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L’incompétence négative à l’étranger

Jordane ARLETTAZ - Professeur de droit public, Université de Montpellier, CERCOP

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 46 (L’incompétence en droit constitutionnel) - janvier 2015 - p. 55 à 76

Résumé : Bien que dépourvue de toute équivalence terminologique, « l'incompétence négative » peut néanmoins être décelée dans le contrôle de constitutionnalité opéré par les juridictions étrangères. Une étude comparative de ces jurisprudences permet alors de révéler que le contrôle de l'incompétence négative, plus structuré que ne le connaît le contentieux français, se fonde au-delà de nos frontières sur des principes de philosophie politique ; par ailleurs plus développé que celui pratiqué par le Conseil constitutionnel, ce contrôle s'élargit au nom de principes de philosophie juridique.


L’incompétence négative peut être présentée en France comme un moyen juridictionnel permettant aux juges constitutionnels de s’inscrire dans un mouvement général de revalorisation du Parlement. En censurant le législateur pour ne pas avoir pleinement exercé sa compétence, le Conseil constitutionnel, véritable rempart contre l’émiettement progressif de la fonction parlementaire, contraindrait en effet les représentants à n’opérer ni délégations législatives excessivement généreuses(1) ni renvois systématiques au pouvoir exécutif. L’incompétence négative participerait donc de cette histoire politique qui a vu la consécration du caractère sacré de la loi à l’origine de l’omnipotence du Parlement, avant de connaître une égalisation des puissances au profit de l’exécutif sous l’effet de l’avènement de l’État-providence pour, finalement, instaurer la censure juridictionnelle d’un Parlement resté en deçà de sa compétence(2). Au terme – provisoire – de cette histoire, il est désormais acquis que l’habilitation à légiférer établie dans la Constitution doit se comprendre non plus comme une clause émancipatrice pour le Parlement et essentiellement opposable au pouvoir exécutif, mais comme une véritable obligation constitutionnelle à légiférer, adressée aux représentants élus.

Cette histoire politique étant celle de l’Occident et la pensée politique traversant – dans les deux sens – les océans, il n’est pas étonnant de constater que le droit constitutionnel étranger connaît également l’incompétence négative : les Constitutions nationales s’entendent en effet largement pour établir le cadre juridique des compétences du législateur à travers les nombreuses réserves de loi et les juges constitutionnels pour interpréter ces réserves comme autant de contraintes juridiques à l’égard du Parlement(3). La compétence législative s’impose et le respect de l’exercice effectif de celle-ci relève du contrôle de constitutionnalité.

L’analyse comparative du contrôle de l’incompétence négative présente néanmoins une difficulté sérieuse en même temps qu’elle emporte un étonnement stimulant. La difficulté réside dans une contrainte linguistique bien connue des comparatistes. Les jurisprudences étrangères ne connaissent pas en effet l’expression « incompétence négative », témoignant ainsi de l’existence d’une spécificité française. Devant cet obstacle terminologique que révèle la présence de la chose sans le mot, l’exploration du droit constitutionnel étranger s’est nécessairement intéressée aux censures juridictionnelles d’un Parlement défaillant en raison d’une insuffisance législative pouvant s’apparenter à une incompétence négative : cette dernière doit dès lors s’entendre ici de manière large(4), prenant la forme d’une sanction soit de l’imprécision normative, soit d’un renvoi inconstitutionnel au pouvoir exécutif, soit, de manière originale, d’une omission législative(5).

L’étonnement se fait à travers le constat de l’absence, dans une grande majorité d’États, de dispositions constitutionnelles conférant de manière expresse aux juges suprêmes, le pouvoir de contrôler et de sanctionner l’incompétence négative. Ni la réserve de loi, ni les dispositions relatives aux cours constitutionnelles ne prévoient en effet explicitement la censure d’un législateur défaillant alors même que la logique invite à considérer qu’une compétence est nécessairement attribuée pour être exercée. Le contrôle juridictionnel de l’incompétence négative s’est donc généralement diffusé, en France comme à l’étranger, dans le silence de la norme suprême, le constituant n’ayant semble-t-il pas épuisé sa propre compétence en la matière. Dans ce contexte, il est alors intéressant de s’interroger, sous un angle comparé, sur les fondements juridiques d’un tel contrôle de l’incompétence négative et de s’intéresser à l’usage de ces sources dans le discours juridictionnel, au moment de déterminer l’étendue du contrôle et le type de sanction qu’accompagne un constat d’incompétence négative. La comparaison des jurisprudences étrangères enseigne alors que le contrôle de l’incompétence négative par les cours constitutionnelles puise essentiellement son fondement sur des principes de philosophie politique (I). En revanche, dans le cadre plus spécifique de la censure des omissions législatives, les juges suprêmes n’hésitent pas à convoquer des principes de philosophie juridique en vue de légitimer un activisme juridictionnel à peine dissimulé (II).

I – Les principes de philosophie politique justifiant le contrôle de l’incompétence négative

En l’absence de dispositions explicites ouvrant la voie à la censure de l’incompétence négative, les juges constitutionnels fondent leur contrôle tant sur les principes de démocratie et de libéralisme politique (A) que sur ceux propres au constitutionnalisme et à l’État de droit (B).

A - Le contrôle de l’incompétence négative au nom de la démocratie et du libéralisme

La jurisprudence constitutionnelle témoigne de la réception par les juges nationaux des théories politiques issues du libéralisme politique du XIXe siècle. La censure d’un Parlement défaillant en raison d’une loi trop lacunaire ou d’une délégation législative insuffisamment contraignante(6) se fonde ainsi essentiellement sur l’exigence démocratique de garantie de la double fonction politique du Parlement : celui-ci demeure le représentant du peuple-souverain et le garant des droits et libertés fondamentaux. La compétence législative est désormais indisponible au Parlement en ce qu’elle exprime, sur le terrain juridique et sous le contrôle du juge, la nature démocratique de l’organe en même temps que la mission libérale que la Constitution lui a assignée. Le principe démocratique, initialement au service de la souveraineté parlementaire, s’impose ainsi au législateur qui, pour ne pas avoir assez fait, encourt, sur ce fondement, la censure des juges constitutionnels.

Si le contrôle de l’incompétence négative est ainsi exercé par une grande majorité de cours constitutionnelles, il varie cependant en fonction des matières concernées. Un critère substantiel s’allie dès lors à l’exigence formelle de création normative, révélant la complexité de la réserve de loi, tantôt qualifiée de réserve fermée ou ouverte, absolue ou relative(7). En ce sens, la détermination d’un « curseur » en deçà duquel le Parlement est susceptible de faire preuve d’incompétence négative est avant tout une question de degré et d’herméneutique appelant une étude minutieuse de chacune des jurisprudences étrangères que la comparaison ne permet pas de rendre exhaustive. L’analyse comparative n’est cependant pas vaine : apparaissent en effet trois domaines faisant généralement l’objet d’un contrôle juridictionnel plus poussé que sont le domaine fiscal, la matière pénale et les droits et libertés fondamentaux. Ce triple champ substantiel, expression paroxystique du contrat social en ce qu’il touche aux origines du libéralisme politique, atteste du lien prégnant qui unit toujours, au XXIe siècle, la réserve de loi aux principes démocratiques.

Ainsi en matière fiscale, le principe constitutionnel de légalité a pour fondement premier, en Espagne, l’assurance que « les contributions que les particuliers octroient aux entités publiques soient préalablement consenties par leurs représentants » ; de cette fonction politique démocratique à laquelle est tout entier revêtu le Parlement élu, il découle que « le consentement ne serait pas une garantie mais une simple formalité si la loi qui crée un nouvel impôt ne le règlemente pas avec clarté et ne donne pas un développement normatif minimal à ses éléments essentiels ». En ce sens, le législateur « ne peut renoncer à poser une limite à l’exercice du pouvoir fiscal »(8). Dans le champ pénal et selon le juge belge, la Constitution, « en attribuant au pouvoir législatif la compétence [...] de déterminer dans quels cas et dans quelle forme des poursuites pénales sont possibles », garantit « à tout citoyen qu’aucun comportement ne sera punissable et qu’aucune peine ne sera infligée que sur la base de règles adoptées par une assemblée délibérante démocratiquement élue »(9). Enfin la protection des droits et libertés fondamentaux a mené en Allemagne à la construction jurisprudentielle de la théorie dite des « questions essentielles ». Formulée pour la première fois en 1977 dans sa version la plus explicite, cette théorie exige, selon le Tribunal de Karlsruhe, l’intervention du Parlement lorsque sont en cause des droits fondamentaux : « le principe [constitutionnel] de l’État de droit et le principe de démocratie [...] obligent le législateur à prendre lui-même les décisions essentielles en matière scolaire et à ne pas les abandonner ». Il faudrait d’ailleurs se féliciter avec le juge allemand de ce que « le domaine réservé à la loi ait été détaché de formules dépassées (ingérences dans les libertés ou la propriété) et qu’il repose sur un nouveau fondement, celui de sa fonction dans l’État de droit démocratique ». Il est vrai que, selon la Loi fondamentale et comme le relève la Cour constitutionnelle allemande dans cette même décision, la protection des droits et libertés « par le Parlement correspond à l’origine de la théorie classique du domaine réservé »(10). De même pour le Tribunal fédéral suisse(11), si « l’exigence d’une base légale formelle n’exclut pas que le législateur puisse autoriser le pouvoir exécutif, par le biais d’une clause de délégation législative, à édicter des règles de droit », cette clause « est cependant soumise à des exigences strictes [...] lorsque les droits et obligations des personnes sont en jeu. Il lui faut dans un tel cas être suffisamment précise de manière à circonscrire les lignes fondamentales de la__réglementation déléguée, soit le but, l’objet et l’étendue des pouvoirs délégués au Conseil fédéral »(12).

