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Le contrôle des élections parlementaires avant le Conseil constitutionnel : la « vérification des pouvoirs », histoire et théorie

Bruno DAUGERON - Professeur de droit public à l'université Lumière Lyon 2

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 41 (Le Conseil constitutionnel, juge électoral ) - octobre 2013

Résumé : Le Conseil constitutionnel n'a pas toujours été chargé du contentieux des élections législatives et sénatoriales. Avant 1958, c'est un autre système qui s'appliquait : la vérification des pouvoirs. Pratiquée depuis la Révolution française, elle plaçait entre les mains des assemblées parlementaires elles-mêmes le règlement des différends électoraux. Toutes les élections, contestées ou non, devaient être vérifiées par les assemblées, c'est-à-dire par les députés et sénateurs qui devaient statuer sur la validité de l'élection de leurs collègues. Fondée sur une volonté d'indépendance du pouvoir législatif vis-à-vis des autres pouvoirs, ce système, qui n'avait rien d'arbitraire par principe, s'est aussi révélé, en pratique, manquer d'impartialité, les considérations politiques l'emportant trop souvent sur les exigences du droit. De là la volonté de rompre avec lui en 1958 en confiant au Conseil constitutionnel un véritable contentieux des élections parlementaires.


En hommage au professeur Guy Carcassonne

L'illusion rétrospective de l'existence d'un Conseil constitutionnel depuis toute éternité comme cheville de l'État de droit ne touche pas que son contrôle de la constitutionnalité des lois. Il concerne aussi son rôle de juge électoral. Qui se souvient aujourd'hui qu'avant la Constitution de 1958 l'examen de la validité des élections parlementaires n'était pas confié à un juge mais aux assemblées parlementaires elles-mêmes ? C'est pourtant ce qui s'est passé, selon des modalités voire des terminologies variables(1) et la plupart du temps avec rang constitutionnel, depuis les premières assemblées représentatives révolutionnaires de la France(2), et même avant elles, pendant les États-Généraux(3), jusqu'à la fin de la IVe République : la ou les Chambres procédaient à ce que l'on appelait la « vérification des pouvoirs ». En quoi consistait ce système ? Tout simplement en ce que les assemblées statuaient elles-mêmes sur la validité de l'élection de leurs membres : les pouvoirs devaient, disait-on, être « vérifiés » avant toute délibération des assemblées. Cette procédure, à la si mauvaise réputation aujourd'hui, était censée trouver sa justification dans un « principe », avancé par Eugène Pierre dans son Traité : « Une Assemblée n'existe et ne peut délibérer que lorsqu'il a été constaté que chacun de ses membres est muni d'un mandat régulier, inattaquable. (...) Au-dessus des bureaux chargés de compter les bulletins et des commissions chargées de réunir tous les totaux partiels, il faut une autorité investie du droit de dire si la conscience des électeurs et les prescriptions de la loi ont été complètement respectées. Ce droit les Assemblées le revendiquent pour elles seules »(4). Et ce « droit » se déroulait selon des procédés qui l'écartait assez sensiblement d'une procédure juridictionnelle malgré la terminologie utilisée, sous la IIIe République, par l'article 10 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics qui disposait que « chacune des Chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection »(5). Car pour compétentes qu'elles soient pour vérifier qu'elles étaient en droit de délibérer, les assemblées n'étaient précisément pas pour autant ce que l'on pourrait appeler un « juge » : elles ne constituaient pas une juridiction contraire mais, si l'on peut dire, à bien des égards, le contraire d'une juridiction. D'abord parce qu'elles n'avaient pas besoin d'être saisies. Les Chambres devaient en effet statuer sur l'ensemble des « mandats », y compris ceux qui ne faisaient pas l'objet d'une protestation, ce qui faisait écrire à Joseph-Barthélemy que le principe de la vérification des pouvoirs entrait « en contradiction avec l'idée que celle de la Chambre est celle d'une juridiction »(6). Ensuite parce que cette technique, si elle n'était nullement synonyme d'arbitraire par principe, n'offrait aucune des garanties découlant en principe d'une procédure juridictionnelle, raison pour laquelle M. Prélot, fin connaisseur du droit parlementaire et parlementaire chevronné lui-même, successivement député et sénateur sous deux républiques, refusait d'y voir un « contentieux électoral » à proprement parler, la vérification des pouvoirs relevant, selon lui, d'un mécanisme « nettement distinct »(7). La « nature » politique ou juridictionnelle de la vérification des pouvoirs fut d'ailleurs fort discutée tout au long de sa pratique(8).

Cette procédure, qui a beaucoup marqué la vie politique et parlementaire des deux Républiques précédant la Ve, ne s'y réduisait pourtant pas. D'une remarquable continuité historique très propice aux considérations rétrospectives, elle existait bien avant la situation de « souveraineté parlementaire » décrite par R. Carré de Malberg pour rendre compte de la pratique constitutionnelle de la IIIe République(9), dont elle n'est ni une cause ni une conséquence. Il suffit pour s'en convaincre de lire Le Nabab, roman d'Alphonse Daudet dans lequel est campée l'invalidation d'un député au Corps législatif sous le Second Empire, régime assez éloigné d'un gouvernement parlementaire mais qui n'en pratiquait pas moins de « véritables élections »(10) impliquant le recours à la vérification des pouvoirs. Elle n'a semblé accompagner une certaine pratique du parlementarisme, si caractéristique de la France d'avant la Ve République, que parce qu'elle a donné le sentiment qu'elle était une perversion du régime parlementaire des seules IIIe et IVe Républiques alors que c'est seulement une certaine pratique du parlementarisme et, plus largement, de la vie parlementaire qui l'a pervertie. Elle était même pleinement justifiée au regard des principes qu'elle était censée garantir et qui ne se réduisaient pas à la « séparation des pouvoirs ».

