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Chronique de droit pénal et procédure pénale

Virginie PELTIER - Maître de conférences Université de Bordeaux Institut de sciences criminelles et de la justice (EA 4633) et Évelyne BONIS-GARCON - Professeure agrégée de droit privé et sciences criminelles Université de Bordeaux Institut de sciences criminelles et de la justice (EA 4633)

Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2016, n° 50, p. 103

I - DROIT PÉNAL SPÉCIAL

Délit de fuite et droit de ne pas s'auto-accuser

Cass. crim., 19 août 2015, n° 15-81.055

La chambre criminelle a été saisie d'une très intéressante question prioritaire de constitutionnalité relative à l'articulation entre la qualification pénale de délit de fuite et le principe selon lequel nul ne peut contribuer à sa propre condamnation, encore connu sous l'expression d'interdiction de s'auto-accuser (et non s'auto-incriminer car seul le législateur a le pouvoir d'incriminer un comportement, c'est-à-dire d'en faire un fait infractionnel par la définition de ses éléments constitutifs ; le justiciable ne peut que s'accuser d'avoir commis un acte répréhensible). En l'espèce, un individu poursuivi pour délit de fuite faisait valoir que les articles 434-10 du code pénal et L. 231-1 du code de la route qui répriment cette infraction, en ce qu'ils obligent le conducteur ayant causé un accident et encourant, de ce fait, une responsabilité pénale, à s'arrêter sur les lieux, le temps de permettre son identification et de déterminer les causes de l'accident, sont contraires aux droits de la défense et au principe de la présomption d'innocence, garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lesquels ont pour corollaire le droit de se taire et celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination. L'argument était séduisant : contraindre quelqu'un à s'arrêter après avoir causé un accident de la circulation revient à l'obliger à se dénoncer.

Pourtant, la chambre criminelle refuse de transmettre la question au Conseil constitutionnel pour défaut de caractère sérieux, au motif que l'obligation faite au conducteur d'un véhicule de s'arrêter après un accident ne porte atteinte ni aux droits de la défense ni au principe de la présomption d'innocence puisque l'intéressé a le droit de ne faire aucune déclaration incriminante et peut contester sa responsabilité dans la cause de l'accident, celle-ci devant, en outre, en matière pénale, être démontrée par l'autorité de poursuite.

La question posée est donc celle du domaine d'application du droit de ne pas participer à sa propre accusation (CEDH, 25 fév. 1993, Funke c. France, n° 10558/83 ; 8 fév. 1996, John Murray c. R-U, n° 18731/91 ; 17 déc. 1996, Saunders c. R-U, no 19187/91 ; 29 juin 2007, O. Halloran et Francis c. R-U, no 15809/02 et no 25624/02 ; 20 oct. 1997, Serves c. France, n° 82/1996/671/893). En effet, selon la Cour européenne des droits de l'homme, cette garantie, tirée de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales consacrant le droit à un procès équitable, n'a vocation à s'appliquer que lorsque celui qui l'invoque est un accusé en matière pénale, au sens que la cour octroie à ces termes. S'il ne fait pas de doute que le délit de fuite relève de cette dernière puis qu'il est une qualification du droit pénal français, celui qui la commet est-il, au moment où il se dénonce, un accusé au sens conventionnel du terme ? Rien n'est moins sûr même si l'accusation « correspond aussi à la notion de »répercussions importantes sur la situation« du suspect » (voir, par exemple, les arrêts Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A, n° 35, p. 22, § 42, et p. 24, § 46, et Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A, n° 51, p. 33, § 73) (CEDH, 20 oct. 1997, Serves c. France, préc., n° 42), la cour la définissant « comme la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale » (ibid.). Or, en l'espèce, l'auteur d'un délit de fuite, lorsqu'il se dénonce, ne s'est vu notifier aucun reproche puisque, précisément, l'obligation qui lui est faite sert précisément à son identification en vue d'une poursuite éventuelle. Ce n'est donc que lorsqu'il fera l'objet d'une procédure qu'il pourra alors revendiquer la protection de l'article 6§1, la cour estimant qu'elle a vocation à s'appliquer dès le stade de l'enquête de police (CEDH, 8 fév. 1996, John Murray c. R-U, préc.).

