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Observatoire de jurisprudence constitutionnelle - chronique n° 6, Avril - Juin 2011

Etude coordonnée par Guillaume DRAGO - Professeur à l'Université Panthéon-Assas Paris II Directeur du Centre d'Études Constitutionnelles et Politiques

Avec Hubert ALCARAZ - Maître de conférences à l'Université de Pau

Laetitia JANICOT - Professeure à l'Université de Cergy-Pontoise

Agnès ROBLOT-TROIZIER - Professeure à l'Université d'Evry

Ariane VIDAL-NAQUET - Professeure à l'Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 33 - octobre 2011

Résumé : Chaque trimestre, l'Observatoire de jurisprudence constitutionnelle de l'Université Panthéon-Assas Paris II livre une chronique publiée dans Les nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel. Celle-ci, coordonnée par le Professeur Guillaume Drago, est destinée à présenter et commenter les décisions rendues par les juridictions administratives, judiciaires et financières en matière constitutionnelle. On trouve dans cette rubrique dix thèmes identifiés comme majeurs (droits et libertés, justice, droit pénal et procédure pénale, droit social, égalité – discrimination, finances publiques et fiscalité, élections, normes, pouvoirs publics et autorités administratives, réserves d'interprétation)._ _La chronique de ce numéro porte sur les thèmes suivants : Droit et libertés, droit au respect de la vie privée, Langue, Droit de l'environnement


Vie privée, visites et saisies domiciliaires, protection des données personnelles

par Hubert Alcaraz Maître de conférences à l'Université de Pau

Décisions commentées :
CE, 19 juill. 2010, n° 317182, Fristot, Charpy (Mme), Lebon ; AJDA 2010. 1454, obs. M.-C. Montecler ; ibid. 1930, chron. D. Botteghi et A. Lallet ;
CE, 26 nov. 2010, n° 342958, Cachard, Lebon ; AJDA 2011. 349 ;
Cass., com., 8 septembre 2010, M. X. et société Paris Est diffusion, n° 10-13.833 ;
Cass., ass. plén., 15 juin 2010, n° 09-72.474 ;
Cass., ass. plén., 1er juillet 2010, n° 09-17.404 ;
Cass., crim., 15 juin 2010, n° 09-86.073 ;
Cass., crim., 15 juin 2010, n° 10-80.018 ;
Cass., crim., 20 octobre 2010, n° 10-81.748 ;
Cass., crim., 9 mars 2011, n° 10-85.310

S'il n'est pas rare de lire que la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) représente une « révolution silencieuse », voire un « big bang constitutionnel », force est de constater qu'un peu plus d'un an après son entrée en vigueur, il n'est pas aisé de prendre la mesure de ses effets en matière de protection de la vie privée. Si résultats il y a, ils sont incontestablement modestes. L'observation, loin d'être définitive, n'est que le produit d'une conjonction d'éléments, que le recours de plus en plus fréquent à cette procédure et le développement subséquent de la jurisprudence, ordinaire et constitutionnelle, relative à la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée ne manqueront pas de faire évoluer. Protégé sur le fondement de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et se déployant, avant tout, à travers des garanties procédurales plutôt qu'à travers un contenu matériel, le droit au respect de la vie privée ne paraît pas constituer un instrument très opératoire entre les mains des plaideurs. Pourtant, le respect de la vie privée n'en figure pas moins au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et peut être invoqué à l'appui d'une QPC (1). A ce stade, l'examen de la jurisprudence ordinaire fait néanmoins apparaître deux constats qui synthétisent, en quelque sorte, l'état des décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au respect de la vie privée.

