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Liberté, égalité, responsabilité

Christophe RADÉ - Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 16 (Dossier : le Conseil constitutionnel et les diverses branches du droit) - juin 2004

1. - La doctrine, tant privatiste(1)que publiciste(2), ne cesse de s'interroger sur les fondements philosophiques de la responsabilité civile. Celle-ci se justifie classiquement par la nécessité de réparer les dommages causés à la victime mais aussi par le souci de sanctionner les fautes commises par le responsable. Même si, au fil des décennies, la faute a changé de visage et a même souvent cédé le pas à l'exigence d'un simple fait causal, la responsabilité civile stigmatise toujours, directement ou indirectement, le comportement d'une personne déterminée. Cette fonction normative, inhérente à la quête d'un responsable, n'a pas été contredite par la montée en puissance de la théorie du risque dans la mesure où la responsabilité civile, si elle atteint désormais de nouveaux débiteurs, cherche toujours à rattacher le dommage à celui qui doit en assurer la réparation.

Renouvelant profondément cette analyse classique, tout en conservant à la responsabilité civile sa fonction de stigmatisation des comportements individuels, Boris Starck proposa de renverser la perspective et de rechercher dans la personne même de la victime le fondement de la condamnation de l'auteur du fait dommageable(3).

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette théorie, associant la prise en considération du responsable et de la victime, vit le jour en 1947. Cette modification radicale dans l'approche des fondements de la responsabilité civile accompagnait en effet un profond mouvement de redéfinition des droits de l'homme, particulièrement sensible dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946(4) et dans les nouvelles déclarations des droits adoptées sur un plan international(5).

2. - Ce changement de paradigme ne pouvait pas ne pas affecter en profondeur le droit de la responsabilité civile. Traditionnellement, en effet, la doctrine recherchait le fondement juridique du principe de responsabilité dans la théorie des droits subjectifs(6), ou encore dans le droit naturel(7). Avec la promotion des droits de l'homme et leur intégration dans le bloc de constitutionnalité(8), la perspective s'enrichit d'une nouvelle dimension. Le « fondement » de la responsabilité civile pouvait alors se rechercher à la fois dans une exigence philosophique et dans le droit positif qui lui confèrent une certaine juridicité. Désormais, l'exigence de responsabilité se justifie à la fois par le souci de stigmatiser le comportement de l'auteur du dommage et celui d'assurer le respect du droit fondamental à indemnisation de la victime.

Cette double justification n'a pas affecté directement les juridictions judiciaires dans la mesure où la loi, dont elles sont chargées d'assurer le respect, continue d'envisager la responsabilité civile du seul point de vue de l'auteur du fait dommageable. Certes, des mécanismes d'indemnisation, substituant au responsable des organismes payeurs, ont vu le jour. Mais ces dispositifs ont presque toujours mis en place des procédures d'indemnisation directe et automatique ne nécessitant pas le recours préalable au juge et n'ont pas totalement occulté tout débat sur la responsabilité des auteurs ; comme cela a été montré, la responsabilité ne disparaît pas de ces systèmes ; elle est remplacée, au stade de l'obligation à la dette, par d'autres mécanismes destinés à garantir aux victimes une indemnisation rapide et effective, mais se retrouve, au stade de la contribution à la dette, grâce aux actions récursoires maintenues dans tous les régimes d'indemnisation qui font largement appel aux règles du droit commun de la responsabilité civile(9).

3. - Ce cantonnement du juge judiciaire dans le cadre d'une perspective classique centrée sur la personne du responsable tranche singulièrement avec la mission dévolue au Conseil constitutionnel. Certes, le juge judiciaire et le juge constitutionnel sont tous deux les gardiens de la loi, chacun à son niveau. Mais non seulement la nature de leur office diffère essentiellement, l'un tranchant des conflits subjectifs, l'autre des conflits objectifs, mais de surcroît les lois qu'ils sont chargés d'appliquer diffèrent fondamentalement. Le juge judiciaire est en effet chargé, par l'article 12 du nouveau code de procédure civile, de trancher le litige qui lui est soumis « conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Le juge constitutionnel, qui n'a pas à trancher de litige, est chargé d'assurer le respect de la loi constitutionnelle dans son ensemble. Or ce qu'il est convenu d'appeler le « bloc de constitutionnalité » est porteur d'un équilibre, de tensions, pour ne pas dire de contradictions entre des droits et libertés qui ont naturellement vocation à se confronter.

En d'autres termes, si le juge judiciaire est en principe saisi de conflits que l'on pourrait qualifier de « simples », en ce qu'ils mettent en cause l'application d'une règle de droit, le juge constitutionnel intervient dans des conflits « complexes » qui mettent en jeu de multiples intérêts dont il convient d'assurer la conciliation(10). L'examen de la jurisprudence montre alors très clairement comment le Conseil est amené à raisonner d'une manière dialectique en confrontant l'exigence de responsabilité(11), prolongement du principe de liberté, et l'impératif d'égalité qui fonde le droit à indemnisation des victimes(12).

4. - Mais si le Conseil constitutionnel est totalement maître de la méthode d'analyse la plus pertinente à mettre en oeuvre pour s'assurer du respect du bloc de constitutionnalité, les circonstances qui conduisent à le saisir lui échappent presque totalement. Sa saisine est tout d'abord conditionnée par l'existence d'une volonté politique. Or s'il est arrivé qu'une saisine soit motivée par le souci d'obtenir une clarification sur les fondements constitutionnels applicables(13), l'épisode de l'adoption par le Parlement de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a démontré à quel point un consensus politique pouvait malheureusement l'éclipser(14).

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel est tributaire de l'objet des lois déférées, ce qui marque la profonde relativité de sa jurisprudence et les difficultés que l'on peut éprouver à élaborer, à partir de quelques décisions rendues, une analyse globale et pertinente.

Ce constat est particulièrement criant s'agissant du droit de la responsabilité civile. Dans la mesure où le principe de responsabilité civile pour faute constitue, au moins en droit privé, le principe fondateur, l'intervention législative aura en effet pour objet soit d'étendre ce principe à des hypothèses de responsabilités sans faute, soit, au contraire, d'assurer la protection de certains responsables, considérés comme particulièrement dignes d'intérêt, en les faisant bénéficier d'un régime d'immunité.

5. - Or si le Conseil a été saisi, à plusieurs reprises, pour contrôler la conformité de régimes légaux d'immunité(15), il ne l'a jamais été lors de la mise en place de régimes étendant la responsabilité d'un auteur, c'est-à-dire mettant en place une responsabilité sans faute ; nous verrons toutefois que certains mécanismes de compensation(16) ou d'indemnisation(17) s'apparentent à des régimes de responsabilité, lato sensu, et livrent certains enseignements généraux qui peuvent utilement être exploités. Mais ni la loi du 5 juillet 1985 concernant les victimes d'accidents de la circulation, ni celle du 19 mai 1998 concernant les produits défectueux, ni même celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, n'ont donné lieu à la saisine du Conseil constitutionnel, ce qui ne manque pas, d'ailleurs, de poser problème, tout au moins pour cette dernière qui contenait en son sein un régime d'immunité dont la conformité à la Constitution est pour le moins douteuse(18). Tout se passe alors comme si l'esprit répugnait naturellement à admettre que celui qui cause à autrui un dommage, sans un motif légitime, n'en doive pas réparation, alors qu'il semble naturel, comme évident, que la loi puisse intervenir pour mieux protéger les victimes et étendre le champ de la responsabilité individuelle.

Par ailleurs, et comme cela a été justement souligné(19), le Conseil ne fait jamais référence à la nature contractuelle ou délictuelle des responsabilités en cause dans aucune de ses décisions. Cette indifférence peut s'expliquer par des raisons fondamentales. Le Conseil se situe en effet aux sources du droit de la responsabilité, sans avoir à tenir compte des subtilités des différents régimes. Mais il est également possible de proposer une autre explication plus contingente. Si l'on veut bien faire exception de la loi sur le pacte civil de solidarité(20), le Conseil n'a en réalité jamais été saisi que de régimes de responsabilité extracontractuelle. Cette absence de référence à la nature des responsabilités pourrait alors s'expliquer très prosaïquement par le fait que le Conseil n'a en réalité jamais eu à se prononcer formellement sur le principe de responsabilité dans un contexte contractuel...