On comprend alors la réponse de la Cour de cassation qui, si elle affirme que l'obligation faite à un conducteur de s'arrêter ne porte en elle-même aucune atteinte aux droits de la défense, c'est-à-dire au droit de ne pas participer à sa propre accusation, ni au respect de la présomption d'innocence auquel la cour européenne rattache cette prérogative (CEDH, 17 déc. 1996, Saunders c. R-U, préc.), ne s'en tient pas pour autant à l'affirmation que l'article 6§1 de la convention, qui régit une procédure pénale (l'accusation au sens de l'article 6), ne s'applique par conséquent pas à une incrimination.

Elle prend soin d'indiquer que, de toute façon, en cas de procédure subséquente, les garanties inhérentes au droit de ne pas s'auto-accuser deviendront efficientes : « l'intéressé a le droit de ne faire aucune déclaration incriminante et peut contester sa responsabilité dans la cause de l'accident, celle-ci devant, en outre, en matière pénale, être démontrée par l'autorité de poursuite ». En effet, on l'a dit, c'est au moment où l'auteur du délit de fuite se trouvera « accusé » qu'il pourra se prévaloir des garanties inhérentes à l'article 6§1 censées le mettre à l'abri d'une coercition abusive de la part des autorités (qui ne doivent pas se servir d'éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'accusé), éviter des erreurs judiciaires et garantir le résultat voulu par l'article 6 selon la formule consacrée (voir, par ex., CEDH, 8 fév. 1996, John Murray c. R-U, préc).

Or, pour apprécier si le droit de ne pas s'auto-accuser a été respecté par les autorités, la cour européenne se place au jour de l'accusation et non au jour où les propos ont été tenus. Cependant, elle ne s'interdit pas de tenir compte d'éléments antérieurs à la notification des reproches qui, parce qu'ils ont été ensuite retenus contre l'agent l'ont placé dans la situation d'un accusé en matière pénale. En d'autres termes, si au jour où l'individu tient ses propos, ceux-ci ne sont pas forcément constitutifs d'une auto-accusation, il n'est pas, pour la cour, exclu qu'ils le deviennent si, par la suite, en fonction de l'usage qui en est fait par les enquêteurs, ils sont mis à la charge de l'agent, celui-ci se retrouvant par là même dans la position d'un accusé au sens de l'article 6§1 (CEDH, 20 oct. 1997, Serves c. France, préc. : après annulation d'un premier réquisitoire introductif d'instance mentionnant sa participation aux faits objet de l'information, le requérant -- qui n'était pas visé par le second réquisitoire mais avait été convoqué comme témoin par le juge d'instruction -- avait refusé de déposer, entraînant sa condamnation sur le fondement de l'article 109 du code de procédure pénale. La cour estime que, même si sa condamnation ne heurte pas le droit de ne pas participer à sa propre incrimination, le requérant se trouvait en position d'accusé). Rapportant ce cas de figure à la question posée à la cour, on pourrait donc considérer que, même si l'auteur du délit de fuite n'est pas un accusé au moment où il se livre, il va le devenir lorsque les enquêteurs, se fondant sur ses déclarations antérieures, lui imputeront officiellement les faits qu'il aura lui-même dénoncés. Il pourra donc, à cet instant, soulever le caractère inconventionnel des propos que l'on retient contre lui, la garantie de l'article 6§1 jouant bien dans le cadre d'une accusation en matière pénale, même si elle tient compte de propos tenus antérieurement à cette dernière.

