type de recours a visiblement été inspiré du recours direct en inconstitutionnalité qui existe en République fédérale d'Allemagne. Toutefois, force est de constater que parmi les sollicitations auxquelles la Cour a eu à faire face depuis sa création, elle a admis la recevabilité de ce type de recours dans des cas plus nombreux que l'on aurait pu le croire. Ceci doit peut être attribué à l'entrée en fonction de la Cour qui dans ses premières années d'existence est nécessairement confrontée à un certain nombre de questions nouvelles auxquelles une réponse immédiate est souhaitable.

D'un point de vue procédural, l'accès direct devant la Cour est soumis à un certain nombre de règles figurant dans l'article 17 du règlement intérieur de la Cour. L'alinéa 2 de cet article précise les règles qui guident la recevabilité d'un recours direct devant la Cour. Elles sont au nombre de trois : le requérant doit démontrer tout d'abord en quoi sa demande d'accès direct favorise l'intérêt de la justice. En second lieu, il doit préciser ce qu'il recherche à travers ce recours et notamment quels effets précis il attend de ce recours. Enfin, il doit apporter des éléments de preuve suffisants à son recours et dans le cas contraire déterminer si une audience permettrait de recueillir des preuves orales susceptibles de combler ce déficit ; le requérant doit également expliquer comment les preuves qu'il apporte et les possibles contradictions des faits doivent être interprétées. Ces conditions laissent toutefois à la Cour, comme dans le cas de l'appel direct, une large marge d'appréciation.

Les compétences de la Cour constitutionnelle sud-africaine sont vastes. Dans ses premières années d'existence la Cour s'est cependant concentrée sur les compétences partagées et sur les recours directs. Cette situation pourra évoluer dans l'avenir mais ne sera probablement pas remise en cause dans son fondement en raison de l'attachement du nouveau système sud-africain à l'accessibilité du citoyen à la Constitution. Ceci demeure une fois encore lié à l'histoire constitutionnelle et politique sud-africaine.

4) Le fonctionnement de la Cour constitutionnelle

En tant qu'institution juridictionnelle nouvelle dans le paysage sud-africain, la Cour constitutionnelle a dû construire son propre mode de fonctionnement.

a) Généralités

Située à Johannesburg(42), la Cour a immédiatement favorisé certains aspects pratiques : l'accès à ses locaux, la salle d'audience, les lieux de son intégration ... tout est fait pour accueillir le public ! La Cour a voulu délibérément rejeter l'image de tour d'ivoire que possèdent nombre de juridictions suprêmes. Les juges disposent d'une partie de l'immeuble qui leur est réservée pour leurs propres bureaux et la bibliothèque de la Cour. Chaque juge dispose d'un secrétariat et d'assistants juridiques qui les aident dans leur recherche.

La Cour siège quatre fois par an pour des périodes variant entre un mois et un mois et demi(43). Le greffier en chef en constitue la cheville ouvrière pour l'organisation du travail de la Cour et la réception des recours. Il reçoit les documents adressés à la Cour, perçoit les droits dus(44), accorde les exemptions pour les personnes indigentes ou assistées, publie les dates d'audience, authentifie les dates de dépôt des documents... Il s'assure également de la transcription des audiences.

Les recours doivent être adressés à la Cour par le biais d'un « huissier auprès des Hautes Cours » (avoué à la Cour) mais la Cour peut elle-même accepter des dérogations à ce principe.

La représentation des parties est normalement assurée par des « avocats auprès des Hautes Cours » (advocates ); mais le président de la Cour constitutionnelle dispose d'un pouvoir de dérogation à ce principe. La représentation des parties par un « avocat auprès des Hautes Cours » doit être confirmée par mandat ou autorisation d'agir. Cette règle ne s'applique pas aux organes représentant l'État ou les organes publics.

b) Procédure applicable aux requêtes

Les requêtes déposées par les parties doivent être formulées par le biais d'une motion(45) soutenue par un affidavit(46). S'ensuit un jeu classique de mémoires en réponse et en réplique. Le président de la Cour dispose d'un pouvoir d'organisation et de direction des requêtes. Les parties sont enserrées dans des délais assez stricts qui varient entre dix et quinze jours, assurant ainsi la célérité des débats. Le président de la Cour peut toutefois en fonction de la difficulté de l'affaire déroger aux règles générales fixées par l'article 10 du règlement intérieur.

Une procédure d'urgence est également prévue. Elle permet au président de déroger aux règles générales mentionnées ci-dessus (notamment quant aux délais). Il incombe toutefois aux parties de démontrer le caractère urgent de la demande et les dérogations consenties ne doivent l'être que d'une façon proportionnée à l'urgence.