L'examen de la jurisprudence de ces vingt dernières années permet alors d'éclairer les fondements constitutionnels du droit de la responsabilité civile, fortement marqués par la conciliation dialectique des principes de liberté et d'égalité (I). Il permet également de mettre en évidence les caractères particuliers du droit constitutionnel de la responsabilité civile où la responsabilité doit être envisagée individuellement, et le droit à réparation intégralement (II).

I. Les fondements constitutionnels du droit de la responsabilité civile

6. - Le Conseil constitutionnel recherche un équilibre entre les intérêts des victimes et ceux des responsables et concilie l'exigence de responsabilité, corollaire de la liberté (A), et l'impératif d'égalité devant les charges publiques, fondement du droit à réparation (B).

A. La responsabilité civile comme exigence constitutionnelle

7. - Le Conseil constitutionnel a attendu onze ans pour consacrer l'existence d'un principe constitutionnel de responsabilité civile pour faute et dix huit autres années pour lui donner une base textuelle. Refusant de consacrer l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (1), le Conseil a rattaché directement le principe de responsabilité à la définition même de la liberté (2).

1) Le refus d'ériger l'article 1382 du code civil en principe fondamental reconnu par les lois de la République

8. - Il a fallu attendre 1982 pour que le Conseil constitutionnel ait l'occasion de rendre sa première décision concernant les principes constitutionnels applicables en matière de responsabilité civile(21). Le Parlement avait décidé d'accorder aux grévistes, aux représentants du personnel et aux syndicats une large immunité de responsabilité civile pour les dommages causés dans le cadre ou à l'occasion de conflits collectifs. L'article 8 du texte déféré disposait en effet que « aucune action ne peut être intentée à l'encontre de salariés, de représentants du personnel élus ou désignés ou d'organisations syndicales de salariés, en réparation des dommages causés par un conflit collectif du travail ou à l'occasion de celui-ci, hormis les actions en réparation du dommage causé par une infraction pénale et du dommage causé par des faits manifestement insusceptibles de se rattacher à l'exercice du droit de grève ou du droit syndical ».

Après avoir constaté que ce texte priverait largement les victimes de toute forme de réparation pour les dommages liés à des conflits collectifs, le Conseil constitutionnel a rappelé la règle selon laquelle « nul n'ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». La formule n'a pas manqué de retenir l'attention dans la mesure où, manifestement, le Conseil souhaitait, tout en reconnaissant la constitutionnalité du principe énoncé par l'article 1382 du code civil, ne pas lui reconnaître formellement le statut de principe fondamental reconnu par les lois de la République.

La similitude entre la formule adoptée par le Conseil constitutionnel et l'article 1382 du code civil est évidemment frappante puisque la décision reprend intégralement le contenu de ce texte (« tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer »). Mais le Conseil ajoute toutefois, en exergue, le principe préalable selon lequel « nul (n'a) le droit de nuire à autrui ».

Or cet ajout est déterminant pour comprendre l'analyse que le Conseil fait du fondement du principe de responsabilité civile pour faute. C'est bien parce que nul n'a le droit de nuire à autrui (neminem laedere) que celui qui cause par sa faute un dommage est tenu de le réparer. En choisissant de se situer dans le cadre de l'interdiction de nuire à autrui, le Conseil rattache implicitement le principe de responsabilité au principe de liberté présent dans les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la liberté consistant « à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Le principe de responsabilité découle donc du principe de liberté, dans lequel il puise à la fois sa justification philosophique et son fondement juridique.

9. - En visant l'interdiction de nuire à autrui et en ne faisant aucune référence formelle à l'article 1382 du code civil, le Conseil refuse en réalité de consacrer ce texte en l'élevant au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République, contrairement aux souhaits émis par certains auteurs(22).

Ce refus s'est d'ailleurs répété à plusieurs reprises. Quelques semaines après cette première décision, en effet, et saisi d'un recours dirigé contre la loi portant démocratisation du secteur public, le Conseil avait été de nouveau sollicité pour prendre nettement position sur le régime de responsabilité des salariés siégeant dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques. Les auteurs de la saisine prétendaient que ce régime heurtait le « principe de responsabilité de valeur constitutionnelle, consacré par la Déclaration de 1789 et reconnu par les lois de la République, notamment par le code civil et par le code pénal ». Or le régime a été validé « sans qu'il soit besoin de rechercher si un tel principe a valeur constitutionnelle »(23).

Un même refus s'est exprimé le 27 juillet 1994 à l'occasion de l'examen des lois « bioéthique »(24). Le texte déféré introduisait dans le code civil un nouvel article 311-19 aux termes duquel « en cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation » ni « aucune action en responsabilité [...] exercée [...] ». Les auteurs de la saisine mettaient « en cause l'anonymat des donneurs de gamètes vis-à-vis de l'enfant à naître au regard du principe de responsabilité personnelle posé par l'article 1382 du code civil ». Or le Conseil constitutionnel a rejeté cet argument, sans faire la moindre allusion à l'existence d'un tel principe fondamental reconnu par les lois de la République et en se contentant d'affirmer « qu'aucune disposition ni aucun principe à valeur constitutionnelle ne prohibe les interdictions prescrites par le législateur d'établir un lien de filiation entre l'enfant issu de la procréation et l'auteur du don et d'exercer une action en responsabilité à l'encontre de celui-ci ».

10. - Alors qu'il tenait, à plusieurs reprises, l'occasion de prendre formellement position sur l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, le Conseil s'est donc dérobé, préférant constater l'existence d'un principe de responsabilité sans en indiquer formellement la base textuelle.

La doctrine s'est interrogée sur les raisons de ce refus persistant. Certains ont fait valoir que la qualification de « loi de la République » ne pourrait désigner le code civil de 1804 promulgué sous le Consulat(25). Plus simplement, et sans prendre parti sur la notion même de « République » au sens où l'entend le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, il a été souligné que le recours aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne devait jouer qu'un rôle subsidiaire (26) et que leur consécration ne devrait intervenir qu'en l'absence de toute autre base textuelle. Or il a été montré que le principe constitutionnel de responsabilité découlait du principe de liberté dont il constitue une suite nécessaire. Il était par conséquent inutile d'aller rechercher un principe fondamental reconnu par les lois de la République puisque la Déclaration de 1789 avait consacré formellement la liberté, et sa définition.

2) La responsabilité comme prolongement de la liberté

11. - C'est en 1999, à l'occasion de l'examen de la loi relative au pacte civil de solidarité, que le Conseil a formellement rattaché « l'exigence constitutionnelle de responsabilité » à l'article 4 de la Déclaration de 1789(27), écartant implicitement mais nécessairement l'hypothèse d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Les parlementaires, auteurs de la saisine, reprochaient à l'article 515-7 du code civil d'instaurer, avec le droit de résilier unilatéralement le pacte civil de solidarité, une forme de répudiation contraire au principe de dignité et d'égalité.

L'argument a été balayé par le Conseil dans la mesure où le texte lui-même prévoyait que « le partenaire auquel la rupture est imposée pourra demander réparation du préjudice éventuellement subi, notamment en cas de faute tenant aux conditions de la rupture ; [...] dans ce dernier cas, l'affirmation de la faculté d'agir en responsabilité met en oeuvre l'exigence constitutionnelle posée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont il résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

B. Le respect du principe d'égalité devant les charges publiques comme impératif constitutionnel

12. - L'une des caractéristiques fondamentales de la jurisprudence du Conseil constitutionnel est de lier systématiquement responsabilité et réparation, liberté et égalité (1). C'est donc dans la mesure où les droits des victimes sont préservés, et seulement dans cette mesure, que les régimes légaux seront validés (2).

