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Documents et procédures - Observations en réplique

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 4 - Avril 1998

Depuis 1983, les saisines sont publiées à la suite des décisions du Conseil constitutionnel. Il en va de même, depuis 1994, des observations en réponse présentées par le Gouvernement. Il a paru opportun de porter à la connaissance du public, avec l'autorisation de leurs auteurs, certains mémoires en réplique des requérants, et lorsqu'il y a lieu, les observations du Gouvernement qu'ils ont suscitées, parmi les plus intéressants. Ainsi, on pourra trouver ci-dessous :

  • la réponse des députés aux observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1998,

  • et les observations du Gouvernement sur le nouveau mémoire formé par un certain nombre de députés à l'encontre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.

Décision n° 97-393 DC

Réponse aux observations du gouvernement sur les recours dirigés contre la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998

1 - Sur la procédure d'adoption de la loi (§ i)

- Si les annexes ont bien été disponibles quelques heures avant l'examen du projet de loi en Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales, le 21 octobre, à 16 H 15, comme le fait remarquer le gouvernement (rectificatif dans le texte de la saisine : remplacer les mots « de l'examen en séance publique » par les mots « de l'examen en Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales » ), il n'en reste pas moins vrai que ce délai était insuffisant pour respecter les prescriptions de la loi organique du 22 juillet 1996 et que les députés n'ont pas été en mesure d'accomplir correctement leur rôle de législateur.

- L'argument selon lequel le Gouvernement n'a qu'une obligation de dépôt et non de distribution n'est pas recevable dans le sens où l'obligation d'information de la représentation nationale doit être effective et réelle, au risque de voir celle-ci vidée de toute sa substance.

Le délai de 6 jours qui a été constaté entre la mise en distribution des documents le 15 octobre, et la distribution effective des annexes le 21 octobre, est pour le moins surprenant.

- Les mauvaises conditions de travail de la commission, du fait de la non distribution en temps voulu des annexes, ont été relevées par M. Bernard ACCOYER, dès le mercredi 22 octobre (C.R. n° 14 de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales - p. 5). Cette situation a également été dénoncée en séance publique (JO AN 2ème séance du 27 octobre 1997 - B. Bourg-Broc p. 4737, 4738 – B. Accoyer p. 4762).

Il est inquiétant de constater que l'information du Parlement est de plus en plus souvent ignorée (voir, s'agissant de la non publication du rapport sur l'utilisation de la contribution de solidarité des sociétés, intervention Philippe Auberger JO du 27 octobre 1997 p. 4797).

2 - Sur le rattachement de certaines dispositions au domaine des lois de financement de la sécurité sociale (§ ii)

- S'agissant des « cavaliers sociaux », le Gouvernement prétend que l'objection relative à l'article 21 de la loi ne serait pas recevable au motif que la question n'a pas été préalablement soulevée devant le Parlement.

On ne peut manquer sur ce point de souligner ce qui s'apparente à un détournement de procédure. En effet, le gouvernement dépose subrepticement un amendement en ce sens, en deuxième lecture, en séance de nuit, puis oppose aux requérants une jurisprudence du Conseil Constitutionnel plutôt sévère exigeant une mise en cause préalable devant le Parlement.

En fait, l'irrecevabilité de l'amendement sur la Base mensuelle de calcul des Allocations familiales (BMAF) a bien été soulevée à l'Assemblée Nationale le 2 décembre sans que puisse cependant être déposée formellement une exception d'irrecevabilité dans la mesure où le Sénat avant rejeté globalement le texte voté par l'Assemblée, sans l'amender, il n'était plus possible à celle-ci de le modifier (voir les interventions de MM. Accoyer et Preel - JO 3ème séance du 2 décembre 1997 – p. 6790 / 6793). L'irrecevabilité a par ailleurs été abondamment soulevée en séance au Sénat.

- S'il suffit d'invoquer la nécessité de préserver un équilibre financier pour justifier l'introduction de « cavaliers sociaux », autant dire que l'interdiction de ceux-ci est neutralisée.

- Le Gouvernement affirme que l'amendement litigieux a pour objectif d'éviter la répercussion sur les années suivantes de la décision du Conseil d'Etat et qu'elle trouve place à ce titre dans les Lois de Financement de la Sécurité Sociale.

Le Conseil sera amené à mesurer les incidences de cette déclaration sur la sincérité des comptes présentés au Parlement : le Gouvernement ne tire pas la moindre incidence sur les grandes lignes de l'équilibre budgétaire de l'amendement qu'il a introduit en deuxième lecture. De deux choses 1'une : soit cette disposition était prévue dés le départ et les annexes n'étaient pas sincères, soit elle ne l'étaient pas, auquel cas il s'agit à l'évidence d'un cavalier social contraire au III de l'article LO 111-3 du Code de la Sécurité Sociale lequel implique que soient remises en cause les conditions générales de l'équilibre financier.

- On s'étonnera, en outre, de ce que le Gouvernement paraisse attendre qu'un nouveau contentieux soit diligenté avant de tirer les conséquences manifestement inéluctables de la décision du Conseil d'Etat sur les années postérieures à 1995.

3 - Sur le respect des principes régissant les validations rétroactives (§ iii)

- Dans la mesure où le Gouvernement justifie l'ensemble des validations au motif qu'il s'agit de préserver l'équilibre financier de la Sécurité Sociale, on ne voit pas désormais, si cet argument était accepté, ce qui protégerait les individus contre l'utilisation répétée des validations (trois dans cette seule loi).