L'audition des parties est une tradition des systèmes de Common Law et la Cour constitutionnelle n'y échappe pas. Le principe est toutefois celui de l'argument écrit. Les audiences ne doivent normalement que compléter ces arguments par un jeu de questions et de réponses : seuls les points obscurs ou les éléments nouveaux doivent être développés à travers les arguments oraux. Les demandes et mémoires peuvent être adressés dans n'importe quelle des onze langues officielles. La seule exigence pour les audiences est de prévenir la Cour au moins sept jours avant la date d'audience que la partie au litige souhaite s'adresser dans une autre langue que celle employée dans les mémoires. Les services de l'interprétariat sont à la charge de la Cour. Sur le plan pratique, même si cela n'apparaît pas dans le règlement intérieur, l'audience et les arguments oraux restent par la tradition juridique sud-africaine très importants aux yeux des parties et des juges.

c) Intervention des amicus curiae

Si les règles ci-dessus sont assez classiques, la Cour peut en revanche admettre la représentation des amici curiae . Il s'agit de toute personne (physique ou morale) intéressée par le processus et qui avec l'accord de toutes les parties souhaite intervenir dans le litige. Outre l'accord des parties et du président de la Cour, la représentation des amici curiae est soumise à la détermination de leurs droits et privilèges. Les parties doivent également déterminer dans quelle mesure elles admettent cette intervention. Les amici curiae ne peuvent donc soumettre n'importe quel argument : leur autorisation d'intervention est limité à la représentation des droits et privilèges qu'ils défendent après approbation des parties et du président de la Cour. Ce dernier peut réduire leur mandat ou l'ampleur de leur autorisation d'intervention. La demande d'intervention des amici curiae doit mentionner l'intérêt à agir de l'intervention, décrire brièvement la position soutenue, fournir les arguments qui seront défendus et indiquer en quoi ils seront utiles à la Cour pour le traitement de l'affaire en cause. Les amici curiae ne sont normalement pas autorisés à présenter des arguments oraux à l'audience et ne peuvent pas contester les faits. Les délais d'intervention des amici curiae sont assez courts : ils disposent d'un délai de 10 jours à l'issue du dépôt du recours ou de la réponse du défendeur.

d) Formes du jugement

Les jugements rendus par la Cour constitutionnelle sud-africaine restent empreints par la tradition de Common Law. Rédigés par un juge désigné pour chaque affaire par le président, les autres membres de la Cour sont amenés lors des délibérations à se joindre au jugement proposé ou à faire valoir leurs propres arguments. De ce fait, trois situations sont envisageables : l'acceptation du jugement rédigé dans son intégralité, l'acceptation du dispositif mais pour des motifs différents (jugement séparé), le rejet du jugement proposé dans ses motifs et son dispositif (jugement dissident). La Cour constitutionnelle sud-africaine fonctionne sur ce principe de l'opinion majoritaire. L'acceptation de la pratique des jugements séparés et dissidents permet de mieux comprendre le cheminement du raisonnement suivi par la Cour ainsi que les autres pistes de raisonnement qui auraient pu (ou pourront dans l'avenir) être suivies. Ils permettent également une analyse plus fine des politiques jurisprudentielles menées par la Cour. La pratique des jugements séparés et dissidents est courante. Elle ne constitue nullement un handicap, même si en pratique dans l'histoire de la Cour, une seule affaire a donné lieu à l'impossibilité de dégager une majorité.

Une des particularités de la juridiction sud-africaine en matière de délibérés et de jugements repose sur l'absence de voix prépondérante attribuée au président de la Cour. Normalement, le nombre impair de membres de la Cour impose l'émergence d'une majorité, mais l'absence d'un ou de trois juges et la fixation du quorum à huit membres offre une possibilité de partage égale des voix. Dans un tel cas, le jugement délivré aboutit à laisser la situation en l'état, c'est-à-dire à ne pas déclarer l'acte ou le comportement inconstitutionnel. On peut cependant estimer dans un tel cas que la question pourrait être reposée ultérieurement à la Cour car cette absence de décision ne fixe pas définitivement la jurisprudence de la Cour. Il s'agit davantage d'une impossibilité temporaire de répondre. Un seul cas de figure pourrait poser difficulté : si la Cour doit confirmer une décision d'inconstitutionnalité prise par une Haute Cour ou la Cour suprême, pourrait-on assimiler l'absence de majorité à une confirmation de l'inconstitutionnalité ? Rien n'est moins certain, et dans la logique du contrôle de constitutionnalité sud-africain, la solution inverse devrait prévaloir : le partage des voix devrait constituer une décision de refus de confirmation de l'inconstitutionnalité car dans le cas contraire cela reviendrait à laisser le dernier mot aux juridictions ordinaires. Ceci s'oppose au principe constitutionnel selon lequel la Cour constitutionnelle est la seule juridiction de dernière instance en matière constitutionnelle. Cette hypothèse ne s'est toutefois encore jamais présentée.

Les décisions que peut prendre la Cour en matière d'invalidité sont variables. Elle peut invalider purement et simplement une disposition inconstitutionnelle. Elle peut également demander au Parlement de modifier les dispositions législatives de façon à les rendre conformes à la Constitution. Enfin, la Cour peut également suppléer la carence législative en ajoutant elle même certaines dispositions de façon à rendre compatible la disposition avec la Constitution(47).

