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L’influence de la question prioritaire de constitutionnalité sur le droit social

Alain LACABARATS - Président de chambre à la Cour de cassation

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 45 (Le Conseil constitutionnel et le droit social) - octobre 2014

Résumé : Avant l'introduction, en droit français,de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la jurisprudence de la Cour de cassation se caractérisait par la relative rareté dans ses décisions des références aux normes constitutionnelles. Mais cette rareté traduisait seulement la volonté de la Cour d'en réserver l'usage à des hypothèses d'une importance particulière. Avec la QPC, les perspectives ont changé et l'état de la jurisprudence judiciaire montre, d'une part un élargissement des normes constitutionnelles appliquées, avec désormais des références explicites aux décisions du Conseil constitutionnel, d'autre part une véritable appropriation par la Cour de cassation de la dimension constitutionnelle du droit privé.


Définie comme la charte fondamentale de l’État, la Constitution revêt dans l’ordre interne une suprématie qui s’est traditionnellement traduite pour la Cour de cassation de deux manières :

– l’absence de contrôle juridictionnel de la Cour de cassation sur toute norme de valeur constitutionnelle(1) ;

– l’absence d’appréciation de la conformité des lois à la Constitution(2).

Cette réserve de la Cour de cassation à l’égard de toute forme de contestation judiciaire de la Constitution ou des normes qui seraient critiquées pour contrariété aux principes constitutionnels ne devrait pas néanmoins empêcher la Cour de faire application d’un instrument juridique d’une telle importance, dès lors que son invocation est utile à la solution des pourvois qui lui sont soumis.

On constate néanmoins qu’avant l’introduction en droit français de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la jurisprudence de la Cour de cassation pouvait surprendre par la relative rareté des références constitutionnelles dans ses décisions.

Mais cette rareté n’était pas le signe d’une méconnaissance ou d’une désaffection de la Cour pour les dispositions constitutionnelles. Elle traduisait plutôt sa volonté d’en réserver l’usage à des hypothèses d’une importance particulière et sur ce point, la QPC n’a nullement modifié la pratique de la Cour, qui continue à choisir de manière rigoureuse les cas de références constitutionnelles (I).

Il est certain en revanche que la QPC a nécessairement élargi le spectre d’application de la Constitution par les différentes formations de la Cour, en particulier la chambre sociale et la deuxième chambre civile, respectivement compétentes en matière de droit du travail et de droit de la sécurité sociale (II).

I – Le règlement des litiges par l’application des normes constitutionnelles

Dans un nombre significatif d’hypothèses, la chambre sociale et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ont fondé, et fondent encore, leurs décisions sur des principes constitutionnels tirés des textes composant le bloc de constitutionnalité, ou de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel.

Il s’agit, ainsi, soit de rappeler des principes essentiels d’organisation des institutions et de répartition des pouvoirs (A), soit de fonder, par une référence normative dotée d’une force symbolique particulière, la protection des droits et libertés des personnes (B).

A - Les principes d’organisation des institutions publiques et de répartition des pouvoirs

Les arrêts de la Cour de cassation renvoient fréquemment à la Constitution dans des litiges où sont en cause, notamment la hiérarchie des normes, la détermination du champ d’application de certaines dispositions légales ou le principe de la séparation des pouvoirs.

1 - La hiérarchie des normes

C’est au visa de l’article 55 de la Constitution que la Cour rappelle régulièrement le principe de la primauté des traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés par la France.

Par exemple, un arrêt de la chambre sociale du 15 décembre 2010(3) approuve, au regard de la Convention n° 158 de l’OIT, une cour d’appel ayant écarté comme contraire à ce texte l’article 2 de l’ordonnance du 2 août 2005 instituant le contrat dit « nouvelles embauches ».

Un autre arrêt du 18 janvier 2012(4) rejette un pourvoi en cassation formé contre l’arrêt d’une cour d’appel ayant écarté, dans un litige relatif au paiement de la contrepartie financière d’une clause de non-concurrence, une disposition légale du code de commerce applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, comme étant contraire à l’article 6-1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, texte entré en vigueur en France le 3 janvier 1976.

2 - Le champ d’application des dispositions légales

C’est un cas plus rare d’application de la Constitution qui a été fait par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 juin 2006(5) énonçant, au visa de l’article 74 de la Constitution, que les lois édictées par le Parlement national en Métropole ne sont applicables dans les « territoires d’outre-mer » qu’en vertu d’une loi spéciale.