La démocratie ne libère plus le Parlement et devient à son égard contraignante. Mais la figure démocratique de l’organe parlementaire ne signifie pas seulement que son intervention apparaît comme d’autant plus nécessaire que la matière réglementée relève de ce qui pourrait être qualifié de « noyau dur » du pacte social. Dans sa traduction contentieuse, la démocratie est plus généralement une garantie que le Parlement remplisse pleinement son office de représentant du peuple. Dans ce cadre, l’incompétence négative s’entend plus techniquement comme un moyen juridictionnel permettant de sanctionner tant la sous-législation que la sur-délégation.

Dans le premier cas, l’assemblée démocratiquement élue ne saurait se contenter de dispositions vagues et générales : la norme législative doit être suffisamment claire et précise pour ne pas subir la sanction de l’incompétence négative. Cette exigence découle directement de la clause générale de l’État démocratique de droit chère aux Constitutions nationales des États d’Europe de l’est dont le Tribunal polonais, par exemple, en infère les « principes d’une législation raisonnable » ou « décente » parmi lesquels un impératif de stricte précision des dispositions législatives(13). Cette contrainte de nature littérale est d’autant plus forte que sont en jeu des droits et libertés. Pour le juge canadien, « les lois imprécises qui entravent les libertés fondamentales créent une voie parsemée d’incertitude sur laquelle les citoyens ont peur de s’engager, craignant des sanctions d’ordre juridique. L’imprécision ne sert qu’à semer la confusion et la plupart des gens éviteront d’exercer leurs libertés »(14). La sanction de l’incompétence négative sert donc aussi le libéralisme. Cette exigence constitutionnelle de précision demeure cependant circonscrite : la règle juridique laissant nécessairement la voie à l’interprétation, le Parlement ne saurait être contraint à faire, par la loi, ce que la nature même de l’œuvre juridique rend vain. Dès lors, pour la Cour suprême du Canada, « une disposition ne va pas à l’encontre de la théorie de l’imprécision simplement parce qu’elle est susceptible d’interprétation. Exiger une précision absolue serait créer une norme constitutionnelle impossible »(15). Ainsi par exemple, parce qu’il s’est « avéré que la tentative de donner des exemples d’obscénité exhaustifs ne pouvait qu’échouer », et « c_ompte tenu du caractère insoluble du problème et de l’impossibilité de définir précisément une notion qui est fondamentalement insaisissable, il y a peu de chance que l’on réussisse à établir une disposition plus explicite. En conséquence, on peut se demander s’il est possible d’exiger du législateur une plus grande précision et à quel prix_ »(16).

Dans le second cas, ici qualifié de « sur-délégation », le Parlement ne saurait opérer de délégations législatives si générales qu’elles pourraient s’apparenter à des délégations en blanc, susceptibles d’encourir la sanction de l’incompétence négative(17). La mal nommée doctrine de la non-délégation aux États-Unis(18) en est une des illustrations. Cette doctrine, bien que n’ayant mené à aucune censure des délégations législatives depuis 1935, entend pourtant affirmer que « le Congrès n’a pas la permission d’abdiquer ou de transférer à d’autres organes les fonctions législatives essentielles qui lui ont été conférées »(19). Elle a pour fondement premier, selon les juges fidèles à cette doctrine mais désormais largement minoritaires au sein de la Cour suprême(20), la garantie que « les décisions dans les politiques les plus fondamentales seront prises non par un organe nommé mais par le corps immédiatement responsable devant le peuple »(21) ou encore que « les choix les plus importants en matière de politique sociale soient faits par le Congrès, la branche de notre gouvernement la plus sensible à la volonté populaire »(22).

Fondée sur les principes de démocratie et du libéralisme politique, le contrôle de l’incompétence négative représente sans nul doute la traduction contentieuse des théories politiques ayant accompagné l’émancipation des Parlements vis-à-vis des autorités exécutives. L’exercice de la compétence législative est donc imposé par le juge constitutionnel au législateur qui ne peut, cette victoire acquise, brader ainsi sa médaille. Cette contrainte juridictionnelle est d’autant plus forte que la démocratie et le libéralisme ont pris aujourd’hui les formes de l’État de droit et du constitutionnalisme.

B - Le contrôle de l’incompétence négative au nom de l’État de droit et du constitutionnalisme

Le constitutionnalisme représente fort logiquement une philosophie politique qui a les faveurs du juge constitutionnel. En ce qu’ils sont largement consacrés par les Constitutions nationales, les principes de séparation des pouvoirs, de suprématie constitutionnelle et plus généralement de l’État de droit servent de fondements explicites aux censures jurisprudentielles de l’incompétence négative. Dans ce cadre, le Parlement défaillant n’est pas seulement un Parlement qui ne remplit pas sa fonction démocratique de représentant du peuple. Il s’agit aussi, pour les juges constitutionnels, de sanctionner un Parlement qui, par son inertie, transfère de fait la mission que la Constitution lui confie, à d’autres organes, violant de ce fait tant le principe de la séparation des pouvoirs que ceux inhérents à un État de droit.

Une telle violation est évidente dans le cadre de délégations législatives jugées inconstitutionnelles par les cours suprêmes en ce que le Parlement a délégué une matière qui ne pouvait l’être ou qu’il n’a pas suffisamment encadrée, par son acte de délégation, la réglementation à venir. Dans ce cas, la délégation doit alors se comprendre comme une compétence nouvelle créée par le Parlement à des organes non habilités par la Constitution à régir la matière. En Uruguay, selon la Cour suprême, la « suprématie constitutionnelle du principe de légalité formelle signifie que l’unique source de production de la loi pénale [...] réside dans les organes constitutionnellement habilités [...]. Ce principe n’admet pas que la doctrine, la jurisprudence ou la coutume nationale ou internationale puissent fonder le pouvoir punitif de l’État »(23). Au Chili, « la Constitution empêche le législateur démocratique de distribuer les compétences entre la loi et le règlement. La réserve de loi, plus qu’une garantie pour le législateur démocratique, représente [désormais] une protection contre celui-ci »(24). La Cour constitutionnelle italienne s’est quant à elle reconnue le pouvoir de sanctionner les lois de conversion des décrets-lois préalablement adoptés par le Gouvernement en cas de « nécessité extraordinaire et d’urgence »(25). L’incompétence négative est dans ce cas toute particulière puisque la procédure parlementaire s’apparente en réalité à une délégation législative a posteriori, permettant au Parlement de convertir dans les 60 jours, le décret-loi en loi, sous peine de lui faire perdre toute efficacité juridique ab initio. La loi de conversion peut alors faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité du fait que, selon le juge italien, le vice de constitutionnalité qui affecte un décret-loi se répercute sur la loi de conversion adoptée par le Parlement : « affirmer [en effet] que la loi de conversion valide dans tous les cas les vices affectant le décret signifierait attribuer en réalité au législateur ordinaire le pouvoir d’altérer la répartition constitutionnelle des compétences du Parlement et du Gouvernement quant à l’adoption des normes primaires »(26). Loin de la rhétorique démocratique, la sanction de l’incompétence négative se fonde donc ici sur la violation de la répartition des compétences établie dans la Constitution, témoignage de la dilution de l’idée philosophique de démocratie dans les principes du constitutionnalisme et de l’État de droit. Le juge constitutionnel cesse alors de revêtir les atours d’un gardien du lien électif qui unit le Parlement au peuple, pour rappeler plus prosaïquement le principe de sujétion des représentants à la norme constitutionnelle.