Le fonctionnement de la Cour constitutionnelle sud-africaine est en définitive assez classique. Ses grandes lignes peuvent être résumées à travers les idées de transparence du travail juridictionnel et d'accessibilité au public.

II. Aperçu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sud-africaine

Créée en 1995, la Cour constitutionnelle sud-africaine ne peut pas prétendre en moins de six années d'existence, avoir encore révélé son véritable visage ! Bien des questions, telles celles relatives à l'égalité ou aux droits coutumiers par exemple, restent à explorer faute de contentieux sur ce sujet. Comme le soulignait lui-même récemment le président de la Cour, la Cour constitutionnelle sud-africaine comme l'ensemble du système juridique sud-africain sont encore en transition : certaines questions seront amenées à disparaître, d'autres émergeront.

La Cour constitutionnelle n'a néanmoins pas à rougir de son action durant les cinq dernières années. Bien des juridictions constitutionnelles pourraient lui envier son taux d'activité et son palmarès malgré sa relative jeunesse. Il est fréquent qu'une juridiction nouvellement apparue dans le paysage juridictionnel mette plusieurs années avant de commencer réellement à exercer le rôle qui lui a été dévolue par la constitution ou les textes. Ceci est considéré comme normal. La Cour constitutionnelle sud-africaine n'a pas eu à attendre ces quelques années d'acclimatation. Elle a été plongée immédiatement au coeur du débat politique et des questions de société. Elle a participé au mouvement de renouveau constitutionnel du pays, non pas uniquement en tant qu'observateur extérieur mais également en tant qu'acteur. Elle n'a pas hésité à prendre ses responsabilités, allant parfois à contre-courant de l'opinion majoritaire. La Cour constitutionnelle sud-africaine doit, de plus, assumer une responsabilité supplémentaire par rapport à nombre de ses homologues : elle est la seule juridiction nouvelle au sein d'un système judiciaire qui dans ses structures et ses agents reste celui de l'ancien régime d'apartheid. Elle a dû intégrer cet aspect au sein de sa jurisprudence car les changements de mentalité, pour réels qu'ils soient sont parfois plus lents que ne le voudraient la seule logique juridique.

Il est impossible de présenter un panorama complet des décisions de la Cour dans le cadre de cette contribution mais quelques lignes directrices révélatrices de son activité permettent d'en présenter les principaux caractères.

A. La protection des droits fondamentaux

La protection des droits fondamentaux est l'objet du chapitre 2 de la Constitution de 1996(48). À ce titre, elle constitue l'un des aspects majeurs du travail de la Cour constitutionnelle et a donné lieu à nombre de décisions depuis 1995. Parmi ces décisions, certaines d'entre elles ont eu un retentissement particulier

1) L'inconstitutionnalité de la peine de mort

Dans l'un des premiers jugements qu'elle a rendu, S. v. Makwanyane(49) la Cour constitutionnelle a déclaré la peine de mort incompatible avec la Constitution. Cette décision concernait quelque trois à quatre cents personnes qui attendaient leur exécution dans les couloirs de la mort et allait à l'encontre de l'opinion majoritaire de la population sud-africaine. Cette question avait été évoquée lors des négociations constitutionnelles mais les différents partis, faute d'accord, avaient préféré laisser la question sans réponse, sachant qu'elle devrait ainsi être résolue par la cour constitutionnelle. Le jugement majoritaire, rédigé par le président Chaskalson, a estimé que la peine de mort était incompatible avec les dispositions de la Constitution prohibant les traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Cour a estimé que l'État n'avait pas démontré que la peine de mort était une limitation nécessaire dans une société démocratique et que la rétribution qu'elle imposait allait au-delà de ce que la société exigeait. Dans plusieurs opinions séparées, les autres membres de la Cour trouvèrent que d'autres droits (le droit à la vie, le droit à la dignité humaine, le principe d'égalité) étaient également violés y compris par rapport aux règles du droit coutumier du respect du pardon ( ubuntu ) qui imposait la considération de la vie humaine d'autrui comme de la sienne. Cette décision est révélatrice de l'immédiateté avec laquelle la Cour s'est positionnée dans la défense des droits fondamentaux et comment elle a envisagé leur protection indépendamment du sentiment populaire mais en tenant compte des valeurs qui sous-tendaient le nouvel ordre constitutionnel. Cette décision restera une pierre angulaire de la jurisprudence constitutionnelle sud-africaine(50).

2) Le droit à un traitement médical d'urgence

La Cour constitutionnelle fût également très tôt confrontée à la protection des droits économiques et sociaux et notamment au droit à un traitement médical d'urgence, combiné à la protection du droit à la vie. Dans sa décision Soobramoney v. Minister of Health (Kwazulu-Natal)(51), elle a refusé de considérer qu'un patient se trouvant en phase terminale de maladie pouvait être assimilé à celui devant bénéficier d'un traitement médical d'urgence. Dans cette décision, elle a estimé que ce droit est indépendant du droit à la vie et doit être interprété dans la contexte général de la disponibilité des services de santé. Cette décision fût critiquée car elle condamnait le requérant à une mort certaine. La Cour a cependant eu le courage de prendre cette décision en analysant la promotion des droits économiques et sociaux à travers leur réalisation progressive. La volonté de la Cour de tenir compte des implications financières de la réalisation des droits économiques et sociaux ne fait aucun doute, mais cela ne signifie pas qu'elle ait abdiqué tout contrôle ou qu'elle refusera dans l'avenir d'analyser la réalisation de ces droits pour la seule raison qu'ils comportent des implications financières pour l'État(52).