1) Le principe de conciliation entre exigence de responsabilité et impératif d'égalité

a) La prohibition de principe de toute forme d'immunité absolue

13. - Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 octobre 1982, a clairement indiqué qu' « en principe » tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, l'oblige à réparer. La polysémie du mot « principe » est ici extrêmement révélatrice, même si, comme nous l'avons vu, elle a été remplacée depuis 1999 par la notion moins juridique « d'exigence »(28).

La référence au « principe » signifie, en premier lieu, que le Conseil entend consacrer un véritable principe constitutionnel de responsabilité civile pour faute. Mais cela signifie également qu'il s'agit d'une règle générale qui supporte des dérogations, ou des atténuations, comme l'ensemble des droits et principes de valeur constitutionnelle qui doivent être conciliés les uns avec les autres. Le Conseil affirme donc, implicitement et nécessairement, que le législateur peut aménager des régimes d'immunité, à condition de respecter les autres droits et principes constitutionnels, comme nous le reverrons. C'est d'ailleurs ce second sens du terme « principe » qui a été directement visé par le Conseil. Après avoir exposé le « principe », ce dernier a, en effet, pris la peine de préciser immédiatement « que le droit français ne comporte, en aucune matière, de régime soustrayant à toute réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit la gravité de ces fautes ». En d'autres termes, s'il est interdit d'écarter totalement la responsabilité du fautif, il est possible de l'atténuer(29).

14. - Cette prohibition de toute forme d'immunité absolue a été rappelée à deux reprises en 1989.

Le Parlement avait voté une première loi qui prétendait conférer au président du conseil supérieur de l'audiovisuel une immunité générale de responsabilité dans l'exercice de ses fonctions (« les mesures prises en exécution de ces décisions ne peuvent en aucun cas engager une responsabilité personnelle du président de l'organisme »). Or ce texte a été censuré, le Conseil rappelant en cette occasion que « nul ne saurait par une disposition générale de la loi être exonéré de toute responsabilité personnelle quelle que soit la nature ou la gravité de la faute qui lui est imputée »(30).

Le Parlement avait récidivé, quelques mois plus tard, et voté une disposition destinée à protéger les parlementaires réalisant des rapports pour le compte du gouvernement. Le texte disposait que : « Ne donnera lieu à aucune action le rapport parlementaire établi pour rendre compte d'une mission confiée par le gouvernement en application de l'article LO 144 du code électoral ». Or cette disposition a été également censurée, le Conseil rappelant que « la loi pénale ne saurait, dans l'édiction des crimes et délits ainsi que des peines qui leur seront applicables, instituer au profit de quiconque une exonération de responsabilité à caractère absolu »(31).

b) La nécessité impérieuse de préserver les droits de la victime

15. - La recherche d'une conciliation entre le principe de responsabilité et la nécessité de sauvegarder l'égalité entre les victimes apparaît très nettement dans la décision rendue le 22 octobre 1982. Le premier constat que dresse d'ailleurs le Conseil le démontre clairement lorsqu'il relève « qu'il résulte nécessairement de ce texte que devraient demeurer sans aucune espèce de réparation de la part de leurs auteurs ou coauteurs ni, en l'absence de toute disposition spéciale en ce sens, de la part d'autres personnes physiques ou morales ». C'est donc avant tout parce que le régime envisagé privait les victimes de dommages liés à des conflits du travail de toute forme de réparation qu'il apparaissait contraire à la Constitution, le fait que ces dommages soient « causés par des fautes, même graves, à l'occasion d'un conflit du travail » n'apparaissant que comme une circonstance additionnelle.

D'ailleurs, après avoir rappelé le principe de responsabilité, le Conseil a ajouté immédiatement qu' « en certaines matières, le législateur a institué des régimes de réparation dérogeant partiellement à ce principe, notamment en adjoignant ou en substituant à la responsabilité de l'auteur du dommage la responsabilité ou la garantie d'une autre personne physique ou morale ». Le législateur peut donc accorder à certains débiteurs une immunité de responsabilité, et donc les protéger contre les actions en réparation, mais à condition de garantir aux victimes le respect effectif de leur droit à réparation auprès d'autres débiteurs. Le Conseil a rappelé à cet égard que « le droit français ne comporte, en aucune matière, de régime soustrayant à toute réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit la gravité de ces fautes ».

16. - Le meilleur exemple de cette limitation du nombre des débiteurs possibles peut être trouvé dans la législation relative à l'indemnisation des victimes d'accidents du travail et des maladies professionnelles. Le système mis en place dès la loi du 9 avril 1998 interdisait certes aux salariés victimes d'invoquer le droit commun de la responsabilité civile contre l'employeur et ses préposés, mais créait en contrepartie une action spéciale contre l'employeur(32). Ce système a été repris lors du transfert de la charge de la réparation vers la sécurité sociale, puisque l'interdiction de se fonder sur les règles du droit commun, présente dans l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, trouve sa justification dans les prestations servies par la sécurité sociale et le droit d'agir librement contre les tiers, coresponsables de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle(33).

C'est alors la rupture de l'égalité devant les charges publiques, entre les victimes qui conservent une voie d'action et celles qui s'en trouveraient privées par le régime spécial, qui justifie la censure dans la décision du 22 octobre 1982 : « Considérant qu'ainsi l'article 8 de la loi déférée au Conseil constitutionnel établit une discrimination manifeste au détriment des personnes à qui il interdit, hors le cas d'infraction pénale, toute action en réparation ; qu'en effet, alors qu'aucune personne, physique ou morale, publique ou privée, française ou étrangère, victime d'un dommage matériel ou moral imputable à la faute civile d'une personne de droit privé ne se heurte à une prohibition générale d'agir en justice pour obtenir réparation de ce dommage, les personnes à qui seraient opposées les dispositions de l'article 8 de la loi présentement examinée ne pourraient demander la moindre réparation à quiconque. » Dès lors, le législateur ne pouvait « même pour réaliser les objectifs qui sont les siens, dénier dans son principe même le droit des victimes d'actes fautifs [...] à l'égalité devant la loi et devant les charges publiques ».

Dans sa décision du 20 juillet 1983, le Conseil a également précisé, sans toutefois consacrer cette option comme ayant valeur constitutionnelle, mais en renfort d'autres éléments, que le régime particulier de responsabilité des salariés siégeant dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques, laissait entière la possibilité offerte aux victimes de s'adresser à d'autres débiteurs si elles ne parvenaient pas à obtenir satisfaction auprès de ces salariés(34).

17. - La prééminence de l'impératif constitutionnel de réparation est telle qu'on peut d'ailleurs affirmer qu'il a aujourd'hui pris l'ascendant sur le principe de responsabilité.

Jusqu'en 1994, en effet, l'exigence de responsabilité était telle qu'elle semblait s'opposer à ce qu'une loi puisse instaurer par principe une immunité générale de responsabilité au bénéfice d'un auteur fautif. Or un tel régime a été validé en 1994 à l'occasion de l'examen des lois de bioéthique.

Soucieux de protéger les intérêts des tiers donneurs et de favoriser les dons, le Parlement a introduit dans le code civil un article 311-19 accordant une immunité absolue au donneur en ce qui concerne l'établissement d'un lien de filiation ainsi qu'une éventuelle action en responsabilité. Or le Conseil a validé cette disposition après avoir relevé « qu'aucune disposition ni aucun principe à valeur constitutionnelle ne prohibe les interdictions prescrites par le législateur d'établir un lien de filiation entre l'enfant issu de la procréation et l'auteur du don et d'exercer une action en responsabilité à l'encontre de celui-ci »(35).

Compte tenu de ses décisions antérieures, on pourrait s'étonner que le Conseil n'ait pas censuré cette disposition. Mais si, explicitement, le dispositif ne garantit pas à une éventuelle victime l'effectivité d'un recours contre un autre débiteur, il est évident que toutes les autres actions dirigées notamment contre l'équipe médicale, qui a réalisé la procréation médicalement assistée, demeurent possibles. La loi n'avait d'ailleurs pas besoin de le préciser puisqu'elle ne mettait en place qu'une immunité circonscrite à la seule personne du donneur, pour les raisons que l'on devine, et ne posait aucune prohibition générale d'agir en réparation(36).