D'une part, le premier constat réside dans l'invocation toujours quantitativement écrasante de la violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sont articulés, devant le juge ordinaire, des moyens relatifs à la violation du droit au respect de la vie privée. Aucune décision n'est, à notre connaissance, rendue au visa exclusif de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors qu'une atteinte supposée au droit au respect de la vie privée est invoquée. On mentionnera, toutefois, avec intérêt l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 juillet 2010, M. Fristot et Mme Charpy, qui comporte le double visa de la Convention européenne et de la Constitution. Par cet arrêt, le Conseil d'Etat a annulé plusieurs décisions du ministre de l'éducation nationale concernant deux traitements de données dits « Base élèves 1er degré » (BE1D) et « Base nationale des identifiants des élèves » (BNIE). Certes la Constitution y figure concurremment avec la Convention européenne et le droit au respect de la vie privée, fort logiquement, n'est que brièvement envisagé. Pourtant, on observe que dans une matière, le droit des fichiers, qui entretient des liens étroits avec le respect de la vie privée, comme le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat place les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, au coeur du dispositif ; la position du Conseil constitutionnel qui ne fait intervenir, pour l'essentiel, que des garanties procédurales afin d'assurer le respect de la vie privée n'est guère différente. Au-delà, cette décision mérite également d'être rapportée dans la mesure où elle avance dans la voie d'une clarification des rapports qui s'établissent entre respect de la vie privée et protection des données personnelles : loin de les confondre, le juge administratif distingue les deux notions pour observer que les violations produites dans le champ de la protection des données personnelles peuvent éventuellement provoquer une méconnaissance du droit au respect de la vie privée. Le respect de la vie privée n'est qu'un des droits auquel le fichage est susceptible de porter atteinte. Plus généralement, cette habitude maintenue d'invoquer plus volontiers la violation de l'article 8 de la Convention européenne que celle de l'article 2 de la Déclaration de 1789 en matière de respect de la vie privée s'explique, sans doute, par le dynamisme de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; en matière de droit au respect de la vie privée, elle peut probablement faire naître dans l'esprit des demandeurs et de leurs conseils l'espoir que leurs prétentions seront mieux appuyées sur des dispositions dont la substance est nourrie et enrichie par le juge de Strasbourg que sur une disposition constitutionnelle qui, ici, s'épuise le plus souvent dans des garanties procédurales, telles que l'intervention du juge judiciaire ou le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, sans être dotée d'un véritable contenu matériel. Et lorsque les justiciables évoquent à l'appui d'une QPC une atteinte au respect de la vie privée ou à l'inviolabilité du domicile, ce sont avant tout des garanties d'ordre procédural qui sont en cause, ainsi que le mettent en lumière les décisions de non-renvoi, en particulier de la Cour de cassation.

D'autre part, seconde observation, alors que les arrêts de renvoi d'une QPC au Conseil constitutionnel pour atteinte au droit au respect de la vie privée sont rares, les décisions de non-renvoi, tant du juge administratif que de la Cour de cassation, sont, quant à elles, très nombreuses et peuvent paradoxalement être porteuses d'enseignements. Allant au-delà d'un filtre que l'on pourrait qualifier de sévère, voire de rigoureux, elles se traduisent, au fond, plus ou moins clairement, par un véritable contrôle de constitutionnalité de la loi en cause. Ainsi, dans l'arrêt du 26 novembre 2010, M. Alain A., était-il demandé au Conseil d'Etat d'accepter le renvoi d'une QPC portant sur la conformité de l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, dans sa rédaction issue de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, avec, notamment, le droit au respect de la vie privée. On se souvient que la loi de janvier 1995 autorise la mise en place de systèmes de vidéosurveillance ; si le juge administratif rappelle ici les principes de la jurisprudence constitutionnelle issus de la décision 352 DC du 18 janvier 1995, en relevant que le législateur doit assurer « la conciliation entre le respect de la vie privée et d'autres exigences constitutionnelles, telles que la recherche des auteurs d'infractions et la prévention d'atteintes à l'ordre public », il n'en demeure pas moins qu'il paraît se livrer à un contrôle de constitutionnalité lorsqu'il juge que la question ne présente pas un caractère sérieux en ce qu'elle « apporte des garanties de nature à sauvegarder l'exercice des libertés individuelles ». De telles décisions de non-renvoi du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation ne sont pas rares qui, appréciant le caractère « sérieux » de la question posée, frisent en réalité le contrôle de constitutionnalité de la loi.

Plus généralement, les décisions de non-renvoi ont été rendues, dans leur grande majorité, à propos de deux dispositions fixant le cadre légal des visites et saisies effectuées par les agents de l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et par ceux de l'administration fiscale. Il s'agit des dispositions de l'article 450-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 13 novembre 2008, et de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (LPF), dans sa rédaction antérieure à la loi dite « LME » du 4 août 2008 (2). Bien que la question ait été le plus souvent traitée par le juge ordinaire au regard des droits de la défense, le droit au respect de la vie privée était, néanmoins, en cause dès lors qu'une perquisition autorise la pénétration dans un lieu privé en l'absence de consentement de son occupant légitime et qu'elle porte ainsi atteinte à l'inviolabilité du domicile. Dans les deux cas, pour refuser le renvoi de la QPC, la Cour de cassation utilise alternativement deux arguments. Ainsi, à propos de l'article L. 16 B du LPF, elle s'appuie soit sur la jurisprudence constitutionnelle déjà intervenue (3) afin de constater, en l'absence de changement de circonstances, que la disposition en cause a déjà fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution (4), soit sur une distinction entre texte applicable au litige et disposition législative, afin de relever que, cette dernière ayant été depuis modifiée, la question est devenue sans objet (5) ; en effet, on sait que la Cour de cassation refusait l'examen des questions soulevées dès lors qu'elles portaient sur une disposition textuelle applicable au litige mais qui, depuis lors, avait fait l'objet d'une modification en droit positif. Le mécanisme de la QPC ne gagnait sans doute rien à ce que le juge judiciaire joue ainsi sur les mots (6). Or c'est bien cette distinction contestable que la Cour de cassation met également en oeuvre pour faire échapper l'article 450-4 du code de commerce au renvoi. Et dans le cas où une telle solution ne pourrait jouer, c'est en se livrant à ce qui ressemble fort à un contrôle de constitutionnalité (7) qu'elle écarte le renvoi de la QPC. Comme dans le cas de l'article L. 16 B du LPF, le critère du caractère « sérieux » de la question incite la Cour de cassation à préjuger la constitutionnalité de la norme légale mise en cause. En toute hypothèse, transparaît ici encore le caractère faiblement opératoire du grief tiré de l'atteinte au droit au respect de la vie privée puisque l'examen de l'article L. 16 B du LPF, comme de l'article 450-4 du code de commerce, est avant tout réalisé au regard des garanties entourant les visites, et en particulier quant à la possibilité offerte aux personnes visées de saisir le juge judiciaire de l'ordonnance autorisant la visite (8). Il est à craindre que l'orientation prise jusque là par les juges ordinaires ne bouleverse pas, à brève échéance, ce constat.