3) Le principe d'égalité

Bien que l'on puisse considérer la jurisprudence constitutionnelle sud-africaine en matière d'égalité comme étant encore en phase de développement, plusieurs décisions rendues en la matière démontrent que la Cour a adopté une attitude différenciée en fonction des domaines d'invocation de l'égalité rejoignant du même coup nombre de ses homologues en matière de degrés du contrôle contentieux.

Elle a par exemple adoptée une attitude minimaliste dans une hypothèse de discrimination géographique concernant les périmètres de protection de lutte contre l'incendie : les personnes occupant les terres dans ces périmètres de protection n'étaient pas soumises à une présomption de faute en cas de déclenchement d'un incendie alors que celles se trouvant en dehors y étaient soumises. La Cour exerça un contrôle de la rationalité de la discrimination entre les deux situations pour évaluer si la discrimination violait ou ne violait le principe constitutionnel d'égalité et répondit par la négative en l'espèce(53).

En revanche, le degré de contrôle de la Cour sur les discriminations s'est révélé supérieur dans des domaines plus sensibles. La Cour estima par exemple que les discriminations entre hommes et femmes pouvaient être justifiées par des considérations propres. Dans sa décision Hugo v. President of the Republic of South Africa(54), elle estima que la remise de peine accordée par le président de la République aux seules détenues mères d'enfants de moins de 12 ans ne méconnaissait pas le principe d'égalité même s'il créait une discrimination avec les détenus pères d'enfants de moins de 12 ans. Cette discrimination n'était pas injustifiée au regard des conséquences qu'engendrait la libération des mères de jeunes enfants. La Cour examine dans le détail les effets et répercussions des deux types de décisions avant de conclure que la discrimination n'est pas injustifiée. Si la discrimination fût acceptée dans ce cas, le degré de contrôle de la Cour allait au-delà du seul contrôle minimum.

La même rigueur dans le contrôle fût appliquée dans l'hypothèse d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Dans sa décision National Coalition for Gay and Lesbian Equality v. Minister of Justice(55), la Cour estima que la criminalisation des seuls actes de sodomie entre hommes méconnaissait le principe d'égalité dans la mesure où la même pratique commise entre deux femmes ou au sein d'un couple hétérosexuel ne pouvait donner lieu à poursuite pénale.

Un autre exemple de contrôle renforcé de l'égalité repose sur la distinction entre les nationaux et les étrangers dans un certain nombre de domaines. La Cour s'est montrée depuis le début très sensible aux discriminations injustifiées. Elle a par exemple, dans sa décision Larbi-Odam v. Member of the Executive council for Education (North-West Province)(56), estimé que la nomination ou le refus de nomination d'un enseignant du seul fait de sa qualité d'étranger méconnaissait le principe d'égalité et ceci qu'il soit titulaire d'un titre de séjour permanent ou temporaire. Seules les discriminations pleinement justifiées par les dispositions de la Constitution peuvent être acceptées. Dans une décision rendue le 2 décembre 1999 National Coalition for Gay and Lesbian Equality v. Minister of Home Affairs(57), la Cour estima que le refus de donner un traitement préférentiel aux partenaires homosexuels étrangers vivant avec un résident permanent sud-africain en ce qui concerne l'entrée et le séjour sur le territoire par rapport aux couples hétérosexuels était discriminatoire et devait être invalidé.

4) Contrôle de la limitation des droits fondamentaux

L'article 36 de la Constitution de 1996, intitulé limitation des droits (fondamentaux) fournit à la Cour constitutionnelle une habilitation constitutionnelle à exercer un contrôle de proportionnalité des atteintes aux droits fondamentaux en fonction de leur importance, de l'objet et de la nature de la limitation et de la nécessité de la restriction. Cette disposition de la constitution revêt en pratique une incidence considérable car elle fournit à la Cour un appui appréciable aux techniques de contrôle des droits fondamentaux qu'elle aurait de toutes façons employées. Cette disposition offre en effet aux juges chargés de contrôler la constitutionnalité des droits fondamentaux une gamme de degrés de contrôle leur permettant de conserver le même raisonnement tout en faisant varier les exigences de seuil en fonction des droits protégés. Ceci ressort nettement par exemple dans la décision sur la peine de mort S. v. Makwanyane .

B. Le contrôle des actes présidentiels

La reconnaissance de la suprématie de l'État de droit en Afrique du Sud a amené la Cour constitutionnelle à exercer son contrôle sur les actes présidentiels. Si ce contrôle est prévu par la constitution en ce qui concerne les décisions qu'il prend en tant que chef de l'exécutif, tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de décisions discrétionnaires comme par exemple le droit de grâce. Dans la décision _Hugo v. President of the Republic of South Africa(58), l_a Cour constitutionnelle a cependant estimé que de tels actes étaient soumis au respect de la Constitution et en conséquence n'échappaient pas à son contrôle. Cette décision est importante car elle inclut dans le champ du contrôle de constitutionnalité tous les actes des autorités publiques.

