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Livres et idées

Michel VERPEAUX - Professeur à l'Université de Paris II (Panthéon-Assas)

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 2 - mai 1997

Joël Mekhantar - Droit politique et constitutionnel

Éditions ESKA collection Droit public et sciences politiques, 1997

Voici un nouvel ouvrage de droit constitutionnel, qui s'intègre dans la liste déjà longue de manuels consacrés à cette matière. Il faut sans doute y voir le signe de la vitalité de celle-ci, profondément renouvelée depuis deux décennies, grâce notamment au contentieux constitutionnel et à une partie de la doctrine qui a su accompagner ce changement. Il faut aussi remarquer l'intérêt de nouvelles maisons d'édition et de nouvelles collections pour les matières juridiques et on ne peut guère se plaindre de cet engouement qui diversifie l'offre de littérature juridique sur un marché en pleine expansion.

Le livre de Joel Mekhantar, à qui l'on doit un ouvrage consacré aux finances publiques- Le budget de l'Etat, s'inscrit dans ce contexte. Il a été établi à partir d'un enseignement dispensé en première année de DEUG et des notes de cours, au départ destinées à assurer la cohérence pédagogique d'une équipe de travaux dirigés. Dans sa préface, le Professeur Michel Fromont, qui enseigna à Dijon avant M. Mekhantar, souligne les aspects novateurs de ce manuel de droit constitutionnel et politique, parmi lesquels la critique des institutions de la Vème République, la contestation de la théorie de la loi-écran qui empêche qu'une protection adéquate des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution puisse être assurée par les juridictions ordinaires- mais ce à quoi le contrôle de conventionnalité installé enfin en France en 1989 peut apporter une forme de compensation-, mais aussi la place importante consacrée aux partis politiques sous la Vème République, du fait de la Constitution et de la législation récente relative au financement des partis politiques et des campagnes électorales. Michel Fromont a entièrement raison de considérer qu'un ouvrage contemporain de droit constitutionnel, ou un enseignement de cette matière, ne peut plus se concevoir sans des développements traitant de ces questions. Sur ce point, l'ouvrage de M. Mekhantar remplit fort bien sa mission.

Il est un autre aspect novateur du livre, souligné par le préfacier, qui ne peut manquer d'attirer l'oeil et l'intérêt du lecteur : M. Mekhantar souhaite en effet ne pas séparer le constitutionnel et le politique, comme le titre du livre l'indique d'ailleurs clairement. On pourrait sans doute entreprendre une étude sur la diversité contemporaine des titres d'ouvrages consacrés théoriquement à la même matière et destinés à un même public : ce qui vaut pour le droit constitutionnel vaut aussi pour les libertés publiques, désignées parfois sous le vocable de droits fondamentaux ou de droits de l'homme. Cette diversité n'est pas seulement de façade et reflète des a-priori différents. Le droit constitutionnel, les institutions politiques, le droit politique sont des appelations qui témoignent de cette diversité. Si un doute pouvait subsister, l'avant-propos rédigé par M. Mekhantar suffirait à le lever : celui-ci considère en effet que ce droit, par son objet, est nécessairement politique, et que la vision abusivement technique d'un droit constitutionnel qui ne serait un « vrai droit » qu'avec l'apport du juge constitutionnel est une imposture intellectuelle. Et pour mieux se faire comprendre, l'auteur ajoute qu'il ne lui a pas paru nécesaire de céder « au totalitarisme d'une présentation exclusivement juridictionnelle du droit constitutionnel ». Mais c'est pour aussitôt affirmer qu'il ne faut pas non plus sombrer dans l'impressionisme d'une vision exagérément politiste des questions. Gageons cependant que ces quelques lignes feront sursauter dans certaines facultés de droit une partie non négligeable de la doctrine et considérons que les mots de totalitarisme et d'imposture, peut-être excessifs, sont sans doute destinés à mieux faire passer le message. L'auteur nous permettra cependant de penser, même si bien évidemment le droit, et surtout le droit constitutionnel, n'est pas une discipline totalement objective, que la vision qu'il qualifie de« technique » du droit a pu apporter à cette discipline une rigueur et une grille d'analyse qui finissaient par lui faire défaut à une certaine époque. Et on voit mal que ce qui est possible pour le droit administratif, dont tout le monde admet que c'est bien du « vrai droit », ne le serait pas pour le droit constitutionnel. Après tout, la science administrative enrichit pleinement, mais de façon séparée, l'austérité et la technicité du droit administratif. Comment oublier enfin que les étudiants en droit, puisque cet ouvrage leur est destiné, ont bien besoin de savoir, dès la première année, que le droit public n'est pas moins « juridique » que le droit privé ? L'auteur lui-même, d'ailleurs, consacre une place très importante aux analyses juridiques et techniques et le contentieux constitutionnel est très souvent présent dans son ouvrage. On appréciera, à titre d'exemple, les développements relatifs au contenu de l'article 34, tel qu'il résulte de la jurisprudence conjuguée ou parfois contradictoire du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat, et qui figurent très rarement dans un ouvrage classique de droit constitutionnel. Le lecteur sera également sensible à la place qui est faite, plus globalement, au contentieux administratif chaque fois qu'il est nécessaire de le faire, ce qui répond parfaitement au souhait exprimé plus haut. La partie « constitutionnelle » du droit n'est donc pas sacrifié abusivement au profit de la partie « politique » dans l'ouvrage de M. Mekhantar.