Seules les dispositions législatives instaurant un régime général d'immunité, se traduisant par l'interdiction faite à la victime de réclamer réparation de son dommage, heurtent donc les exigences constitutionnelles. On peut d'ailleurs considérer qu'elles s'opposent également à l'article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit aux victimes que leur cause sera entendue « équitablement » « par un tribunal impartial et indépendant »(37).

18. - On regrettera alors amèrement, dans ces conditions, que le Conseil constitutionnel n'ait pas été saisi de la conformité à la Constitution de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé(38). On sait en effet que son article 1er, destiné à briser la jurisprudence Perruche de la Cour de cassation(39) et Quarez du Conseil d'État(40), prétend interdire à l'enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute, toute réparation de son propre préjudice, et à ses parents l'indemnisation des charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. Le texte met donc bien en place une interdiction d'agir en justice et assure aux médecins une totale impunité pour les fautes commises dans le diagnostic des anomalies du foetus et dans les rapports avec l'enfant.

Le Parlement aurait pu procéder autrement et considérer que l'enfant qui naît dans ces conditions ne subit en réalité pas de préjudice indemnisable. On sait en effet que le Conseil constitutionnel, à l'instar du Conseil d'État, a pu affirmer qu'un préjudice, pour être indemnisable, devait être « anormal et spécial »(41). Le Parlement aurait donc pu considérer que le préjudice de l'enfant qui naît dans ces conditions ne subit pas de « préjudice anormal » ; mais cela aurait obligé les députés et sénateurs à prendre nettement position sur une question aussi délicate et controversée(42). Telle n'est pas l'orientation suivie par l'article 1er de la loi du 4 mars qui se contente d'affirmer que « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance ». C'est donc bien le seul fait d'être né qui ne peut donc légalement être qualifié de préjudice réparable, et non le handicap dont souffre l'enfant qui se trouve totalement ignoré par la loi qui ne reconnaît finalement que le seul préjudice moral des parents.

En ne réfutant pas l'existence du préjudice de l'enfant qui naît handicapé et en interdisant toute forme de réparation, directe ou indirecte, la loi a bien consacré au bénéfice des professionnels de santé ou établissements en cause une immunité absolue de responsabilité, et ce sans aucune contrepartie. Certes, la loi dispose bien, à propos du préjudice des parents lié aux « charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap », que « la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ». Mais ce renvoi n'est pas de nature à garantir, en l'état, le respect du principe d'égalité des parents devant les charges publiques, ni à plus forte raison l'égalité entre les enfants handicapés(43).

Malheureusement, le mode de saisine actuel du Conseil ne permettra pas aux justiciables d'avoir de réponse à cette question, à moins qu'une loi future, ne modifiant le contenu de cet article, ne soit elle-même déférée au Conseil et que ce dernier n'en profite pour examiner la constitutionnalité du texte modifié(44). Tout au moins peut-on espérer une réponse de la Cour européenne des droits de l'homme saisie sur le fondement de la violation par la France de l'article 6, § 1er de la CEDH et du droit d'accès effectif à « un tribunal impartial et indépendant »(45).

2) Les degrés dans la conciliation des principes de responsabilité et d'égalité

19. - La conformité à la Constitution d'un régime dérogeant au principe de responsabilité civile pour faute dépend donc de l'équilibre instauré par le législateur entre l'immunité accordée au responsable et la préservation du droit à indemnisation de la victime. Cet équilibre peut être assuré par des combinaisons variables, et notamment par un niveau d'immunité adéquate à l'objectif poursuivi par le législateur. Ces variables dépendent soit de la gravité des comportements couverts par l'immunité(46) (a) soit des caractères propres de l'activité concernée (b).

a) L'étendue de l'immunité déterminée par référence à la gravité des fautes

20. - Plusieurs décisions rendues par le Conseil constitutionnel permettent de cerner plus précisément les limites possibles au principe de responsabilité civile pour faute, même si les critères posés ont varié au fil des décisions.

Dans sa première décision n° 82-144 du 22 octobre 1982 concernant la loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, le Conseil a manifesté son hostilité à une immunité qui s'étendrait à des fautes " même graves ".

Dans sa décision du 20 juillet 1983 (n° 83-162), le Conseil a indiqué que le principe de responsabilité « ne s'oppose pas, comme en témoigne d'ailleurs l'alinéa 2 de l'article 1992 du code civil, à certaines exonérations de responsabilité pour des fautes présumées excusables », suggérant, a contrario, que les fautes inexcusables, au sens où l'entendrait sans doute le droit de la sécurité sociale, ne pourraient pas être couvertes par l'immunité.

Le Conseil a par la suite précisé sa position à l'occasion de l'examen de la loi d'amnistie votée par le Parlement après la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1988(47). Comme nous l'avons souligné, il ne s'agissait pas ici à proprement parler d'un texte intéressant la responsabilité civile pour faute ni le droit à indemnisation des victimes, mais bien la responsabilité disciplinaire des salariés. La similitude des situations permet toutefois de tirer de cette décision des enseignements précieux pour appréhender, plus généralement, les contours du principe de responsabilité civile.

L'article 15-II de la loi déclarait en effet amnistiés les faits antérieurs au 22 mai 1988 retenus « comme motifs de sanctions prononcées par un employeur » et imposait la réintégration de « tout salarié qui [...] a été licencié pour une faute autre qu'une faute lourde ayant consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation non visée à l'article 7 de la présente loi, commise à l'occasion de l'exercice de sa fonction ». Les auteurs de la saisine considéraient que « même si le législateur a le pouvoir d'effacer le caractère illicite de certains comportements et d'en supprimer ou d'en atténuer les conséquences pour leurs auteurs, le résultat recherché ne saurait justifier l'atteinte que la loi d'amnistie porte aux droits de personnes étrangères à ces comportements et encore moins aux droits des victimes de ceux-ci », et " qu'une triple atteinte est portée au principe d'égalité ; en premier lieu, en ce que les charges économiques et sociales pesant sur les employeurs différeront, au gré du hasard, selon les entreprises ; en deuxième lieu, en ce que le droit à réintégration est réservé aux seuls anciens salariés ayant rempli les fonctions de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité d'entreprise ou de délégué syndical ; enfin, en ce que les auteurs d'actes délictueux ou illicites se verront réserver un traitement favorable au détriment de ceux qui ont pu être victimes de ces actes ".

Ces arguments, fondés sur une rupture de l'égalité devant les charges publiques, ont porté et la disposition litigieuse a été partiellement censurée. Le Conseil a en effet considéré, à son tour, « que le droit à réintégration ne saurait être étendu aux représentants du personnel ou responsables syndicaux licenciés à raison de fautes lourdes [...]; qu'en outre, la contrainte qu'une telle réintégration ferait peser sur l'employeur qui a été victime de cet abus ou qui, en tout cas, n'en est pas responsable excéderait manifestement les sacrifices d'ordre personnel ou d'ordre patrimonial qui peuvent être demandés aux individus dans l'intérêt général ; qu'en particulier, la réintégration doit être exclue lorsque la faute lourde ayant justifié le licenciement a eu pour victimes des membres du personnel de l'entreprise qui, d'ailleurs, peuvent être eux-mêmes des représentants du personnel ou des responsables syndicaux [...]; que [...] la réintégration serait imposée dans des hypothèses de coups et blessures volontaires ayant pu revêtir un caractère de réelle gravité ; que, de même, la réintégration serait de droit dans tous les cas où la faute lourde aurait été constituée par une infraction autre que celle de coups et blessures ; que de telles dispositions dépassent manifestement les limites que le respect de la Constitution impose au législateur en matière d'amnistie ».

Le Parlement ne peut donc pas effacer la responsabilité en cas de faute lourde de son auteur(48). En toute hypothèse, le législateur se doit de préciser la nature des comportements couverts par l'immunité. Cette exigence, elle-même de valeur constitutionnelle s'agissant de l'immunité en matière pénale, comme le rappelle régulièrement le Conseil(49), a été confirmée à plusieurs reprises s'agissant de régimes de responsabilité civile(50).