(1) Cons. const., n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, cons. 6 et 16, AJ pénal 2010. 545, étude J. Danet.

(2) La Cour de cassation, pour ce qui concerne la rédaction de l'article L. 16 B du LPF issue, cette fois, de la loi du 4 août 2008, a accepté de renvoyer la question au Conseil constitutionnel par l'arrêt : Cass., ass. plén., 15 juin 2010, n° 09-17.492. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé par la décision n° 2010-19/27-QPC du 30 juillet 2010, Époux P. et autres, Constitutions 2010. 595, obs. C. de La Mardière.

(3) En particulier les décisions du Conseil constitutionnel n° 84-184 DC du 29 décembre 1984, n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, GAJF, 5e éd. 2009. n° 7 ; RFDA 1990. 143, note B. Genevois et n° 2010-19/27-QPC, préc.

(4) Cass., com., 8 septembre 2010, M. X. et Société Paris Est diffusion, n° 10-13.833.

(5) Cass., ass. plén., 15 juin 2010, n° 09-72.474 ; Cass., ass. plén., 1er juillet 2010, n° 09-17.404.

(6) La Cour de cassation a modifié, sur ce point, sa jurisprudence : Cass., com., 28 septembre 2010, n° 10-40.033.

(7) Cass., crim., 20 octobre 2010, n° 10-81.748 ; Cass., crim., 9 mars 2011, n° 10-85.310.

(8) Cons. const., n° 2010-19/27 QPC, préc.

Droit à l'enseignement des langues régionales et double signalétique routière

par Ariane Vidal-Naquet Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III, ILF-GERJC

Décisoins commentées :
CE, 21 mars 2011, Lang, n° 345193 ;
CAA Nancy, 17 mars 2011, n° 10NC00200, Association comité fédéral des associations pour la langue et la culture régionale d'Alsace « Fer unsri Zukunft », AJDA 2011. 1494, chron. M. Wiernasz ;
TA Montpellier, 12 oct. 2010, n° 0903420, Mouvement républicain de salut public, AJDA 2011. 329, concl. P. De Monte ; ibid. 2010. 2133 ; Cah. Cons. const. 2011. 213, chron. A. Duffy-Meunier, L. Janicot et A. Roblot-Troizier

I. L'enseignement des langues régionales

Conformément à l'intention du constituant, l'article 75-1 selon lequel « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » ne crée pas un droit subjectif invocable à l'encontre de l'administration, ni même un droit ou une liberté que la Constitution garantit au sens de l'article 61-1.

Dans une première affaire, la cour administrative d'appel de Nancy, saisie de la légalité de la décision d'ouvrir une section qualifiée de « bilingue allemand langue régionale » dans un lycée mais qui limitait en réalité à deux heures par semaine l'enseignement de la langue régionale, confirme qu'il n'existe pas de droit à l'enseignement des langues régionales. Invoquant divers motifs d'illégalité, la requérante avait demandé à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat n° 345193, par laquelle ce dernier devait décider de transmettre ou non au Conseil constitutionnel la question de la conformité de l'article L. 312-10 aux droits et libertés que la Constitution garantit et, notamment, à son article 75-1.