Certes, la justification de la vérification des pouvoirs, compte tenu de sa très longue histoire, a pu évoluer à travers le temps : la technique n'a pas toujours semblé servir les mêmes principes et a sans doute autant donné l'illusion de les produire que d'être déduite d'eux. Elle avait pourtant un sens, ne fût-il plus guère perçu aujourd'hui. Ce serait donc se condamner à ne rien comprendre à ce système que de l'associer à un régime en particulier ou de le juger rétrospectivement à l'aune de nos standards actuels qu'ils soient ceux, institutionnels, du parlementarisme dit « majoritaire » ou ceux, juridictionnels, fondés sur le concept conquérant et parfois intrusif d'État de droit. Il était avant tout lié à une certaine conception du statut des assemblées électives par-delà la question des régimes politiques qu'elles servaient et c'est dans cette double perspective historique et théorique qu'il doit en être rendu compte. La procédure de la « vérification des pouvoirs » révélait avant tout un mode de fonctionnement des institutions lié à l'idée que le Parlement se faisait de son indépendance (I), qui n'était, il est vrai, pas sans défauts qui ont d'ailleurs été à l'origine de la naissance d'un règlement juridictionnel des différends électoraux confié au Conseil constitutionnel à partir de 1958 (II).

I – Une procédure liée à l'indépendance des assemblées

La procédure de la vérification des pouvoirs dominée de bout en bout par les assemblées (A) était révélatrice d'une certaine conception du rôle du Parlement (B).

A - Une procédure interne au Parlement

Procédure interne aux assemblées et exclusive de toute autre intervention, c'est principalement le règlement des Chambres (articles 8 à 10 du règlement du Sénat et articles 1 à 6 de celui de la Chambre des députés dans leurs différents états sous la IIIe République)(11) qui en fixait le cadre et qui était la « source » de ce droit électoral parlementaire lequel faisait aussi largement place à la pratique, plus exactement « aux pratiques » appelées « précédents »(12) au point de rendre difficile une systématisation comme en témoignent les développements longs et nuancés, essentiellement constitués de cas, d'Eugène Pierre dans son Traité(13), secrétaire général de la Chambre des députés de 1893 à 1925 et infatigable notaire des soubresauts de la vie parlementaire. La procédure n'en était pas moins assez précise et marquée par un certain nombre d'étapes déterminées. Comme il le soulignait : « Il est de règle constante qu'avant d'être discutés en séance publique, les pouvoirs doivent être préalablement examinés dans les bureaux ; en effet, les supputations de chiffres, les vérifications de pièces, les auditions de témoins exigent le huis clos d'une commission »(14). Et de fait, pour la vérification des pouvoirs de leurs membres, Sénat et Chambre des députés avaient des procédures quasiment identiques.

La première des étapes était la répartition de l'assemblée en cause en bureaux (onze à la Chambre alors que le règlement du Sénat ne le précisait pas) chargés d'étudier les dossiers. Ils devaient procéder à l'examen des procès-verbaux d'élection répartis par ordre alphabétique de département et proportionnellement au nombre total des élections. Ils étaient examinés par des Commissions internes à ces bureaux, tirées au sort, et qui devaient comporter au moins cinq membres à la Chambre et trois au Sénat. Les rapporteurs étaient nommés par les bureaux qui étaient saisis des questions qu'ils avaient à examiner soit à travers les procès-verbaux d'élection transmis à la Chambre par le ministre de l'Intérieur, soit par des protestations des électeurs adressées au président de l'assemblée concernée. Les bureaux devaient, en principe, examiner également les élections non contestées, examen devenu, au fil du temps, une simple formalité. Dans tous les cas, ils devaient, du moins sous la IIIe République, établir un « rapport d'élection » écrit afin de permettre à l'assemblée en cause de statuer et désigner un rapporteur pour chaque élection. Il se bornait à faire état du nombre des électeurs inscrits, des votants et suffrages exprimés ainsi que le nombre de voix obtenues par chacun des candidats lorsque l'élection n'était pas contestée mais devait être formellement validée puisque, à l'exemple de la IIIe République, les deux assemblées devaient se prononcer sur la validité des élections, et leur président donner le nom des parlementaires dont les pouvoirs avaient été validés. Lorsque l'élection était contestée, les rapports devaient examiner tous les griefs de nullité ainsi que faire une proposition à la Chambre concernée afin d'éclairer son jugement. Le règlement de la Chambre prévoyait qu'ils étaient publiés à la suite du compte-rendu in extenso du Journal officiel avant qu'elle ne soit appelée à statuer. Détaillés, ils exposaient les griefs et proposaient une solution. La procédure pouvait être longue à proportion que le cas était compliqué, laissant celui qui n'était plus tout à fait un candidat mais pas encore un membre définitif du Parlement dans l'incertitude pesante de l'état de « demi-parlementaire ».

Du point de vue procédural, en cas d'élection contestée, le bureau compétent entendait en principe le député élu et recevait son explication sur les faits signalés dans la protestation. Il pouvait également entendre soit un candidat non élu, soit des agents de l'administration comme des préfets ayant participé à l'organisation de l'élection. Les garanties n'étaient pas absentes puisque le candidat dont l'élection était contestée pouvait obtenir communication du rapport fait sur son élection.

C'est seulement après ce travail préalable que commençait la discussion des pouvoirs en séance publique. Cette dernière consistait dans l'audition des rapports présentés à la tribune par les différents rapporteurs, dans la discussion qui s'en suivait et dans la délibération qui s'établissait sur les différentes questions que l'élection vérifiée pouvait présenter. Avant de se prononcer par un vote, les Chambres pouvaient demander et recevoir directement en séance des explications des parlementaires concernés et, pour éclaircir des faits, elles pouvaient avoir recours à une enquête parlementaire. À l'issue de toute cette procédure, et des discussions parfois houleuses qu'elle pouvait entraîner, la chambre concernée se prononçait souverainement par un vote qui consistait soit en une validation, soit en une invalidation, c'est-à-dire une annulation et, le cas échéant, la proclamation de l'élection d'un autre candidat que celui annoncé par la commission de recensement. Elle décidait en dernier ressort sans être liée par la proclamation de ce résultat dans la logique actuelle de la pleine juridiction du juge de l'élection. Elle pouvait notamment proclamer élu un autre candidat que celui qui l'avait été par la commission de recensement si elle voyait en lui celui qui avait réellement obtenu la majorité des voix. L'admission ou validation de l'élection, une fois prononcée, était définitive et irrévocable comme l'était le refus d'admission ou invalidation.