L'examen de ces différentes décisions montre que le législateur bénéficie, en la matière, d'une certaine marge de manoeuvre dans la mesure où le Conseil ne détermine pas, d'une manière absolue, la limite à ne pas franchir.

b) L'étendue de l'immunité déterminée par référence à la gratuité de l'activité

21. - La validité des régimes d'immunité dépend également de la nature particulière de l'activité dommageable. Singulièrement, le Conseil constitutionnel a été amené à tenir compte de la gratuité des activités en cause et de l'intérêt personnel que le responsable pouvait en retirer.

Dans sa décision n° 83-162 du 20 juillet 1983, le Conseil a validé les dispositions relatives à la responsabilité des salariés siégeant dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques. Le texte litigieux disposait que lorsque leur responsabilité d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance est mise en cause, « elle s'apprécie en tenant compte du caractère gratuit de leur mandat ». Or pour valider ce régime, le Conseil a souligné deux éléments qui lui paraissent déterminants pour justifier cette mesure.

La loi instaure bien une première différence de traitement entre les représentants selon qu'ils sont fonctionnaires ou salariés, seuls ces derniers bénéficiant du mode d'appréciation particulier. Mais cette différence n'a pas été jugée contraire au principe d'égalité dans la mesure où les « représentants des salariés dont la responsabilité n'est couverte par aucune autre personne physique ou morale justifient au contraire leur soumission à un régime de responsabilité moins rigoureux ». Justifiée en 1983 par une différence de statut, l'affirmation mériterait sans doute d'être reconsidérée aujourd'hui compte tenu de l'évolution récente de la jurisprudence de la Cour de cassation qui reconnaît aux salariés, depuis l'arrêt Costedoat (51), le bénéfice d'une immunité dès lors que le dommage a été commis dans l'exercice des missions, et qu'il ne résulte pas d'une faute intentionnelle(52).

La loi instaure une seconde différence de traitement entre les salariés et les autres membres des conseils. Pour la justifier, le Conseil a indiqué que, contrairement aux actionnaires, les représentants des salariés « exercent gratuitement leur mandat et n'ont point part aux bénéfices sociaux ».

On retrouve là une application de la théorie du risque et de l'adage Ibi onus, ubi emolumentum. C'est d'ailleurs sur la considération de l'intérêt personnel pris par l'auteur du fait dommageable dans l'activité que les auteurs classiques justifient la différence de degré exigée dans la culpa pour engager la responsabilité personnelle du débiteur, selon l'intérêt qu'il retire à l'opération(53).

22. - La considération du désintéressement de l'auteur du fait dommageable est également de nature à justifier la décision rendue par le Conseil le 27 juillet 1994 à propos de l'article 311-19 du code civil. La loi qui mettait en place cette immunité absolue imposait également, comme principe essentiel, celui de l'anonymat et de la gratuité du don. Le don étant un acte citoyen totalement désintéressé, il paraissait alors justifié de protéger efficacement le donneur, sans sacrifier pour autant, comme cela a été également rappelé, les droits du receveur à agir contre d'autres personnes(54).

Ces décisions s'inscrivent dans un mouvement plus général, auquel le Conseil lui-même n'a pas été étranger, visant à renouveler l'approche du principe d'égalité en admettant que des régimes particuliers plus favorables soient reconnus pour des catégories particulières de personnes placées dans des situations concrètes désavantagées(55).

Le principe de la responsabilité de l'auteur du dommage étant posé, et sa conciliation avec le droit à réparation de la victime garanti, nous allons pouvoir nous intéresser aux caractères du principe constitutionnel de responsabilité.

II. Les caractères constitutionnels du droit de la responsabilité civile

23. - Le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer, avant tout, sur des atteintes portées au principe de responsabilité au travers de l'examen de régimes légaux d'immunités plus ou moins étendus. Il a également été conduit à apporter des précisions sur les caractères de ce principe pour affirmer, en premier lieu, que la responsabilité doit en principe résulter de faits personnels (A). Si ce premier point peut raisonnablement être considéré comme acquis, le second fait toujours difficulté et concerne le principe de réparation intégrale (B).

A. Le caractère personnel de la responsabilité

24. - La question du caractère personnel de la responsabilité s'est posée pour la première fois à propos de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999(56). Confronté à une augmentation croissante des dépenses de santé, le gouvernement avait prévu de mettre en place un dispositif de responsabilisation des médecins conventionnés. Ce dispositif se traduisait par la détermination de quotas annuels d'actes médicaux et par la mise en place de sanctions en cas de dépassement. Le dispositif, assez complexe, prévoyait qu' « en cas de non-respect de l'objectif des dépenses médicales par les médecins généralistes ou par les médecins spécialistes, les médecins conventionnés généralistes ou spécialistes sont redevables d'une contribution conventionnelle » dont « le montant global exigible [...] ne peut excéder le montant du dépassement constaté » et devrait être « calculé en fonction des honoraires perçus et des prescriptions réalisées ». La charge de cette contribution devait être « répartie entre les médecins conventionnés en fonction des revenus [...] qu'ils ont tirés de leurs activités professionnelles [...] au cours de l'année pour laquelle le dépassement est constaté ».

Les auteurs de la saine faisaient « grief au dispositif institué par l'article 26 de la loi déférée d'instaurer »une responsabilité collective des médecins« contraire au »principe de responsabilité individuelle régissant le droit français" ".

Or ils ont obtenu gain de cause, sur ce principe. Pour le Conseil, s'il « était loisible au législateur, dans un but de régulation des dépenses médicales, de prévoir [...] l'assujettissement des médecins conventionnés à une contribution obligatoire assise sur leurs revenus professionnels », « il devait, toutefois, pour respecter le principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif de modération des dépenses médicales qu'il s'était assigné ». Or « en mettant à la charge de tous les médecins conventionnés, généralistes et spécialistes, une contribution assise sur leurs revenus professionnels, et ce, quel qu'ait été leur comportement individuel en matière d'honoraires et de prescriptions pendant l'année au cours de laquelle le dépassement a été constaté, le législateur n'a pas fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ». En d'autres termes, en mettant un système de solidarité professionnelle entre les médecins, la loi avait mis en place un système de responsabilité collective dérogeant au principe d'égalité(57).

25. - L'intérêt de cette décision est double.

En premier lieu, le Conseil retient ici de l'égalité une conception réelle, et non formelle, et de la justice une conception distributive et non pas simplement commutative. Dans la mesure où c'est bien la « responsabilité » des médecins qui est cause dans le dépassement des quotas d'actes médicaux, il est nécessaire de tenir compte du comportement de chacun avant de lui attribuer « ce qui lui est dû », sans établir de quote-part abstraite et arbitraire.

En second lieu, le Conseil montre une nouvelle fois, en se situant cette fois-ci du côté du responsable, qu'il ne saurait y avoir de principe de responsabilité sans respect du principe d'égalité. Si toutes les victimes doivent être égales devant les charges publiques, tous les responsables doivent également recevoir un même traitement, ce qui implique de tenir compte de leurs comportements personnels.

26. - Tirant les leçons de son échec, le gouvernement a représenté une copie corrigée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Le texte permettait à la Caisse nationale d'assurance maladie, « à défaut d'accord entre les parties conventionnelles ou en l'absence de convention », de « procéder à des ajustements des tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires dus aux professionnels de santé par les assurés sociaux, ainsi qu'à modifier, dans la limite de 20 %, la cotation des actes inscrits à la nomenclature ».

De nouveau, les auteurs de la saisine faisaient valoir que ces dispositions « violeraient également l'égalité devant la loi puisqu'elles pèseraient sur l'ensemble des professionnels de santé quel qu'ait été leur comportement individuel au cours de l'année ».

Or cette fois-ci l'argument a été écarté. Le Conseil a considéré « que ces modifications de tarif, qui, au demeurant, ne revêtent pas un caractère automatique et n'entraînent aucun reversement, ne méconnaissent pas le principe constitutionnel d'égalité, dès lors qu'elles ont vocation à s'appliquer aux professionnels de santé des activités concernées par l'augmentation excessive des dépenses et que la baisse de tarif n'exercera ses effets que pour l'avenir »(58).

