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Entretien avec le Président du Tribunal constitutionnel d'Andorre, M. Pere Vilanova Trias

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8 (Dossier : Principautés européennes ) - juillet 2000

Avertissement : les présidents en exercice des juridictions constitutionnelles présentées dans ce numéro ont accepté de répondre à un même questionnaire élaboré avec le conseil du professeur François Luchaire auquel est ici signalée la reconnaissance de l'équipe éditoriale des Cahiers. Certaines questions ont été ajoutées en tenant compte des spécificités nationales, d'autres trouvent leur réponse dans la présentation de l'institution. Toutefois, pour une comparaison plus aisée des réponses apportées par les trois institutions, chaque question est numérotée, un même numéro renvoyant à une même question.


Né en 1949, le président Vilanova Trias enseigne le droit à Barcelone depuis 1977. Il est membre, sur proposition du coprince français, du Tribunal constitutionnel d'Andorre depuis les origines, 1993, et le préside depuis décembre 1999. Il a enseigné dans plusieurs universités étrangères et participé à divers titres aux missions internationales en Bosnie-Herzégovine en faveur du rétablissement de la paix.


  • 1. Votre tribunal comprend des juristes formés les uns dans les universités espagnoles, les autres dans les universités françaises. Cette différence de formation et d'appréhension des techniques juridiques gêne-t-elle vos délibérations ?

Pere VILANOVA TRIAS (P.V.T.) : Cela ne nous gêne pas du tout puisque chacun apporte ses connaissances sur le droit constitutionnel comparé. Les relations ont été, jusqu'à présent, complémentaires. L'esprit de coopération de tous les magistrats a fait le reste.

  • 1 bis. Le catalan, langue nationale de la Principauté d'Andorre, est à l'évidence votre langue de travail. Le fait que certains membres du tribunal préfèrent s'exprimer en castillan ou en français est-il un obstacle à vos délibérations ?

P.V.T. : Pas du tout parce que le Tribunal dispose des moyens nécessaires pour faire traduire les textes et les documents. En ce qui concerne le niveau informel, les sessions sont préparées à l'avance ce qui permet une bonne compréhension des opinions de chacun.

  • 2. Votre tribunal est-il particulièrement attentif aux décisions des autres juridictions constitutionnelles européennes et notamment à celles du Conseil Constitutionnel français et de la Cour constitutionnelle espagnole ?

P.V.T. : Le Tribunal constitutionnel est attentif à la jurisprudence constitutionnelle de nos voisins, au sens large, c'est-à-dire, l'Europe occidentale, mais nous ne la citons pas explicitement dans nos décisions juridictionnelles.

  • 2 bis. Peut-on dire qu'en Andorre on observe une conception spécifique des droits fondamentaux ? Les juridictions d'Andorre et donc le Tribunal constitutionnel s'inspirent-ils de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ?

P.V.T. : La Constitution andorrane fait partie des constitutions dont les droits fondamentaux qu'elle garantit sont très explicitement énumérés dans le texte constitutionnel lui-même, ainsi que les garanties juridictionnelles de ces droits. C'est un schéma très généralisé chez nos voisins européens et évidemment le tribunal tient compte de la jurisprudence du Tribunal de Strasbourg.

  • 2 ter. Votre tribunal reçoit les recours d'amparo, c'est-à-dire des recours de protection formés par toute personne qui estime que ses droits constitutionnels ont été violés. La Cour constitutionnelle espagnole dispose d'une compétence analogue ; or, elle se plaint d'être encombrée par des recours de cette nature. En est-il de même en Andorre ?

P.V.T. : Non, compte tenu de la taille de la société andorrane et de la prudence du législateur qui, lorsqu'il a élaboré la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel, a introduit un filtre pour les cas des recours pour la protection des droits fondamentaux prévus dans l'article 10 de la constitution. Or la récente réforme législative du 22 avril 1999 a supprimé ce filtre mais n'a pas laissé les portes ouvertes à un phénomène comparable au phénomène espagnol. Le nombre d'affaires a augmenté dans les six premiers mois de la réforme, mais il est encore trop tôt pour savoir s'il s'agit d'une tendance soutenue. Personnellement je ne le crois pas, parce que le nombre élevé d'affaires pendant les premiers mois est la conséquence des dispositions transitoires de la loi qui permettaient aux personnes dont l'affaire avait été arrêtée par le filtre du Ministère public, de saisir directement le Tribunal constitutionnel.