L’incompétence négative existe aussi, bien que de manière implicite, lorsque la norme législative se révèle trop générale ou imprécise : selon les cours suprêmes en effet, l’imprécision de la loi aurait pour effet de conférer de facto un pouvoir d’interprétation trop large aux autorités chargées de son application, qu’il s’agisse des autorités administratives comme des autorités juridictionnelles. L’imprécision de la loi s’apparenterait donc à une forme de délégation législative qui ne dirait pas son nom : lorsque le Parlement ne fait pas assez, son office devra nécessairement être rempli par d’autres organes au temps de l’application, en violation des principes constitutionnels. Aux États-Unis et au Canada, cette appréhension originale de l’incompétence négative est largement développée par la jurisprudence des deux Cours suprêmes(27) ; celles-ci recourent à des fondements juridiques certes distincts mais substantiellement proches en raison de la même fonction essentielle qui est assignée au procès dans ces deux États, en matière de régulation de l’ordre juridique. La Cour suprême américaine a ainsi construit une doctrine relative à la censure de l’insuffisance textuelle de la loi (the void for vagueness doctrine) sur le fondement du principe du due process of law(28). Selon cette doctrine, l’exigence de précision législative dont le défaut encourt la sanction pour inconstitutionnalité poursuit deux objectifs que sont la connaissance impérative par les parties de ce qui est attendu d’elles et la nécessité que l’application de la loi ne se fera de manière ni arbitraire ni discrétionnaire, notamment par les juges(29). Au Canada, le principe de justice fondamentale qui découle de l’article 7 de la Charte des droits et libertés(30) impose au Parlement l’adoption de lois suffisamment précises pour offrir un procès vertueux : « Une règle de droit est inconstitutionnellement imprécise si elle ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire et une analyse, si elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque ou si elle n’est pas intelligible. La règle de droit doit donner prise au pouvoir judiciaire »(31). La norme législative est donc ici pensée non dans sa symbolique démocratique mais à travers la fonction juridictionnelle qu’elle est appelée à remplir : lorsque le Parlement n’exerce pas pleinement sa compétence, il nuit au déroulement du procès en même temps qu’il accroît le pouvoir juridictionnel. L’incompétence négative pénètre ici, de manière originale, le champ tant de la séparation des pouvoirs que du droit à un procès équitable. Loin donc de conforter la puissance législative vis-à-vis du pouvoir exécutif, la sanction de l’incompétence négative entend rétablir l’équilibre entre le domaine politique – la loi – et le monde du droit – le procès – avec, in fine, non plus la volonté de garantir les fondements d’une société démocratique mais celle de protéger l’individu-justiciable.

II – Les principes de philosophie juridique élargissant le contrôle de l’incompétence négative

Le contrôle de l’incompétence négative peut prendre la voie de la censure juridictionnelle des omissions législatives. Fondé sur l’exigence de complétude de l’ordre juridique (A), ce contrôle particulier porte généralement en lui les linéaments d’un accroissement conséquent de l’office du juge constitutionnel (B).

A - Le contrôle de l’incompétence négative au service de la complétude de l’ordre juridique

La sanction de l’incompétence négative en cas d’omission législative fait l’objet d’un traitement doctrinal particulièrement riche, notamment dans la littérature hispanophone(32). Il est vrai que, comme le relèvent les auteurs, la possibilité pour le juge constitutionnel de censurer le Parlement pour défaut de loi n’est pas sans soulever d’objections, tant politiques que techniques. Le Parlement, en sa qualité d’organe démocratique, ne saurait être contraint à légiférer(33) : si son action doit nécessairement se faire dans le respect de la Constitution sous l’effet de l’avènement de l’État de droit, son inaction demeure en revanche un choix discrétionnaire qu’il est difficile d’imposer. Le contrôle des omissions législatives essaie dès lors de s’inscrire dans un équilibre entre le principe de garantie de la Constitution qu’incarnent les juridictions suprêmes et le principe démocratique que personnifient les assemblées élues. Par ailleurs et sur un plan plus contentieux, la doctrine n’a pas hésité à soulever les difficultés techniques que représente un tel contrôle. Comment en effet envisager la censure de ce qui n’existe pas ? Et, surtout, comment réparer le vide ? Quelle voie doit emprunter la sanction pour être efficace dès lors que, comme l’a soulevé le juge constitutionnel sud-africain, « une omission ne peut, conceptuellement, être réparée par suppression »(34) ?

Conscientes de l’ensemble de ces problématiques, les cours constitutionnelles se révèlent particulièrement prolixes au moment de légitimer le contrôle des éventuelles omissions législatives(35). Le fondement sera nécessairement textuel, dans les pays où un tel contrôle est explicitement prévu. En Europe, seuls deux États consacrent la censure de l’omission législative. En Hongrie, la lecture combinée de la Constitution de 1949 et de l’acte relatif à la Cour constitutionnelle permettait de fonder le contrôle et la censure des omissions législatives, soit d’office soit par le biais d’une actio popularis. En cas d’inconstitutionnalité par omission, les juges hongrois pouvaient alors donner instruction au législateur de remplir sa fonction dans un délai déterminé par la Cour(36). Si depuis les changements constitutionnels intervenus en 2011, l’actio popularis n’est plus, l’ensemble des pouvoirs de la juridiction constitutionnelle demeure cependant en matière de contrôle des omissions législatives(37). Le droit constitutionnel portugais(38) connaît également une voie de droit particulière permettant au Tribunal constitutionnel de juger de l’existence ou de l’absence d’une omission législative inconstitutionnelle. Souvent cité en exemple par la doctrine, le contentieux portugais en matière d’omission législative se révèle cependant fort encadré et politiquement maîtrisé : le recours est en effet ouvert de façon restrictive(39) et la décision du Tribunal s’apparente plus volontiers à un avis adressé au Parlement qu’à une censure juridictionnelle(40). Le contentieux de l’omission législative au Portugal, très éloigné du contrôle de constitutionnalité, représente plus justement un moyen de défense de la Constitution. Peu consacrée dans les textes en Europe, la censure de l’omission législative est en revanche particulièrement développée sur le continent sud-américain : les constitutions du Venezuela(41), de l’Équateur(42), du Brésil(43) ou encore la loi relative à la juridiction constitutionnelle au Costa Rica(44), prévoient ainsi expressément le contrôle des omissions législatives.

Dans les autres pays, le contrôle de l’omission législative n’est pas ignoré mais il est alors essentiellement le fruit des jurisprudences constitutionnelles y compris, là où il existe, dans le cadre du recours individuel ou particulier(45). Dans ce contexte et en l’absence de fondement textuel explicite, les cours suprêmes accordent une place privilégiée aux principes de suprématie constitutionnelle et de complétude de l’ordre juridique. La rhétorique emprunte ainsi volontiers au normativisme : en ce que la Constitution représente la norme suprême dans l’ordonnancement juridique interne, elle impose au législateur une concrétisation normative seule à même de lui conférer une pleine effectivité juridique(46). À défaut, le système juridique se présente aux yeux des juges comme défaillant, incomplet, lacunaire, en raison de l’inertie parlementaire. Pour le Tribunal constitutionnel espagnol, « cette conception de la Constitution normative comme un tout systémique représente le présupposé pour les éventuelles omissions législatives ; les vices normatifs que produisent des situations incompatibles avec l’ordre constitutionnel ne peuvent être la conséquence d’une imprévision du constituant mais l’effet de la violation d’un mandat en vue de l’adoption d’une norme, adressé aux pouvoirs constitués et, en particulier, au législateur »(47). Ce normativisme réitéré, propice à dissimuler les enjeux politiques d’un tel contrôle juridictionnel au regard de la séparation des pouvoirs, emporte une double conséquence.

La première voit les cours suprêmes s’évertuer à opérer une classification originale au sein des normes suprêmes entre celles posant un mandat impératif au législateur et celles plus libératrices et pouvant être qualifiées de programmatiques. Le Tribunal constitutionnel espagnol conditionne ainsi la censure d’une omission législative à l’existence d’un « mandat constitutionnel »(48) nécessitant une concrétisation. La loi devient ainsi dans la bouche du juge espagnol une « norme de développement constitutionnel » et l’intervention du législateur (« interpositio legislatoris ») est considérée comme nécessaire à la pleine efficacité des principes constitutionnels(49). Au Portugal, une inconstitutionnalité par omission n’existe que lorsque « la Constitution impose une exigence spécifique aux autorités législatives et que ces dernières ne l’ont pas rempli »(50), en d’autres termes, quand « la Constitution contient un ordre de légiférer suffisamment précis et concret, de telle sorte qu’il est possible de déterminer de manière certaine et sans risque d’erreur, quelles mesures législatives sont nécessaires pour le rendre exécutable »(51). Le mandat constitutionnel qui sous-tend une telle exigence de légiférer peut prendre la forme plus générale d’une obligation de mise en œuvre des droits et libertés fondamentaux. Dans ce cadre, le Tribunal constitutionnel portugais a entendu préciser que l’inconstitutionnalité par omission pouvait aussi concerner l’absence de concrétisation d’un droit économique, social et culturel(52). La distinction droits civils-politiques / droits économiques-sociaux n’est donc pas pertinente au moment de différencier les normes établissant une obligation de légiférer de celles apparaissant comme seulement programmatiques. Cet ensemble jurisprudentiel relativise sans conteste le rôle du législateur qui, d’organe politique, se fait simple intermédiaire institutionnel, au service de la Constitution. La loi cesse donc d’apparaître comme une création juridique pour devenir une simple concrétisation de la norme qui lui est supérieure, tel un règlement venant exécuter la loi(53). En même temps, la Constitution n’est plus envisagée comme une règle du jeu mais comme un véritable « code génétique de tout le système juridique »(54).