Même si le Conseil constitutionnel n'a pas, en la matière, une position aussi étayée que la cour européenne (Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC ; 27 janv. 2012, n° 2011-214 QPC), la chambre criminelle choisit d'éviter le risque d'une invalidation en refusant de lui transmettre la question et en s'en tenant à une motivation, certes minimale, mais qui répond malgré tout à l'interrogation soulevée. En revanche, elle s'expose à voir sa jurisprudence passée au crible des solutions, pas toujours très claires, de la Cour européenne des droits de l'homme, si l'auteur de la question, condamné pour délit de fuite, décide de la saisir. (V. P.)

Interdiction de construire de nouveaux gallodromes

Cons. const., 31 juill. 2015, n° 2015-477 QPC

Un individu, poursuivi pour avoir construit un gallodrome en violation du 8e alinéa de l'article 521-1 du code pénal, soulevait, dans une question prioritaire de constitutionnalité, son caractère potentiellement inconstitutionnel au regard de l'alinéa 7 du même texte qui, s'il excepte des peines prévues par le texte pour sévices graves infligés à des animaux l'organisation des courses de taureaux et des combats de coqs, ne prévoit pas l'interdiction de construire de nouvelles arènes alors qu'il prohibe la construction de gallodromes. La chambre criminelle s'interrogeant, elle aussi, sur une atteinte potentielle au principe d'égalité devant la loi que susciterait cette disparité de situations, choisit de transmettre la question au conseil. Celui-ci se livre à une application classique en rappelant la règle : « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

De fait, loin d'apporter une exception au principe, par une faveur qui serait accordée à l'organisation des corridas, le conseil sépare deux situations se distinguant par leur nature, ce qui est d'ailleurs corroboré par l'objectif affiché par la loi n° 64-690 du 8 juillet 1964 (modifiant la loi n° 63-1143 du 19 novembre 1963 relative à la protection des animaux). Effectivement, le texte excepte de toute responsabilité pénale l'organisation de combats de coqs tout en prévoyant, malgré tout, l'interdiction de construire de nouveaux lieux pour qu'ils s'y déroulent, de façon à, certes, encadrer la pratique mais aussi à en accompagner la disparition.

Rien de tel avec la tauromachie qui jouit d'une assise légale incontestable : d'une part, le législateur n'a jamais envisagé sa disparition -- contrairement aux combats de coqs -- et, d'autre part, le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision du 21 septembre 2012, que l'article 521-1 du code pénal, qui ne permet l'organisation de corridas que dans des régions pouvant invoquer une tradition locale ininterrompue, ne porte pas en cela atteinte au principe d'égalité devant la loi, le législateur ayant seulement choisi de traiter différemment des situations, somme toute, différentes (Cons. const., 21 sept. 2012, n° 2012-271 QPC)... La question se règle, une fois encore, sur le constat de pratiques diverses justifiant par conséquent des réponses spécifiques et adaptées. (V. P.)

II - PROCÉDURE PÉNALE

Procédure de comparution immédiate. Saisine de la juridiction de jugement. Rôle du JLD

Cass. crim., 22 juill. 2015, n° 15-90.010

La chambre criminelle a été saisie d'une intéressante question prioritaire de constitutionnalité relative à la saisine de la juridiction de jugement selon la procédure rapide dite de comparution immédiate. En l'espèce, un individu poursuivi pour vol aggravé en récidive faisait valoir que l'article 396 alinéa 3 du code de procédure pénale en ce qu'il attribue au juge des libertés et de la détention compétence pour saisir le tribunal correctionnel et mettre en accusation, par une seule et même ordonnance de placement en détention provisoire insusceptible d'appel-réformation serait incompatible avec les principes de valeur constitutionnelle de séparation des fonctions de justice, de présomption d'innocence, du droit à un procès équitable, de compétence de l'autorité judiciaire pour sauvegarder la liberté individuelle et enfin du double degré de juridiction. L'argument relatif à la séparation des fonctions est des plus pertinents dans la mesure où l'article 396, alinéa 3 du code est le seul texte qui permet au juge des libertés et de la détention, devant lequel le procureur de la République a traduit le prévenu s'il décide une comparution immédiate et si la réunion du tribunal est impossible le jour même, de saisir, par sa décision sur la liberté, le tribunal. À côté des effets classiques attachés à l'ordonnance et en lien avec la privation de liberté, l'ordonnance du juge produit cette conséquence exceptionnelle pour une décision de placement en détention provisoire : elle « saisit le tribunal ». L'argument invoqué par le demandeur au pourvoi tenant à une prétendue violation du principe de séparation des fonctions pouvait, à ce titre, sembler convaincant.