B - Une procédure révélatrice d'une certaine conception du Parlement

Que révèle cette technique sur l'esprit des institutions ? Deux choses. La première que, comme l'écrit M. Prélot, la vérification des pouvoirs exprime d'abord un « pouvoir souverain d'appréciation » du Parlement, le principe de souveraineté des assemblées en matière de vérification des pouvoirs l'emportant sur toute autre considération. Les assemblées devaient rester maîtresses du droit de siéger de leurs membres sans l'intervention d'aucun autre organe. Pas d'autonomie de volonté sans liberté de déterminer soi-même sa composition. C'est même là sa principale signification sur le plan juridique. C'est pourquoi le prédécesseur d'Eugène Pierre, Jules Poudra, voyait dans la vérification des pouvoirs « la plus précieuse sauvegarde de l'indépendance parlementaire »(15). Même si l'on ne parvient pas toujours à saisir si c'est l'indépendance qui servait de justification à la vérification des pouvoirs ou si c'est la vérification des pouvoirs qui trouvait sa justification dans l'indépendance, reste que, quels que soient les régimes qui l'ont pratiqué, elle n'a jamais relevé du folklore ou d'une simple survivance décorative et périmée mais exprimait une réelle volonté d'autonomie de l'institution parlementaire en tant que telle, quelles que soient les raisons avancées pour la justifier, lesquelles ont d'ailleurs changé selon les époques et les contextes. Que ce soit la qualité d'organe représentatif de la volonté du peuple servant à prescrire un traitement autonome pour l'élection de ses membres, celle, plus tardive et marginale, d'organe élu au suffrage universel dont il prétendait préserver seul le sens, que celle, apparemment paradoxale mais bien présente, d'organe qui entendait au contraire l'encadrer. Quand, en effet, les Chambres s'estimaient libres de démentir à l'occasion le verdict du suffrage universel ce n'était pas, contrairement à une idée rétrospective trop répandue, parce qu'elles étaient les seules à en procéder – car précisément elles n'en ont pas toujours procédé, y compris sous la IIIe République, où le Sénat était élu au scrutin indirect pensé à l'époque comme un contournement du suffrage universel – mais parce qu'elles entendaient protéger l'institution y compris vis-à-vis de lui qu'elles se fixaient comme mission de canaliser plus que de sacraliser. Cette idée n'était pas étrangère au maintien d'un entre-soi propre aux mœurs du gouvernement représentatif dont l'esprit est tout entier contenu dans la formule, rapportée par Batbie, d'un député vantant le système de la vérification des pouvoirs par les assemblées parlementaires et dont la portée n'était pas loin d'avoir valeur normative à travers les époques : « Nous n'avons pas le droit de nous élire mais nous avons celui de nous choisir »(16).

Ensuite, selon les mots très expressifs du doyen Vedel, que la vérification des pouvoirs « procède aussi de l'idée très enracinée chez nos Constituants que tout contrôle juridictionnel touchant de près ou de loin à la vie parlementaire (constitutionnalité des lois, p. ex.) risque de porter atteinte aux prérogatives des Assemblées »(17). Le refus d'un système juridictionnel se substituant à la vérification des pouvoirs reposait en effet sur une méfiance proche de celle nourrie envers le contrôle de constitutionnalité de la loi par un juge : l'organe souverain ne saurait souffrir la tutelle d'un autre organe, même juridictionnel, augmenté ici du soupçon de pouvoir porter atteinte à son indépendance en rendant des décisions conformes aux vœux du pouvoir exécutif qui le nomme. On craignait, en outre, en matière électorale, « les jurisprudences contraires et changeantes »(18) des juridictions. Quelles que soient les époques, le Parlement ne tenait pas la figure du juge comme la quintessence du droit et n'était pas encore marqué par ce que l'on a récemment appelé « l'emprise contemporaine des juges »(19). L'évidence rétrospective que tout litige relève « par nature » d'un juge, par ailleurs soupçonné de n'être pas indépendant, était loin d'exister. C'est le traitement juridictionnel qui faisait figure d'exception et non l'inverse.

D'ailleurs, contrairement encore à une autre idée reçue, cette technique, et donc la méfiance qu'elle révélait à l'égard d'un tiers pouvoir, n'était en rien propre aux seules assemblées parlementaires réputées depuis tenir là la preuve de leur caractère « politique » ou de celui de leurs élections, principes rétrospectivement avancés pour expliquer le recours à la vérification des pouvoirs : ce mode de contrôle des élections était utilisé par d'autres assemblées « délibérantes » comme l'on disait à l'époque, qu'elles soient ou non représentatives.

