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Notice bibliographique de Pierre PACTET sur le traité de Dominique CHAGNOLLAUD : « Droit constitutionnel contemporain »

Pierre PACTET - Professeur émérite de l'Université Paris XI

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8 - juillet 2000

Dominique CHAGNOLLAUD

Droit constitutionnel contemporain

Éditions Sirey, Paris 1999, 374 p.

La liste déjà très fournie des manuels de droit constitutionnel vient de s'enrichir, sous la signature de Dominique Chagnollaud, professeur à l'Université Paris II, d'un nouvel et excellent ouvrage. Ce n'est pas une mince affaire, dans une discipline couvrant une si vaste étendue et qui évolue si rapidement, que de faire oeuvre de généraliste. Il faut être sélectif pour ne traiter que l'essentiel, complet cependant et par conséquent concis, précis également et surtout très clair car nombre de lecteurs potentiels abordent la matière pour la première fois. Sur tous ces points la réussite de l'auteur est certaine.

On sait que le droit constitutionnel peut être présenté de bien des manières, toutes intéressantes et en réalité complémentaires, selon que l'on met l'accent sur le pouvoir, les partis et les aspects pratiques ou sur les institutions politiques et la hiérarchie normative ou encore, et plus récemment, sur le contentieux constitutionnel. À vrai dire, chaque manuel ou peu s'en faut s'efforce de traiter toutes ces questions à la fois mais, de l'un à l'autre, des différences sont sensibles, en fonction de l'ordre adopté pour les présenter et de l'importance accordée à chacune d'elles. Dès son avant-propos le professeur D. Chagnollaud indique qu'il « prend acte de la juridicisation accentuée du droit constitutionnel à travers la jurisprudence des cours constitutionnelles » mais estime que « ce droit dit par le juge n'épuise pas pour autant la matière et justifie d'autant mieux qu'on restitue dans sa dimension historique, philosophique et sociologique la formation des concepts, des régimes et des pratiques ».

En d'autres termes, l'auteur a choisi de procéder à une étude globale, de l'amont à l'aval, partant de la théorie du pouvoir politique juridiquement encadré et aboutissant aux aspects beaucoup plus techniques et pointus - institutionnels, normatifs et contentieux - qu'implique le fonctionnement d'une constitution. Aucun de ces éléments et de ces aspects n'est oublié ni négligé, même si l'accent est plutôt mis sur l'institutionnel. Bien entendu il ne saurait être question de discuter l'option retenue. D'abord parce que c'est celle adoptée par la plupart des prédécesseurs de D. Chagnollaud et que si d'autres approches sont possibles – et d'ailleurs fort utiles et intéressantes – celle-ci, qui consiste à expliquer et décrire tout le processus depuis son commencement, ce qui paraît logique, a fait depuis longtemps la preuve de son efficacité. Ensuite parce que l'Université a toujours été le terrain d'élection de la liberté de l'esprit et de la diversité qui en est inséparable et que, dans le respect de la discipline étudiée, toutes les formules, traditionnelles et nouvelles, sont valables et enrichissantes.

Compte tenu de ces prémisses on ne s'étonnera pas que l'auteur ait adopté un plan très classique. Effectivement il étudie en trois parties les fondements du droit constitutionnel (l'État, la constitution, la division horizontale et verticale des pouvoirs, la démocratie), les grands modèles étrangers (limités aux régimes britannique, allemand et américain du nord), le droit constitutionnel de la France (en s'intéressant plus qu'il n'est habituel mais avec raison et bonheur aux régimes antérieurs à la Cinquième République, laquelle forme évidemment l'objet des principaux développements). C'est donc à l'intérieur de ce plan d'ensemble et dans son texte même que D. Chagnollaud, politiste justement réputé mais aussi remarquable juriste, apporte une note personnelle très intéressante faite de clarté, d'objectivité, de la volonté d'examiner systématiquement toutes les difficultés en essayant d'en démonter les mécanismes et si possible de leur apporter une solution. Par son didactisme, il s'agit incontestablement d'un ouvrage qui convient aux étudiants de tous niveaux.

Les dimensions de l'ouvrage ont d'ailleurs été parfaitement maîtrisées puisqu'il ne comporte que 374 pages. Cependant on ne doit pas trop s'attacher à ce nombre car le format adopté et surtout la très grande densité des lignes et des signes y ajouteraient, dans un format plus courant et une mise en page plus aérée, un bon quart de pages supplémentaires. Il faut ajouter que les sacrifices qu'imposent les contraintes éditoriales lors d'une première édition ont joué dans le même sens. Ils sont particulièrement sensibles s'agissant des régimes étrangers. Certes, avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, quelques États dits régionaux, on est au coeur de l'Occident et cela suffit sans doute pour réussir l'examen. Mais ne serait-il pas souhaitable d'indiquer aux étudiants que sous la formule réductrice du grand village planétaire se cachent la diversité et la variété du monde ? L'absence des grands pays de l'est et de l'extrême-orient ne va pas sans susciter quelque mélancolie. L'Union européenne est traitée dans la première partie à caractère théorique, mais elle n'apparaît guère dans celle consacrée à la Cinquième République alors que désormais le droit communautaire constitue la plus grande part - et la part dominante - du droit français. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, il s'agit pourtant bien d'un phénomène majeur - à caractère constitutionnel de notre droit interne et qui n'a d'équivalent en importance que le contrôle de constitutionnalité. Il est vrai que, d'une manière générale et au-delà de l'ouvrage de D. Chagnollaud la doctrine constitutionnelle ne paraît pas toujours accorder l'importance qu'elle mérite à l'étonnante montée en puissance du droit international, général ou conventionnel, et du droit européen par rapport au droit interne. Mais il ne s'agit là que de quelques divergences pédagogiques mineures. Aussi bien faut-il attendre les prochaines éditions du manuel, dont le succès ne fait aucun doute.

Le droit constitutionnel a été longtemps un droit dont les principes fondateurs inspirés des Lumières représentaient, à défaut des institutions elles-mêmes, très évolutives, un élément de relative stabilité. Désormais on ne peut que constater le caractère devenu incertain de ces principes, le foisonnement permanent de la vie politique et juridique, le désordre organisé qui s'est parfois installé et dont les citoyens ne paraissent pas tellement mécontents, les nouveaux objectifs apparus avec le développement jurisprudentiel des droits de la personne humaine, le déclin des États au profit d'organisations d'un type nouveau. On conçoit que cette branche du droit exerce une véritable fascination sur de nombreux auteurs : il y a tant à dire. La réussite de D. Chagnollaud en témoigne une fois de plus. Heureux étudiants, ils n'ont que l'embarras, cruel et délicieux, du choix.