Pourtant, la chambre criminelle refuse de transmettre la question au Conseil constitutionnel pour défaut de caractère sérieux, en répondant plus précisément à deux des divers moyens invoqués : celui tenant à la méconnaissance du principe de la séparation des fonctions et celui relatif au double degré de juridiction.

Au premier plan, elle dit n'y avoir lieu à renvoi au motif que*, « l'article 396, alinéa 3 du code de procédure pénale prévoit que le juge des libertés et de la détention (...) statue sur les seules réquisitions aux fins de détention provisoire ; que la juridiction de jugement est saisie des seuls faits qui sont l'objet de la poursuite, tels qu'ils figurent dans le procès-verbal dressé par le procureur de la République lors du défèrement ; que le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas autorité de poursuite, ne peut modifier cette saisine et se borne à fixer la date à laquelle le prévenu doit comparaître devant le tribunal correctionnel, dans la limite du troisième jour ouvrable suivant, à peine de caducité du mandat de dépôt ».*

Elle invite ainsi à se livrer à une analyse très concrète et parfaitement justifiée des missions assurées par le juge des libertés et de la détention. Certes, il saisit le tribunal après avoir statué sur la détention provisoire sollicitée par le procureur de la République mais il ne se livre à aucune appréciation par rapport à l'opportunité ou pas de procéder à un tel renvoi. La saisine du tribunal est en quelque sorte un effet automatique de la décision de placement en détention provisoire. Le parquet a en effet déjà opté de façon irrévocable pour le renvoi devant la juridiction de jugement via la procédure de la comparution immédiate. Il n'a plus les moyens de revenir sur le choix de ce renvoi, pas plus que le juge des libertés et de la détention ne peut, par son ordonnance, dessaisir cette juridiction. Le juge des libertés et de la détention n'a pas en outre, le pouvoir de modifier l'étendue de la saisine de la juridiction laquelle est délimitée par le procès-verbal du procureur de la République dressé conformément aux dispositions de l'article 393 du code de procédure pénale. La Cour de cassation a à cet égard déjà eu l'occasion de juger que les faits tels qu'énoncés dans l'ordonnance prescrivant le placement en détention provisoire, s'ils sont différents de ceux visés dans le procès-verbal dressé par le procureur de la République, sont sans incidence sur l'étendue de la saisine du tribunal (Cass. crim., 18 déc. 2013, pourvoi n° 13-81.168).

Au second argument relatif au double degré de juridiction la Cour énonce que « si l'ordonnance de placement en détention n'est pas susceptible d'appel, le prévenu, lors de sa comparution à bref délai devant le tribunal correctionnel, voit nécessairement sa privation de liberté examinée de nouveau ; qu'il dispose, en outre, du droit de présenter tous moyens de nullité visant à contester les modalités de la saisine du juge des libertés et de la détention et les dispositions incluses dans son ordonnance ; que l'article 396, alinéa 3, précité, assure aux justiciables placés dans une telle situation des garanties égales ; qu'ainsi, l'absence de double degré de juridiction ne fait pas obstacle au droit reconnu à l'intéressé de disposer d'autres moyens de contestation dans des délais appropriés ». La disposition en cause ici n'était pas tant l'article 396, alinéa 3 que l'alinéa 2 in fine de cet article qui dispose que l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention statue sur les réquisitions de placement de détention provisoire n'est pas susceptible d'appel (v. en ce sens, Cass. crim., 1er févr. 2006, Bull. crim. (ord. prés.), n° l). Le législateur a en effet souhaité ici doter cette décision d'un effet immédiat en privant non seulement l'appel de son effet suspensif classique mais plus radicalement en interdisant au prévenu toute possibilité d'interjeter appel de l'ordonnance. (E. B.-G.)