La Cour a cependant précisé que ce contrôle de principe ne l'amenait pas à substituer sa propre appréciation à l'autorité chargée de prendre la décision. En d'autres termes, le contrôle des actes présidentiels n'implique pas la recevabilité de toute demande à l'encontre d'un acte du président. Dans sa décision du 10 septembre 1999 President of the Republic of South Africa and Others v. South African Rugby Football Union and Others(59), la Cour a confirmé dans son principe la justiciabilité des actes du président de la République(60) mais a également rappelé que la séparation des pouvoirs imposait un respect de la fonction présidentielle et qu'en conséquence, le président ne pouvait pas être cité à comparaître comme simple témoin dès lors que l'un de ses actes était contesté.

C. Le contrôle du processus d'amnistie

La Cour constitutionnelle a également été amenée à contrôler la loi mettant en oeuvre les dispositions constitutionnelles relatives à l'amnistie et la réconciliation nationale. Ce processus avait fait l'objet de négociations au moment de l'adoption de la Constitution de 1993 et apparaissait comme un compromis entre les poursuites judiciaires et l'amnistie politique. La création d'une commission indépendante baptisée « Réconciliation et vérité » ayant le pouvoir d'accorder l'amnistie aux auteurs des infractions politiques commises durant l'époque d'apartheid en échange de leurs confessions de la vérité fût contesté par certaines des victimes qui estimaient que la loi méconnaissait certains des droits fondamentaux garantis par la Constitution ainsi que certaines règles du droit international coutumier qui devaient guider l'interprétation de la constitution. La décision AZAPO v. President of the Republic of South Africa(61) demeure certainement aujourd'hui l'une des plus politiques que la Cour ait eu à rendre. Si la Cour rejette les griefs d'inconstitutionnalité de la procédure d'amnistie en estimant que celle-ci fait partie du contrat constitutionnel mis en place par les constituants, son interprétation des dispositions constitutionnelles à l'aune du droit international coutumier est assez succincte. Cependant, la Cour était ici confrontée à la politique réelle ( real politik ) et pouvait difficilement ne pas tenir compte du contexte d'intervention de la décision.

D. L'homologation de la Constitution de 1996

Qu'une Cour constitutionnelle soit amenée à contrôler la « constitutionnalité de la Constitution » est assez rare pour que cela mérite d'être souligné. Pourtant la Cour constitutionnelle sud-africaine a été amenée à effectuer un tel contrôle dans le cadre du processus d'écriture de la Constitution de 1996. Ce contrôle peut surprendre car il s'apparente à un contrôle de « supra constitutionnalité ». Ce n'en fût pourtant pas un mais plutôt le respect de la volonté du constituant lui-même qui avait volontairement confié cette tâche à la Cour constitutionnelle en estimant qu'elle pourrait agir en tant qu'arbitre impartial et expert technique dans ce que l'on pourrait qualifier de contrat constitutionnel. L'adoption de principe directeurs qui devaient servir de fondement aux deux constitutions (intérimaire et définitive) imposait un contrôle de leur respect à l'issue du processus de rédaction. Il fût donc décidé de confier à la Cour constitutionnelle le soin de vérifier le respect de ces principes par le texte final et de s'assurer que l'Assemblée constituante n'avait pas dévié des principes fondateurs accepté par les parties trois ans auparavant. En réalité, la Cour est intervenue ici dans le cadre d'une opération complexe et devait s'assurer par le biais de l'opération d'homologation que le constituant avait respecté la logique de l'enchaînement des étapes de l'écriture et le contenu des principes fondateurs.

La décision d'homologation fût donc une décision unique par son caractère dans laquelle la Cour fut amenée à jouer un rôle différent de celui qui lui est dévolu en temps normal. La Cour exerça cette tâche avec le plus grand soin et dans une première décision refusa d'homologuer complètement le texte adopté par l'Assemblée constituante(62). Même si ce refus portait sur des clauses essentiellement techniques, l'Assemblée constituante fût à nouveau convoquée pour amender son propre texte. Une seconde décision d'homologation valida complètement le texte de la Constitution(63).

La fonction d'homologation de la Constitution de 1996 confiée à la Cour eût en réalité un autre impact. Elle permit l'ancrage immédiat de la Cour dans le paysage constitutionnel et lui donna un statut qu'elle aurait peut être mis davantage de temps à atteindre si elle n'avait pas été soumise immédiatement aux feux de l'actualité. La médiatisation du processus d'écriture constitutionnel a également permis à la Cour d'être un acteur connu de la protection de l'État de droit.