La deuxième conséquence qui accompagne le déploiement du contrôle des omissions législatives peut être trouvée dans la requalification juridictionnelle du choix politique opéré par le Parlement – ne pas légiférer dans un domaine ou à l’égard de certains destinataires – en un vide juridique affectant la complétude du système juridique. Cette requalification est d’autant plus remarquable dans le cadre de jurisprudences relatives à l’omission législative dite partielle : dans ce cas, la norme législative a bien été adoptée mais s’avère pour le juge constitutionnel incomplète en ce qu’elle aurait notamment omis une catégorie de destinataires. Le Tribunal constitutionnel espagnol a parfaitement résumé l’argumentation juridictionnelle qui permet de qualifier d’omission législative, ce qui constitue en réalité une violation substantielle du principe d’égalité : « l’objet de la demande d’amparo est fondamentalement l’omission du législateur dès lors que ce n’est pas la règle expressément contenue dans l’article 487 bis du Code pénal [...] qui peut être jugée contraire au principe d’égalité mais son imperfection dès lors que ce qui devait être nécessairement__inclus par le législateur fut cependant omis, occasionnant, par un tel procédé, une discrimination par défaut »(55). De même pour le juge belge, il faut parfois considérer que la violation du principe d’égalité ne réside pas dans la loi qui est soumise à sa juridiction mais dans une « lacune de la législation »(56). En d’autres termes en Belgique, la Cour constitutionnelle transforme une inconstitutionnalité substantielle en lacune formelle : ce n’est pas la loi contrôlée qui viole le principe d’égalité mais l’absence d’une autre législation permettant d’y remédier, hypothèse alors qualifiée de « lacune extrinsèque »(57). Pragmatique, le juge allemand a également affirmé qu’« une omission législative peut subvenir quand le principe d’égalité a été violé d’une façon telle que l’infraction ne peut être remédiée que par l’action du législateur »(58). Pareille argumentation se retrouve dans un nombre conséquent de jurisprudences, tant japonaise(59) que colombienne(60), canadienne(61) et polonaise(62), sud-africaine(63) ou roumaine(64) alors que dans ces cas, l’omission est rarement un oubli mais le plus souvent une volonté du législateur. La violation substantielle du principe constitutionnel d’égalité se voit ainsi requalifiée en lacune formelle et le Parlement se trouve censuré non pour avoir failli par une politique discriminante mais pour avoir déstabilisé le système juridique par omission. La complétude de l’ordre juridique transforme ainsi habilement un enjeu politique en une problématique normative. L’argument systémique avancé par les cours constitutionnelles aux fins de légitimer le contrôle des omissions législatives cache néanmoins difficilement l’accroissement conséquent de l’office du juge constitutionnel, au moment de guérir un ordre juridique jugé défaillant en raison de l’inertie du législateur.

B - La sanction de l’incompétence négative au service de l’office du juge constitutionnel

La doctrine juridique se trouve unanime pour affirmer que le contrôle des omissions législatives a fondamentalement transformé la figure du juge constitutionnel, ce dernier pouvant désormais être qualifié de véritable « législateur positif »(65). Il est vrai que les cours suprêmes se trouvent parfois démunies devant leur propre audace : une fois l’omission législative constatée, comment en effet imposer au Parlement l’adoption d’une loi ?

Bravant ces contingences contentieuses, certaines Constitutions prévoient expressément les modalités de censure de l’omission législative. Elles apparaissent cependant relativement limitées au Portugal, dès lors que la décision du Tribunal s’apparente à un simple avis au Parlement(66), le Tribunal refusant de se substituer au législateur même lorsque le Parlement n’a pas comblé une omission législative déjà constatée(67) ; elles sont potentiellement contraignantes en Hongrie(68) où la Cour constitutionnelle peut fixer un délai au législateur en même temps qu’orienter le travail normatif à venir(69) ; elles sont en revanche particulièrement développées au Venezuela(70) et en Équateur. La Constitution équatorienne de 2008 prévoit ainsi dans son article 436-10 que la Cour constitutionnelle pourra « déclarer l’inconstitutionnalité que commettent les institutions de l’État ou les autorités publiques qui par omission n’ont pas respecté, de manière totale ou partielle, les mandats contenus dans les normes constitutionnelles, dans un délai établi par la Constitution ou jugé raisonnable par la Cour constitutionnelle. Si, une fois le délai épuisé, l’omission persiste, la Cour, de manière provisoire, élaborera la norme ou exécutera l’acte omis ». Le juge constitutionnel, véritable médecin d’un système juridique attaqué par l’inertie parlementaire, se fait donc « législateur suppléant et précaire »(71).

Une telle transformation de la figure du juge constitutionnel n’est pas sans soulever des interrogations au regard, notamment, du principe de la séparation des pouvoirs. Les juges n’y sont pas indifférents et confessent parfois leurs états d’âme, en particulier dans les États où le contrôle des omissions législatives est apparu par voie prétorienne, en d’autres termes, dans le silence de la Constitution. Dans ce cas, les cours suprêmes s’évertuent à contenir leur jurisprudence et à réaffirmer le principe de la souveraineté parlementaire comme fondement à leur self-restraint. Le juge constitutionnel sud-africain considère ainsi que, face à une omission législative, l’une des considérations qu’une « Cour constitutionnelle doit garder à l’esprit est le principe de la séparation des pouvoirs et, partant, le respect qu’elle doit au corps législatif lorsqu’elle élabore un remède à une violation de la Constitution [...]. [Ceci] implique pour l’essentiel une réserve des Cours en évitant de s’avancer sur la partie du domaine législatif que la Constitution a réservée, et pour une bonne raison, au législateur »(72). De même le juge canadien informe de ce qu’il a été « soutenu avec insistance, au cours de l’argumentation, qu’il n’était pas souhaitable que la Cour intervienne ou s’immisce autrement dans ce qui est considéré comme le rôle propre du législateur [...]. Les tenants de cette théorie tiennent [notamment] pour acquis que seule l’action positive, par opposition à l’omission, peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte »(73).

De fait, le contrôle des omissions législatives par les Cours constitutionnelles précède généralement des censures prudentes. En premier lieu, le juge s’abstiendra de combler le vide juridique inconstitutionnel dès lors que la Constitution sous-tend plusieurs normes possibles de concrétisation, autrement dit, un choix politique. Au Portugal, dès lors que « la Constitution donne au législateur des possibilités pratiquement illimitées, le Tribunal constitutionnel ne peut pas déterminer la violation du devoir de légiférer sur la base de critères uniquement juridiques »(74). Dès lors, les conditions de l’inconstitutionnalité par omission ne sont réunies que s’il existe « une tâche très concrète et spécifique dont la Constitution charge le législateur, parfaitement défini quant à ses sens et portée, sans aucune marge de manœuvre »(75). De même en Italie, le recours aux sentences additives, techniques juridictionnelles permettant au juge constitutionnel d’ajouter à la loi ce qui y manque du fait de l’omission du Parlement, rencontre une limite que constitue la théorie du « rime obbligate » : l’élaboration par voie prétorienne de la norme omise ne peut découler du seul constat d’inconstitutionnalité et doit s’imposer au juge au regard de la logique du système constitutionnel. En d’autres termes, la Cour, sous peine de violer la souveraineté du législateur, ne peut créer ex nihilo une nouvelle norme mais étendre ou expliciter ce qui, bien que de manière latente, était déjà compris dans le système normatif(76) : « une décision additive n’est possible [...] que quand la solution adéquate n’est pas le fruit d’une évaluation discrétionnaire [...] du juge. [Dès lors], quand [...] apparaît une pluralité de solutions, [...] l’intervention de la Cour n’est pas possible, ce choix relevant uniquement du législateur »(77). Dans ce dernier cas donc, et malgré la constatation de l’existence d’une omission législative inconstitutionnelle, la Cour doit « cesser son opération de reconstruction de l’ordonnancement juridique »(78).