Détention provisoire en attente du jugement

Cass. crim. 22 juill. 2015, n° 15-90.008

L'article 179 du code de procédure pénale régit la question de la clôture de l'instruction et du renvoi devant la juridiction de jugement. Si, par principe, l'ordonnance de renvoi en matière correctionnelle met fin aux mesures privatives ou restrictives de liberté prises durant l'instruction, il est possible pour le juge d'instruction, au moyen d'une ordonnance distincte spécialement motivée, de maintenir le prévenu en détention jusqu'à sa comparution devant la juridiction de jugement. Afin d'éviter toutefois que cette possibilité ne vienne priver trop longtemps un individu de sa liberté, l'alinéa 4 du même article dispose que « le prévenu en détention est immédiatement remis en liberté si le tribunal correctionnel n'a pas commencé à examiner au fond à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date de l'ordonnance de renvoi ». Le point de départ de ce délai de deux mois semble ainsi aisément identifié comme étant la date de l'adoption de l'ordonnance de renvoi. Or, si la chambre criminelle de la Cour de cassation en a ainsi longtemps jugé (Cass. crim., 11 déc. 2001 : Bull. crim., n° 260 ; 18 août 2010, Bull. crim. n° 125), elle a, plus récemment, retenu comme point de départ de ce délai, la date à laquelle l'ordonnance est devenue définitive par deux arrêts rendus le 5 février 2014 (Cass. crim., 5 févr. 2014 : Bull. n° 36 et n° 37). La solution a été reconduite par un arrêt rendu le 19 mars 2014. La chambre criminelle y énonce que la chambre de l'instruction qui déclare un appel interjeté contre une ordonnance de maintien en détention provisoire irrecevable et ordonne le maintien en détention de l'appelant n'a ni à en fixer la durée ni à en ordonner la prolongation à l'issue d'un délai de deux mois, ce délai, tel qu'il est prévu par l'article 179, alinéa 4 du code, ne commençant à courir qu'à partir du jour où l'ordonnance de renvoi est devenue définitive (Cass. crim., 19 mars 2014, Bull. crim. n° 91).

Cette jurisprudence récente de la Cour de cassation qui modifie ainsi sensiblement la portée de l'article 179 n'est-elle pas contraire aux articles 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ? Telle était la question soumise à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, par un arrêt du 22 juillet dernier a dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel. Pour qualifier la question de non sérieuse, la cour rappelle d'une part que la durée de la détention provisoire dans le cas présent, comme la procédure elle-même en général, ne saurait excéder, un délai raisonnable et d'autre part, que l'intéressé peut, à tout moment, présenter une demande de mise en liberté à laquelle il doit être répondu par décision motivée dans les stricts délais fixés par l'article 148-2 du même code, tout comme la chambre de l'instruction peut en application de l'article 201, alinéa 2, prononcer d'office, la mise en liberté de la personne concernée.

Ces arguments permettent assurément à la Cour de cassation de ne pas revenir sur la jurisprudence par laquelle elle a défini de façon récente le point de départ du délai. Il n'en demeure pas moins que cette décision laisse sceptique sur la pertinence de cette interprétation défavorable au prévenu dans le cas d'un texte pourtant on ne peut plus clair. (E. B.-G.)