Les assemblées parlementaires ne détenaient en effet nullement le monopole de la vérification des pouvoirs. Il était communément admis que « tout corps électif est nécessairement juge de la validité des élections qui servent à le former »(20). Ce fut le cas de l'Assemblée de l'Union française – assemblée « quasi-parlementaire » selon les mots de G. Vedel – sous la IVe République (article 70 de la Constitution du 27 octobre 1946). Mais aussi, avant elle, des conseils généraux lesquels, fait bien oublié aujourd'hui, ont également eu recours, en qualité d'assemblée locale, à la technique de la vérification des pouvoirs de leurs membres entre 1871 et 1875 avant de finir par être confié à nouveau, après moult vicissitudes, aux conseils de préfecture à la fin de la IIIe République(21). La question de l'indépendance des assemblées électives en général ne se confondait donc pas, pas davantage qu'elle ne l'impliquait, avec la situation de « souveraineté parlementaire » issue de la pratique constitutionnelle de la IIIe République prolongée sous la IVe. D'ailleurs Laferrière, par exemple, ne justifie pas la compétence de la Chambre à vérifier les pouvoirs de ses membres par la nature particulière des élections qui y pourvoient(22). La procédure, ainsi que le soulignait Esmein, était d'abord justifiée par une volonté d'indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, lequel, organisant les élections, était toujours susceptible de faire pression sur les électeurs(23), non en vue de rendre compte de la particularité de la nature d'organe représentatif du Parlement, et encore moins de celle, « politique », de la compétition électorale qui n'était pas une donnée pertinente du point de vue juridique et qui n'a, au demeurant, pas toujours existé. En tant qu'assemblée locale, les conseils généraux n'étaient d'ailleurs pas moins pleinement souverains dans leur vérification que ne l'étaient les Chambres(24). Les propositions de réforme les plus diverses ne cesseront d'ailleurs de se succéder(25). Mais ces dernières n'étaient pas non plus le fruit du hasard. Elles s'expliquaient aussi par les défauts, parfois vilains, de ce système qui, pour les conseils généraux aussi bien que pour les Chambres qui ne consentiront à y renoncer que bien plus tard, le rendait finalement assez peu protecteur dans un contexte de politisation accrue des campagnes électorales, ni conforme à ce que l'on a nommé depuis les « exigences de l'État de droit ».

II – Un système finalement peu protecteur

La technique de la vérification des pouvoirs, aussi ancrée et cohérente qu'elle fut du point de vue de l'institution parlementaire, s'est finalement révélée peu protectrice pour les parlementaires pris individuellement tant en raison des limites de sa mise en œuvre à l'époque (A) que des dérives auxquelles elle a pu donner lieu (B).

A - Des limites certaines

Le dogme de l'infaillibilité parlementaire n'en faisait pas moins percevoir les limites d'un mode opératoire qui n'avait, en réalité, que peu de rapport avec une procédure juridictionnelle procurant certaines garanties. Les limites de la vérification des pouvoirs étaient perçues depuis toujours et concernaient aussi bien le caractère flottant de la procédure que le manque d'impartialité qu'elle pouvait engendrer.

Sur le premier point, en matière de vérification des pouvoirs, si le principe était que tout citoyen avait le droit de protester devant la Chambre des députés contre une élection législative alors même que le citoyen en question n'était ni électeur ni candidat, aucun délai n'était fixé pour la rédaction ou l'envoi des protestations. Les règles de formes étaient quasiment inexistantes : les protestations pouvaient être manuscrites aussi bien qu'imprimées, voire envoyées sous forme de « dépêche télégraphique », forme de communication moderne sous la IIIe République. Elles étaient dispensées du droit de timbre mais devaient toujours être signées, les Chambres étant réputées ne pas prendre en considération les protestations non revêtues de la signature de leur auteur. Elles devaient en revanche être adressées au président de l'assemblée concernée qui devait les transmettre, par l'intermédiaire de la questure, aux bureaux compétents.

Cette absence de formalisme qui aurait pu être considérée comme une souplesse était source d'incertitudes. Les limites tenaient d'ailleurs plus largement à l'imprécision même des pouvoirs des Chambres : la pratique ne donnait pas toujours lieu à une formalisation dans les règlements respectifs des assemblées. Elle pouvait varier considérablement d'un cas de figure à l'autre faute de règles précises auxquelles se référer et en l'absence de ce que l'on pourrait appeler une « jurisprudence »(26). Ainsi, en fonction des cas de figure, les chambres devaient se prononcer soit sur la validation soit sur l'annulation. En principe, le rejet des conclusions de validation emportait de plein droit l'annulation et inversement mais comme la vérification des pouvoirs dépendait de la procédure parlementaire, il était toujours possible de moduler cette règle en fonction des circonstances, y compris par voie d'amendement(27).

Quant au second point, la compétence souveraine revendiquée par les Chambres, n'était plus, en pratique, une simple souveraineté dans l'appréciation des faits d'une élection, garantie d'indépendance, mais était interprétée comme une déclinaison de la « souveraineté parlementaire » qui, née de la pratique constitutionnelle, avait pour conséquence de conduire les autres pouvoirs à s'y soumettre. Elle cadrait mal, en outre, avec une procédure que l'on qualifie aujourd'hui d'indépendante et d'impartiale : « la Chambre est un jury souverain » : « quand, dans son âme et conscience, elle croit indépendamment de toute espèce de preuve judiciaire, qu'une élection a été obtenue par des moyens que la morale réprouve, elle prononce la nullité de l'élection, sans avoir besoin de soumettre sa décision à une enquête préalable de la justice, et, en cela, elle use du droit que la Constitution lui donne » ira jusqu'à dire un député(28). Les Chambres s'estimaient compétentes pour tout et ne renvoyaient pas même les questions d'état civil se rapportant à des vérifications des pouvoirs. Et de fait, comme l'écrivait Carré de Malberg, « quand une Constitution est partie de l'idée que le Parlement porte en lui la représentation de la volonté générale, il faut s'attendre à ce que l'idée produise ses effets dans tous les domaines de l'organisation des pouvoirs publics »(29). Aussi, les Chambres ne se sentaient-elles que très relativement tenues par les normes électorales qu'elles édictaient elles-mêmes et qui provenaient de précédents à la normativité flottante sur lesquels il était toujours possible de revenir par voie de résolution pour manifester une souveraineté jalousement défendue. Certaines vérifications furent l'occasion de soulever l'idée que la Chambre, puisqu'elle avait à apprécier la régularité voire la signification d'un acte politique « n'était soumise dans son appréciation, à la limitation d'aucune règle »(30) et donc pas celle du droit électoral qu'elle avait elle-même posée. En la matière, la seule loi était celle que l'assemblée se donnait, y compris en matière d'inéligibilité. E. Pierre allait même jusqu'à considérer qu'en matière de vérification des pouvoirs les « privilèges d'une Chambre » pourraient aller « jusqu'à lui permettre de déclarer éligible et valablement élu un citoyen français frappé de condamnations entraînant, aux termes de lois formelles, et toujours existantes, la perte des droits politiques et l'inéligibilité absolue » tant « il n'est pas douteux que si une chambre rendait quelque jour un verdict de cette nature, il devrait être obéi et donnerait au citoyen qui en aurait obtenu le bénéfice plein droit de siéger dans l'enceinte législative »(31). Ce point fut régulièrement discuté notamment lors du mémorable débat sur l'invalidation d'Auguste Blanqui en juin 1879. Bien que sous le coup de condamnations qui le rendaient inéligible, Clémenceau n'en soutint pas moins la thèse du « pouvoir discrétionnaire et souverain qu'ont les Chambres de se prononcer souverainement, et suivant chaque espèce, sur chacun des cas d'inéligibilité établis par les Assemblées qui les ont précédées »(32). L'élection ne fut pas validée mais E. Pierre, en observateur avisé, en conclut qu'un principe essentiel se dégageait de cette controverse : « la Chambre statuant en matière de vérification des pouvoirs n'est liée ni par le texte des lois ni par les décisions du suffrage universel. Elle est souveraine et d'une souveraineté absolue et sans réserve »(33).