27. - La raison du rejet est ici double. Non seulement il n'est plus question de reversement d'honoraires, donc il ne s'agit pas à proprement parler d'un système de « responsabilité » se traduisant par une réparation pécuniaire, mais de surcroît, et c'est ce second point qui nous intéresse plus directement ici, la mesure de limitation des actes futurs pèse sur des catégories ciblées de professions médicales.

Il est intéressant de constater ici que l'individualisation de la mesure n'est pas totale puisqu'elle ne tient pas compte des résultats individuels des médecins, mais les appréhende par spécialités, c'est-à-dire en ce qu'ils appartiennent à une communauté professionnelle, certes réduite. Le Conseil accepte donc qu'une certaine forme de responsabilité collective soit instaurée, dès lors que cette mesure se trouve justifiée par les objectifs propres du législateur. Le principe d'égalité se vérifie donc alors par référence aux autres professionnels placés dans la même situation, c'est-à-dire de même spécialité, parce qu'ils se trouvent placés dans une situation comparable.

B. Le caractère intégral de la réparation

28. - Le principe de la réparation intégrale fait partie des règles fondamentales du droit de la responsabilité civile(59). On s'est demandé si ce principe était également présent dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Pour certains, la réponse serait évidemment négative dans la mesure où le Conseil constitutionnel admet que des régimes d'immunité puissent priver certaines victimes de l'indemnisation à laquelle elles pourraient prétendre(60).

L'argument procède, selon nous, d'une certaine confusion entre l'affirmation du principe et le fruit de sa conciliation par le Conseil avec d'autres exigences constitutionnelles. Ce n'est pas, en effet, parce que le Conseil valide des régimes d'immunité qui se traduisent par une diminution des droits des victimes qu'il ne pose pas, préalablement, de principe de réparation intégrale(61). Admettre le contraire serait ignorer la méthode dialectique qui caractérise essentiellement l'analyse du Conseil. Simplement, le Conseil ne validerait ces régimes d'immunité que sous la stricte condition que les atteintes au principe de responsabilité soient justifiées et les droits des victimes préservés, notamment par la possibilité effective d'obtenir réparation auprès d'autres débiteurs.

29. - D'autres auteurs ont, tout au contraire, cru lire de la décision n° 82-144 du 22 octobre 1982 la reconnaissance d'un principe de réparation intégrale(62). Plusieurs éléments permettent d'en douter, même si le Conseil ne s'est pas directement prononcé sur cette question(63).

En premier lieu, le Conseil a affirmé qu'il résultait du texte déféré que l'article 8 laisserait les victimes « sans aucune espèce de réparation », ce qui serait plutôt de nature à traduire l'exigence d'une réparation minimale des dommages, mais pas nécessairement intégrale.

En second lieu, le Conseil a précisé que s'il appartient également au législateur « le cas échéant, d'aménager un régime spécial de réparation approprié conciliant les intérêts en présence, il ne peut en revanche, même pour réaliser les objectifs qui sont les siens, dénier dans son principe même le droit des victimes d'actes fautifs ». Il apparaît, dès lors, que c'est bien le « principe même » du droit à réparation qui doit être garanti, et non pas son caractère intégral, et que le législateur peut, pour concilier les intérêts en présence, aménager un « régime spécial » pouvant, le cas échéant, aménager les règles relatives au montant de la réparation.

30. - C'est surtout la décision du 13 décembre 1985 qui livre les éléments les plus significatifs sur l'existence ou non d'un principe de réparation intégrale(64), même si cette décision a été rendue non pas dans le cadre du principe de responsabilité, tel que nous l'avons jusqu'à présent entendu, mais sur le fondement de l'article 17 de la Déclaration de 1789 et du droit à une « juste et préalable indemnité » accordé au propriétaire privé par la loi de ses droits. Or la référence faite à la « juste indemnité » semble induire une conception distributive de l'indemnisation très éloignée de la logique commutative qui caractérise le principe de réparation intégrale. Pourtant, le Conseil constitutionnel se situe bien dans une logique commutative lorsqu'il interprète l'article 17 de la Déclaration et garantit le respect du principe de réparation in integrum (65), ce qui autorise le parallèle avec la situation des victimes de dommages(66).

31. - Le texte déféré au Conseil dans la décision du 13 décembre 1985 limitait au seul « préjudice résultant des travaux d'installation, de pose ou d'entretien des moyens de diffusion par voie hertzienne ou des équipements nécessaires à leur fonctionnement » l'indemnisation des propriétaires subissant cette servitude. Outre le grief tiré de l'incompétence du juge judiciaire pour connaître du contentieux de l'indemnisation, les auteurs de la saisine faisaient valoir que la loi ne permettait pas l'indemnisation de tous les préjudices et oubliait notamment « l'indemnisation du préjudice résultant de l'existence même de la servitude, alors que celle-ci peut entraîner la diminution ou la privation de jouissance, en tout cas la dépréciation de l'immeuble, l'impossibilité de l'utiliser normalement, la privation des revenus pouvant provenir de la location ou de l'exploitation de l'emplacement faisant l'objet de l'emprise et l'obligation de supporter le passage des agents de l'établissement public ».

Or l'argument a été retenu par le Conseil qui a considéré que « le principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d'exclure du droit à réparation un élément quelconque de préjudice indemnisable résultant des travaux ou de l'ouvrage public ».

Le Conseil n'a donc pas consacré le principe de réparation intégrale, défini comme le principe imposant la réparation intégrale de chaque chef de préjudice. Seul a été consacré un principe de portée moindre que l'on pourrait qualifier de principe de la réparation de l'intégralité des préjudices (67). La loi se voit en effet reprocher d'avoir délibérément limité la liste des préjudices indemnisables. Le dispositif ne contenait d'ailleurs aucune règle imposant au juge chargé de l'évaluation un plafond, ou un système forfaitaire. Il demeurera par conséquent entièrement libre d'évaluer souverainement, dans le cadre du principe de réparation intégrale, le montant de ce préjudice.

32. - Cette formule a été reprise par le Conseil le 29 juillet 1998 dans sa décision relative à la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions(68). L'article L. 642-16 du code de la construction et de l'habitation prévoit en effet que « le juge judiciaire fixe, le cas échéant, l'indemnisation par l'État du préjudice matériel, direct et certain, causé par la mise en oeuvre de la réquisition ». Les auteurs de la saisine faisaient valoir que ces dispositions ne permettaient pas de garantir la réparation par le juge de l'ensemble des préjudices causés au propriétaire par la réquisition.

Or l'argument a cette fois-ci été écarté, mais après que le Conseil eut émis une réserve sur l'interprétation du texte. Le Conseil a commencé par rappeler, comme dans sa décision du 13 décembre 1985, que « que le respect du principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d'exclure du droit à réparation un élément quelconque du préjudice indemnisable résultant de la mise en oeuvre de la procédure de réquisition ». En l'espèce, le Conseil a affirmé « qu'au cas où l'indemnité prévue à l'article L. 642-15 ne suffirait pas à couvrir l'intégralité du préjudice subi par le titulaire du droit d'usage, l'article L. 642-16 doit être interprété comme permettant au juge judiciaire de lui allouer une indemnité complémentaire ; qu'en particulier, pourra être pris en compte le coût des travaux, indirectement assumé par le titulaire du droit d'usage, qui n'auront pas contribué à la valorisation de son bien lorsqu'il en retrouvera l'usage ; qu'il pourra en être de même des frais de remise des lieux dans leur état initial lorsque l'intéressé souhaitera leur restituer leur affectation première ; que, sous cette réserve, l'article 52 ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques ». La loi ne limitait pas, contrairement au texte censuré en 1985, la liste des préjudices indemnisables, mais pouvait laisser penser que le rôle du juge se limiterait à réparer les préjudices pour lesquels la loi n'avait rien prévu. Or le Conseil prend bien la peine de préciser qu'il pourra accorder aux propriétaires « une indemnité complémentaire » pour tenir compte d'un certain nombre de préjudices. C'est bien le principe de réparation de l'intégralité des chefs de préjudices, d'ailleurs énumérés à titre d'exemple par le Conseil, qui se trouve ici conforté, et non le principe de réparation intégrale proprement dit qui, comme en 1985, n'était en réalité pas directement menacé par le texte déféré.