La cour commence par écarter les griefs tenant à la méconnaissance de l'arrêté du 12 mai 2003 relatif à l'enseignement bilingue en langues régionales à parité horaire au motif que la décision n'entrait pas dans le champ d'application de cet arrêté, contrairement à ce que la qualification retenue par le recteur pouvait laisser penser. Rappelant les termes de l'article L. 121-1 du code de l'éducation, selon lequel « les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur (...) dispensent une formation (qui) ... peut comprendre un enseignement, à tous les niveaux, de langues et cultures régionales » et ceux de l'article L. 312-10, selon lequel « un enseignement de langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l'Etat et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage... », la cour relève « que ces dispositions ne créent pas au bénéfice des élèves le droit à l'organisation d'un enseignement bilingue » tout en relevant que le recteur n'a pas fait un usage erroné de son pouvoir d'appréciation ou aurait fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts (voir Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, 2010, p. 249 et s.). Enfin, elle précise que la requérante ne pouvait se prévaloir des stipulations de la convention conclue entre l'État et les collectivités territoriales concernées, portant sur la politique régionale des langues vivantes, dès lors que ces dernières sont « dépourvues de caractère réglementaire » (CAA, 17 mars 2011, n° 10NC00200).

Quelques jours après, le Conseil d'État a, dans la décision n° 345193 susvisée, décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la constitutionnalité de l'article L. 312-10 du code de l'éducation. Il commence par relever que « l'article L. 312-10 du code de l'éducation est applicable au présent litige » et « que cette disposition n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ». Se prononçant sur le troisième critère, il énonce que « le moyen tiré de ce qu'elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à son article 75-1, soulève une question non dénuée de rapport avec les termes du litige, qui présente un caractère nouveau au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ». La formule peut paraître originale. Tout en renvoyant au Conseil constitutionnel au motif que l'article 75-1 n'a jusqu'à présent pas été appliqué par ce dernier (voir notamment la décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, cons. 21, AJDA 2009. 2318 ; ibid. 2010. 80, étude A. Roblot-Troizier ; ibid. 88, étude M. Verpeaux ; RFDA 2010. 1, étude B. Genevois ; Constitutions 2010. 229, obs. A. Levade ; Rev. science crim. 2010. 201, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2010. 66, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig), il relève que la question est pertinente ce qui, aux dires du Conseil d'État, ne signifie pas pour autant sérieuse (voir notamment CE, 8 oct. 2010, n° 338505, Daoudi, Lebon ; AJDA 2010. 1911 ; ibid. 2433, concl. S.-J. Liéber ; RFDA 2010. 1257, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud ; ibid. 2011. 353, étude G. Eveillard ; Constitutions 2011. 117, obs. V. Tchen). Par une motivation assez lapidaire, le Conseil constitutionnel juge pourtant le moyen inopérant : l'article 75-1 « n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit » et « sa méconnaissance ne peut donc être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution » (Décision n° 2011-130 QPC du 20 mai 2011, JO du 20 mai 2011, p. 8889, AJDA 2011. 1053). C'est d'ailleurs ce qu'avait jugé avant lui la cour administrative d'appel de Nancy, sans doute moins scrupuleuse, refusant de transmettre une QPC au motif que l'article 75-1C « n'est pas au nombre des dispositions qui garantissent des droits et libertés » (CAA Nancy, 28 octobre 2010, cité par J. Gicquel, « Les langues régionales à l'épreuve des contentieux constitutionnel et administratif », LPA, 15 juin 2011 n° 118, p. 17).

II. L'utilisation des langues régionales sur la voie publique

L'introduction de l'article 75-1 n'a pas non plus incité à davantage de tolérance envers l'utilisation des langues régionales.

Le tribunal administratif de Montpellier avait à se prononcer sur la double signalétique routière, conduisant bon nombre de communes à apposer, à l'entrée et à la sortie des villes, des panneaux en langues régionales (1). Cette pratique n'est pas interdite par la Loi Toubon car si son article 3 dispose que « toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l'information du public doit être formulée en langue française », l'article 21 précise que « les dispositions de la présente loi s'appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s'opposent pas à leur usage », usage qui peut notamment prendre la forme d'une double signalétique urbaine ou routière.

Se fondant sur l'article 2 de la Constitution, tout en rappelant les termes de l'article 75-1, le tribunal administratif juge qu'« il résulte de la combinaison de l'ensemble » de ces dispositions et « ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 94-345 du 29 juillet 1994 (Cons. const., 29 juill. 1994, n° 94-345 DC, AJDA 1994. 731, note P. Wachsmann ; D. 1995. 295, obs. E. Oliva ; ibid. 303, obs. A. Roux), que l'utilisation de traductions de la langue française n'est pas interdite, et que rien ne s'oppose à ce qu'une langue régionale soit employée par une collectivité publique, notamment sur la voie publique, lorsque des circonstances particulières ou l'intérêt général le justifient », condition qu'il estime non remplie en l'espèce. Par ailleurs, le tribunal insiste sur les risques de confusion avec les panneaux rédigés en langue française, risques qui conduiraient à méconnaître les objectifs de sécurité routière, et enjoint en conséquence à la commune de déposer les panneaux litigieux.