En second lieu, les cours constitutionnelles s’entendent pour refuser de combler les lacunes législatives inconstitutionnelles dès lors que le remède juridictionnel aurait pour effet de créer une nouvelle infraction pénale ou, plus généralement, de modifier la substance d’une loi pénale(79). La réserve de loi en matière pénale représente ainsi l’une des limites les plus fondamentales à l’activisme juridictionnel, faisant de ce domaine l’un des sanctuaires le mieux préservé par les cours suprêmes. La séparation des pouvoirs semble ici l’emporter sur l’exigence de complétude de l’ordre juridique et l’omission législative redevient ce qu’elle est essentiellement, à savoir un choix politique du Parlement. Dans ce cas, le législateur n’est plus jugé responsable d’inertie mais considéré comme ayant discrétionnairement choisi de « ne pas punir ».

Pour autant, une fois réaffirmé le principe de la séparation des pouvoirs et préservée la réserve de loi en matière pénale, la censure des omissions législatives est essentiellement l’occasion pour le juge de rendre des sentences dites additives ou « manipulatives » en vue de combler les lacunes du droit. Ici se mesure toute la finesse de la rhétorique normativiste, les cours suprêmes se présentant en effet comme contraintes à réparer un système juridique jugé défaillant en raison de l’inertie parlementaire : l’ajout de la norme manquante est ainsi considéré par les cours comme la seule voie permettant de rendre à l’ordre juridique, la complétude que la suprématie constitutionnelle exige. Les juges ne voient d’ailleurs aucune différence entre le contrôle de constitutionnalité des omissions législatives susceptible de voir émerger une norme nouvelle par voie juridictionnelle, et le contrôle de constitutionnalité « classique » qui s’accompagne généralement d’un dispositif d’annulation. Lorsqu’une Cour constitutionnelle censure une disposition explicite de la loi, elle en élargit conséquemment le champ d’application ; il en irait donc de même dans le cas d’une sentence additive venant pallier l’omission législative(80). Selon le juge constitutionnel belge Melchior, « ce que la Cour peut faire en matière de [...] loi à portée trop étendue, ne lui est pas interdit en matière de carence. [...] Une loi trop large doit être rétrécie, une loi trop étriquée doit être élargie »(81). De même pour le juge sud-africain, « il n’existe en principe aucune différence entre une Cour qui déclare qu’une disposition législative est conforme à la Constitution moyennant suppression de la partie incriminée par annulation totale ou partielle, et une Cour qui ajoute des termes manquants. Dans les deux cas, l’acte du Parlement, tel qu’il s’exprime dans une disposition législative, est modifié par la décision d’une Cour. Dans le premier cas par suppression, et dans l’autre par ajout »(82). Le législateur-négatif est donc aussi un législateur-positif, mettant à mal cette distinction doctrinale. Si la pratique des sentences additives est particulièrement développée en Italie(83), elle a aussi les faveurs du juge constitutionnel sud-africain, canadien, belge ou encore colombien. L’omission législative permet ainsi le déploiement de techniques contentieuses très variées(84), allant de la recommandation à légiférer adressée au Parlement(85) à l’élaboration de la norme omise par le juge constitutionnel lui-même, en passant par l’interprétation juridictionnelle à destination du juge ordinaire, appelé lui aussi à pallier la défaillance du législateur(86). La censure de l’incompétence négative, lorsque celle-ci prend la forme d’une omission législative, voit ainsi le juge constitutionnel se faire législateur temporaire en vue de préserver, selon une rhétorique systémique, la complétude de l’ordre juridique.

Si les juges constitutionnels imposent ce faisant une certaine philosophie juridique aux Parlements, c’est pourtant bien à un retour à la démocratie que mène cet ensemble jurisprudentiel. Bien que l’étude comparative de l’incompétence négative révèle la défense argumentative, par les cours constitutionnelles, d’une certaine conception de la norme constitutionnelle et de l’ordre juridique, la légitimité de l’avènement nouveau d’un « juge-législateur » est à chercher, quant à elle, du côté du peuple. Philosophe, la Cour suprême du Canada a ainsi évoqué un renouvellement de la conception de la démocratie canadienne pour justifier tant le contrôle des omissions législatives que le recours à la technique des sentences additives : « on prétend que le présent pourvoi constitue un affrontement entre le pouvoir des législatures démocratiquement élues d’adopter les lois qu’elles jugent appropriées et celui des tribunaux d’invalider ces lois ou de prescrire l’intégration de certains éléments à celles-ci. Il s’agit d’une façon trompeuse et erronée de présenter le litige. Ce ne sont tout simplement pas les tribunaux qui imposent des limites au législateur, mais bien la Constitution, que les tribunaux doivent interpréter. Il en est nécessairement ainsi dans toutes les démocraties constitutionnelles. [...] Il ne s’agit pas pour les tribunaux d’imposer leur vision de la législation “idéale”, mais bien de déterminer la constitutionnalité de l’action ou de l’omission du législateur qui est attaquée ». De fait, « par le truchement de ses élus, le peuple canadien a choisi, dans le cadre de la redéfinition de la démocratie canadienne, d’adopter la Charte et, par suite, de donner aux Tribunaux, un rôle correctif à jouer [...]. Il s’ensuit que les tribunaux doivent examiner les actes du pouvoir législatif [...], non en leur nom propre mais pour l’exécution du nouveau contrat social démocratiquement conclu »(87).

Loin de la problématique spécifique relative à la revalorisation du Parlement et propre au cadre singulier d’une Ve République largement présidentialiste, la censure de l’incompétence négative apparaît plutôt, à l’étranger, comme une technique juridictionnelle nouvelle venant consacrer l’émergence d’une démocratie redéfinie. Par ces censures, les cours constitutionnelles entendent en effet protéger non pas seulement le peuple souverain qui s’exprime par la voie de ses représentants élus mais le peuple constituant dont la volonté s’est fait acte normatif, à travers l’adoption d’une Constitution que les acteurs politiques ont dès lors obligation de concrétiser.

(1) Sur les enjeux théoriques de la délégation législative à laquelle l’incompétence négative a nécessairement partie liée, voir notamment A. Ross, (trad. P. Brunet), « La délégation de pouvoir. Signification et validité de la maxime “Delegata potestas non potest delegari” », Droits, 1997, p. 99.

(2) J. Tremeau, La réserve de loi. Compétence législative et Constitution, préface L. Favoreu, PUAM, 1997.

(3) Voir notamment, la Cour constitutionnelle italienne : « La “réserve de loi” assure le monopole du législateur dans la détermination des choix importants dans les matières indiquées par la Constitution, tant en excluant la concurrence d’autorités normatives “secondaires”, qu’en imposant à l’autorité normative “primaire” de ne pas se soustraire au devoir qui lui a été confié de manière exclusive », Cour constitutionnelle italienne, arrêt 383/1998, point 4.1.2., 27 novembre 1998. Cf. T. Groppi et C. Meoli in Les grandes décisions des cours constitutionnelles européennes, P. Bon et D. Maus (sous la dir.), Dalloz, p. 363.

(4) De même, la diversité des États étudiés impose ici à employer indifféremment, de manière générique et sans rigueur de distinction, les termes « Cour constitutionnelle » et « Cour suprême » à chaque fois que le propos ne vise pas la juridiction d’un État en particulier.

(5) D. Ribes, « Existe-t-il un droit à la norme ? Contrôle de constitutionnalité et omission législative », RBDC 1999-3, p. 237.

(6) Pour une étude comparative et théorique des techniques de délégations législatives, voir G. Tusseau, « La législation déléguée », in M. Troper, D. Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, 3 Vol., Paris, Dalloz, 2012, Vol. 2, « Distribution des pouvoirs », pp. 605-657 ; « Légiférer par décret ? Aspects de droit comparé », Dossier de la RFDC, 1997, n° 32 ; « Ordonnances et législation déléguée à l’étranger », Dossier de la RFDA, 1987, n° 5, p. 723 et s. ; P. Bon, « Les actes législatifs de l’exécutif », AIJC, 2003 ; L. M. Diez Picazo, « Les actes du Gouvernement ayant force de loi : une perspective comparée », AIJC, 2006 ;

(7) J. Tremeau, La réserve de loi. Compétence législative et Constitution, préface L. Favoreu, PUAM, 1997, p. 45 et s. ; D. Ribes, « Existe-t-il un droit à la norme ? Contrôle de constitutionnalité et omission législative », RBDC 1999-3, p. 237 ; La Constitution portugaise a juridicisé cette distinction en consacrant un article 164 à « La réserve absolue de compétence législative » et un article 165 portant sur « La réserve relative de compétence législative ».