*

33. - L'ensemble des décisions rendues depuis 1982 par le Conseil constitutionnel permet de tracer, avec une certaine précision, les contours du droit constitutionnel de la responsabilité civile. Si l'on voulait résumer en une phrase la ligne directrice suivie par le Conseil, on pourrait affirmer que celui qui cause à autrui un dommage par sa faute doit réparation, mais que cette obligation peut s'effacer si les fautes commises sont excusables et si les droits de la victime sont par ailleurs préservés. Fort de cette conclusion, le Parlement connaît ainsi la marge de manoeuvre dont il dispose. La portée de cette jurisprudence est toutefois, et malheureusement, limitée par les modalités de saisine du Conseil constitutionnel et l'exemple de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades montre malheureusement qu'un consensus politique peut conduire à bafouer les droits essentiels de victimes pourtant particulièrement dignes d'intérêt. De ce point de vue, la présence de la Cour européenne des droits de l'homme permet, du moins peut-on l'espérer, de pallier les carences du droit français des libertés. Mais Strasbourg n'est-elle pas un peu française ?

(1) B. Starck, « Domaine et fondement de la responsabilité sans faute », RTD civ. 1958, p. 475 et s.; L. Bach, « Réflexions sur le problème du fondement de la responsabilité civile en droit français », RTD civ. 1976, p. 17 ; Y. Lambert-Faivre, « L'éthique de la responsabilité », RTD civ. 1998, p. 1 ; Ch. Radé, « L'impossible divorce de la faute et de la responsabilité civile », D. 1998, chron. p. 301 ; « Réflexions sur les fondements de la responsabilité civile. 1. L'impasse », D. 1999, chron. p. 313 ; « Réflexions sur les fondements de la responsabilité civile. 2. Les voies de la réforme : la promotion du droit à la sûreté », D. 1999, chron. p. 323 ; C. Thieberge, « Libres propos sur la fonction de la responsabilité civile », RTD civ. 1999, p. 561.
(2) F.-P. Benoît, « Le régime et le fondement de la puissance publique », JCP, éd. G, 1954.I.1178 ; P. Dévolvé, Le principe d'égalité devant les charges publiques, LGDJ, 1969 ; T. Debard, « L'égalité des citoyens devant les charges publiques : fondement incertain de la responsabilité administrative », D. 1987, chron. p. 157.
(3) B. Starck, Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, L. Rodstein éd., Paris, 1947, préf. M. Picard. La simple lecture du titre de la thèse suffit à rappeler que B. Starck concevait également la responsabilité comme une sanction s'agissant de la réparation des préjudices moraux et économiques, réservant aux dommages corporels la théorie de la garantie.
(4) Sur ce phénomène, lire plus largement A. Brimo, « Les principes généraux du droit et les droits de l'homme », Archives de philosophie du droit, t. 28, Philosophie pénale, 1983, p. 257.
(5) Lire J.-P. Marguénaud, « L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit français des obligations », dans Le renouvellement des sources du droit des obligations, Ass. H. Capitant, t. I, LGDJ, 1997, p. 45.
(6) B. Starck évoquant le « droit subjectif à la sécurité » (préc., sp. p. 50).
(7) Ainsi Y. Lambert-Faivre, « Fondement et régime de l'obligation de sécurité », D. 1994, chron. p. 81.
(8) Déc. n° 71-44 DC du 16 juill. 1971 : GD jurispr. constit., Dalloz, 12e éd., 2003, par L. Favoreu et L. Philip, n° 19.
(9) M. Dahan, Sécurité sociale et responsabilité civile, préface J. Cabonnier, LGDJ, 1963, 351 p.; G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, préface d'André Tunc, LGDJ, 1965, 416 p.
(10) B. Mathieu, « Droit constitutionnel civil », J.-Cl. adm., fasc. 1449 ; « Droit constitutionnel et droit civil : de vieilles outres pour un vin nouveau », RTD civ. 1994, p. 59 ; « Pour une reconnaissance de »principes matriciels« en matière de protection constitutionnelle des droits de l'homme », D. 1995, chron. p. 211 et s.; S. Dion-Loye, « Les impératifs constitutionnels du droit de la responsabilité », Petites affiches du 29 juill. 1992, n° 91, p. 11 et s.; N. Molfessis, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, 1997 ; « Les sources constitutionnelles du droit des obligations », dans Le renouvellement des sources du droit des obligations, Ass. H. Capitant, t. I, LGDJ, 1997, p. 65 , sp. § 18 et s.
(11) Nous entendrons ici par « principe de responsabilité » l'obligation de répondre civilement des conséquences de ses fautes. Les questions relatives à la responsabilité pénale ne seront pas directement abordées dans la mesure où cette matière répond à des contraintes constitutionnelles très spécifiques. V. L. Favoreu et L. Philip, préc., n° 30 (décision sécurité et liberté).
(12) Notre chron. « Le principe de responsabilité personnelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Petites affiches, n° 108 du 8 sept. 1995, p. 4 et s.; N. Molfessis, ouvrage préc., n° 150. Plus généralement, lire F. Mélin-Soucramanien, Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, PUAM, Economica, 1997.
(13) Cas de la saisine concernant les lois bioéthique par le président de l'Assemblée nationale. Cf. infra, n° 9.
(14) Sur cette critique, cf. infra, nos 19.
(15) Grévistes et syndicats (déc. n° 82-144), salariés siégeant dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques (déc. n° 83-162), rapporteurs parlementaires pour le compte du gouvernement (déc. n° 89-262), président du CSA (déc. n° 88-248), salariés licenciés dans le cadre de conflits collectifs (déc. n° 89-244 et 89-258) ou donneur dans le cadre de la procréation médicalement assistée (déc. n° 94-343 et 344). Références citées dans les notes suivantes.
(16) Maîtrise de la hausse des dépenses de santé, déc. n° 98-404 et 99-422. Cf. infra, n° 25.
(17) Indemnisation en cas d'atteinte au droit de propriété : décisions n° 85-198 et 98-403. Cf. infra, nos 31.
(18) Cf. infra, nos 19.
(19) S. Dion-Loye, art. préc., note 1 ; N. Molfessis, « Les sources constitutionnelles du droit des obligations », préc., sp. p. 93, nos 36.
(20) Déc. n° 99-419. Cf. infra, nos 11.
(21) Déc. n° 82-144 DC du 22 oct. 1982, loi relative au développement des institutions représentatives du personnel : D. 1983, p. 189, note F. Luchaire ; Gaz. Pal. 1983.I, p. 60, obs. F. Chabas ; L. Hamon, « Le droit du travail dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Dr. soc. 1983, p. 155 et s.; BS Lefebvre 5/83, p. 159 et s., chron. J. Déprez.
(22) J. Rivéro, « Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : une nouvelle catégorie constitutionnelle ? », D. 1972, chron., p. 267 ; D. Lochak, « Le Conseil constitutionnel protecteur des libertés », Pouvoirs, n° 13, p. 36.
(23) Déc. n° 83-162 DC du 20 juill. 1983, loi relative à la démocratisation du secteur public : Dr. soc., 1984, p. 163, chron. L. Hamon.
(24) Déc. n° 94-343-344 DC du 27 juill. 1994, loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal : JO du 29 juill. 1994, p. 11024 : L. Favoreu et L. Philip, préc., n° 47 ; lire B. Mathieu, « Bioéthique : un juge constitutionnel réservé face aux défis de la science. À propos de la décision n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994 », RFD adm. 1994, n° 5, p. 1019 et s.; J.-P. Duprat, « À la recherche d'une protection constitutionnelle du corps humain : la décision 94-343-344 DC du 27 juillet 1994 », Petites affiches du 14 déc. 1994, p. 34.
(25) Sur cette conception restrictive de la République, B. Mathieu, Droit constitutionnel civil, préc., n° 48-52 ; L. Favoreu et L. Philip, préc., § 30 ; contra, F. Luchaire, « Les fondements constitutionnels du droit civil », RTD civ. 1982, p. 251.