Et cela, au moment même où le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'Assemblée du 5 décembre 1997, a solennellement mis en garde le Gouvernement contre un usage incontrôlé d'une telle pratique, en signifiant clairement qu'il pourrait écarter une loi de validation comme contraire à l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et au principe de l'égalité des armes affirmé par ladite Convention.

Les normes constitutionnelles doivent assurer une protection au moins égale à celle que garantissent les normes européennes.

- Le Gouvernement considère que la validation rétroactive critiquée est conforme à l'intérêt général qui est d'assurer l'équilibre financier de la Sécurité Sociale.

Mais il est difficile de prétendre que l'intérêt général serait satisfait par le fait qu'au prétexte de réaliser des économies, un gouvernement balaye une décision de justice le condamnant à respecter la Loi. En premier lieu, parce que les prestations familiales ont, en elles même, un but d'intérêt général : soutenir les familles et encourager la natalité. Les indexer insuffisamment est contraire à ce but.

En second lieu parce que la sécurité juridique et le respect des lois répondent aussi à un intérêt général supérieur. Celui ci se trouve en danger si un gouvernement peut s'affranchir des lois au motif que cela lui coûte cher de les respecter.

4 - Sur les prélèvements sociaux applicables aux revenus du patrimoine et aux produits de placements (§ v)

- La description qui est faite par le gouvernement du dispositif mis en place par l'article 9, ne fait que confirmer, sans toutefois en donner les raisons, la rupture d'égalité de traitement applicable aux revenus du patrimoine et aux revenus de placement.

- Le gouvernement reconnaît a contrario que les dividendes, lorsqu'ils sont taxés, supporteront un point de taxe de plus que les intérêts, et autres revenus de capitaux mobiliers soumis au prélèvement obligatoire.

- L'analyse historique montre en effet, depuis l'imposition des revenus de 1983, que la surtaxation de 1 point, alors décidée des revenus de capitaux mobiliers (seul le produit de 1984 de cette surtaxation a été intégralement reversé à la CNAF), a toujours été assurée égalitairement, qu'il s'agisse des plus-values de cession de valeurs mobilières devenues imposables à 16 % au lieu de 15 %, de l'imposition des intérêts soumis au prélèvement libératoire, ou de l'imposition des dividendes et des intérêts non soumis au prélèvement obligatoires, imposables à l'impôt sur le revenu au taux du barème. Or, cette égalité de traitement est parfaitement justifiée d'un point de vue économique car il n'y a aucune raison de pénaliser le dividende ou la plus-value (produit d'un placement aléatoire, donc à risque), par rapport à l'intérêt soumis au prélèvement libératoire (produit d'un placement non aléatoire).

5- Sur la contribution à la charge des entreprises assurant l'exploitation de spécialités pharmaceutiques (§ vi)

- L'article 12 de la loi a pour objet de créer une contribution à la charge des entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques. Cette contribution frappe les ventes en gros de spécialités pharmaceutiques, perçue au taux de 2,5 % applicable au chiffre d'affaires hors taxes, réalisé en France auprès des pharmacies d'officine.

- Les auteurs de la présente saisine soutiennent que cette disposition méconnaît le principe d'égalité, dans la mesure où elle introduit une discrimination entre les laboratoires et les grossistes, alors que ces deux catégories d'opérateurs économiques sont placés dans la même situation.

- Pour contester cette argumentation, le gouvernement oppose, en substance, deux séries d'arguments.

En premier lieu, le gouvernement affirme que les laboratoires qui pratiquent la vente directe, d'une part, et les grossistes-répartiteurs, d'autre part, sont placés dans des situations différentes, du fait des obligations particulières qui s'imposent à ces derniers, lesquels assureraient un rôle spécifique pour la satisfaction du public.

Le gouvernement soutient que les marges applicables aux médicaments remboursables étant réglementées, lorsque les laboratoires pratiquent des ventes directes, leur marge est la même que celle prélevée par les grossistes. Le gouvernement part du postulat que les deux catégories d'opérateurs ne sont pas soumises aux mêmes obligations de service public, qui ne s'imposeraient qu'aux grossistes. Ces derniers seraient donc les seuls à supporter les coûts afférents à ces obligations, qui ne s'imposeraient pas aux laboratoires. Dès lors, le gouvernement en conclut que le dispositif institué par l'article 12 contesté permet, en fait, de corriger ce déséquilibre et que le taux de 2,5 % n'excède nullement la faculté contributive des laboratoires assujettis.

En outre, le gouvernement se réfère à la directive 92/25 du 31 mars 1992 du Conseil des Communautés européennes, relative à la vente en gros des médicaments à usage humain, pour justifier, par les obligations de service public imposées par ladite directive, les dispositions en cause, qui auraient pour objet de corriger le déséquilibre né de ces obligations.

En second lieu, le gouvernement affirme qu'en tout état de cause, en l'absence de transposition de la directive 92/25 du 31 mars 1992, celle-ci ne produit pas d'effet direct sur les obligations pesant sur les différents acteurs économiques.

Ce faisant, le gouvernement se prévaut expressément de la méconnaissance par la France d'une obligation internationale. Pour ce faire, d'une part, il soutient à tort que les différentes catégories d'opérateurs ne sont pas dans une situation comparable et, d'autre part, il se livre à une interprétation erronée des obligations imposées par la directive et des conséquences à tirer, par la France, de ses engagements internationaux.