La motivation, très circonstanciée, ne manque pas d'intriguer. L'utilisation de traductions en langue régionale n'est pas interdite mais subordonnée à des conditions qui ne sont prévues ni par les textes ni par la jurisprudence constitutionnelle. En relevant que la traduction retenue ne dispose d'aucun fondement historique et ne repose sur aucun usage local, le jugement incite à penser que l'utilisation d'une langue régionale doit correspondre à un véritable patrimoine, qui pourrait alors être rattaché à l'article 75-1, mais la motivation aurait gagné à être plus explicite sur ce point. De même, on peut douter de la menace que fait peser l'installation de ces panneaux bilingues sur la sécurité routière alors même qu'ils sont apposés sous les panneaux portant le nom français ; en revanche, elle peut nuire à une correcte information surtout lorsque les deux dénominations sont franchement divergentes.

L'arrêt témoigne de la sévérité du juge administratif à l'égard des langues régionales, que la consécration de l'article 75-1 n'altère pas. Il a d'ailleurs conduit au dépôt d'une proposition de loi relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale, qui se présente comme la concrétisation du principe selon lequel les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.

(1) Sur cet arrêt, voir également OJC, Rubrique pouvoirs publics et autorités administratives collectivités territoriales, L. Janicot, A. Duffy et A. Roblot-Troizier, Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 32, 2011, p. 218, préc.

Des normes de référence inscrites dans la Charte de l'environnement

par Laetitia Janicot Professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, LEJEP,
Agnès Roblot-Troizier Professeur à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne,
Ariane Vidal-Naquet Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III, ILF-GERJC

Décisoins commentées :
CE, 19 juill. 2010, n° 328687, Quartier « Les hauts de Choiseul » (Assoc.), Lebon ; AJDA 2010. 1453 ; ibid. 2114, note J.-B. Dubrulle ; D. 2010. 2468, obs. F. G. Trébulle ; RDI 2010. 508, obs. P. Soler-Couteaux ; AJCT 2010. 37 ; Constitutions 2010. 611, obs. E. Carpentier ;
CE, 15 sept. 2010, n° 330734, Thalineau, Lebon ; AJDA 2010. 1736 ; AJDI 2011. 26, chron. S. Gilbert ; AJCT 2010. 180, obs. M. Moliner-Dubost ; Cah. Cons. const. 2011. 213, chron. A. Duffy-Meunier, L. Janicot et A. Roblot-Troizier ;
CE, 3 nov. 2010, n° 342502, Le Fur (Mme), Lebon ; AJDA 2010. 2135 ; Constitutions 2011. 113, obs. Y. Aguila et A. Peri ;
CE, 23 mars 2011, SA Progalva, n° 325618 ;
CE, 28 mars 2011, n° 330256, Collectifs contre les nuisances du TGV de Chasseneuil du Poitou et de Mignes-Auxances, Lebon ;
CE, 15 avril 2011, Association après mines Moselle-Est, n° 346060 ;
CE, 25 mai 2011, Association pour le commerce traditionnel et de proximité de la dernière zone humide du Nord de Sallanches, n° 336477 ;
CAA Bordeaux, 10 juin 2010, Association Trans'Cub, n° 09BX00943 ;
CAA Douai, 1er juillet 2010, Association Picardie Nature, n° 09DA01079 ;
CAA Bordeaux, 14 octobre 2010, Association Vent du Bocage, n° 10BX00024 ;
CAA Versailles, 14 octobre 2010, Un avenir pour Guitel, n° 09VE00042 ;
CAA Nantes, 26 novembre 2010, Commune de Chevreville, n° 10NT00157 et 10NT00158 ;
CAA Nancy, 17 janvier 2011, Institut national de la recherche agronomique, Ministre de l'agriculture, de l'alimentation et de la pêche, n° 09NC01483 - 09NC01771 ;
CAA Marseille, 31 mars 2011, Asezat La gaude et autres, n° 09MA00638 ;
CAA Marseille, 14 avril 2011, Commune d'Amélie les bains, n° 09MA02409 ;
TA Nancy, 29 juin 2010, Société Sita Lorraine, n° 0801887 ;
TA Besançon, 30 septembre 2010, Monsieur Bernard, n° 1000103 ; Civ. 3e, 27 janv. 2011, n° 10-40.056, Constitutions 2011. 411, obs. F. Nési A nouveau, la jurisprudence des juridictions administratives en matière de droit de l'environnement est importante et instructive à plusieurs égards. Les arrêts commentés ci-dessous permettent de préciser les normes de référence applicables et d'en préciser la portée.

I. Le principe de précaution inscrit à l'article 5 de la Charte de l'environnement

La jurisprudence administrative relative au principe de précaution inscrit à l'article 5 de la Charte de l'environnement est intéressante à plusieurs titres.