Le caractère très complet de l'ouvrage apparaît aussi dans le soin mis à la présentation de la bibliographie, en fin de chapitres ou sous la forme d'une bibliographie générale, dans la table des décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat citées dans l'ouvrage. Ce sont des aides à la lecture tout à fait précieuses. Peut-être pourrait-on regretter néanmoins, dans cet ouvrage aux multiples facettes, la typographie un peu dense et une présentation peu aérée. Si l'auteur voulait faire réfléchir ses lecteurs, soyons certain que son voeu sera excaucé et que son ouvrage suscitera de nombreux comentaires. Peut-on rêver meilleur sort à un manuel de droit constitutionnel ?.

Michel Verpeaux

Professeur à l'Université de Paris II (Panthéon-Assas)

Marcel Morabito - Le chef de l'État en France

Montchrestien, collection Clefs Politique

2ème édition 1996

C'est par excès de modestie que Marcel Morabito qualifie son livre de « petit ouvrage », dans les premières pages de l'introduction. La deuxième édition de ce Chef de l'Etat (déjà deuxième, pourrait-on dire puisque la première ne datait que de 1995), illustre au contraire le succès de ce livre aux dimensions modestes mais au contenu toujours passionnant. Le Directeur de l'IEP de Rennes n' a pas oublié qu'il était aussi historien du droit et les analyses historiques occupent une place essentielle dans cet ouvrage dont le tiers seulement est consacré à la Présidence inédite de la Vème République. Nul doute cependant que la place particulière occupée par le président de la République dans nos institutions, alors que cette expression couramment utilisée ne figure dans aucune de nos constitutions républicaines, pas même celle de 1958, soit le motif qui ait déclenché la rédaction de ce livre stimulant. Ce n'est pas un hasard si c'est une citation du général de Gaulle, tirée des Mémoires de guerre, qui est mise en exergue : « Suivant moi, il est nécessaire que l'Etat ait une tête, c'est-à-dire un chef, en qui la nation puisse voir, au-dessus des fluctuations, l'homme en charge de l'essentiel et le garant de ses destinées ». En quelques mots, en effet, le problème de l'existence d'un chef de l'Etat, distinct des autorités politiques classiques, est magistralement posé. Ce n'est pas un hasard non plus si la présentation de l'ouvrage, dans la deuxième édition, insiste sur les héritages monarchiques dans les pratiques de notre République, remarqués notamment lors du cérémonial funéraire marquant la mort de François Mitterrand. Cette notion de chef de l'Etat, si discutée, mais jamais définie constitutionnellement sous la Vème République, ne pouvait être étudiée ni comprise qu'avec le recours à l'histoire. C'est ce que nous montre fort bien M. Morabito qui commence son ouvrage par une présentation des justifications de la monarchie opérées par Bodin et Bossuet, à un siècle de distance, et qui aboutissent à assimiler l'Etat et le roi. La démonstration est complétée par une étude très précise de la période révolutionnaire, que notre auteur connaît bien, qui voit la première recherche de la définition d'un pouvoir qui ne serait plus un pouvoir personnel mais qui serait une « république », c'est-à-dire, au sens