* Ces quelques références sommaires de l'activité de la Cour ne permettent pas de rendre compte de la variété de son activité et de la diversité des questions qu'elle doit traiter. Cependant, la Cour a su créer tout au long de sa courte existence une culture de la défense de l'État de droit et de la suprématie de la Constitution dans un pays où cette tradition n'existait pas. Récemment, elle a confirmé la soumission de l'ensemble du système juridique au respect de la norme suprême même dans le cas où les principes de la Common law auraient pu aboutir à une même solution de façon autonome(64). Cette rapidité d'ancrage mérite d'être saluée car elle conditionne le succès du respect de la règle de droit et de la démocratie sur un continent où ils sont encore trop souvent menacés.

(1) Il figure dans le VIIe principe constitutionnel qui dispose : le pouvoir judiciaire doit être qualifié, indépendant et impartial et doit posséder le pouvoir de sauvegarder et de mettre en oeuvre la Constitution et l'ensemble des droits fondamentaux.
(2) Article 98 de la Constitution intérimaire de 1993.
(3) Article 1er : La République d'Afrique du Sud est un État unifié, souverain et démocratique fondé sur les valeurs suivantes... (c) La suprématie de la Constitution et de la règle de droit. Cette règle figurait déjà dans l'article 4 de la Constitution intérimaire.
(4) Que l'on peut comparer pour le lecteur français à l'équivalent de la Cour de cassation et du Conseil d'État (Section du contentieux) réunis.
(5) Cela ne signifie pas que le débat sur le choix du modèle n'ait pas eu lieu. V. Rautenbach & Malherbe, Constitutional Law , p. 221, Butterworths, 2e éd., 1996 ; SA Commission Interim Report on Group and Human Rights (1991), p. 670 ; J. Van der Westhuisen, « The Protection of Human Rights and a Constitutional Court for South Africa », De Jure 1991, 1, p. 245. Le choix du modèle américain aurait pu se comprendre d'un point de vue technique en raison de l'applicabilité du système du précédent judiciaire en Afrique du Sud. En effet, bien que pays de droit mixte, les juristes sud-africains sont familiers de la décentralisation juridictionnelle. Confier à la Cour suprême le contrôle final de constitutionnalité n'était donc pas du tout inconcevable. Seule la peur de l'inertie et du refus du changement ont permis d'opter pour la création d'une nouvelle Cour constitutionnelle.
(6) La hiérarchie juridictionnelle sud-africaine est bâtie sur un modèle relativement simple fondée sur l'unicité de juridiction. Parmi les juridictions inférieures, on trouve les Magistrate Courts et les Regional Courts . Ces juridictions sont chargées du contentieux de première instance. Au dessus se trouvent les juridictions d'appel qui constituent le premier degré des juridictions supérieures baptisées High Courts (anciennement Cour d'appel). Compte tenu de la nature de l'affaire, ces juridictions peuvent être saisies en appel ou en premier ressort. Enfin, se trouve au sommet de la hiérarchie judiciaire générale la Cour suprême ( Supreme Court of Appeal) qui malgré sa dénomination correspond davantage à une Cour de cassation dans la mesure où elle n'examine que les moyens de droit.
(7) V. infra, les compétences de la Cour en matière de confirmation des décisions d'inconstitutionnalité des décisions des Cours ordinaires, v. article 172 (2) (a) in fine de la Constitution de 1996.
(8) Articles 97 à 100 de la Constitution intérimaire.
(9) La Constitution intérimaire ne mentionnait pas l'existence du vice-président, mais la composition était identique : onze membres (art. 98 de la Constitution intérimaire)
(10) Article 176 (1) de la Constitution de 1996. Cette limite du mandat par la durée et l'âge est propre à la Cour constitutionnelle. Elle ne touche pas les autres juridictions.
(11) La Commission du service judiciaire ( Judicial Service Commission ) est instituée par l'article 178 de la Constitution de 1996. Elle peut être globalement comparée au Conseil supérieur de la Magistrature en France bien que ses fonctions soient plus diversifiées. Elle est composée du président de la Cour suprême (qui en préside les rencontres), du président de la Cour constitutionnelle, d'un juge président de Haute Cour désignés par ses pairs, du ministre de la justice ou de son délégué, de deux avocats près les Hautes Cours ( advocates ) et de deux avocats au barreau ( attorneys ) représentants leurs professions et nommés par le président de la république, d'un universitaire juriste désigné par les enseignants en droit des universités sud-africaines, de six députés désignés par l'Assemblée nationale dont trois au moins doivent être membres de l'opposition, de quatre délégués au Conseil national des provinces (Sénat) désignés par ce Conseil avec un votre positif d'au moins six provinces, de quatre personnalités désignées par le président en tant que chef de l'exécutif, après consultation des chefs de partis politiques représentés à l'Assemblée nationale et lorsqu'il s'agit d'une question relative à une Haute Cour d'une province, le juge présidant cette juridiction ainsi que le Premier ministre de la province concernée ou son représentant.