En premier lieu et de manière très claire, le Conseil d'État a posé l'applicabilité directe du principe : n'appelant pas « de dispositions législatives ou réglementaires en précisant les modalités de mise en oeuvre », « il s'impos[e] aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs » (1). Cette première précision n'allait pourtant pas forcément de soi à la lecture de la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2008 : si les dispositions de l'article « s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif », « il incombe au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61 de la Constitution, de s'assurer que le législateur n'a pas méconnu le principe de précaution et a pris des mesures propres à garantir son respect par les autres autorités publiques » (2). La dernière partie de ce considérant pouvait en effet laisser penser que le principe de précaution ne pouvait être mis en oeuvre par les « autres autorités » qu'après l'édiction par le législateur de « mesures propres ». Ce n'est pas l'interprétation retenue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 19 juillet 2010, qui préfère se fonder sur le texte même de l'article 5, qui ne renvoie pas à l'intervention du législateur à la différence, par exemple, de l'article 7.

La reconnaissance de l'invocabilité directe de l'article 5 de la Charte de l'environnement soulève alors la question de savoir si l'autorité compétente peut indifféremment se fonder sur la Charte constitutionnelle et/ou sur l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui pose également le principe de précaution, auquel renvoie notamment l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme. Le choix de la disposition, sur le fondement de laquelle l'autorité compétente intervient, emporte en effet des enjeux importants, dès lors que ces deux dispositions, constitutionnelle et législative, retiennent des définitions différentes du principe de précaution, qui pourraient conduire éventuellement à l'exercice d'un contrôle juridictionnel différent. La jurisprudence montre que le choix n'est pas dans tous les cas tranché. Si le Conseil d'Etat dans son arrêt du 19 juillet 2010 analyse la légalité de l'acte attaqué au regard du seul article de la Charte (3), un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 17 janvier 2011 fait au contraire référence à ces deux dispositions (4).

En deuxième lieu, opérant un revirement de jurisprudence (5), le Conseil d'Etat revient, sur le principe de l'indépendance des législations et décide d'apprécier la légalité d'un permis de construire à l'aune du principe de précaution (6). On serait tenté de voir dans cet arrêt un premier pas dans le sens de l'application de ce principe à la protection de la santé ou à la vie des personnes (voir Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, 2010, p. 261 et s.).

Enfin, le juge administratif a précisé les conditions de mise en oeuvre du principe de précaution. Il retient d'abord une conception large de ce principe en l'appliquant à des « risques avérés, qui ressortissent à la prévention » (7) plus qu'à la précaution. C'est ce qui a été soutenu, droit communautaire à l'appui, à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 juillet 2010, la réalisation de dommages causés par les antennes relais n'étant pas incertaine en l'état des connaissances scientifiques mais au contraire probable (8). Il en va de même dans un arrêt du 25 mai 2011 (9). Ce parti pris peut surprendre dans la mesure où le juge administratif a plutôt eu tendance jusqu'à présent à faire une application prudente du principe de précaution (voir Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, 2010, p. 261 préc.). A tout le moins cet arrêt montre que la frontière entre ces deux principes est ténue. Dès lors que le principe de précaution est invocable, le juge administratif retient en revanche une conception étroite de son contrôle en ne censurant les décisions dont la légalité est contestée devant lui qu'en cas d'erreur manifeste d'appréciation (10).

II. Le droit à l'information et droit de participation de l'article 7 de la Charte

Saisi du contrôle de la légalité d'actes administratifs au regard de l'article 7 de la Charte de l'environnement qui consacre le droit à l'information et le droit de participer au processus décisionnel « dans les conditions et les limites définies par la loi », le Conseil d'Etat juge que le moyen doit « en tout état de cause » être écarté (11). L'emploi de l'expression signifie que le juge administratif n'entend pas régler la question de l'invocabilité directe des dispositions de l'article 7 de la Charte qui, pour produire leur plein effet, doivent être mises en oeuvre par le législateur, seul compétent pour fixer les conditions et les limites de l'exercice des droits à l'information et de participation en matière environnementale (12). Tandis que la cour administrative d'appel de Bordeaux a fait application de la jurisprudence du Conseil d'Etat quant à la répartition des compétences normatives de mise en oeuvre de l'article 7 de la Charte en rappelant que « ne relèvent du pouvoir réglementaire que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur » (13), la même cour a, dans son arrêt du 10 juin 2010, Association Trans'Cub (14), tiré les conséquences de cette jurisprudence en déniant la possibilité d'invoquer directement les droits de l'article 7 : elle juge que « lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en oeuvre des principes énoncés à l'article 7 de la Charte de l'environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, la légalité des décisions administratives s'apprécie par rapport à ces dispositions, sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, qu'elles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui en découlent ». Le moyen tiré de la méconnaissance des droits de l'article 7 est donc apprécié, en l'espèce, au regard des dispositions du code de l'urbanisme qui imposent aux autorités publiques de veiller au respect de l'information du public.