premier, la chose de tous. Même le Directoire, régime qui contribue au rétablissement du pouvoir exécutif, ne consacre pas un vrai « chef de l'Etat » dans le sens de l'Ancien régime. Rompant avec une présentation strictement chronologique, la deuxième partie, consacrée au poids des héritages, oppose les résurgences absolutistes, que M. Morabito voit aussi bien dans la Restauration, les césarismes napoléoniens que dans le régime de Vichy, aux réticences républicaines de 1848, 1875 ou 1946. Cette étude montre ainsi que la consécration ou le refus d'un chef de l'Etat naît de la place occupée par le pouvoir exécutif au sein des institutions. Tout le débat consiste en effet, dans les diverses constitutions, à faire du titulaire du pouvoir exécutif l'égal des autres ou un pouvoir au dessus de la mêlée. L'ambiguité entretenue par la définition du président de la République dans la constitution de 1958 contribue à nourrir la réflexion de M. Morabito sur la notion de chef de l'Etat dans notre régime, et c'est fort logiquement qu'il consacre des développements à l'élection du président au suffrage universel direct, car c'est le seul moyen, en dehors de l'hérédité, pour que le chef de l'Etat exprime une volonté séparée de celle des assemblées représentatives de la nation. Il faut bien trouver une légitimité à ce chef, et l'élection est sans doute la seule démocratiquement acceptable, à moins de retomber dans une forme moderne de césarisme, aussi parce qu'elle permet d'associer l'autorité et la responsabilité. Les périodes de cohabitation, qui voient opposer deux sortes de légitimité, viennent paradoxalement illustrer la permanence d'un chef de l'Etat qui ne se confond pas, dans nos institutions, avec le seul titulaire du pouvoir exécutif. La France est-elle alors toujours condamnée à vivre dans une monarchie ? M. Morabito nous livre une des solutions possibles pour sortir de cette situation : l'Europe, qui aura un jour raison des allures monarchiques de notre présidence. Ce serait alors une conséquence imprévue de la construction européenne, sauf à imaginer un président de l'Europe !

Bernard Branchet - Contribution à l'étude de la Constitution de 1958, Le contreseing et le régime politique de la Vème République

L.G.D.J. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 1996

Cet ouvrage est la version imprimée d'une thèse soutenue en 1983 à Metz pour le doctorat. Les treize années qui séparent le travail académique et l'ouvrage aujourd'hui édité auront été pour l'auteur l'occasion d'éventuellement parfaire son oeuvre et surtout de l'enrichir à la lumière des événements nombreux que le droit constitutionnel a pu connaître entre ces deux dates. La pratique des institutions, à travers ce qu'il est convenu d'appeler les expériences de la cohabitation à la fin des deux septennats de François Mitterrand, n'a pu manquer d'exciter la réflexion de M. Branchet dans la nouvelle version de son travail.

Cette édition est précédée d'une préface- aussi chaleureuse qu'inhabituelle- du professeur Stéphane Rials, qui explique de façon très personnelle dans quelles conditions M. Branchet élabora cette thèse de doctorat et qui nous livre de toujours stimulantes réflexions.