A - Le Conseil constitutionnel est compétent, dans le cadre du contrôle de la constitutionnalité des lois, pour vérifier la conformité de la loi adoptée aux règles du droit international public :

Aux termes du 14ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, incorporé au « bloc de constitutionnalité » par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 : « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ».

En application de ce principe de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel accepte de vérifier, dans le cadre de son contrôle de la constitutionnalité des lois, la conformité de la loi adoptée avec les règles de droit public international (Décision 82-132 DC du 16 janvier 1982, Rec. p. 18, « loi de nationalisation »). De même, saisi sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de décider que : « le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958, proclame que la République française » se conforme aux règles du droit public international ; qu'au nombre de celles-ci figure la règle Pacta sunt servanda qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ".

Ainsi, le principe selon lequel l'Etat doit exécuter de bonne foi les traités qu'il a signés figure au nombre des règles de droit public international expressément consacrées par le Conseil constitutionnel.

Dans le cadre des traités communautaires, cette obligation s'étend aux actes dits de droit dérivé pris pour l'application de ces traités (décisions 77-89 DC et 77-90 DC du 30 décembre 1977, « loi de finances pour 1978 » et « loi de finances rectificative pour 1977 ». Rec. pp 44 et 46).

Enfin, selon un commentateur particulièrement autorisé : « si le Conseil constitutionnel s'interdit de rechercher l'inconstitutionnalité indirecte de la loi contraire à un traité, il peut censurer une loi directement contraire à l'article 55. Tel serait le cas d'une loi qui prévoirait son application nonobstant les stipulations contraires d'un traité ou qui ferait obligation aux juges d'appliquer une loi contraire à un traité » (Bruno Genevois, in la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris 1988, à propos de la décision 86-216 DC du 3 septembre 1986, « Entrée et séjour des étrangers », Rec. p.135).

En application de ces principes, l'argumentation du gouvernement doit être écartée.

En effet, en premier lieu, le gouvernement français ne saurait, en toute impunité, se prévaloir des conséquences juridiques résultant de « l'absence de transposition de (la) directive » communautaire susvisée, en méconnaissance des obligations claires imposées à la France par l'article 189 du traité CE. Ce faisant, le gouvernement méconnaît de façon manifeste et caractérisée les obligations souscrites par la France et dont la portée constitutionnelle est rappelée par le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, tel qu'interprété par votre Haute juridiction, en particulier dans les décisions précédemment rappelées.

A cet égard, il convient de rappeler que, parmi les règles de droit international public, figure le principe dit « d'estoppel », selon lequel un Etat ne peut se contredire.

En second lieu, s'il appartient, en principe, aux juges du fond de vérifier la conformité d'une loi promulguée à un traité, sur le fondement de l'article 55 de la Constitution (décision 75-54 DC du 15 janvier 1975, « IVG »,Rec. p.19), le principe de bonne administration commande qu'une telle loi puisse ne pas recevoir application, dès lors qu'il apparaît de façon suffisamment claire et manifeste qu'elle méconnaît les dispositions de l'article 55. Tel est le cas d'une loi qui, bien que postérieure à un traité, méconnaît celui-ci de façon claire et manifeste, comme c'est le cas en l'espèce, de l'aveu même du gouvernement (voir, en ce sens, Bruno Genevois, précité).

B - Le gouvernement ne saurait justifier, en se prévalant de l'absence de transposition de la directive 92/25 du 31 mars 1992, de prétendues obligations de service public, qui pèseraient exclusivement sur les grossistes-répartiteurs.

Aux termes de cette directive, l'exercice de la vente en gros des médicaments pharmaceutiques est subordonnée à une autorisation administrative. Les laboratoires pharmaceutiques fabricants sont réputés être détenteurs de plein droit de ladite autorisation. Il en résulte qu'ils ont la qualité de grossistes, au sens de la directive, et que, par suite, les obligations de service public prévues par la directive s'imposent à eux exactement dans les mêmes conditions qu'elles s'imposent aux grossistes-répartiteurs.

En conséquence, et comme il a déjà été exposé dans la saisine, le gouvernement ne saurait justifier, par de prétendues obligations de service public, qui seraient exclusivement imposées aux grossistes-répartiteurs, la taxe contestée.

À cet égard. il convient de rappeler que la directive définit comme obligation de service public « l'obligation faite aux grossistes concernés de garantir en permanence un assortiment de médicaments capables de répondre aux exigences d'un territoire géographiquement déterminé et d'assurer la livraison des fournitures demandées dans de brefs délais sur l'ensemble dudit territoire ». Elles « doivent être justifiées, en conformité avec le traité, par des raisons de protection de la santé publique et proportionnées par rapport à l'objectif concernant cette protection » (article 7 de la directive).

Il en résulte donc que les obligations de service public, en tant qu'elles sont imposées exclusivement aux grossistes-répartiteurs, par les dispositions du quatrième alinéa de l'article R.5115-6 du Code de la santé publique, issues du décret 60-326 du 5 avril 1960, et de l'arrêté interministériel du 3 octobre 1962, sont devenues illégales à compter du 1er janvier 1993, date à laquelle la directive susvisée devait être transposée par les Etats membres.

Pour les raisons précédemment exposées, ces dispositions ne sauraient donc être utilement invoquées par le gouvernement dans le cadre de la présente saisine. En effet, toute solution contraire aboutirait à permettre que la rupture d'égalité entre les opérateurs économiques puisse être justifiée par une méconnaissance, par la France, de ses obligations internationales et des règles de droit international public.

En conclusion, loin de rétablir l'égalité entre les opérateurs, la taxe en débat rompt, au final, l'égalité entre ces opérateurs, que les engagements internationaux souscrits par la France placent dans la même situation.