Quand il examine en revanche une QPC portant sur le respect par la loi des droits de l'article 7 de la Charte, le Conseil d'Etat apprécie si la disposition législative contestée porte atteinte au droit de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement (15). Il en ira différemment si le requérant invoque, au soutien de sa QPC, l'incompétence négative du législateur et que la disposition législative critiquée est antérieure à l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement : « la méconnaissance par le législateur de la compétence qui lui a été conférée par les dispositions de l'article 7 de cette charte ne peut être invoquée utilement à leur encontre » (16).

III. Les autres articles de la Charte de l'environnement

Plusieurs arrêts témoignent de la volonté du juge de circonscrire les potentialités ouvertes par l'article 6 de la Charte.

Dans un jugement du 30 septembre 2010, le tribunal administratif de Besançon a écarté le grief tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la Charte par une motivation pour le moins lapidaire et contestable : « le requérant ne peut utilement soutenir que l'arrêté (...) attaqué serait contraire à l'article 6 [...], dès lors que lesdites dispositions ne peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir » (n° 1000103). Les conditions d'invocabilité de cet article ont pourtant été consacrées dans un arrêt du Conseil d'Etat du 7 mai 2008, dans lequel il a jugé que la légalité des décisions administratives s'apprécie par rapport aux dispositions législatives prises pour assurer la mise en oeuvre de cet article, sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la charte, qu'elles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de cette charte (v. en ce sens, CE, 7 mai 2008, n° 309285, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, AJDA 2008. 2086).

Le juge semble par ailleurs faire de la mise en oeuvre d'une politique publique une des conditions d'applicabilité de l'article 6. Ainsi, sa méconnaissance a pu être invoquée à l'encontre d'une déclaration d'utilité publique (voir Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, 2010, p. 261 préc.) ou d'une révision simplifiée d'un plan d'occupation des sols (CAA Versailles, 14 octobre 2010, Un avenir pour Guitel, n° 09VE00042), ce qui inclut implicitement les politiques urbaines et foncières dans le champ d'application de cet article. En revanche, s'agissant d'un arrêté préfectoral refusant l'autorisation d'exploiter un centre de valorisation et de stockage de déchets non dangereux, le tribunal administratif juge que « le préfet ne saurait utilement se prévaloir, en tout état de cause, des dispositions de l'article 6 de la Charte de l'environnement, dès lors que l'arrêté attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de conduire une politique publique » (TA Nancy, Société Sita Lorraine, 29 juin 2010 n° 0801887).

Les articles 2, 3 et 4 de la Charte de l'environnement ont également donné lieu à plusieurs arrêts qui retiennent l'attention. Le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement (article 2) peut être lu comme le fondement des obligations de prévention et de réparation précisées aux articles 3 et 4, qui renvoient toutes deux au législateur le soin d'en préciser les conditions d'application.

Dans un arrêt du 1er juillet 2010, la cour administrative d'appel de Douai a tiré toutes les implications de ce renvoi à la loi, en posant le principe selon lequel « lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en oeuvre des principes énoncés à l'article 3 de la Charte de l'environnement de 2004[...], la légalité des décisions administratives s'apprécie par rapport à ces dispositions, sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, qu'elles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de cette charte » (CAA Douai, 1er juillet 2010, Association Picardie Nature, n° 09DA01079). Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 8 avril 2011, a tenu le même raisonnement à propos des articles 3 et 4 de la Charte, en jugeant « qu'il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en oeuvre de ces dispositions » (Cons. const., 8 avr. 2011, n° 2011-116 QPC, AJDA 2011. 762 ; ibid. 1158, note K. Foucher ; D. 2011. 1258, note V. Rebeyrol ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RDI 2011. 369, étude F. G. Trébulle ; Constitutions 2011. 411, obs. F. Nési).

Ces deux obligations de prévention et de réparation n'en constituent pas moins des droits et libertés que la Constitution garantit au sens de l'article 61-1 de la Constitution. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la constitutionnalité de l'article L. 112-16 du code de la construction, en jugeant que son éventuelle contrariété avec l'article 1er de la Charte était une question nouvelle et qu'au regard des articles 2, 3 et 4, elle présentait un caractère sérieux (Cass. civ. 3e, 27 janvier 2011, n° 10-40.056). Dans la décision n° 2011-116 QPC, le Conseil constitutionnel s'assure que cet article ne méconnait pas « les droits et obligations qui résultent des articles 1er à 4 de la Charte de l'environnement ». Tel est également le raisonnement tenu par le Conseil d'État, qui refuse néanmoins de transmettre une QPC relative à l'article 91 du code minier, que les requérants estimaient contraire aux principes de prévention et de contribution à la réparation des dommages causés à l'environnement, au motif que la question ne présente pas un caractère sérieux (CE, 15 avril 2011, Association après mines Moselle-Est, n° 346060).