(8) Tribunal constitutionnel espagnol, Sentence 73/2011, 19 mai 2011. Sur la réserve de loi en Espagne, voir J. Tremeau, La réserve de loi. Compétence législative et Constitution, préface L. Favoreu, PUAM, 1997, p. 79 et s.

(9) Cour constitutionnelle de Belgique, arrêts 154/2007 du 19 décembre 2007 et 60/2007 du 18 avril 2007.

(10) Cour constitutionnelle fédérale allemande, 21 décembre 1977 (Éducation sexuelle), BVerfGE 47, 46. Voir le commentaire de cette décision par le Professeur M. Fromont in P. Bon et D. Maus (sous la dir.), Les grandes décisions des cours constitutionnelles européennes, éd. Dalloz. Voir également M. Fromont, « République fédérale d’Allemagne. L’État de droit », RDP 1984, p. 1203.De manière générale, selon le juge constitutionnel Michael Gerhardt, « l’État de droit et le principe de démocratie obligent le législateur à régler lui-même les décisions importantes et à ne pas confier cette mission à l’exécutif », citant les jurisprudences BVerfGE 41, 251 (259-260) et BVerfGE 45, 400 (417-418). Cf. Son rapport fait au nom de__la__Cour constitutionnelle fédérale relatif aux omissions législatives à l’occasion du XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, septembre 2007, p. 14.

(11) Les compétences restreintes du Tribunal fédéral suisse ne lui permettent cependant pas de contrôler la conformité à la Constitution helvétique de la loi de délégation lorsque celle-ci est le fait des institutions fédérales. Dans ce contexte, « _le Tribunal fédéral peut examiner si la norme visée reste dans les limites des pouvoirs conférés par la loi à l’_auteur de l’ordonnance mais il ne peut contrôler si la délégation elle-même est admissible » (André Jomini, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18, juillet 2005).

(12) Tribunal fédéral suisse, Fondation ALPDS de Technique Dentaire contre Y. S.à.r.l. et Z. (recours en matière de droit public), ATF 137 II 409. À propos de cette jurisprudence désormais bien acquise, voir J.-F. Aubert, « Les droits fondamentaux dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral suisse. Essai de synthèse », in Menschenrechte, Föderalismus, Demokratie : Festschrift zum 70. Geburtstag von Werner Kägi, Zurich, 1979, p. 1-31 ; S. Masnata, La délégation de la compétence législative en droit suisse et comparé, Thèse, Université de Lausanne, Faculté de droit, 1942.

(13) L. Garlicki, Chronique de jurisprudence polonaise, AIJC 1994.

(14) Cour suprême du Canada, Comité pour la République du Canada, [1991] 1. R.C.S. 139, 214.

(15) Cour suprême du Canada, R. contre Morales, [1992] 3. R.C.S. 711, 729.

(16) Cour suprême du Canada, R. contre Butler, [1992] 1. R.C.S. 139, 452, 506.

(17) Alec Stone Sweet, « Constitutional Courts and parliamentary democracy », in M. Thatcher et A. Stone Sweet (dir.), The politics of delegation, Londres, 2003, p. 69.

(18) Cass R. Sunstein, « Non delegation principles », in R. W. Bauman et T. Kahana (dir), The least examined Branch. The role of legislatures in the constitutional State, Cambridge, 2006, p. 139.

(19) Cour suprême des États-Unis, A.L.A. Schechter Poultry Corp. v. United States, 295 U.S. 495 (27 mai 1935) ; cf. E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Dalloz, p. 176 et s.

(20) U. Kischel, « Delegation of legislative power to agencies : a comparative analysis of United States and German law », Administrative Law Review, 1994, p. 213.

(21) Cour suprême des États-Unis, State of Arizona v. State of California, 373. U.S. 546, 3 juin 1963.

(22) Cour suprême des États-Unis, Industrial Union Department v. American Petroleum Institute Marshall, 448. U.S. 607, 2 juillet 1980.

(23) Cour suprême d’Uruguay, Gavazzo Pereira, José N. y otro, 6 mai 2011.

(24) Voir K. Cazor et M. Guiloff, « La reserva de ley y la necesidad de redefinir su función en el Estado constitucional chileno », Anuario de derecho público, 2011, p. 478.

(25) Selon les termes explicites de l’article 77, Constitution italienne du 22 décembre 1947.

(26) Cour constitutionnelle italienne, sentence 171/2007 du 23 mai 2007. Cf. M. Baudrez, Chronique de jurisprudence italienne, AIJC 2007.

(27) Pour une comparaison de cette approche avec l’incompétence négative appréhendée par le Conseil constitutionnel, voir P. Rrapi, « L’incompétence négative dans la QPC : de la double négation à la double incompréhension », Communication au Congrès de l’Association française de Droit constitutionnel, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2012.

(28) Le due process of law est inscrit, pour les institutions fédérales, au Ve amendement à la Constitution américaine.

(29) Cour suprême des États-Unis, Federal Communications Commission et al. v. Fox Television Stations, Inc, et al., 567. U.S. (21 juin 2012).Voir, pour une synthétisation de la doctrine : Cour suprême des États-Unis, Grayned v. City of Rockford, 408. U.S. 104, 108-109 (1972).

(30) « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».

(31) Cour suprême du Canada, R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2. R.C.S. 606. Voir également, Cour suprême du Canada, Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1. R.C.S. 76. À ce sujet, voir M. Ribeiro, « Le problème constitutionnel de l’imprécision des lois », Revue juridique Thémis, 1998, p. 663 ; A. Violette, « Précisions sur la théorie de l’imprécision en matière constitutionnelle », Revue du Barreau, Tome 63, 2003, p. 103 ; C. Dumais, « La Cour suprême du Canada et l’imprécision : quand l’avertissement raisonnable devient symbolique », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, 2005-2006, n° 36, p. 289.

(32) M. Carbonell (dir.), En busca de las normas ausentes. Ensayos sobre la inconstitucionalidad por omisión, Instituto de investigaciones juridicas, Serie Doctrina juridica, N° 135, Universitad Nacional Autonoma de Mexico, 2003 et en particulier J. Fernandez Rodriguez, « Aproximación al concepto de inconstitucionalidad por omisión  ; Ahumada Ruiz, « El control de constitucionalidad de las omisiones legislativas », Revista del Centro de Estudios Constitucionales, n° 8, 1991 ; J. Fernandez Rodriguez, La inconstitucionalidad por omisión. Teoria General. Derecho comparado. El caso español, Civitas, Madrid, 1998 ; S. Verdugo Ramirez, « Inconstitucionalidad por omisión del legislador », Revista Actualidad juridical, 2009, p. 373 ; L. Bulnes Aldunate, « La inconstitucionalidad por omisión », Revista semestral del Centro de Estudios constitucionales, 2006, p. 251.Voir également D. Ribes, « Existe-t-il un droit à la norme ? Contrôle de constitutionnalité et omission législative », RBDC 1999-3, p. 237 ; A. Vidal-Naquet, « Le droit du silence. “Les silences interdits ou la norme imposée” », RDP 2012, n° 4, p. 1089 ; B. Henry-Menguy, L’obligation de légiférer en France : la sanction de l’omission législative par le Conseil constitutionnel, Thèse dact., Toulouse, 2008 ; B. Genevois, « La censure des carences de la loi », AIJC 1985, p. 412 ; E. Quinart, « Quand le Conseil constitutionnel propose la loi ? », AJDA 2014, p. 142 ; A. R. Brewer-Carias, Presentation of the General Reports on Constitutional Courts as positive legislators in Comparative law, XVIIe International Congress of Comparative Law, Washington, 2010.

(33) A. Vidal-Naquet, « Le droit du silence. “Les silences interdits ou la norme imposée” », RDP 2012, n° 4, p. 1089.

(34) Décision de la Cour constitutionnelle sud-africaine, CCT 10/99, du 2 décembre 1999. Version française publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Afrique du Sud) – février 2001. Pour un commentaire : D. Ribes, « Le juge constitutionnel peut-il se faire législateur ? À propos de la décision de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud du 2 décembre 1999 », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Afrique du Sud) − février 2001.

(35) V. Bazan, « Respuestas normativas y jurisdiccionales frente a los omisiones inconstitucionales. Una visión de derecho comparado », in M. Carbonell (dir.), En busca de las normas ausentes. Ensayos sobre la inconstitucionalidad por omisión, Instituto de investigaciones juridicas, Serie Doctrina juridica, N° 135, Universitad Nacional Autonoma de Mexico, 2003, p. 91.

(36) Article 49 (1) de l’Acte XXXII de 1989 relatif à la Cour constitutionnelle : « Si la Cour constitutionnelle établit d’office ou sur la base d’une pétition individuelle que l’organe législatif n’a pas rempli sa mission législative [...], commettant ainsi une inconstitutionnalité, elle en informe l’organe qui a commis l’omission, établissant une date limite aux termes de laquelle il doit avoir rempli sa mission ».