(12) en ce sens G. Devenish, A Commentary of the South African Constitution , p. 231, Butterworths, 1998, explique la différence existant entre l'emploi des termes after consultation et in consultation with . Dans le premier cas, il s'agit d'un avis obligatoire, dans le second, il s'agit bien d'une co-décision ou d'un avis conforme.
(13) L'actuel président sud africain, M. Thabo Mbeki, n'a à ce jour (sept. 2000) jamais eu à exercer ses fonctions.
(14) Ce dernier est toujours en fonction mais sera atteint par la limite d'âge en 2001.
(15) Le Juge Ismail Mahomed est décédé en juin 2000 des suites d'une maladie. Il aura été le premier président de la Cour suprême à avoir été préalablement juge constitutionnel. Son choix en tant que président de la Cour suprême n'était pas innocent et correspondait à la volonté du Chef de l'État de voir la culture constitutionnelle irradier les juridictions au plus haut niveau.
(16) Cette condition ne s'applique pas pour les autres nominations de juges. Elle est exclusive à la Cour constitutionnelle.
(17) Article 174 (2) de la Constitution de 1996.
(18) Les raisons de la vacance peuvent être multiples allant de l'absence pour occupation d'autres fonctions en passant par la maladie ou le décès. Ces cas de figure sont fréquents et depuis son institution en 1995, la Cour a souvent eu recours à des juges suppléants pour pouvoir siéger. Ce fût par exemple le cas du Juge Richard Goldstone, nommé juge en 1995 mais qui ne pouvait siéger en raison de sa position de procureur pour le tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Il fût suppléé par le juge S. Kentridge jusqu'à ce qu'il cesse d'exercer ces fonctions.
(19) Cette procédure destinée à assurer une plus grande transparence des nominations a fait l'objet d'une ouverture au public et les compte rendus d'entretien ont été publiés. Ils sont disponibles sur le site de la Cour à l'adresse Internet suivante : http://www.concourt.gov.za.
(20) Bien que cette question soit entourée d'un certain flou, la structure de l'État sud africain demeure incertaine. Certains y voient un État fédéral faible, d'autres un État régional ou autonomique du type italien ou espagnol. Ce débat n'a pas lieu d'être ici mais la Cour constitutionnelle s'est vue confier sans ambiguïté la tâche de répartiteur des compétences entre l'État central et les provinces.
(21) Article 167 (4) (a) de la Constitution de 1996.
(22) V. sur cette répartition, les articles 44 (1) (a) (ii) & 2 et 104 (1) (b).
(23) Art. 44 (2) de la Constitution de 1996.
(24) L'Assemblée nationale comprend 400 membres, le tiers correspond à 134 députés.
(25) Le contrôle abstrait a priori des normes législatives fût menacé de disparition lors de l'adoption de la Constitution de 1996, étant considéré comme un mécanisme superflu. La consultation des exemples étrangers et notamment un séminaire organisé au Parlement au Cap en 1996 auquel participait Mme le Conseiller N. Lenoir incita les constituants à conserver ce mécanisme pour l'avenir.
(26) Relatif à la forme démocratique de l'Afrique du sud, son engagement dans le respect et la promotion des droits fondamentaux et de la règle de droit, son renoncement à la discrimination raciale et des sexes et le respect du multipartisme et des élections libres.
(27) Relatif précisément à cette exigence de majorité des trois quarts pour modifier les principes fondateurs du régime politique et juridique sud-africain.
(28) Auquel cas la même approbation d'au moins six provinces est nécessaire.
(29) Il s'agit d'une liste de 34 principes adoptés par les partis politiques ayant participé aux négociations constitutionnelles originaires. Avant même que la Constitution intérimaire ne soit adoptée, les partis s'étaient mis d'accord sur une liste de principes qu'ils s'étaient engagés à respecter lors de l'écriture de la Constitution de 1993 mais également lors de l'élaboration de la Constitution définitive. Afin que cela ne reste pas un voeu pieux, la Constitution intérimaire avait confié à la Cour constitutionnelle le rôle de vérifier le respect de ces principes fondamentaux (art. 74 de la Constitution intérimaire de 1993).
(30) Article 167 (4)(e) de la Constitution de 1996.
(31) Ce processus d'homologation est organisé par l'article 144 de la Constitution de 1996.
(32) Essentiellement les actes individuels ainsi que les actes à portée générale des collectivités locales ( municipalities ).
(33) Ce qui vise essentiellement le droit des personnes et le droit des contrats généraux.
(34) Il existe en Afrique du sud nombre de droits coutumiers relatifs essentiellement au droit des personnes qui sont officiellement reconnus par la Constitution de 1996. Ils doivent toutefois en respecter les règles, et spécialement le chapitre 2 relatif à la protection des droits fondamentaux.
(35) L'article 170 de la constitution leur interdit de se prononcer sur la constitutionnalité des actes législatifs et présidentiels.
(36) Cette compétence n'existait pas pour la Cour suprême sous l'empire de la Constitution intérimaire. Elle a été créée par la Constitution de 1996.