Secret de l'instruction. Pouvoir de communication du parquet

Cass. crim., 30 sept. 2015, n° 15-90.014

À l'occasion du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris le 17 février 2015 dans le litige concernant la société financière et immobilière Bernard T., le demandeur au pourvoi contestait la conformité à la Constitution de l'article 11 du code de procédure pénale tel qu'interprété par la Cour de cassation en ce qu'il réserve au ministère public la faculté de s'affranchir du secret de l'instruction pour lui permettre de produire, dans le cadre d'une instance civile où il est partie jointe et peut donner son avis, certains éléments d'une instruction en cours, sans permettre aux autres parties de faire de même, pour produire des éléments à décharge recueillis au cours de cette même instruction. Était ainsi posée la question de la conformité des règles régissant la portée du principe du secret de l'instruction à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 relatif au principe de l'égalité mais aussi aux droits de la défense et au principe du contradictoire. Plus précisément, était en cause non pas l'article 11 du code de procédure pénale lui-même mais l'interprétation jurisprudentielle qu'en donne la Cour de cassation qui, de façon constante et déjà ancienne, juge que le secret de l'instruction n'est pas opposable au ministère public qui, dans l'exercice des missions que la loi lui attribue a qualité pour apprécier l'opportunité de communiquer au juge une procédure judiciaire de nature à l'éclairer (Cass. civ. 1re, 10 juin 1992, Bull. civ. n° 176 ; Cass. com., 15 nov. 1961, JCP 1962.II. 636, note Gavalda ; 29 janv. 1968, Bull. civ. IV, n° 45). De cette jurisprudence, il résulte donc que le ministère public est fondé à communiquer des pièces tirées d'une procédure en cours, nonobstant le principe du secret de l'instruction qui s'impose à lui en tant que personne qui concourt à la procédure, chaque fois que cette communication est nécessaire au bon accomplissement de la mission dont il est investi.

C'est donc sans surprise que la Cour de cassation refuse de transmettre la question au Conseil constitutionnel pour défaut de caractère sérieux. La motivation de la décision de non-lieu à renvoi est toutefois digne du plus grand intérêt car la Cour de cassation juge que « d'une part, cette faculté relève des missions spécifiques d'intérêt général que la loi lui attribue, notamment en matière civile, d'autre part, le secret de l'instruction ne s'impose, en application de l'article 11 susvisé, aux personnes concourant à cette procédure, que sous la réserve des nécessités de l'exercice des droits de la défense, enfin, les informations transmises par le ministère public sont régulièrement communiquées et soumises à la libre discussion contradictoire de toutes les parties ». Trois éléments sont ainsi clairement mis en exergue pour justifier la levée du secret et souligner en même temps son caractère exceptionnel. Tout d'abord, la levée du secret en cours d'enquête ou d'instruction doit être décidée par le parquet eu égard aux missions qui sont les siennes comme partie jointe ou comme partie principale dans une procédure au sens de l'article 421 du code de procédure civile. Ensuite, cette levée du secret doit être justifiée par les nécessités de la défense. Enfin, le principe du contradictoire doit être respecté.

La Cour de cassation ne prend pas en revanche position sur un autre argument qui était sous-jacent dans l'argumentation du demandeur à savoir l'idée d'une certaine égalité des armes entre le parquet et les autres parties puisque la question prioritaire posée faisait état du fait que ce droit reconnu au parquet ne saurait exister « sans permettre corrélativement aux autres parties de faire de même, pour produire des éléments à décharge recueillis au cours de cette même instruction ». Le silence gardé sur ce point doit être loué car l'argument était sans pertinence. Les autres parties sont, par hypothèse, des parties privées, qui, à ce titre, ne sont pas tenues au secret de l'instruction en ce qu'elles ne concourent pas à la procédure. (E. B.-G.)

III - PEINES

Pêche prohibée. Cumul de sanctions administrative et pénale

Cass. crim., 5 août 2015, n° 15-90.007

Un individu, poursuivi pour avoir pêché une espèce dans une zone interdite, omis de peser ou de faire peser ses produits de pêche maritime au débarquement et entravé le contrôle de la pêche maritime, contestait la conformité à la Constitution des articles L. 945-3, L. 945-4, L. 945-5 du code rural et de la pêche maritime, érigeant un certain nombre d'actes (dont ceux commis par le prévenu) en infractions pénales, et L. 946-1 du même code instituant, quant à lui, des sanctions administratives pour les mêmes manquements. Bien que la question n'y fasse pas référence, c'est davantage la conformité de la combinaison de ces textes -- qui n'interdisent pas les cumuls de poursuite -- que leur validité intrinsèque qui faisait grief à son auteur.