C – Injustifiée en droit, la rupture d'égalité alléguée n'est pas davantage établie en fait.

A cet égard, il convient seulement de rappeler qu'aux termes de l'article L 162-38 du Code de la sécurité sociale, les ministres chargés de l'économie, de la santé et de la sécurité sociale fixent les prix et les marges des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Sur le fondement de ces dispositions, la marge pratiquée par les grossistes-répartiteurs est actuellement fixée à 10,74 % du prix fabricant.

Dès lors que le prix du médicament remboursable est, lui aussi, fixé par voie d'arrêté interministériel, il en résulte nécessairement que la marge (de distribution) pratiquée par les laboratoires pharmaceutiques, lorsqu'ils vendent directement des médicaments remboursables, est au plus égale à 10,74 %. Dès lors, l'on cherche en vain la prétendue rupture d'égalité alléguée. Au contraire, la taxe en débat, qui ne frappe que l'une des deux catégories d'opérateurs, rompt l'égalité constatée. Le dernier argument invoqué par le gouvernement doit donc, comme les précédents, être écarté.

Pour l'ensemble de ces motifs, il s'avère que l'article 12 a été adopté en contradiction avec :

  • le principe constitutionnel d'égalité ;
  • le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, tel que consacré par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;

- la violation par la France des règles du droit international public, et notamment les principes d'exécution de bonne foi des traités et « d'estoppel », et de ses engagements internationaux, dont le respect est garanti par le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, lequel doit, dans les circonstances de l'espèce, être complété par l'article 55 de la Constitution.

6 - Sur la mise sous conditions de ressources des allocations familiales (§ vii)

A - Sur la violation du principe d'universalité :

Le Gouvernement soutient tout d'abord qu'il ne saurait y avoir principe fondamental reconnu par les lois de la République au motif que le principe invoqué « ne met pas en cause l'exercice des droits et libertés ».

De quelle décision du Conseil Constitutionnel cette nouvelle condition est-elle tirée ? Comment peut-on affirmer cela alors que trois des sept principes fondamentaux reconnus par les lois de la République aujourd'hui invocables concernent l'organisation juridictionnelle de l'Etat et non les droits et libertés : l'indépendance de la juridiction administrative (80-119 DC du 22 juillet 1980) ; la compétence exclusive de la juridiction administrative en matière d'annulation d'actes de la puissance publique et l'existence d'une dualité de juridictions (86-224 DC du 23 janvier 1987) ; la compétence exclusive de la juridiction judiciaire en matière d'atteintes à la propriété immobilière privée (89-256 DC du 25 juillet 1989) ?

Le Gouvernement conteste ensuite la consécration par les textes invoqués (de 1932, 1939 et 1945) d'un principe d'universalité des allocations familiales.

a ) Il est d'abord inexact de dire que le décret-loi de 1939 ne s'inscrirait pas dans la philosophie de la Loi de 1932 qui aurait fait le choix d'accorder une aide dés le premier enfant : (§ VII – page 16). La Loi de 1932 laissait aux Caisses de Compensation le choix du montant des prestations et celui du nombre d'enfant à partir duquel ils les versaient. A l'époque, seules quelques rares caisses versaient des prestations dés le premier enfant. Dés le départ, l'encouragement aux familles nombreuses est clairement affiché. Voici ce qu'écrivait la Commission du travail chargée à l'Assemblée Nationale d'éclairer le travail des parlementaires sur le projet de loi de 1932 : « un ouvrier ordinaire, même s'il n'appartient pas aux métiers les plus mal payés, ne peut guère élever plus de deux enfants avec son gain normal et doit, dés la troisième naissance, recourir à l'assistance publique ou privée ». Est donc nettement affirmée la priorité aux familles nombreuses.

Il en est de même de l'absence de conditions de revenu, principe posé dés le départ : « ouvriers de toutes catégories et contremaîtres, employés subalternes ou supérieurs, ingénieurs, directeurs, tous doivent participer au bénéfice des Allocations Familiales », « quel que soit le montant de leur traitement » indiquent les documents parlementaires du Sénat (JO 1931 p. 1040).

b ) Par ailleurs, loin d'attester une absence d'universalité (page 17), la loi de 1932, les décrets-lois de 1938 et 1939 puis les ordonnances de l945 traduisent au contraire de la progression du principe d'universalité dans le droit positif français.

Les allocations familiales ont connu une généralisation extraordinairement rapide : elles apparaissent en 1918 et sont, au départ, facultatives. En 1920, elles sont attribuées à 50 000 salariés mais dès 1931, plus de 1 800 000 personnes en bénéficient. « L'idée ainsi lancée se propage avec une rapidité dont on ne trouve guère d'exemple dans l'histoire des institutions sociales » relève le Bulletin du Ministère du Travail de 1931.

Les Allocations Familiales deviennent obligatoires en 1932 pour les salariés du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, en 1934 (loi du 30 juin 1934) pour les fonctionnaires (qui bénéficiaient déjà « d'indemnités pour charges de famille ») puis, en 1938, pour les exploitants agricoles et, en 1939, pour les travailleurs indépendants et les professions libérales.