3 - Le principe de la séparation des pouvoirs

Visé parfois en tant que tel, le principe de la séparation des pouvoirs est aussi fréquemment retenu par la Cour par renvoi aux articles 34 et 37 de la Constitution, soit pour sanctionner des empiétements du juge judiciaire sur la compétence des juridictions administratives, soit pour inviter les parties à saisir celles-ci d’une question préjudicielle portant sur la légalité d’une disposition réglementaire.

De nombreux arrêts relèvent de cette catégorie de décisions, notamment celui de la chambre sociale du 27 février 2003(6), pour la contestation de la légalité d’un texte du code de la sécurité sociale déterminant le débiteur de certaines cotisations sociales, ou encore un arrêt du 28 février 2006(7), pour l’appréciation de la légalité d’un décret déterminant le délai de prescription des actions ayant trait au contrat d’engagement maritime.

B - Les droits et libertés des personnes

Cet ensemble de droits et libertés doit être envisagé du point de vue individuel ou sous leur aspect collectif.

1 - Les droits et libertés individuels

Le texte de la Constitution le plus fréquemment visé à ce titre, l’article 66 faisant du juge le garant de la liberté individuelle, est, fort heureusement, l’apanage des chambres de la Cour qui traitent de la liberté d’aller et venir et n’apparaît pas dans la jurisprudence sociale relative aux libertés personnelles du salarié, appliquant des textes différents.

En revanche, le principe constitutionnel de la liberté du travail est le fondement de diverses décisions, relatives par exemple à des clauses d’exclusivité(8) ou de non-concurrence(9).

De même, les arrêts de la chambre sociale sur les conditions de validité d’une convention de forfait en jours(10) énoncent que « le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ».

Et un arrêt de la même chambre du 29 mai 2013(11) retient qu’un licenciement prononcé en raison de l’état de santé porte atteinte au droit à la protection de la santé garanti par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, ce Préambule ayant par ailleurs, comme nous le verrons ci-après, une importance essentielle lorsque sont en cause les libertés sociales collectives.

Enfin, même s’il existe désormais des dispositions légales particulières dont le champ d’application s’est progressivement accru, le Préambule de la Constitution de 1958 a pu être visé par un arrêt de la chambre sociale du 8 avril 1992(12) pour dire que nul ne peut faire l’objet de mesures discriminatoires en raison de son origine.

2 - Les libertés collectives

Les arrêts rendus en droit social se réfèrent couramment à des règles issues du bloc de constitutionnalité, pour nombre de libertés collectives.

La protection du droit de grève

C’est le plus souvent le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, spécialement son article 7, qui est mobilisé pour la protection du droit de grève contre les différentes formes d’atteintes qui lui sont portées.

Sans prétendre à l’exhaustivité, une décision de la chambre sociale du 2 juin 1992(13) retient, sur ce fondement constitutionnel, que le juge ne peut substituer son appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé des revendications professionnelles formulées.

Un arrêt du 4 novembre 1992(14) énonce, sous le même visa constitutionnel, que ce n’est que dans le cas où la grève entraîne la désorganisation de l’entreprise qu’elle dégénère en abus.

Par un arrêt du 12 mars 1996(15), la chambre sociale retient le principe selon lequel le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, pour en déduire qu’une convention collective ne peut avoir pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l’exercice du droit de grève.

Un arrêt du 25 février 2003(16) pose en principe, au regard de l’article 7 du Préambule de la Constitution de 1946, que les pouvoirs attribués au juge des référés en matière de dommage imminent consécutif à l’exercice du droit de grève ne comportent pas celui de décider la réquisition de salariés grévistes.

Sur le même sujet de la réquisition de salariés grévistes, un arrêt du 15 décembre 2009(17) retient que, sauf dispositions législatives contraires, l’employeur ne peut s’arroger un tel pouvoir de réquisition.

C’est encore par une référence constitutionnelle identique que la chambre sociale a décidé le 25 janvier 2011(18) que des arrêts courts et répétés, quelques dommageables qu’ils soient pour la production, ne peuvent en principe être considérés comme un exercice illicite du droit de grève.

La liberté syndicale

La « liberté garantie par la Constitution qu’a tout homme de pouvoir défendre ses intérêts par l’action syndicale »(19) fait aussi partie des principes constitutionnels fréquemment visés par la Cour, notamment pour apprécier si un groupement peut prétendre à la qualification de syndicat professionnel(20), pour trancher des litiges relatifs à la représentativité des syndicats(21) ou à la désignation de leurs représentants(22), pour déterminer si un employeur a porté atteinte à cette liberté(23), ou rappeler que tout licenciement d’un salarié prononcé à raison de ses activités syndicales est nul(24).