La Cour de cassation refuse de la transmettre au conseil pour défaut de caractère sérieux au double motif que, « d'une part, le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits, commis par une même personne, puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions administratives ou pénales, en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction (...) ; que, d'autre part, l'exigence constitutionnelle de proportionnalité impose qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ». Le premier motif n'est que la reprise d'un considérant classique du Conseil constitutionnel que l'on retrouve, notamment, dans sa décision du 18 mars 2015 en matière de délit et de manquement d'initié dans laquelle le conseil a fixé quatre critères pour refuser les pluralités de poursuites et les cumuls de peines qui s'ensuivraient : l'identité de faits couverts par les qualifications en concours, d'intérêts protégés par les mêmes, l'identité de nature des sanctions fulminées et l'identité d'ordre des juridictions compétentes (Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et n° 2015-462 QPC : JCP G 2015, 368, obs. F. Sudre et 369, obs. J.-H. Robert, Dr. pén. 2015, comm. 79, Nouveaux Cahiers 2015, n° 48, p. 187s). Toutefois, même si, comme dans le cas de la matière boursière -- au cœur de la décision du 18 mars -- la solution du conseil prohibe les cumuls de procédure et, par conséquent, de sanctions, elle ne s'oppose en aucun cas à ce que les autorités de poursuite disposent d'un choix entre deux voies, l'une pénale, l'autre administrative, chaque ordre de juridiction ayant ensuite vocation à appliquer son propre corps de règles devant ses tribunaux...

On notera d'ailleurs qu'en application des critères constitutionnels, plusieurs poursuites seraient envisageables en matière de pêche illégale puisque les juridictions compétentes appartiennent à des ordres différents : pénal et administratif... C'est la raison pour laquelle la cour précise en outre, dans son second motif, qu'en tout état de cause, le principe de proportionnalité impose que les sanctions infligées ne dépasse pas le montant le plus élevé des sanctions encourues selon une solution désormais classique (Cons. const., 28 juill. 1989, n° 89-260 DC ; 30 déc. 1997, n° 97-935 DC ; 27 sept. 2013, déc. n° 2013-341 QPC ; 13 mars 2014, n° 2014-690 DC). (V. P.)

Revue doctrinale

Articles relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel

26 septembre 2014

2014-416 QPC

Association France Nature Environnement [Transaction pénale sur l'action publique en matière environnementale]

-- Giorno, Marie-Coline. « La double validation de la transaction pénale en matière environnementale », Droit de l'environnement, juillet-août 2015, n° 236, p. 266-272.

28 novembre 2014

2014-432 QPC

M. Dominique de L. [Incompatibilité des fonctions de militaire en activité avec un mandat électif local]

-- Roblot-Troizier, Agnès. « La Constitution, la défense nationale et le militaire », Revue française de droit administratif, mai-juin 2015, n° 3, p. 608-613.

27 février 2015

2014-450 QPC

M. Pierre T. et autre [Sanctions disciplinaires des militaires -- Arrêts simples]

-- Roblot-Troizier, Agnès. « La Constitution, la défense nationale et le militaire », Revue française de droit administratif, mai-juin 2015, n° 3, p. 608-613.

18 mars 2015

2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC

M. John L. et autres [Cumul des poursuites pour délit d'initié et des poursuites pour manquement d'initié]

-- Botton, Antoine. « Droit pénal des affaires. Délit d'initié. Cumul de sanctions administratives et pénales », Revue pénitentiaire et de droit pénal, avril-juin 2015, n° 2, p. 367-370.

-- Idoux, Pascale. « L'inconstitutionnalité de la double répression des abus de marché », Revue Lamy de la Concurrence, juillet-septembre 2015, n° 44, p. 95-96.