Quant à l'ordonnance de 1945 instituant la Sécurité Sociale, elle prévoit explicitement 1a généralisation du système puisque l'alinéa 3 de l'article premier dispose que « des ordonnances ultérieures procéderont à l'harmonisation desdites législations et pourront étendre le champ d'application de l'organisation de la Sécurité Sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévues par les textes en vigueur. »

Le développement rapide de l'universalité des Allocations Familiales va continuer après la guerre et culminera en 1978 avec l'abrogation de toute condition d'activité professionnelle. On rappellera que cette condition n'a jamais eu pour but de restreindre le champ des bénéficiaires des Allocations Familiales mais d' « éviter que des chefs de famille peu scrupuleux ne vivent aux dépens de leurs enfants » (déclaration du ministre du travail lors de l'adoption de la Loi du 22 août 1946 harmonisant le montant des Allocations Familiales).

Le même mouvement tendant à l'universalité s'observe pour le reste de la Sécurité Sociale : De même que pour les allocations familiales, la généralisation de l'Assurance Maladie est prévue par l'alinéa 3 de l'ordonnance du 4 octobre 1945. Elle se mettra en place progressivement : ce seront d'abord les travailleurs salariés qui, dés 1945, en bénéficieront, puis en 1961 viendra le tour des exploitants agricoles et en 1966 celui des artisans et commerçants. En 1978, une assurance personnelle ( basée sur des cotisations) est créée pour les personnes qui ne sont pas couvertes par leur régime professionnel ou celui de leur conjoint. Ce mouvement s'achèvera pour 1'assurance maladie, lorsqu'aura été votée « l'assurance maladie universelle » actuellement en projet.

Des observations analogues peuvent être faites s'agissant de la troisième branche de la Sécurité Sociale : l'Assurance Vieillesse étendue progressivement à des catégories de plus en plus larges de la population et actuellement en cours d'harmonisation.

c ) Admettre, comme le fait le Gouvernement à la page 17 de ses observations, qu'en fondant la Sécurité Sociale sur le principe de la solidarité nationale, les ordonnances de 1945 ont entendu permettre de réserver les Allocations Familiales « à ceux qui en ont le plus besoin » éclaire le risque qu'un précédent en matière de prestations familiales ferait courir aux deux autres branches du régime.

d ) Cette interprétation est, en outre, contraire à la philosophie même de ce texte : par « solidarité », le législateur n'entend pas, comme c'est dorénavant le langage courant, l'aide aux plus démunis, c'est à dire la redistribution entre riches et pauvres. Celle ci était, dés l'origine, confiée à l'aide sociale, héritière de la bienfaisance. Les ordonnances de 1945 ne font d'ailleurs pas référence au principe de solidarité nationale qui n'a été introduit qu'en 1978.

La solidarité au sens de 1'article L 111-1 nouveau du Code de la Sécurité Sociale s'entend au contraire d'une mutualisation des risques entre les assurés sociaux touchés, tour à tour par des charges de famille, la maladie et la vieillesse. S'agissant particulièrement des Allocations Familiales, les textes préparatoires du décret-loi portant code de la famille sont particulièrement explicites : ils justifient le versement universel (« pour tous les Français, à quelque classe qu'ils appartiennent ») de l'aide à la famille parce qu'elle est « due en contrepartie, à la contribution solidaire de tous les Français, quelle que soit leur profession ».

e ) Affirmer que la préoccupation démographique « n'est qu'une étape dans l'histoire des prestations familiales » (page 18 des observations du Gouvernement) est pour le moins inexact. La préoccupation démographique est toujours présente aujourd'hui, en témoignent les débats de 1995 (JO du 9.12.95) : M. Claude Bartolone déclarait alors : " ? la baisse de la démographie...s'accompagnera d'un affaiblissement de notre pays pour les prochaines années, puisque le taux de natalité va diminuer. Les parlementaires que nous sommes, attachés les uns et les autres à cette politique familiale, ...« Et ce député d'ajouter : » Si nous n'engageons pas d'ores et déjà cette réflexion sur la politique familiale, qu'en sera-t-il demain pour les régimes de retraites ? ".

Si, en effet, la préoccupation militaire, très présente avant guerre, n'est plus au centre des efforts publics pour soutenir la natalité, elle a été remplacée par le souci des retraites par répartition. Sans enfants, ces régimes ont de sombres perspectives et les Allocations Familiales sont la contrepartie des efforts faits par les familles pour leur assurer un avenir.

La solidarité évoquée par le Gouvernement et que la Loi de 1978 a proclamé dans la droite ligne de l'alinéa 3 de l'article premier de l'ordonnance du 4 octobre 1945, est donc celle des couples sans enfants vis à vis de ceux qui préparent leur retraite et non celle des familles aisées avec les autres. Cette solidarité là est confiée à l'impôt.

f ) Enfin, le Conseil ne pourra que s'étonner de voir le Gouvernement présenter le quotient familial comme une aide à la famille alors que son principe « à niveau de vie égal, taux d'imposition égal » n'est que la traduction législative de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen. Cette curieuse conception de la justice fiscale où le fait de payer moins d'impôt parce qu'on a un niveau de vie altéré par ses charges de famille est comptabilisé comme une « aide de l'Etat » est, bien entendu, contesté par tous les organismes scientifiques indépendants à commencer par l'OCDE et EUROSTAT.