De même, les Chambres, bien qu'elles pouvaient le faire, n'étaient pas tenues de motiver leur décision sur la validité de l'élection : « Le bureau chargé d'examiner le dossier de l'élection et l'Assemblée elle-même apprécient souverainement la question et n'ont pas à rendre compte des motifs de leur décision » insistait Eugène Pierre(34). Et ces motifs n'étaient pas toujours juridiques, le parlementaire mis en cause pouvant emporter la conviction de ses collègues sur sa réputation ou la qualité de sa prestation en séance publique bien plus que sur le fond de son dossier. C'est bien pourquoi, dans le tableau comparatif que dressait Joseph-Barthélemy des aspects juridictionnels et non juridictionnels de la procédure, important débat à l'époque, les éléments non juridictionnels l'emportaient sur les aspects juridictionnels : caractère public du vote ; caractère automatique de la saisine ; domination des considérations politiques en pratique ; absence des garanties juridictionnelles, à commencer par celle du caractère contradictoire de la procédure(35). De là les mises en cause de la technique de la vérification des pouvoirs dont la logique, parfaitement fondée et qui n'avait rien d'intrinsèquement perverse, avait fini par être compromise par la politisation accrue des élections et des assemblées tout au long du XIXe siècle : « À une époque où l'opinion était moins dominante, où les partis ne se livraient point, comme de nos jours, à une si ardente mêlée sur l'arène politique, il n'y avait point d'inconvénients à donner aux Chambres la vérification des pouvoirs de leurs membres. Aujourd'hui il est indispensable de la leur retirer. Toute élection est désormais une bataille, à la suite de laquelle il n'y a plus que des vainqueurs et des vaincus. Et l'on veut que le vainqueur juge le vaincu ! Et l'on espère qu'il ne sera pas irrésistiblement porté à achever sa victoire au moyen d'invalidations, alors surtout que sa majorité est faible et peut devenir incertaine ! » écrira un magistrat à la fin du XIXe siècle(36). Si l'on ajoute à cela que les rapporteurs des dossiers de validation, parlementaires eux-mêmes, n'étaient pas toujours enclins à la plus grande sévérité pour les indélicatesses électorales de leurs collègues qu'ils pouvaient avoir commises à l'occasion, on saisit les risques de duplicité de la procédure, les assemblées se laissant « parfois aller à des décisions motivées plus par la solidarité politique que par la rigueur juridique », pour le dire avec les mots de Guy Carcassonne(37). C'est pourquoi les propositions les plus diverses se succèderont pour substituer à la vérification des pouvoirs par les Chambres un traitement juridictionnel censé présenter des garanties d'impartialité et d'indépendance prêtées à ce type de procédure que la vérification des pouvoirs, devenue obsolète et inadaptée aux réalités parlementaires, n'était plus en mesure d'offrir compte tenu de la nature et de l'ampleur des batailles électorales(38). Sans succès toutefois tant était ancré le principe de la vérification des pouvoirs qui ne cèdera qu'en raison de l'aggravation de ses dérives.

B - Des dérives fâcheuses

Les risques que la vérification des pouvoirs faisait courir à l'impartialité des décisions étaient connus. Ils découlaient de la combinaison de ce système avec la politisation des affrontements électoraux dont la règle implicite finissait, selon Joseph-Barthélemy, à mettre « l'application et la sanction des lois d'hygiène électorale (...) à la merci de la majorité parlementaire »(39). Alors même que le droit parlementaire n'est pas censé connaître la politisation au sens électoral du terme, tous les membres du Parlement, groupes parlementaires ou non, étant « collègues » au sein de l'institution comme ils le clament encore aujourd'hui au début de chacune de leurs interventions, les considérations politiques se sont faites de plus en plus pesantes, la campagne électorale se prolongeant dans le cadre de la vérification des pouvoirs par d'autres moyens que celui du suffrage. C'est là que les dérogations à la légalité, qui pouvaient toujours être justifiées par le principe d'indépendance, devenaient dangereuses : à force de trouver des justifications dans les principes, on transformait les principes en justifications. Si l'appréciation d'une élection est un « acte politique » en ce qu'il repose sur « l'opinion » des chambres, et non juridictionnel, alors les considérations d'opportunité politique étaient recevables autant que la légalité sur laquelle elles pouvaient même l'emporter sans, comme on l'a vu, avoir le sentiment de violer le droit, les assemblées pouvant aller jusqu'à revendiquer d'être au-dessus du droit qu'elles produisaient au nom de leur indépendance. L'histoire de la vérification des pouvoirs est jalonnée d'invalidations douteuses qui confirment ces craintes(40).