-- Mauzy, Jean-Roch. « La décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 : un raisonnement d'initié ? », Les Petites Affiches, 30 juillet 2015, n° 151, p. 4-21.

-- Peltier, Virginie. « Non-cumul des sanctions. Principe non bis in idem », Revue pénitentiaire et de droit pénal, avril-juin 2015, n° 2, p. 419-425.

-- Stasiak, Frédéric. « Cumul de poursuites pénales et administratives », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, avril-juin 2015, n° 2, p. 374-378.

24 avril 2015

2015-461 QPC

Mme Christine M., épouse C. [Mise en mouvement de l'action publique en cas d'infraction militaire en temps de paix]

-- Roblot-Troizier, Agnès. « La Constitution, la défense nationale et le militaire », Revue française de droit administratif, mai-juin 2015, n° 3, p. 608-613.

7 mai 2015

2015-467 QPC

M. Mohamed D. [Réclamation contre l'amende forfaitaire majorée]

-- Céré, Jean-Paul. « Procédure d'amende forfaitaire : le Conseil constitutionnel renforce le droit à un recours effectif », Actualité juridique. Pénal, septembre 2015, n° 9, p. 433-434.

-- Josseaume, Rémy ; Occhipinti, Julien. « La procédure de l'amende forfaitaire à l'épreuve du juge constitutionnel », La Gazette du Palais, 24 et 25 juin 2015, n° 175-176, p. 10-12.

-- Robert, Jacques-Henri. « De minimis curat Concilium », Droit pénal, juin 2015, n° 6, p. 34-35.

23 juillet 2015

2015-713 DC

Loi relative au renseignement

-- Desaulnay, Olivier ; Ollard, Romain. « Le renseignement français n'est plus hors-la-loi », Droit pénal, septembre 2015, n° 9, p. 6-12.

-- Verpeaux, Michel. « La loi sur le renseignement, entre sécurité et libertés. À propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 », La Semaine juridique. Édition générale, 14 septembre 2015, n° 38, p. 1639-1646.

Articles thématiques

Droit pénal

-- Amalfitano, Antonio. « Plaidoyer pour une rationalisation des sources constitutionnelles du droit pénal européen : à 250 ans de la parution de »Des délits et des peines« de Cesare Beccaria », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, avril-juin 2015, n° 2, p. 297-312.

-- Benillouche, Mikaël. « Pour la création d'une qualification unique de harcèlement », Droit pénal, septembre 2015, n° 9, p. 12-15.

-- Bezzina, Anne-Charlène. « L'identité menacée de la règle non bis in idem en droit public français », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger, juillet-août 2015, n° 4, p. 945-991.

-- Bonis-Garçon, Évelyne. « Principe de nécessité des peines et double condamnation par la France et un autre État. [Cass. crim., 15 avril 2015, n° 15-90001] », Droit pénal, septembre 2015, n° 9, p. 67-68.

-- Botton, Antoine. « À la recherche de la peine perdue en droit constitutionnel. [Dossier : À la recherche de la peine perdue] », Droit pénal, septembre 2015, n° 9, p. 36-39.

-- Cochard, Marie-Ange. « La multiplication des peines : diversité ou dilution ? [Dossier : À la recherche de la peine perdue] », Droit pénal, septembre 2015, n° 9, p. 42-44.

-- Dufour, Olivia. « Nouveau rebondissement dans la saga *non bis in idem *! », Les Petites Affiches, 29 juin 2015, n° 128, p. 4-5.

-- Kerléo, Jean-François. « La publicité-exemplarité. Le nouveau droit de la publication des sanctions administratives et juridictionnelles », Revue française de droit administratif, juillet-août 2015, n° 4, p. 751-762.

-- Rousseau, François. « Le principe de nécessité. Aux frontières du droit de punir », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, avril-juin 2015, n° 2, p. 257-271.