L’égalité

Même s’il comporte, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, de nombreuses exceptions, le principe d’égalité est également de valeur constitutionnelle et est appliqué par la Cour, au visa principal du Préambule de la Constitution de 1946 et de la Déclaration des droits de l’homme.

Il l’a été par exemple dans des affaires où l’employeur avait traité dans des conditions différentes des syndicats professionnels reconnus comme représentatifs(25).

Le principe de participation

L’article 8 du Préambule de la Constitution de 1946 et le droit pour tout travailleur de participer par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail fondent les décisions touchant notamment à la mise en place et au fonctionnement des institutions représentatives du personnel(26).

À la lumière de ces quelques illustrations, il n’est guère douteux que la jurisprudence de la Cour de cassation soit déjà imprégnée des principes découlant des textes formant le bloc de constitutionnalité.

L’ouverture du droit, pour les justiciables, de contester la conformité à la Constitution de textes législatifs déjà promulgués n’en a pas moins provoqué une évolution qu’il convient d’analyser.

II – La QPC : l’évolution dans l’application des normes constitutionnelles par la Cour de cassation

Les années récentes se caractérisent, d’une part par un élargissement du spectre des normes constitutionnelles auxquelles la Cour de cassation fait référence, d’autre part par une véritable appropriation par la Cour de la constitutionnalité du droit privé.

A - L’élargissement du spectre des normes constitutionnelles appliquées

Outre les textes mêmes relevant du bloc constitutionnel, la Cour de cassation s’appuie désormais régulièrement sur les décisions rendues par le Conseil constitutionnel, dont l’autorité à l’égard des pouvoirs publics et de l’ensemble des juridictions est garantie par l’article 62 de la Constitution.

Ainsi, c’est par la référence à une décision déterminée du Conseil constitutionnel, rendue le 14 mai 2012(27), que la chambre sociale a, par une nouvelle jurisprudence, précisé les conditions d’opposabilité à l’employeur du mandat d’un salarié protégé, pour une cause de protection extérieure à l’entreprise(28), ou encore s’est prononcée sur les prérogatives des syndicats représentatifs(29).

Une approche identique a été adoptée par la 2e chambre civile afin de déterminer les préjudices réparables pour un salarié victime d’un accident de travail imputable à une faute inexcusable de l’employeur(30).

Elle l’a fait aussi le 12 juillet 2012(31), pour un litige de paiement de cotisations sociales, en faisant expressément référence à l’interprétation par le Conseil, d’un article du code de la sécurité sociale (« Interprété à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du 11 février 2011 [2010-101 QPC], l’article L. 243-5 du code de la sécurité sociale n’exclut pas du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes de sécurité sociale les membres des professions libérales exerçant à titre individuel qui font l’objet d’une procédure collective »).

Il convient néanmoins de souligner que, dans son travail d’investissement du champ constitutionnel, la Cour de cassation ne s’est pas bornée à une simple transposition mécanique de ces normes, textuelles ou jurisprudentielles.

B - L’appropriation par la Cour de cassation de la constitutionnalité du droit privé

Cette appropriation s’est manifestée, au fil du temps, de diverses manières :

1 - L’analyse des décisions constitutionnelles

Parfois, la Cour de cassation a été amenée à analyser les décisions rendues par le Conseil constitutionnel, par exemple :

– Pour en délimiter la portée

Tel a été l’objet d’un arrêt déjà cité de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 4 avril 2012(32), pour constater que le caractère forfaitaire de la rente due à la victime d’un accident du travail n’a pas été remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 « qui ne consacre pas le principe de la réparation intégrale du préjudice causé par un tel accident ».

– Pour constater qu’un concours de qualifications juridiques est envisageable

La chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé le 31 mai 2012(33) que la CSG, « imposition de toute nature » selon le Conseil constitutionnel, revêt également la nature de cotisation sociale, au sens d’un règlement européen appliqué par la Cour.

2 - L’appréciation différente des questions litigieuses

Parfois, la Cour de cassation peut aussi prendre des décisions différentes de celles du Conseil constitutionnel, au nom de normes internationales produisant un effet direct en France.

Il en est par exemple ainsi des arrêts de la Cour qui, fondés sur la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou sur l’autorité interprétative qu’elle attache aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, ont écarté avec un effet immédiat certaines dispositions légales du droit interne, alors que le Conseil constitutionnel avait préféré en différer l’effet d’inconstitutionnalité.

Assez rares encore en pratique, on en trouve une illustration dans un domaine qui ne touche pas directement au droit social avec un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 avril 2013(34), pour le délai de contestation des arrêtés administratifs admettant des enfants comme pupilles de l’État prévu par l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, déclaré contraire à la Constitution par le Conseil le 27 juillet 2012(35) avec effet différé au 1er janvier 2014, mais écarté immédiatement par la Cour de cassation sur le fondement de l’article 6 de la Convention de sauvegarde.