Le Conseil sera encore plus surpris de découvrir que « le quotient familial permet aux familles de payer d'autant moins d'impôt sur le revenu que ce revenu est élevé » (page 18, 4 ° §). Une famille avec 3 enfants gagnant 300 000 francs par an paierait-elle moins d'impôt qu'une famille de 3 enfants gagnant 200 000 F par an ? A vrai dire, ces affirmations n'ont d'autre but que de faire croire au Conseil que la politique en faveur des familles est d'une telle générosité vis à vis des familles « aisées » qu'il est équitable de la diminuer en mettant les Allocations Familiales sous conditions de ressources. Cette affirmation a été tout récemment démentie par l'étude de l'OFCE qui établit qu'avec 5 enfants, après impôts et prestations familiales, un cadre gagnant 40 000 F par mois à un niveau de vie inférieur de 44 % à celui d'un cadre sans enfants et qui conclut que le plafonnement aura pour effet d'aggraver leur disparité de niveau de vie (Lettre de l'OFCE n° 167 du 30.9.1997).

Le Gouvernement soutient que la mise sous condition de ressources des allocations familiales ne méconnaîtrait pas « directement » les prescriptions des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 au motif que ces dispositions constitutionnelles laissent une grande marge d'appréciation au législateur quant à la manière d'atteindre les objectifs fixés.

Mais ceci ne constitue pas une réponse adéquate aux objections soulevées car il était avancé que d'une part la formulation générale utilisée dans ces dispositions ne contenait et donc ne permettait aucune distinction à opérer entre les familles, notamment selon leurs ressources ; et d'autre part, que l'existence d'un principe constitutionnel d'universalité des allocations familiales venait conforter singulièrement une telle interprétation. Or aucune argumentation n'est opposée à cette double critique.

L'objection très « pratique » et très « concrète » - opposée à l'affirmation selon laquelle la législation attaquée ne saurait priver de garanties légales l'exigence constitutionnelle de versement d'allocations aux familles avec enfants - consistant à dire que « l'existence d'un » effet-cliquet « aurait des conséquences extrêmement graves sur l'organisation du système de protection sociale » (§ VII - B - 4 page 21), n'est pas pertinente car ce que doit la Nation aux familles élevant des enfants va au-delà de la protection sociale.

Et en toute hypothèse, il n'est pas concevable que le droit à protection et aux prestations sociales puisse être désormais refusé à certaines catégories d'individus alors que jusqu'ici aucune discrimination n'était opérée de manière générale.

Là réside, en effet, le véritable enjeu de la décision du Conseil Constitutionnel : s'il est accepté que 1'universalité des allocations familiales ne soit plus garantie par des dispositions légales équivalentes à celles qui existaient auparavant, cela signifie qu'il peut en aller de même pour les autres droits à prestations sociales.

B - Sur la violation du principe d'égalité :

Sur la violation du principe d'égalité par la différence des ressources prises en compte pour le versement des allocations familiales, la réponse du Gouvernement est particulièrement discrète : cela est révélateur de la gêne dans laquelle il se trouve.

a ) Le Gouvernement essaie d'abord de justifier la différence de traitement en soutenant qu'elle est en rapport avec l'objet de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale « puisqu'elle est l'une des mesures visant à rétablir l'équilibre financier de la branche famille de la sécurité sociale ».

Le Gouvernement confond ainsi l'objet général de la loi, qui est le financement de la Sécurité Sociale (et notamment de la branche famille) et l'objet particulier des allocations familiales, qui est de compenser les charges de famille. Or le Conseil Constitutionnel a bien précisé que les différences à prendre en considération doivent avoir un rapport direct avec l'objet des dispositions en cause. L'objet direct à prendre en considération n'est pas, comme le soutient le Gouvernement, l'équilibre financier de la branche famille de la Sécurité Sociale, mais les charges de famille.

b ) Le Gouvernement prétend ensuite que la loi n'établit pas elle-même de différence entre les personnes pouvant bénéficier des allocations familiales, car, selon lui, « il appartient au pouvoir réglementaire, compétent pour fixer le niveau d(u) plafond, de fixer les modalités suivant lesquelles celui-ci sera apprécié ». Cette affirmation comporte une double erreur :

  • d'une part, c'est bien l'article 23 lui-même qui établit une différence entre les ressources à prendre en compte selon que les deux membres ou un seul membre d'un ménage exercent une activité professionnelle ou qu'une personne seule a la charge d'enfants :

  • d'autre part, le renvoi au Gouvernement de la fixation des critères de versement des allocations familiales constituerait de la part du législateur une incompétence négative.

c ) Le Gouvernement ne présente enfin qu'à titre subsidiaire une argumentation sur la discrimination entre parents au bénéfice de ceux qui sont bi-actifs ou qui assurent seuls la charge d'enfants. Or c'est bien la question centrale.

Le Gouvernement déplace le problème en invoquant les charges qui pèseraient sur les bi-actifs ou les personnes seules et qui viendraient en déduction des ressources dont ils disposent.

Or la première charge à prendre en considération pour les allocations familiales est celle que constituent les enfants : quelle que soit la situation des personnes qui les élèvent, cette charge est la même et ne varie pas selon l'origine des ressources ou la situation des parents.

Si l'on prend en compte le montant des ressources des parents pour déterminer le droit aux allocations familiales, les ressources doivent être déterminées au même niveau pour un même nombre d'enfants ; toute autre considération est sans rapport direct avec l'objet de la loi.

Le Gouvernement soutient que les bi-actifs et les personnes seules supportent, pour leurs enfants, des charges que ne supportent pas les couples dont un seul membre est « actif ». Or, d'une part, si, selon la comptabilité nationale, un parent qui n'a pas d'activité professionnelle n'est pas un « actif », en ce qui concerne l'éducation des enfants, ce même parent est actif ; d'autre part, les parents bi-actifs ou élevant seuls leurs enfants trouvent dans d'autres aides une compensation aux charges particulières que peut présenter leur situation. Les frais de garde sont compensés par des allocations comme l'Aide à la Famille pour l'Emploi d'une Assistante Maternelle Agréée, l'Aide à la Garde des Enfants à Domicile ou les prestations crèche. Le fait d'être parent seul ouvre droit à l'Allocation de Soutien Familial ou à l'Allocation de Parent isolé.