Car c'est de cela qu'il s'agit dans le livre de M. Branchet et qui justifie le titre principal, a priori ambitieux, de son ouvrage : « Contribution à l'étude de la Constitutions de 1958 ». M. Branchet a voulu opérer un retour au texte, analysé à travers les rapports entre le Président de la république et le Premier ministre, qui manifestent l'existence d'un Exécutif « organiquement et surtout fonctionnellement dualiste ». Comme l'explique fort bien l'auteur, l'un des mérites de la cohabitation aura été de confirmer le rôle de la Constitution pour la compréhension du régime politique, notion qu'il préfère à celle de système politique, car elle met l'accent sur le cadre institutionnel défini par les règles juridiques, au-delà des vicissitudes de la pratique. Et c'est donc fort logiquement qu'il a choisi d'étudier plus spécialement, car sa thèse, au sens fort du terme, se serait diluée sans cela dans de vagues considérations, le problème de la signature des actes par le Président de la république et celui du contreseing. On comprend alors le sous-titre de l'ouvrage « Le contreseing et le régime politique de la Vème République » : la signature et la contresignature des actes constitue une clef essentielle dans la compréhension d'un régime. Le contreseing occupe en effet la place centrale dans la définition du régime parlementaire, car il explique la dualité du pouvoir exécutif. Mais il s'est en quelque sorte dédoublé, à partir de 1946, puisqu'a été consacré, à côté du contreseing des actes du Président de la République, un autre contreseing, celui qui s'attache aux actes du Président du Conseil, résultat d'une rationalisation du régime parlementaire. La Constitution de 1958, non seulement a conservé ce dédoublement du contreseing, mais a en outre dispensé du contreseing un certain nombre d'actes présidentiels, énumérés à l'article 19. Mais, pour M. Branchet, ces actes ne modifient en rien la nature du régime mis en place en 1958, bien au contraire la distinction, entre les actes soumis au contreseing et les actes qui échappent à celui-ci, matérialise le dualisme fonctionnel qui caractérise l'Exécutif dans un véritable régime parlementaire : les pouvoirs propres du Président de la République permettent à ce dernier de s'acquitter réellement de ses missions, et son élection au suffrage universel n'a fait que confirmer le dualisme et n' a pas bouleversé l'équilibre institué par la Constitution. Elle n' a fait que renforcer le cadre démocratique et républicain du régime. Mais on peut estimer aussi que cette élection a modifié considérablement la place du Président de la République et a cessé de faire de lui une branche du pouvoir exécutif pour en faire un véritable chef de l'Etat, au sens que lui donne M. Morabito dans son ouvrage analysé par ailleurs. Le dualisme, vu par M. Branchet, correspond réellement à l'aménagement du pouvoir exécutif beaucoup plus qu'à la question de la double responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et le chef de l'Etat. On peut se demander cependant si les deux définitions ne sont pas liées et si cette forme de responsabilité n'a pas précisément pour origine le dualisme réel au sein de l'Exécutif.

On ne sera pas alors étonné que le plan de l'ouvrage de M. Branchet soit logiquement articulé autour de ces deux thèmes. Après un Chapitre préliminaire consacré à l'histoire et à la pratique du contreseing à l'étranger et en France, dans lequel M. Branchet ne se contente pas d'analyser les seuls pays strictement parlementaires, le livre se subdivise en deux parties : la première est intitulée « Le contreseing et la nature parlementaire du régime de la Vème République », dans laquelle l'auteur étudie la place prépondérante du Gouvernement dans la direction de la législation. On pourra regretter cependant, par exemple, que la présentation de la nomination aux emplois civils et militaires, qui illustre si bien le difficile partage entre les deux têtes de l'Exécutif, soit faite très rapidement, ainsi que celle du partage du pouvoir réglementaire entre le Président de la République et le Premier ministre. Peut-être pourra-t-on souligner, sans être puriste, l'extrême déséquilibre entre les deux subdivisions de cette partie.

La seconde partie est consacrée à « L'absence de contreseing et le caractère dualiste du parlementarisme de la Vème République », et l'auteur y démontre que cette absence pourrait renforcer la revendication d'une forme de responsabilité du Président. Si l'on ajoute que l'ouvrage comporte une bibliographie très complète sur la Vème république, on aura compris que le livre de M. Branchet, très documenté, mérite amplement sa place dans la collection dans laquelle il est publié.