(37) Voir l’article 46 de l’Acte CLI sur la Cour constitutionnelle adopté en 2011.

(38) J. J. Fernandez Rodriguez, « La inconstitucionalidad por omision en Portugal », Revista de Estudios Politicos, 1998, p. 335.

(39) Article 283.1 de la Constitution portugaise du 2 avril 1976 : « La Cour constitutionnelle contrôle et constate l’inconstitutionnalité par omission des mesures législatives nécessaires à l’application des normes constitutionnelles, sur la saisine du Président de la République, du Médiateur de la République ou, lorsque les droits des régions autonomes sont remis en cause, des présidents des assemblées législatives des régions autonomes ».

(40) Article 283.2 de la Constitution portugaise du 2 avril 1976 : « Quand la Cour constitutionnelle constate l’existence d’une inconstitutionnalité par omission, elle en informe l’organe législatif compétent ».

(41) Article 336 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela de 1999 : « La division constitutionnelle du Tribunal Suprême de Justice aura les fonctions suivantes : (7) Déclarer l’inconstitutionnalité des omissions [...] législatives entraînant le défaut de promulgation des règles ou mesures essentielles en vue de garantir la conformité à la Constitution ou en les promulguant de manière incomplète ; et établir un délai et, si nécessaire, des directives afin de corriger ces déficiences ». Pour une analyse de la mise en œuvre de cet article, voir R. Antela Garrido, « Acción por Insconstitucionalidad por omisión vs. acción por carencia : Contribución al estudio de sus diferencias procesales », Revista de derecho constitucional, 2004, n° 9, p. 7 ; J. M. Casal H., « La protección de la Constitución frente a las omisiones legislativas », Anuario de derecho constitucional latinoamericano, 2003, p. 33.

(42) Article 8 alinéa 2 de la Constitution de la République équatorienne du 20 octobre 2008 : « Sera inconstitutionnelle toute action ou omission de caractère régressif qui diminue, porte atteinte ou empêche de manière injustifiée l’exercice des droits » ; Article 88 : « L’action de protection aura pour objet l’amparo direct et efficace des droits reconnus dans la Constitution et pourra être soulevée quand existe une violation des droits constitutionnels, par actions ou omissions d’une autorité publique ou judiciaire » ; Article 436-10 : la Cour constitutionnelle pourra « déclarer l’inconstitutionnalité que commettent les institutions de l’État ou les autorités publiques qui par omission n’ont pas respecté, de manière totale ou partielle, les mandats contenus dans les normes constitutionnelles [...] ».

(43) Article 103 § 2 de la Constitution brésilienne du 5 octobre 1988 : « Lorsque l’_inconstitutionnalité est déclarée par défaut de mesures devant rendre effective une norme constitutionnelle, il en est donné connaissance au Pouvoir compétent pour qu’_il prenne les mesures nécessaires ».

(44) Article 73 de la Loi du 11 octobre 1989 relative à la juridiction constitutionnelle : « Sera portée une action en inconstitutionnalité : f) contre l’inertie, les omissions et les abstentions des autorités publiques ».

(45) Ainsi notamment, après avoir dans un premier temps refusé de contrôler les omissions législatives inconstitutionnelles dans le cadre du recours particulier, la Cour constitutionnelle allemande a par la suite accepté un tel moyen. Cf. La jurisprudence citée par le juge constitutionnel Michael Gerhardt dans son Rapport pour la Cour constitutionnelle fédérale relatif aux omissions législatives rendu pour la XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, septembre 2007, et notamment BVerfGE 77, 170 (214).

(46) D. Ribes, « Existe-t-il un droit à la norme ? Contrôle de constitutionnalité et omission législative », RBDC 1999-3, p. 237.

(47) Rapport fait par le Tribunal constitutionnel espagnol et relatif aux omissions législatives, rendu pour la XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, octobre 2007. Voir aussi I. Villaverde, « La inconstitucionalidad por omisión. Un nuevo reto para la justicia constitucional », in M. Carbonell (dir.), En busca de las normas ausentes. Ensayos sobre la inconstitucionalidad por omisión, Instituto de investigaciones juridicas, Serie Doctrina juridica, N° 135, Universitad Nacional Autonoma de Mexico, 2003, p. 65.

(48) Tribunal constitutionnel espagnol, STC 15/1982 du 23 avril 1982, FJ 8.

(49) Ahumada Ruiz, « El control de constitucionalidad de las omisiones legislativas », Revista del Centro de Estudios Constitucionales, n° 8, 1991.

(50) Tribunal constitutionnel portugais, décision 474/02, 19 novembre 2002.

(51) Tribunal constitutionnel portugais, décision 509/02, 19 décembre 2002.

(52) « Dans ce sens, il importe d’examiner si la norme constitutionnelle concernant le droit à l’aide matérielle en cas de chômage remplit les conditions nécessaires à la vérification d’une inconstitutionnalité par omission, même si ce droit est un droit social [...] L’aide matérielle à laquelle fait allusion l’article 59.1.e de la Constitution doit forcément prendre la forme d’une prestation spécifique, liée directement à la situation de chômage involontaire. Cette prestation doit être obligatoirement intégrée dans le cadre de la sécurité sociale et ne peut être établie que par voie législative. Il s’agit donc d’une obligation législative, concrète et spécifique, contenue dans une norme possédant un degré de précision suffisamment concret. Cela, naturellement, sans préjudice de la large marge d’appréciation du législateur ordinaire. [...] En conséquence, on peut conclure que la Constitution impose au législateur, sous peine d’inconstitutionnalité par omission, l’obligation spécifique et concrète de prévoir une prestation correspondant à l’aide matérielle aux travailleurs ». Tribunal constitutionnel portugais, décision 474/02, 19 novembre 2002.

(53) Pour une jurisprudence contraire, voir la décision de la Cour suprême de justice du Salvador, Chambre constitutionnelle, 20 novembre 2007, dans laquelle la Cour suprême y défend le caractère ouvert des normes constitutionnelles, jugeant dès lors que « la loi ne peut être considérée comme une [simple] norme d’exécution de la Constitution ». Il existe en effet pour le législateur « une marge de liberté en ce qui concerne tant la procédure législative que le contenu matériel de la normativité infraconstitutionnelle en ce qu’il s’agit d’un organe authentiquement politique qui a la pleine responsabilité de ses actes », ce que la « doctrine et la jurisprudence de cette Cour appellent la liberté de configuration du législateur ou la liberté de formation démocratique de la volonté ». En conclusion, « dire qu’est violée la suprématie constitutionnelle parce que n’a pas été rempli un mandat dérivé de cette suprématie est une argumentation circulaire ».

(54) L. M. Diez Picazo, « Le concept de loi », AIJC 2003.

(55) Tribunal constitutionnel espagnol, sentence 67/98, 18 mars 1998, FJ 5.

(56) « Contrairement à ce qu’affirme l’arrêt de renvoi, la discrimination ne trouve pas son origine dans l’article 14 alinéa 1er [des lois coordonnées sur le Conseil d’État] mais dans une lacune de la législation, à savoir le défaut d’organisation d’un recours en annulation des actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes ». Cour constitutionnelle belge, arrêt 31/96, B.6., 15 mai 1996. Également : Cour constitutionnelle belge, arrêt 140/2001, 6 novembre 2001. Voir plus largement le recensement jurisprudentiel fait par le juge constitutionnel Michel Melchior dans son Rapport relatif aux omissions législatives rendu pour la XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, décembre 2007.

(57) M. Melchior et C. Courtoy, « L’omission législative ou la lacune dans la jurisprudence constitutionnelle », JT 2008, p. 669 ; G. Rosoux, « La Cour constitutionnelle de Belgique », Les Nouveaux Cahiers du Conseil__constitutionnel 2013/4, n° 41, p. 201.

(58) Michael Gerhardt_, Rapport de la__Cour constitutionnelle fédérale relatif aux omissions législatives rendu pour la XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes,_ septembre 2007, p. 4.

(59) En ce qui concerne une jurisprudence relative au droit de vote : Cour suprême, 14 septembre 2005. Voir le recensement jurisprudentiel effectué par le Professeur Mamiko Ueno à l’AIJC 2011, Table ronde Juges constitutionnels et Parlements, p. 333.

(60) Cour constitutionnelle de Colombie, C-427, 2000, M.P. Vladimiro Naranjo Mesa.Cf. également l’ensemble des jurisprudences citées par A. La Rotta Ramirez, La acción de inconstitucionalidad por omisión legislativa y su inclusión en el ordenamiento juridico colombiano, Universidad de Santanger, 2010.