À suivre le législateur, les bi-actifs et monoparentaux auraient ainsi un cumul d'aides : celles qui sont déjà instituées pour leur situation spécifique, celles qui résulteront d'allocations familiales versées jusqu'à un plafond de ressources plus élevé que celui des familles dont un seul parent est « actif ».

d ) Le Gouvernement fait valoir que les parents qui exercent une activité professionnelle exposent des charges supplémentaires qui justifieraient un plafond de ressources différent. En l'espèce, pour une famille de 2 enfants, le plafond est relevé de 7 000 F soit de 30 % ce qui correspondrait à des frais supplémentaires de 30 %.

On s'interrogera ensuite sur les éléments scientifiques qui permettent au Gouvernement de justifier pareils frais professionnels. Rien dans les enquêtes faites par l'INSEE sur les conditions de vie des ménages ne permet d'étayer des chiffres aussi élevés.

On observera, enfin, que cette différence de plafond a été principalement motivée par le Gouvernement au cours des débats par le souci de ne pas décourager les épouses d'exercer une activité professionnelle, motif louable mais qui ne saurait justifier qu'on pénalise celles qui ont fait le choix, tout autant légitime, de rester au foyer.

Ainsi le Gouvernement et le législateur méconnaissent pleinement le principe d'égalité en établissant entre les parents ayant le même nombre d'enfants à charge, une différence de traitement dans le calcul de ressources ouvrant droit aux allocations familiales, qui est sans rapport direct avec l'objet des allocations familiales. A cet égard, la décision du Conseil Constitutionnel du 3O décembre 1996 que le Gouvernement se garde d'évoquer, conduit à censurer l'article 23 de la Loi. Cette censure doit porter sur 1'article entier puisque ces dispositions sont inséparables les unes des autres.

C - Sur la compétence du Parlement

La réponse à l'objection selon laquelle le législateur a méconnu sa propre compétence en ne fixant pas le plafond de revenu au-delà duquel les allocations familiales ne sont plus dues (§ VII - B- 5 page 22), ne tient pas compte de l'évolution qu'a connue la jurisprudence constitutionnelle au cours des dernières années.

Mettre en avant le fait que la compétence législative ne porte que sur la détermination des principes fondamentaux de la Sécurité Sociale et que tout le reste relève de la compétence réglementaire en vertu de l'article 37 de la Constitution, était concevable au début de l'application des articles 34 et 37, mais ne l'est plus aujourd'hui : la multiplication desdits « principes fondamentaux » est telle - comme l'a montré une thèse récente (Xavier Labrot, La répartition des compétences entre loi et règlement en matière de Sécurité Sociale. Thèse Aix-Marseille III. 1995) que la compétence législative s'est largement étendue en matière de Sécurité Sociale et qu'il ne reste plus au pouvoir réglementaire qu'à mettre en ? uvre les normes législatives ainsi établies.

Il appartenait donc au législateur de fixer lui-même le plafond de revenu au-delà duquel les allocations familiales ne sont plus dues car il ne n'agit plus ici de mise en œuvre de la loi mais de mise en cause.

Observations du gouvernement sur le nouveau mémoire des députés auteurs du recours dirigé contre la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998

Dans le nouveau mémoire qu'ils ont adressé au Conseil constitutionnel à l'appui de leur recours dirigé contre la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, les députés saisissants reprennent, pour l'essentiel, l'argumentation qu'ils avaient déjà développée dans leur recours initial et dans le mémoire complémentaire précédemment produit. Pour la plupart, ces nouveaux développements n'appellent pas d'autres observations que celles que le Gouvernement a déjà fait parvenir au Conseil constitutionnel.

Trois des arguments invoqués par les requérants appellent cependant les observations complémentaires suivantes.

I - Sur le rattachement de l'article 21 au domaine des lois de financement de la sécurité sociale

Cet article tendant à éviter que de nouveaux contentieux portant sur la revalorisation des bases mensuelles de calcul des allocations familiales n'aient des répercussions préjudiciables à l'équilibre de la branche famille, les députés saisissants font grief au Gouvernement de ne pas avoir tiré les conséquences, en ce qui concerne les données de l'équilibre, de l'amendement qui est à l'origine de cet article. Ils mettent ainsi en doute la sincérité des évaluations figurant à l'article 28 de la loi déférée.

Cette critique n'est pas fondée.

Comme le Gouvernement l'a indiqué dans ses précédentes observations, l'annulation prononcée par le Conseil d'Etat le 28 juin 1997 n'a porté que sur la revalorisation de la BMAF pour 1995. Les conclusions tendant à mettre en échec le blocage résultant, pour 1996, de l'ordonnance du 24 janvier 1996 ont, à ce stade, été rejetées. C'est dans ce cadre qu'ont été élaborées les évaluations qui ont conduit à inscrire, à l'article 28, un objectif de dépenses de 246,9 milliards de francs pour la branche famille.

Mais il est apparu ensuite que la contestation portant sur la revalorisation des bases applicables aux années postérieures à 1995 était susceptible de rebondir, le Gouvernement étant invité à tirer les conséquences, pour ces années, du décret pris à la fin de l'année 1997 en exécution de la chose jugée.