  • 2 quater. Le recours en protection (amparo) contre des décisions judiciaires ne donne-t-il pas le sentiment que le Tribunal constitutionnel est dans une certaine mesure un juge de cassation ?

P.V.T. : Non, dans la mesure où le Tribunal n'est pas formellement une instance suprême de la justice ordinaire (ce qui correspond au Tribunal supérieur de justice), mais un organe juridictionnel qui dans le cas du recours d'amparo 1, doit veiller à la protection extraordinaire de certains droits fondamentaux. Il s'agit là d'une des différentes fonctions de garantie de l'efficacité de la Constitution, compétence de notre Tribunal.

  • 3. Que pensez-vous de la pratique de l'opinion dissidente ? Serait-elle possible pour votre tribunal ?

P.V.T. : Il me semble que ce sujet a été discuté au cours de la période constituante et le législateur a finalement décidé d'écarter cette option, avec la finalité de renforcer l'autorité et le caractère collégial des décisions du Tribunal constitutionnel.

  • 4. En cas de partage des voix, celle du rapporteur est prépondérante. Comment appréciez-vous cette règle qui n'apparaît dans aucune autre juridiction constitutionnelle ?

P.V.T. : C'est une formule excellente parce qu'elle donne une prépondérance au rapporteur qui est par définition celui qui a le plus à dire sur l'affaire et de plus, elle limite la prépondérance du président du Tribunal à des fonctions non juridictionnelles.

  • 5. Le ministère d'avocat est-il indispensable pour saisir le Tribunal constitutionnel ?

  • 6. La procédure est essentiellement écrite. Le Tribunal ne pourrait-il pas procéder à l'audition des parties avec leurs avocats ?

P.V.T. : Le Tribunal constitutionnel agit toujours en suivant la procédure écrite conformément aux termes prévus par la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel.

  • 7. Les débats devant le Tribunal constitutionnel sont-ils publics ; les plaideurs ou leurs avocats peuvent-ils intervenir ?

  • 8. La loi qualifiée (art. 1er) place dans les frais de justice ceux relatifs à la comparution des témoins. Le tribunal a-t-il eu l'occasion de faire comparaître des témoins ? Dans quelles circonstances pourrait-il y procéder ?

P.V.T. : Jusqu'à présent le Tribunal n'a jamais fait comparaître des témoins.

  • 9. Les frais d'un recours à votre tribunal sont-ils élevés ?

P.V.T. : La justice constitutionnelle est gratuite, cependant les frais matériels engagés par les prétentions des parties (frais de défense, représentation, etc.) sont à la charge des parties.

  • 9 bis. La loi qualifiée prévoit la possibilité d'une condamnation aux dépens ? Le tribunal a-t-il prononcé une telle condamnation ? Dans quelles circonstances pourrait-il le faire ?

P.V.T. : L'article 41.2 de la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel prévoit qu'une partie puisse être condamnée aux dépens si sa demande est estimée irraisonnée ou téméraire. Le Tribunal a condamné aux dépens une seule fois, dans l'affaire 97-1-RE parce qu'il a considéré que les prétentions de la partie demanderesse en recours d'amparo avaient une intention dilatoire.

  • 10. Votre Tribunal peut connaître des contentieux disciplinaires pour les membres du gouvernement ; ceux-ci et les décisions du Tribunal constitutionnel dans ce domaine sont-ils nombreux ?

  • 11. Dans quel délai le Tribunal constitutionnel est-il amené à prendre ces décisions ?

P.V.T. : Le délai maximum pour rendre une décision est de deux mois à compter de la décision de recevabilité de la demande (art. 49 et 91.2 de la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel).

  • 12. Le Tribunal constitutionnel est-il à la fois juge constitutionnel et juge administratif ; est-il plus souvent l'un ou l'autre ?

  • 13. Votre Tribunal accepte-t-il la rétroactivité des lois ? Des actes administratifs ?

  • 14. Acceptez-vous ou accepteriez-vous que le législateur puisse prendre une loi validant un acte administratif illégal ?

  • 15. La constitution et votre jurisprudence assurent-elles la supériorité du droit international sur le droit interne ?

P.V.T. : En effet, les articles 3 et 4, ainsi que le chapitre III de la Constitution développent dans quelles conditions la supériorité du droit international sur le droit interne est assurée, ainsi que l'exigence de l'intégration dans l'ordonnancement juridique andorran des traités et des accords internationaux.