(37) En pratique, le greffier de la juridiction qui a rendu la décision d'inconstitutionnalité doit dans les quinze jours suivant la lecture de la décision notifier celle-ci auprès du greffier de la Cour constitutionnelle (art. 15 du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle).
(38) La formulation de l'article 172 (2) (d) est plus large puisqu'elle vise « toute personne ou organe de l'État qui possède un intérêt suffisant » . Ceci permet à la Cour constitutionnelle d'accepter les recours de parties tiers comme les amicus curiae.
(39) Cette procédure est prévue à l'article 172 (2) (d) de la Constitution alors que la procédure de confirmation automatique est prévue à l'article 172 (2) (a).
(40) Elles peuvent le faire dans un délai de vingt et un jours à compter de la lecture de la décision.
(41) Article 18 (6) du règlement intérieur de la Cour.
(42) La Cour constitutionnelle est actuellement logée dans des bâtiments provisoires mais de nouveaux locaux sont en cours de réalisation à quelques centaines de mètres de sa situation actuelle. Les nouveaux locaux seront situés sur les lieux de l'ancienne prison centrale de Johannesburg (symbole du régime précédent) et le lieu a été rebaptisé constitutional hill (la colline constitutionnelle). La totalité du projet est gigantesque puisque sur ce même lieu seront construits les locaux de toutes les autres institutions constitutionnelles indépendantes chargées de promouvoir la démocratie (Commission des droits de l'homme, Commission électorale, Commission pour l'égalité des sexes).
(43) Article 2 du règlement intérieur de la Cour : la Cour siège du 15 février au 31 mars, du 1er mai au 31 mai, du 15 août au 30 septembre du 1er novembre au 30 novembre. Le président de la Cour peut décider d'une convocation exceptionnelle de la Cour hors session si nécessaire.
(44) Droits de timbre et de photocopie des documents adressés à la Cour.
(45) Recours introductif d'instance.
(46) Déclaration écrite faite sous serment.
(47) Un exemple peut être fourni avec la décision National Coalition for Gay and Lesbian Equality v. Minister of Home Affairs du 2 décembre 1999 dans laquelle la Cour a ajouté les termes « ou de partenaires du même sexe » après les mots époux de façon à supprimer la discrimination pour l'entrée et le séjour de personnes vivant avec un résident permanent sud-africain (v. traduction et commentaire de cette décision ci-après p. 66 et s.), CCT 10/99, http://www.law.wits.ac.za/judgments/1999/natcoal.html.
(48) Articles 7 à 39 de la Constitution de 1996 soit 32 articles consacrés aux droits fondamentaux dont le contenu est particulièrement détaillé.
(49) 1995, 3, SA 391 (CC). Toutes les décisions de la Cour sont disponibles en résumé et en intégralité sur son site Internet http://www.concourt.gov.za
(50) Le même jour et de façon significative, la Cour rendit une autre décision par laquelle elle déclarait inconstitutionnelle les châtiments corporels : S. v. Williams (1995) 7 BCLR 861 (CC). Cette décision de suppression des châtiments corporels avait conduit le législateur à instituer une prohibition générale des châtiments corporels dans tous les établissements scolaires. Certains parents « traditionalistes » se sont émus de cette interdiction en estimant que les corrections infligées aux élèves faisaient partie de leur éducation et que l'interdiction législative ne pouvait valoir dès lors qu'ils consentaient eux-mêmes à de tels châtiments pour leurs enfants. La Cour a rejeté catégoriquement cette interprétation en estimant que cette interdiction devait être totale et que le consentement des parents ne suffisait pas à gommer l'inconstitutionnalité de tels comportements en milieu scolaire : CCT 4/00 Christian Education of South Africa v Minister of Education , du 18 août 2000, http://www.concourt.gov.za gov.za/judgements/2000/christianedu.html.
(51) CCT 32/97 du 27 novembre 1997, http://www.law.wits.ac.za/judgements/soobra.html
(52) V. en ce sens Government of RSA v. Grootboom, CCT 11/00 du 4 oct. 2000 (http://www.concourt.gov.za/2000/grootboom1.html).
(53) Prinsloo v. Van der Linde (1997), 6 BCLR 759 (CC).
(54) (1997), 6 BCLR 708 (CC).
(55) CCT 11/98, http://www.law.wits.ac.za/judgments/1998/gayles.html.
(56) (1997), 12 BCLR 1655 (CC).
(57) CCT 10/99, http://www.law.wits.ac.za/judgments/1999/natcoal.html
(58) Op. cit.
(59) CCT 16/98, http://www.law.wits.ac.za.judgements/1999/sarfu.html
(60) Il s'agissait en l'espèce de la nomination d'une Commission d'enquête sur le fonctionnement de la fédération nationale du football et du rugby.
(61) CCT 17/96, http://www.law.wits.ac.za.judgements/azapo.html.
(62) CCT 23/96 Certification of the Constitution of the Republic of South Africa, 1996 (10), BCLR 1253 (CC).
(63) CCT 37/96, Certification of the Amended text of the Final Constitution, 1997 (1), BCLR (CC).
(64) CCT 31/99 du 25 février 2000, The Pharmaceutical Manufacturers Association of SA and another, In re : the ex parte application of the President of the Republic of South Africa and others, http://www.law.wits.ac.za/judgments/2000/pharm.html.