C'est précisément pour éviter que l'aboutissement de ces nouvelles contestations ne compromette l'objectif de rétablissement de l'équilibre de cette branche que l'amendement contesté a été présenté. A défaut, le déficit prévu pour la branche famille risquait de s'accroître du montant de 3,5 milliards de francs correspondant au coût de ces nouvelles revalorisations.

II - Sur la contribution à la charge des entreprises assurant l'exploitation de spécialités pharmaceutiques

Revenant sur l'argumentation qu'ils tirent de la directive 92/25 CEE du 31 mars 1992, les requérants soutiennent que l'article 12 méconnaîtrait, tant les dispositions du 14ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, aux termes desquelles : « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international », que celles de l'article 55 de la Constitution qui énonce la supériorité des traités sur les lois.

Ce faisant, les députés saisissants se méprennent à la fois sur le sens des observations que le Gouvernement a présentées au Conseil constitutionnel à propos de cet article et, surtout, sur la portée exacte de cette directive.

En relevant que cette directive, non encore transposée, ne pouvait avoir d'effet sur les obligations pesant sur les différents acteurs économiques -en l'occurrence les laboratoires pharmaceutiques- le Gouvernement s'est borné à rappeler ce qui découle de l'article 189 du Traité de Rome, tel que l'interprète la Cour de justice des Communautés européennes.

Il ressort en effet de sa jurisprudence que, même dans le cas où une directive comporterait des dispositions suffisamment claires, précises et inconditionnelles, elle n'est pas susceptible de mettre directement des obligations à la charge des particuliers (CJCE 5 avril 1979 n° 148/78 Rec. p. 1629). Ainsi, et à supposer même que la directive du 31 mars 1992 ait entendu prévoir des obligations nouvelles à la charge des laboratoires pharmaceutiques, cette circonstance ne pourrait, par elle-même, avoir d'incidence sur la situation juridique de ces derniers.

Cela étant, le Gouvernement entend surtout souligner que la directive n'a pas une telle portée. Comme le montrent en effet les termes du dernier « considérant » qui précède le dispositif de la directive, et en précise ainsi le sens, elle consacre, au contraire, les obligations dites « de service public » pesant sur les personnes autorisées à distribuer en gros des médicaments -c'est-à-dire les grossistes-répartiteurs en droit interne- et renvoie à ce même droit le soin de les définir, sans prendre parti sur l'étendue des obligations que chaque Etat-membre peut prévoir à ce titre.

Elle n'est pas davantage susceptible de priver de base légale les dispositions de l'article R 5115-6 du code de la santé publique mettant des obligations spécifiques à la charge des seuls grossistes-répartiteurs.

En énonçant, au 3 de l'article 3, que les personnes autorisées à délivrer directement des médicaments au public sont dispensées de l'autorisation administrative par ailleurs prévue pour l'exercice de l'activité de grossistes, la directive n'affecte nullement les distinctions existant en droit interne entre les uns et les autres en ce qui concerne les missions de service public. Elle ne remet pas en cause, en particulier, la spécificité de l'activité de grossiste-répartiteur, définie à l'article R 5106 du code de la santé publique.

En effet, elle tend seulement à imposer à tous ceux qui exercent une activité de distribution en gros de médicaments des obligations minimales de la nature de celles que le droit interne impose déjà aux laboratoires et aux grossistes. On rappellera, à cet égard, qu'en application de l'article R 5115-6 du code de la santé publique, les établissements pharmaceutiques qui fabriquent, importent, exportent et/ou distribuent en gros des médicaments doivent satisfaire à des obligations qui correspondent à un « socle » minimal :

  • disposer de locaux aménagés, agencés et entretenus en fonction des opérations pharmaceutiques qui y sont effectuées ;

  • posséder le matériel, les moyens et le personnel nécessaires à l'exercice de ces activités.

Ces obligations s'imposent d'ores et déjà de la même façon aux laboratoires pharmaceutiques et aux grossistes.

Mais il importe de souligner que le même article R 5115-6 du CSP prévoit par ailleurs des obligations spécifiques qui s'imposent aux seuls grossistes-répartiteurs :

  • détenir en permanence un stock de médicaments permettant d'assurer l'approvisionnement de la consommation mensuelle des officines du secteur qu'il dessert ;

  • être, en outre, en mesure d'assurer la livraison de ces médicaments dans les 24 heures suivant réception de la commande.

Cette distinction n'est pas affectée par la directive, qui laisse à cet égard une marge d'appréciation aux Etats et rappelle seulement, à l'article 7, l'interdiction, qui découle de toutes façons du Traité, de faire peser sur le titulaire d'une autorisation octroyée par un autre Etat-membre des obligations supérieures à celles qui sont imposées aux entreprises autorisées en France à exercer une activité équivalente.

III - Sur la compétence du législateur en matière de sécurité sociale

Contrairement à ce qui a pu être soutenu en doctrine, et à ce que semblent considérer les requérants, la ligne de partage tracée depuis longtemps entre les principes fondamentaux de la sécurité sociale, qui seuls relèvent de la compétence législative, et les autres dispositions, dont l'édiction revient au pouvoir réglementaire, n'a pas connu d'évolution conduisant à remettre en cause, pour « incompétence négative », la loi déférée.

Non seulement la jurisprudence traditionnelle a été rappelée récemment en cette matière (n° 97-388 DC du 20 mars 1997), mais en outre le Conseil constitutionnel l'a transposée dans le domaine des prestations relevant de l'aide sociale (n° 96-387 DC du 21 janvier 1997).