  • 16. Votre tribunal a-t-il eu à intervenir pour la défense de l'environnement ?

P.V.T. : En effet, le Tribunal a été saisi d'une affaire (96-6-RE) qui posait le problème de savoir si l'association pour la protection des animaux, des plantes et de l'environnement (APAPMA) avait la capacité d'agir en justice pour la défense d'un intérêt général. Le Tribunal a décidé que le recours d'APAPMA n'était pas une action populaire reposant seulement sur la défense de la légalité ; elle tendait à défendre un intérêt très précis qui était celui de l'environnement et qui faisait partie de ses objectifs statutaires.

  • 17. Pour chaque affaire, le rapporteur est tiré au sort. Ne pensez-vous pas qu'il serait préférable de spécialiser chaque magistrat par grandes catégories d'affaires ?

P.V.T. : Le tirage au sort a été une bonne formule parce que tous les magistrats se sont familiarisés avec toutes les procédures. À titre strictement personnel, je pense que cette formule est meilleure que celle de la spécialisation qui pourrait avoir quelques inconvénients dans un domaine tel que celui de la justice constitutionnelle.

  • 18. Votre tribunal est juge des conflits de compétence qui peuvent opposer des institutions de la Principauté. Ces conflits sont-ils nombreux ? N'y a-t-il pas le risque de placer le Tribunal constitutionnel en plein milieu d'une polémique à caractère politique ?

P.V.T. : Ces conflits n'ont pas été nombreux quantitativement, mais il y en a eu de diverses sortes, et jusqu'à présent, justement à cause de la manière strictement juridico-constitutionnelle dont le Tribunal constitutionnel les a abordés, nous avons contribué à une bonne solution du conflit, et dans une large mesure, à sa dépolitisation.

  • 19. Les tribunaux judiciaires peuvent-ils soulever des exceptions d'inconstitutionnalité ou d'illégalité et dans ce cas saisir le Tribunal constitutionnel ?

  • 20. En statuant sur la légalité d'un acte administratif, le Tribunal constitutionnel peut-il se prononcer sur la constitutionnalité de la loi qui a permis cet acte administratif ?

  • 21. Le contrôle de la loi par le Tribunal constitutionnel est-il préalable à sa publication ou intervient-il après cette publication et dans ce cas dans quel délai ?

  • 22. Le Tribunal constitutionnel est-il maître de son budget ?

P.V.T. : En effet, il a une totale autonomie budgétaire, une fois le projet de budget approuvé par la réunion plénière du Tribunal et, dans les délais prévus par la loi générale des Finances publiques, il le transmet au Chef du gouvernement pour son incorporation au projet de loi du budget général.

  • 23. Le Tribunal constitutionnel doit-il prochainement disposer d'un site sur Internet ?

P.V.T. : Cela a été envisagé, et en principe le Tribunal devrait avoir un espace à lui dans le site Internet des institutions publiques andorranes.

  • 24. Les décisions du Tribunal constitutionnel sont-elles connues du grand public ?

P.V.T. : Oui, elles le sont dans la mesure où la presse et les moyens de communication en donnent un ample retentissement et de plus elles sont publiées au Bulletin officiel de la Principauté d'Andorre, et dans les recueils de jurisprudence constitutionnelle (quatre volumes ont été publiés) qui sont publiés tous les ans par le Tribunal constitutionnel.

  • 25. Le Tribunal constitutionnel - dont les membres ne sont pas actuellement tous de nationalité andorrane - est-il bien accepté et apprécié par les institutions et la population de la Principauté ?

P.V.T. : À mon avis personnel, je pense que le Tribunal constitutionnel a été bien accepté, par la grande partie de la population car il a fait la preuve de son indépendance. J'espère que cela continuera.

  • 25 bis. Les décisions du Conseil constitutionnel ont-elles parfois entraîné des réactions assez vives des milieux politiques ou professionnels ?

P.V.T. : Les réactions suscitées par les décisions de ce Tribunal soulèvent logiquement des commentaires, surtout pour les affaires qui ont eu un plus grand retentissement médiatique, mais ces commentaires ont toujours été modérés et surtout le Tribunal n'a jamais été mis en question.

  • 26. Au nom de qui les décisions de justice sont-elles rendues dans la principauté d'Andorre ?

(Cf. La présentation du Tribunal constitutionnel d'Andorre)