(61) Notamment Cour suprême du Canada, Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679 ; Cour suprême du Canada, Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

(62) Tribunal constitutionnel polonais, décision 20/05 du 17 avril 2007 : « La compétence du Tribunal constitutionnel pour contrôler un acte normatif en vigueur consiste également à déterminer si l’acte est dépourvu de règles dont l’absence est susceptible de semer le doute sur sa constitutionnalité. L’appréciation porte toujours sur le contenu normatif de la disposition, c’est-à-dire sur ce qui a été exprimé et ce qui ne l’a pas été ». Voir également le recensement jurisprudentiel effectué par M. Grzybowski, juge au Tribunal constitutionnel polonais, dans son Rapport sur les Omissions législatives dans la jurisprudence du Tribunal constitutionnel polonais effectué à l’occasion du XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, 2007.

(63) Décision de la Cour constitutionnelle sud-africaine, CCT 10/99, du 2 décembre 1999. Version française publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Afrique du Sud) – février 2001. Pour un commentaire : D. Ribes, « Le juge constitutionnel peut-il se faire législateur ? À propos de la décision de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud du 2 décembre 1999 », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Afrique du Sud) − février 2001.

(64) Voir l’opinion dissidente des juges Petre Ninosu et Lucian Stângu contestant la déclaration d’inconstitutionnalité pour violation du principe d’égalité et selon lesquels « c’est de façon injustifiée que la Cour constitutionnelle a abdiqué de sa jurisprudence constante, selon laquelle la Cour ne saurait se prononcer sur la constitutionnalité d’une omission législative, parce que cela aurait la signification d’une ingérence dans la sphère de compétence du Parlement » (Cour constitutionnelle roumaine, décision 349 du 19 décembre 2001).

(65) C. Behrendt, Le juge constitutionnel, un législateur-cadre positif. Une analyse comparative en droit français, belge et allemand, préface O. Perfsmann, Bruylant, 2006.

(66) Cf. Supra, II-A.

(67) J. Miranda, Chronique de jurisprudence portugaise, AIJC 2001.

(68) Cf. Supra, II-A. Voir également P. Paczolay (juge à la Cour constitutionnelle) et L. Csink, Les problèmes de l’omission législative dans la jurisprudence constitutionnelle, Rapport rendu à l’occasion du XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, 2007.

(69) En 2003, le Président de la Cour constitutionnelle hongroise, M. Janos Németh, précisait qu’« il n’est pas rare que nous constations que la norme contestée par le requérant n’est pas réellement inconstitutionnelle, mais n’est pas tout à fait satisfaisante car elle apparaît incomplète. Le législateur aurait dû aller plus loin dans la réglementation. Dans ce cas, nous avons deux possibilités : soit annuler la norme contestée, ce qui peut causer des problèmes non prévus, soit la maintenir en vigueur, parce que son contenu n’est pas inconstitutionnel en soi, en suggérant au législateur d’aller plus loin. Nous lui disons ce qu’il devra compléter, mais la Cour constitutionnelle dans sa nouvelle composition s’est fermement démarquée de l’ancienne, en affirmant qu’elle n’est pas un organe consultatif du Parlement. Elle dit seulement ce que le législateur devra faire, mais pas comment ». Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 (Dossier : Hongrie) − janvier 2003.

(70) Tribunal suprême de Justice, décision du 4 août 2003, Exp. nos 03-1254 et 03-1308.

(71) N. P. Sagües, « Novedades sobre inconstitucionalidad por omisión. La Corte constitucional como legislador suplente y precario », Comunicacion, Academia nacional de Ciencias Morales y Politicas, 8 avril 2009.

(72) Décision de la Cour constitutionnelle sud-africaine, CCT 10/99, du 2 décembre 1999. Version française publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Afrique du Sud) – février 2001. Pour un commentaire : D. Ribes, « Le juge constitutionnel peut-il se faire législateur ? À propos de la décision de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud du 2 décembre 1999 », op. cit.

(73) Cour suprême du Canada, Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

(74) Tribunal constitutionnel portugais, décision 474/02, 19 novembre 2002.

(75) Tribunal constitutionnel portugais, décision 424/01, 9 octobre 2001.

(76) Paolo Zicchittu, A chi spetta l’ultima parola ? La discrezionalità legislativa tra Corte costituzionale e Parlamento, Dottorato di ricerca in Giustizia costituzionale e diritti fondamentali, Università di Pisa, 2008. Voir aussi, V. Crisafulli, Lezioni di Dirito Costituzionale, Vol. II, Padova ; L. Iannuccilli, Rapport de la Cour constitutionnelle italienne relatif aux omissions législatives rendu pour la XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes ; S. Dondi, « L’interprétation “créatrice” de la loi selon l’expérience de la Cour constitutionnelle italienne », Sant’Anna Legal Studies, n. 18/2008.

(77) Cour constitutionnelle italienne, sentence 109/1986, 22 avril 1986.

(78) L. Iannuccilli, Rapport de la__Cour constitutionnelle italienne relatif aux omissions législatives rendu pour la XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, 2007.

(79) Pour une illustration, voir notamment Cour constitutionnelle belge, arrêt 116/99, 10 novembre 1999 ; Tribunal constitutionnel espagnol, sentence 67/1998 du 18 mars 1998 (FJ 6) ou encore Cour constitutionnelle italienne, ordonnance 437/2006 du 6 décembre 2006.

(80) De même, « pour quelle raison le législateur pourrait faire librement par ses silences ce qu’il ne peut pas faire par ses actes, à savoir violer la Constitution ? ». D. Ribes, « Existe-t-il un droit à la norme ? Contrôle de constitutionnalité et omission législative », RBDC 1999-3, p. 237.

(81) Michel Melchior, Rapport de la Cour constitutionnelle belge et relatif aux omissions législatives rendu pour la XIVe Congrès des Cours constitutionnelles européennes, décembre 2007.

(82) Décision de la Cour constitutionnelle sud-africaine, CCT 10/99, du 2 décembre 1999, § 67. Version française publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Afrique du Sud) – février 2001. Pour un commentaire : D. Ribes, « Le juge constitutionnel peut-il se faire législateur ? À propos de la décision de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud du 2 décembre 1999 », op. cit.

(83) A. Pizzorusso, « Procédés et techniques de protection des droits fondamentaux. Cour constitutionnelle italienne », RIDC, Vol. 33, Avril 1981, p. 395.

(84) D. Ribes, « Existe-t-il un droit à la norme ? Contrôle de constitutionnalité et omission législative », RBDC 1999-3, p. 237 ; M. Fromont, Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, 2013, p. 188 et s. relatifs aux cas particuliers « de la carence du législateur ». J. J. Fernandez Rodriguez, « Typologie des dispositifs des décisions des cours constitutionnelles », RBDC 1998, p. 335.

(85) Cf. Cour constitutionnelle de Slovénie, 65/05, 22 septembre 2005 : « L’affaire portant sur le cas où le législateur a omis de réglementer une question alors qu’il était tenu de le faire, il n’était pas possible d’abroger la loi en question. En lieu et place, la Cour constitutionnelle a adopté un arrêt déclaratoire dans lequel elle impartit au législateur un délai d’un an à compter de la publication du présent arrêt [...] pour réglementer en détail [...], la protection du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ». [Le résumé de cette décision est accessible dans le document de travail de la Commission de Venise : « Coopération des Cours constitutionnelles en Europe : Situation actuelle et perspectives », avril 2014].Voir également Tribunal constitutionnel espagnol, sentence 184/2003, 23 octobre 2003.

(86) Cf. Cour constitutionnel belge, arrêt 1/2012, 11 janvier 2012 : La « discrimination ne provient pas de l’article 49 de la loi du 15 décembre 1980, qui ne concerne que les réfugiés reconnus en Belgique, mais de l’absence d’une disposition législative accordant aux apatrides reconnus en Belgique, [...] un droit de séjour comparable à celui dont bénéficient ces réfugiés. La Cour relève que le législateur n’a pas remédié à cette lacune en adoptant__pour ces apatrides reconnus une disposition équivalente à l’article 49 de la loi du 15 décembre 1980. [...] Il appartient au législateur de fixer les conditions selon lesquelles les catégories déterminées d’apatrides peuvent obtenir un titre de séjour en Belgique. Dans l’attente de cette intervention législative [...], il appartient au juge a quo de mettre fin aux conséquences, pour ce qui est de la disposition en cause, de l’inconstitutionnalité constatée [...], ce constat étant exprimé en des termes suffisamment précis et complets. Par conséquent, il revient aux juridictions du travail saisies d’un refus d’accorder des prestations familiales garanties en faveur d’un enfant qui est à charge d’un apatride reconnu [...], d’octroyer à cet enfant le droit aux prestations familiales en cause ».

(87) Cour suprême du Canada, Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.