En revanche, pour la matière du droit du travail, il faut souligner que, par un arrêt du 11 octobre 2012(36), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que les dispositions de l’article L. 1153-1 du code du travail sur le harcèlement sexuel, dans leur rédaction antérieure à la loi du 6 août 2012, telles qu’elles étaient interprétées à la lumière de la Directive 2006-1954/CE du Parlement et du Conseil du 5 juillet 2006 et appliquées par les juridictions judiciaires en matière civile, répondaient aux objectifs de clarté et d’intelligibilité de la loi, alors que, pour des dispositions similaires figurant dans le code pénal, le Conseil constitutionnel avait prononcé une décision de non-conformité à la Constitution(37).

3 - Le contrôle de la constitutionnalité de la loi

Cette appropriation des normes constitutionnelles va-t-elle jusqu’à contredire l’incompétence traditionnellement affirmée du juge judiciaire en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois ?

La Cour de cassation répond toujours négativement, lorsqu’il lui est demandé d’écarter une disposition légale pour non-conformité à la Constitution.

Même si l’inconstitutionnalité, au vu notamment des décisions antérieures du Conseil constitutionnel, est évidente, la Cour de cassation refuse toujours au juge judiciaire d’en écarter lui-même l’application.

L’un des meilleurs exemples en ce sens se trouve dans une matière sans rapport avec le droit social, pour un arrêt de la troisième chambre civile du 8 juillet 2011(38), le texte contesté transmis à l’appréciation du Conseil constitutionnel étant une loi antérieure au texte identique codifié et déjà déclaré contraire à la Constitution par le Conseil.

En revanche, dans l’exercice de son rôle de « filtre » en matière de QPC, la Cour de cassation doit apprécier le « caractère sérieux » de la question.

Elle doit donc exercer un contrôle de fond sur la disposition critiquée, de sorte que c’est seulement s’il existe un doute raisonnable quant à la conformité du texte à la Constitution qu’il y aura lieu de saisir le Conseil constitutionnel pour faire trancher la difficulté.

Et la Cour, lorsqu’elle dénie à une QPC tout caractère sérieux, opère parfois un véritable « jugement de constitutionnalité », avec des formulations qui pourraient se trouver dans des décisions du Conseil constitutionnel ou qui en sont directement inspirées.

Par exemple, un arrêt de la chambre sociale 14 septembre 2012(39) analyse lui-même une disposition légale relative à la mise à la retraite de salariés en retenant que le principe d’égalité devant la loi ne s’opposait pas à ce que le législateur règle de façon différente la mise à la retraite des salariés et en procédant à une recherche de l’objectif poursuivi par le législateur.

Toujours à titre d’illustration de cette jurisprudence, un arrêt du 20 février 2013(40) a décidé de ne pas renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC concernant des dispositions du code du travail, telles qu’interprétées par la jurisprudence, frappant de nullité le licenciement d’un salarié protégé sans autorisation de l’inspecteur du travail, en retenant que cette mesure ne constituait pas une sanction au sens de l’article 8 de la Déclaration de 1789 et ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre, non plus qu’elle ne portait atteinte au principe de séparation des pouvoirs ou au droit à un procès équitable.

De même, en matière de sécurité sociale, la deuxième chambre civile procède parfois à une analyse des objectifs poursuivis par le législateur, en particulier lorsque les normes en cause sont contestées au regard du principe déjà évoqué et très fréquemment invoqué d’égalité devant la loi (à propos du travail clandestin, pour une différence faite entre entreprises, selon qu’elles ont, ou non, fait l’objet d’un procès-verbal d’infraction : 2e civ., 5 juillet 2012, n° 12-40037 ; 2e civ., 6 février 2014, n° 13-40072, pour la situation de coopérants français au Maroc avant 1962, lorsqu’ils n’ont pas acquis depuis lors la nationalité française, au regard de leurs droits à pension comparés à ceux des nationaux).

On atteint alors les limites des prérogatives de la Cour, avec des discussions internes et des incertitudes quant aux choix à opérer, que chaque question renouvelle, tout au moins lorsqu’elle n’est pas fantaisiste ou manifestement dilatoire.

La Cour les appréhende avec les plus grands scrupules, consciente à la fois de l’examen approfondi que lui a confié le législateur pour le traitement des questions de constitutionnalité et de l’impérieuse nécessité de soumettre à l’appréciation du Conseil celles dont la solution n’est pas évidente ou qui portent, soit sur des problématiques au cœur des débats de société, soit sur des droits ou libertés essentiels.