Mais c'est pour une seule d'entre elles que le procédé est réputé avoir perdu toute crédibilité : l'invalidation groupée, sous la IVe République, de onze députés de l'Union et fraternité française, version électorale de l'U.D.C.A. (Union de défense des commerçants et des artisans) : « L'attitude de la troisième législature de la quatrième République remplaçant d'autorité onze poujadistes par leurs adversaires devait discréditer à la fois ses bénéficiaires et le système même de la vérification des pouvoirs »(41), résume M. Prélot. Les raisons de l'invalidation étaient censées se trouver dans les conditions d'apparentement des listes présentées par le parti de Pierre Poujade. Alors que la loi du 9 mai 1951 sur les apparentements permettait une entente entre listes déclarées apparentées afin de se partager au prorata de leurs voix la totalité des sièges du département si elles obtenaient la majorité absolue des suffrages, elle interdisait aussi à un même parti ou à une même organisation de présenter plusieurs listes sous le même nom ou sous des noms différents dans la même circonscription afin de les apparenter les unes aux autres (art. 6). C'est pourtant ce dont l'Union et fraternité française fut accusée dans plusieurs départements : si une seule était officiellement présentée par Pierre Poujade, d'autres dans la même circonscription et sectorisées par profession, ne l'étaient pas officiellement mais se réclamaient néanmoins de son action(42). Douze députés étaient concernés. Le problème juridique était donc réel(43). Mais l'accusation fut perçue comme une manœuvre puisqu'elle revenait à dénoncer ce type d'apparentement et non ceux opérés au profit des partis se partageant le pouvoir sous la IVe République et dont certains étaient pourtant exemplaires des plus belles combinaisons dont était capable le régime. Et de fait, la contestation des apparentements poujadistes aboutit, non à annuler les suffrages portés sur les listes dans les départements litigieux, mais à considérer les apparentements comme nuls et, au lieu de déclarer les sièges vacants, à proclamer élus les concurrents des poujadistes à leurs places. Le sort des députés de l'U.D.C.A. avait donc été scellé par leurs adversaires. La frontière avec le règlement de compte politique se faisait ténue. Les limites de la vérification des pouvoirs apparaissaient en pleine lumière.

Ce fut d'ailleurs une des justifications avancées de renoncer à réformer la procédure et du choix, radical, de confier, en 1958, le contentieux des élections parlementaires à une institution nouvelle que l'on cherchait à occuper et qui, autant qu'il est possible, en ferait un traitement juridictionnel. Dans son discours de présentation des nouvelles institutions devant le Conseil d'État du 27 août 1958, Michel Debré, évoquant la création d'un Conseil constitutionnel, expliqua que parmi les autres attributions que celles du contrôle de la loi, figurait « le jugement des élections contestées afin de faire disparaître le scandale des invalidations partisanes »(44). L'affirmation du caractère juridictionnel de la procédure fut donc considérée comme un acquis que le Conseil constitutionnel entendit manifester dès les premières décisions qu'il rendit en 1959(45). Il en a, depuis, rendu près de trois mille mais désormais seulement sur des élections contestées.

Cette réforme, perçue comme souhaitable à la fin de la IVe République et comme une attribution importante du tout jeune Conseil constitutionnel éclipsée depuis par le contrôle de constitutionnalité de la loi, n'avait pourtant rien d'une nécessité historique ou juridique impliquée par la pureté du droit. Les assemblées parlementaires continuent d'ailleurs, pour certains aspects de leur vie politique et administrative pas moins importants, et malgré l'évolution de la jurisprudence du Conseil d'État(46), à n'être soumises à aucun juge (comme pour certaines décisions prises par leur Bureau) sans que personne n'y voit une faille dans l'État de droit. D'autres États parlementaires, comme l'Italie (art. 66 de la Constitution de 1947) qui disposent d'un système développé de justice constitutionnelle, laissent également les assemblées juger du droit à siéger de leurs membres. La compétence électorale du Conseil constitutionnel relève donc d'un choix ayant ses avantages et ses contraintes. Il est toutefois un fait que, malgré les malheureux qu'elle a pu faire, nul n'a jusqu'à présent songé à revenir sur elle pour restaurer la vérification des pouvoirs au point qu'elle semble à présent faire corps avec l'histoire de la Ve République et être ancrée dans le droit électoral français.


(1) V. E. Pierre, Traité de droit politique électoral et parlementaire, 2e éd., 1902, Librairie imprimeries réunies, p. 404 sqq.

(2) L'article 2 de la Section IV du Chapitre 1er du Titre III de la Constitution du 3 septembre 1791 disposait : Les représentants « se formeront provisoirement en Assemblée, sous la présidence du doyen d'âge, pour vérifier les pouvoirs des représentants présents ».

(3) V. P. Tanchoux, Les procédures électorales en France de la fin de l'Ancien régime à la première guerre mondiale, CTHS Histoire, 2004, p. 21 sqq et p. 136 sqq. Comme l'expliquait le doyen Vedel : « La tradition des États Généraux voulait que, dès leur première réunion, les délégués aux États Généraux qui étaient des mandataires au sens précis du mot, soumissent à l'assemblée de leur Ordre les titres en vertu desquels ils prétendaient siéger. Cette pratique a survécu à la conception de l'élection-mandat individuel et a été appliquée de façon constante par nos constitutions qui confient toutes aux Chambres elles-mêmes le soin de prononcer sur la régularité des élections de leurs membres », Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Sirey, 1949, p. 369-370. Pour un historique en droit comparé de cette procédure, v. F. Delpérée, Le contentieux électoral, PUF, 1998, p. 58-78.

(4) V. E. Pierre, Traité de droit politique électoral et parlementaire, op. cit., p. 404.

(5) Il n'était que la reprise de l'article 5 du décret organique du 2 février 1852 pour l'élection des députés et guère complété que par l'article 51 du même décret toujours en vigueur sous la IIIe République qui disposait que les condamnations prononcées pour crimes et délits électoraux ne pouvaient, en aucun cas, avoir pour effet d'annuler l'élection déclarée valide par les pouvoirs compétents. L'article 8 de la Constitution du 27 octobre 1946 disposait quant à lui que « Chacune des deux Chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection ; elle peut seule recevoir leur démission ».