L'article 2 de la Charte de l'environnement, souvent présenté comme une obligation morale, n'a jusqu'à présent guère été invoqué devant les juridictions administratives. Il l'a été, combiné à l'article 4, à propos des obligations susceptibles d'être imposées aux propriétaires d'un terrain pollué par l'exploitation d'une installation classée au titre de sa remise en état. Contrariant les velléités de certaines cours administratives d'appel, le Conseil d'Etat rappelle que la charge financière ne peut être imposée qu'à l'exploitant et non au propriétaire du terrain. Par un motif redondant, il ajoute que les dispositions du code de l'environnement relatives à la remise en état d'un site pollué « ne sont en tout état de cause contraires, ni à celles de l'article 2 de la Charte de l'environnement, suivant lesquelles « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », ni à celles de l'article 4 de la même Charte, selon lesquelles « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». Dissociant ces deux obligations, il anticipe également ainsi une éventuelle QPC (CE, 23 mars 2011, SA Progalva, n° 325618).

(1) CE, 19 juillet 2010, Association du quartier Les Hauts de Choiseul c/ Cne d'Amboise, n° 328687 ; CAA Marseille, 31 mars 2011, n° 09MA00638 ; CAA Douai, 1er juillet 2010, n° 09DA01079 ; CAA Nantes, 26 novembre 2010, n° 10NT00158.

(2) Cons. const., déc. 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, Loi relative aux OGM, cons. n° 18, AJDA 2008. 1232 ; ibid. 1614, note O. Dord ; D. 2009. 1852, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2448, obs. F. G. Trébulle ; GDCC, 15e éd. 2009. n° 49 ; RFDA 2008. 1233, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud ; Constitutions 2010. 56, obs. A. Levade ; ibid. 139, obs. Y. Aguila ; ibid. 307, obs. Y. Aguila. C'est nous qui soulignons.

(3) Alors que le Conseil d'État a déjà fait une application conjointe de ces deux dispositions : par exemple, CE, 6 avr. 2006, n° 283103, Ligue pour la protection des oiseaux, AJDA 2006. 1584, chron. C. Landais et F. Lenica.

(4) CAA Nancy, n° 09NC01483-09NC01771, 10 janvier 2011, à propos d'une décision autorisant une opération de dissémination d'un organisme génétiquement modifié.

(5) CE, 22 août 2002, n° 245624, SFR c/ Vallauris (Cne de), AJDA 2002. 1300, note P. Binczak ; CE, 20 avr. 2005, n° 248233, Société Bouygues Telecom, Lebon ; AJDA 2005. 1191, concl. Y. Aguila ; RDI 2005. 254, obs. F. G. Trébulle ; ibid. 348, obs. P. Soler-Couteaux. V. également, sur la période étudiée, CAA Douai, 1er juillet 2010, n° 09DA01079.

(6) CE, 19 juillet 2010, préc. à propos d'un permis de construire en vue d'une installation d'un pylône de relais de téléphonie ; dans le même sens, CAA Marseille, 31 mars 2011, préc. à propos d'un permis de construire en vue de la réalisation d'un ensemble de locaux à usage industriel destiné à la torréfaction et au conditionnement du café.

(7) Y. Jégouzo, in C. Birraux et J.-C. Étienne, Rapport sur le principe de précaution : bilan de son application quatre ans après sa constitutionnalisation : Doc. Sénat n° 25, 2009-2010, 8 oct. 2009, p. 21.

(8) V. sur cette démonstration, notamment, P. Billet, « Autorisation d'urbanisme et principe de précaution : quand l'autonomie contrarie l'indépendance », JCP A, 28 mars 2011, 2119.

(9) CE, 25 mai 2011, Association pour le commerce traditionnel et de proximité de la dernière zone humide du Nord de Sallanches, n° 336477. Le Conseil d'État juge en effet que la Commission nationale d'aménagement commercial, qui disposait sur ce point d'informations suffisantes, n'a pas inexactement apprécié les mesures d'aménagement prévues dans le cadre du projet litigieux pour assurer la gestion des eaux pluviales et la prévention des risques d'inondation sur ce site proche de l'Arve et de ses affluents. Alors que ces risques sont connus, il a jugé que la commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard du principe de précaution.

(10) CE, 19 juillet 2010, préc. ; CAA Marseille, 31 mars 2011, préc. ; CAA Douai, 1er juillet 2010, préc.