C’est dans cet esprit qu’ont été, par exemple, transmises au Conseil constitutionnel :

– une QPC sur les conditions d’octroi de l’allocation due aux travailleurs handicapés(41) ;

– une QPC sur le travail en prison(42) ;

– une QPC sur les moyens de communication des organisations syndicales au sein de l’entreprise(43) ;

– des QPC sur le travail de nuit et certains aspects de l’interdiction du travail dominical(44).

Il est certain que l’approfondissement de la doctrine constitutionnelle mise en œuvre par le Conseil constitutionnel, avec le contrôle a posteriori des lois que lui permet la QPC, enrichit largement cette branche de la jurisprudence et facilite le travail des « juges ordinaires » appelés à se prononcer sur le sérieux des questions posées.

Un dialogue permanent entre Cours supérieures est néanmoins nécessaire pour délimiter clairement leurs attributions respectives.

En outre, pour dissiper toute équivoque quant aux conditions dans lesquelles ce travail d’analyse des questions est effectué par les juges judiciaires, souvent accusés d’obstruction au mécanisme de la QPC, il serait hautement souhaitable, avant même d’envisager la conception d’un instrument global de jurisprudence constitutionnelle, synthétisant celle de l’ensemble de ces Cours, que le site internet de la Cour de cassation publie, selon un classement méthodique, non seulement les décisions rendues sur les QPC, qu’elles tendent, ou non, à un renvoi au Conseil constitutionnel, mais aussi les rapports des conseillers rapporteurs et les avis des avocats généraux.

Une telle publication aurait le mérite de montrer, d’une part la très grande technicité de certaines matières qui suppose un examen par les magistrats qui en sont les spécialistes à la Cour, justifiant ainsi l’existence d’un « filtre » par les Cours supérieures judiciaire et administrative, d’autre part l’important travail réalisé par eux pour apprécier le degré de difficulté des questions et l’esprit de collaboration avec le Conseil qui les anime.

(1) Cour de cassation, Assemblée plénière, 2 juin 2000, n° 99-60274.

(2) Parmi de nombreuses décisions : Première chambre civile, 20 mai 2009, n° 08-10576 : « Les juridictions judiciaires n’ont pas le pouvoir d’écarter l’application d’un texte législatif pour non-conformité à la Constitution ».

(3) N° 08-45242.

(4) N° 10-16891.

(5) N° 05-13888.

(6) N° 01-21123.

(7) N° 04-46365.

(8) Soc., 11 juillet 2000, n° 98-40143.

(9) Soc., 19 novembre 1996, n° 94-19404 et Soc., 19 mars 1998, n° 95-42787.

(10) Notamment : 29 juin 2011, n° 09-71107 ; 26 septembre 2012, n° 11-14540.

(11) N° 11-28734.

(12) N° 90-41276.

(13) N° 90-41368.

(14) N° 90-41899.

(15) N° 93-41670.

(16) N° 01-10812.

(17) N° 08-43603.

(18) N° 09-69030.

(19) Soc., 2 juin 2010, n° 08-43277.

(20) Soc., 15 novembre 2012, n° 12-27315.

(21) Soc., 16 septembre 2008, n° 07-13440.

(22) Soc., 14 novembre 2012, n° 11-20391.

(23) Soc., 13 janvier 2010, n° 08-19955.

(24) Soc., 2 juin 2010, n° 08-43277.

(25) Soc., 29 mai 2001, n° 98-23078 ; Soc., 5 mai 2004, n° 03-60175.

(26) Soc., 17 mai 2011, n° 10-112852 ; Soc., 27 mars 2013, n° 12-60186.

(27) N° 2012-242 QPC.

(28) Deux arrêts, 14 septembre 2012, n° 11-21307 et n° 11-28269.

(29) Soc., 10 novembre 2010, n° 09-72856.

(30) 2e civ., 4 avril 2012, trois arrêts, nos 11-10308, 11-15393, 11-18014.

(31) N° 11-19861.

(32) N° 11-10308.

(33) N° 11-10762.

(34) N° 11-27071.

(35) N° 2012-268 QPC.

(36) N° 12-40059.

(37) Décision n° 2012-240 QPC.

(38) N° 11-40025.

(39) N° 12-40052.

(40) N° 12-40095.

(41) 2e civ., 17 février 2011, n° 10-21634.

(42) Soc., 20 mars 2013, n° 12-40104.

(43) Soc., 11 juillet 2013, n° 13-40021.

(44) Soc., 8 janvier 2014, n° 13-24851.