(6) Précis de droit constitutionnel, Dalloz, 2e éd., 1933, p. 239.

(7) Institutions politiques et droit constitutionnel, Dalloz, coll. « Précis », 5e éd., 1972, p. 755. M. Hauriou, qui opposait d'ailleurs contentieux électoral et vérification des pouvoirs écrivait avant lui que « la vérification se fait, non point en la forme d'un procès, mais suivant une procédure parlementaire établie par le règlement intérieur de la Chambre », Précis de droit constitutionnel, Sirey, 2e éd., 1929 (rééd. CNRS, 1965), p. 602 et 505.

(8) Alors que Duguit voulait y voir une procédure juridictionnelle, v. Manuel de droit constitutionnel, Fontemoing-de Boccard, 3e éd., 1918, p. 411-413, Joseph-Barthélemy avait un avis plus nuancé et dressait la liste comparative des aspects juridictionnels et non juridictionnels, v. J. Barthélemy et P. Duez, Traité de droit constitutionnel, Sirey, 1933, p. 438-442, et Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 237-240. F. Moreau considérait lui que le pouvoir législatif empiétait sur le pouvoir judiciaire au point d'y voir une atteinte à la séparation des pouvoirs, Précis élémentaire de droit constitutionnel, Sirey, 11e éd., 1933, p. 225-226.

(9) La loi, expression de la volonté générale, Sirey, 1931, rééd. Économica, 1984, passim.

(10) Selon l'expression d'Y. Guchet, Histoire constitutionnelle de la France. 1789-1974, Économica, 1993, p. 190.

(11) Je remercie M. Bertrand Marcincal, chef de la division des archives de l'Assemblée nationale, de m'avoir aimablement facilité l'accès aux différentes éditions des règlements des Chambres.

(12) Sur leur importance en droit parlementaire, v. P. Avril et J. Gicquel, Droit parlementaire, Montchrestien-Lextenso éditions, 4e éd., 2010, p. 19-28.

(13) Traité de droit politique électoral et parlementaire, op. cit., p. 404-445.

(14) Ibid., p. 419.

(15) Cité par M. Baudot, Essai sur la vérification des pouvoirs des membres des assemblées législatives, Thèse droit, Giard et Brière, 1899, p. 97.

(16) Cité par A. Batbie, Traité théorique et pratique de droit public et administratif, Larose et Forcel, 2e éd., 1885, t. III, p. 32.

(17) Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 370. Nous soulignons.

(18) Selon l'expression d'Esmein, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 7e éd., Sirey, 1921, II, p. 355.

(19) Pour faire écho au titre de l'ouvrage de J. Krynen, L'État de justice France, XIIIe-XXe siècle, II, L'emprise contemporaine des juges, Gallimard, NRF, coll. « Bibliothèque des histoires », 2012, passim.

(20) Comme certains députés le firent observer à l'occasion du débat sur la loi sur l'organisation des conseils généraux de département et des conseils d'arrondissement sous la monarchie de Juillet pour repousser le principe de la compétence des conseils de préfecture, finalement adoptée, et qui faisait figure d'exception à l'époque (v. le commentaire de l'article 51 de la loi du 22 juin 1833, Duvergier 1833, p. 214, note 2). Le juriste italien V.-E. Orlando rappelait le principe développé dans toutes les « Constitutions modernes » selon lequel « toute assemblée a seule le droit de vérifier les titres d'admission de ses membres », Principes de droit public et constitutionnel, Paris, Fontemoing, 1902, p. 183.

(21) « La loi du 10 avril 1871, écrit Chante-Grellet, avait, il est vrai, consacré le système d'une vérification générale et nécessaire qui est celui de la Chambre des députés et du Sénat, et qui donne à cet égard un pouvoir souverain à ces assemblées en disant dans l'article 16 que “le conseil général vérifie les pouvoirs de ses membres sans aucun recours possible”. Mais les inconvénients et même les abus qui ont été signalés, et qui tiennent à la composition même des assemblées départementales y ont fait renoncer. La loi du 31 juillet 1875 a rendu au Conseil d'État le pouvoir de statuer sur la validité des élections aux conseils généraux », Répertoire du droit administratif, Paris, P. Dupont, 1897, t. XV, p. 41, et Traité des élections, Paris, Paul Dupont, II, p. 10.

(22) Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2e éd., t. 2, Berger-Levrault, Paris-Nancy, 1896, p. 320 sq.

(23) Éléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit., II, p. 355. Dans le même sens, v. M. Hauriou : « La vérification des pouvoirs a été une précaution indispensable dans les débuts du régime représentatif, alors que les assemblées avaient à redouter les entreprises du pouvoir exécutif, mais la précaution ne devrait pas survivre au danger qui a disparu depuis longtemps », Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 505-506. V. aussi L. Philip, Le contentieux des élections aux assemblées politiques françaises. De la vérification des pouvoirs par les Chambres au contrôle juridictionnel par le Conseil constitutionnel, LGDJ, 1961, p. 12-14, et aussi du même, « Les attributions et le rôle du Conseil constitutionnel en matière d'élections et de référendum », RDP, 1962, p. 46-101. V. aussi J.-P. Charnay, Le contrôle de la régularité des élections parlementaires, LGDJ, 1964, passim et du même, Les scrutins politiques en France de 1815 à 1962. Contestations et invalidations, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1964, 292 p., passim. En ce sens on ne peut donc suivre M. Hauriou qui associait la vérification des pouvoirs à la nature politique de l'Assemblée, Précis de droit administratif et de droit public, 11e éd., Sirey, 1927, p. 80, mythe d'une vérification des pouvoirs comme contentieux parlementaire par essence, au demeurant remis en cause sous la IIIe République même, v. en ce sens M. Baudot, Essai sur la vérification des pouvoirs des membres des assemblées législatives, op. cit., p. 17 sqq.

(24) Malgré les protestations suscitées par le principe, le Conseil d'État n'en confirma pas moins, chaque fois qu'il fut saisi, les « pouvoirs absolus des conseils généraux en la matière », v. en ce sens l'avis du 15 janvier 1875 (reproduit dans Les conseils généraux. Interprétation de la loi organique du 10 août 1871, Berger-Levrault, 1878, vol. 1, p. 841), et ses décisions des 12 mars 1875, Pagézy, Michel Chevalier et autres, Rec., p. 253-255, et 23 avril 1875, Chassaigne, Dalloz, 1875, III, p. 106-107.

(25) Évoquées dès les débats de la loi de 1871, v. Duvergier, 1871, p. 188, puis pendant et après le vote de la loi du 31 juillet 1875. À peine abrogé, des projets de restaurer l'article 16 se feront jour comme le mentionneront, pour le regretter, les commentateurs du Lebon, v. CE., 23 juin 1875, Él. de Pont-du-Château, Rec., p. 365, note 1. M. Hauriou reconnaîtra d'ailleurs, à l'occasion, que « la souveraineté des Chambres dans la vérification des pouvoirs ne constitue pas un dogme intangible », dans sa note sous la célèbre affaire CE, 26 janvier 1912, Dame Marguerite Durand, Sirey, 1912, III, p. 90.

(26) Comme l'écrit M. Baudot : « Nous avons vu au cours de cette étude, que la pratique était du reste conforme à la théorie et que nos Chambres se souciaient fort peu de la légalité. (...) Il est donc difficile d'établir une jurisprudence fixe pour nos Assemblées et il faut bien reconnaître que les questions politiques sont, dans cette matière, au premier rang », op. cit., p. 97-98.

(27) E. Pierre, Traité de droit politique électoral et parlementaire, op. cit., p. 434-439.

(28) Martin (du Nord) cité, par E. Pierre, op. cit., p. 406.

(29) La loi, expression de la volonté générale, op. cit., p. 175.

(30) Traité de droit politique électoral et parlementaire, op. cit., p. 410.

(31) Ibid., p. 410.

(32) Ibid., p. 411.

(33) Ibid., p. 412.

(34) Ibid., p. 407.

(35) J. Barthélemy et P. Duez, Traité de droit constitutionnel, op. cit., p. 438-442, et Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 237-240.

(36) Catta, « Le régime représentatif en France », Revue catholique des institutions et du droit, 2, 1891, p. 268.

(37) V. le commentaire de l'article 59, in La Constitution (introduite et commentée par), Point-Seuil, 11e éd., 2013, p. 281.

(38) À l'exemple de Joseph-Barthélemy qui proposera d'en confier le contentieux à « une autorité proprement judiciaire telle que la Cour de cassation », v. Le gouvernement de la France, Payot, nvelle éd., 1939, p. 33, même chose chez J. Delpech, « À propos de corruption et de dépenses électorales. – Étude de jurisprudence comparée », RDP, 1909, p. 325-326 [314-331], proposition déjà formulée à la fin du XIXe siècle par Séverin de la Chapelle appelant à la création d'une « Haute cour de justice électorale », « Lettres sur la vérification des pouvoirs », Revue catholique des institutions et du droit, 2, 1889, p. 340. Sur cette tendance, v. aussi P. Tanchoux, Les procédures électorales en France, op. cit., p. 546.

(39) J. Barthélemy et P. Duez, Traité de droit constitutionnel, op. cit., p. 437. Ou, pour le dire aussi délicatement qu'Émile Blamont, secrétaire général de l'Assemblée nationale de la fin de la IVe République jusqu'en 1971, « ce système qui conduit une assemblée toute nouvellement élue et toute chaude encore de la lutte électorale à examiner les conditions dans lesquelles chacun de ses membres a été désigné peut dégénérer en opération politique », Les techniques parlementaires, PUF, 1958, p. 22.

(40) On trouve les principaux cas dans E. Pierre, Traité..., op. cit., p. 404-445.

(41) Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit., p. 755.

(42) Le nom des listes apparentées à la liste Union et fraternité française dans plusieurs départements, en particulier la Haute-Garonne, les Bouches-du-Rhône et la Charente-Maritime, était Défense des intérêts agricoles et viticoles, Action civique de défense des consommateurs et des intérêts familiaux. Sur les conditions des invalidations, v. L'année politique 1956, PUF, 1957, p. 24-26 et J.O., Débats de l'Assemblée nationale, compte-rendu in extenso, séance du vendredi 3 février 1956, p. 191-210.

(43) Et l'invalidation sera défendue comme telle par E. Blamont : « Profitant de la négligence et de l'incertitude de l'action des préfets, un parti avait présenté aux dernières élections dans quelques circonscriptions des listes multiples et apparentées. L'Assemblée nationale a estimé que la loi avait été violée. Lorsqu'elle a eu à vérifier les pouvoirs de ceux qui avaient été proclamés élus dans de telles conditions, elle a rétabli l'application de la loi en considérant comme nul l'apparentement de ces listes multiples, ce qui a eu pour résultat de faire tomber le nombre des voix du candidat qui avait bénéficié de cette confusion au-dessous du nombre de voix d'adversaires qui s'étaient conformés à la loi. La Chambre a donc décidé l'invalidation des uns au profit de l'élection des autres. C'était l'application de la loi et il n'y avait pas lieu, contrairement à ce que certains ont prétendu, d'annuler purement et simplement et de refaire l'élection », Les techniques parlementaires, op. cit., p. 24.

(44) Reproduit dans D. Maus, Les grands textes de la pratique constitutionnelle de la Ve République, La documentation française, 2e éd., 1998, p. 5.

(45) V. J.-P. Camby, « Article 59 », in F. Luchaire, G. Conac et X. Prétot, La Constitution de la République française. Analyses et commentaires, Économica, 3e éd., 2009, p. 1414-1421, p. 1416 et du même, Le Conseil constitutionnel, juge électoral, Dalloz, 3e éd., 2004, passim.

(46) À la suite de la décision de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État du 5 mars 1999, Président de l'Assemblée nationale, Rec., p. 42, permettant au juge administratif de connaître des conditions de passation des marchés publics des assemblées parlementaires.