(26) L. Favoreu, obs. à la RD publ. 1987, n° 2.
(27) Déc. n° 99-419 DC du 9 nov. 1999, loi relative au pacte civil de solidarité : Droit de la famille, hors série, déc. 1999, p. 46, chron. G. Drago ; JCP, éd. G, 2000.I.210, chron. N. Molfessis. Le passage de la notion de « principe » à celle « d'exigence » concerne tous les anciens « principes », et pas uniquement le principe de responsabilité.
(28) Déc. n° 99-419 DC du 9 nov. 1999, préc.
(29) En ce sens, J. Rivéro, « Le droit du travail dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Dr. soc. 1983, p. 155 , sp. p. 160 ; G. Durry, « La responsabilité civile des délégués syndicaux », Dr. soc. 1984, p. 69 , sp. p. 76 ; notre ouvrage Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, t. 282, 1997, nos 480 et s.; N. Molfessis, ouvrage préc., n° 149.
(30) Déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989, loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, § 9 : L. Favoreu et L. Philip, préc., n° 42.
(31) DC n° 89-262 DC du 7 nov. 1989, loi relative à l'immunité parlementaire : RFD const. 1990, p. 240, chron. R. Renoux.
(32) Sur cette loi, notamment G. Aubin, « La loi du 9 avril 1898, rupture ou continuité ? », Dr. soc. 1998, p. 635 ; P.-J. Hesse, « La genèse d'une loi : de la révolution industrielle à la révolution juridique », Dr. soc. 1998, p. 638.
(33) CSS, art. L. 454-1.
(34) Déc. n° 83-162 DC du 20 juill. 1983, préc.: « en un tel cas, d'ailleurs, la loi n'exclut pas l'action éventuelle des victimes contre d'autres administrateurs ou contre la société elle-même ».
(35) Déc. n° 94-343-344 DC du 27 juill. 1994, préc.
(36) Dans une précédente décision en date du 4 juill. 1989 (déc. n° 89-254 DC, loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités d'application des privatisations : D. 1990, p. 210, note F. Luchaire), le Conseil avait toutefois pris la peine de préciser expressément cette faculté pour rejeter un grief tiré de la violation du principe d'égalité devant les charges publiques : « Mais considérant qu'il est loisible aux intéressés, pour le cas où l'application de la loi présentement examinée leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité de tous devant les charges publiques » (§ 24).
(37) Sur la condamnation de la France qui n'avait pas garanti ce droit s'agissant des victimes de contaminations postransfusionnelles par le VIH : CEDH, 4 déc. 1995, Bellet c/ France: D. 1996, p. 357, note M. Collin-Demumieux ; Resp. civ. et assur. 1996, chron. 6, H. Groutel ; 30 oct. 1998 : Resp. civ. et assur. 1999, comm. 37 ; D. 1999, somm. p. 490, obs. J.-P. Marguénaud ; 10 oct. 2000, Lagrange, n° 39485/98.
(38) L. n° 2002-303 du 4 mars 2002 sur le droit des malades et la qualité du système de santé : Resp. civ. et assur. 2002, chron. 7, Ch. Radé ; Y. Lambert Faivre, D. 2002, chron. p. 1217 et s. et 1367 et s.; P. Mistretta, JCP, éd. G, 2002.I.141 ; P. Jourdain et al., « Le nouveau droit des malades », Juris-Classeur, Carré droit, 2002.
(39) Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, Époux Perruche: JCP, éd. G, 2002.II.10438, rapp. P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note F. Chabas ; Resp. civ. et assur. 2001, chron. 1, Ch. Radé ; Petites affiches du 8 déc. 2000, p. 4, chron. M. Gobert.
(40) CE, 14 févr. 1997, CHR de Nice c/ Quarez: JCP, éd. G, 1997.II.22828, note J. Moreau ; RD publ. 1997, p. 1139, note J.-M. Auby.
(41) Déc. préc., n° 89-254 DC du 4 juill. 1989 : « Mais considérant qu'il est loisible aux intéressés, pour le cas où l'application de la loi présentement examinée leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité de tous devant les charges publiques » (§ 24); décision n° 90-283 DC du 8 janv. 1991, loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme : « 41. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'article L. 17 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi ; qu'en tout état de cause, il est loisible aux intéressés, pour le cas où ils estimeraient que l'application de la loi présentement examinée leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander réparation ».
(42) Notre étude « Retour sur le phénomène Perruche: vrais enjeux et faux-semblants », dans Mélanges en l'honneur de Ch. Lapoyade Deschamps, PUB, Bordeaux, 2003, p. 231.
(43) P. Jourdain, D. 2002, n° 11, p. 892 ; Resp. civ. et assur. 2002, chron. 7, préc.
(44) Déc. n° 85-187 DC du 25 janv. 1985, loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances : « la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine, il ne saurait en être de même lorsqu'il s'agit de la simple mise en application d'une telle loi » (L. Favoreu et L. Philip, préc., n° 37).
(45) Tel n'est pas l'avis du Conseil d'État : CE, avis, 6 déc. 2002, req. n° 250167 ; M. et Mme Draon : JCP, éd. G, 2003.I.110, étude P. Malaurie. En ce sens : M.-E. Boursier, « La revanche de la jurisprudence Perruche ou l'inconventionnalité de la loi anti-Perruche ? », Petites affiches, n° 108 du 30 mai 2002, p. 4.
(46) N. Molfessis, ouvrage préc., n° 151.
(47) Déc. n° 88-244 DC du 20 juill. 1988 : Dr. soc. 1988, p. 755 , chron. X. Prétôt.
(48) Cette analyse a été confirmée par une autre décision n° 89-258 DC du 8 juillet 1989, loi portant amnistie : JCP, éd. G, 1990.II.21409, note C. Franck.
(49) Déc. du 20 juill. 1983, préc.: « Considérant qu'il convient encore d'observer que, contrairement aux allégations de la saisine, les dispositions de l'article 22 ne concernent à l'évidence que la responsabilité civile des représentants des salariés et non leur responsabilité pénale qui ne pourrait être soustraite au droit pénal commun que par un texte législatif spécifique déterminant, de manière précise, les effets de l'atténuation de responsabilité sur les conditions constitutives des infractions ou sur l'application de l'échelle des peines. »
(50) Déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989, loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 sept. 1986 relative à la liberté de communication, § 9 : « Considérant que nul ne saurait, par une disposition générale de la loi, être exonéré de toute responsabilité personnelle quelle que soit la nature ou la gravité de l'acte qui lui est imputé » (RFD adm. 1989, p. 215, chron. B. Genevois ; RD publ. 1989, p. 429 et s., chron. L. Favoreu).
(51) Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, Costedoat: JCP, éd. G, 2000.II.10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; Resp. civ. et ass. 2000, chron. 11, H. Groutel, chron. 22, Ch. Radé.
(52) Cass. ass. plén., 14 déc. 2001 ; Cousin: BICC n° 551 du 1er mars 2002, concl. R. de Goutte ; Resp. civ. et assur. 2002, chron. 4, H. Groutel ; JCP, éd. G, 2002.II.10026, note M. Billiau ; D. 2002, p. 1230, note J. Julien, somm. p. 1317, obs. D. Mazeaud.
(53) P. Ourliac et J. de Malafosse, Histoire du droit privé. Les obligations, 2e éd., 1968, p. 183, qui attribue la classification classique entre culpa levissima, culpa levis et culpa lata à Modestin.
(54) Sur ces éléments, notre étude préc.
(55) Déc. du 20 juill. 1983, préc.: « Considérant que, sans qu'il soit besoin de rechercher si un tel principe a valeur constitutionnelle, il suffit d'observer qu'en tout état de cause, il ne s'opposerait pas à l'aménagement de régimes de responsabilité spéciaux moins rigoureux que le régime de droit commun, comme en témoigne d'ailleurs l'alinéa 2 de l'article 1992 du code civil qui, comme il a été dit, a visiblement inspiré la rédaction de l'article 22 de la loi. » C'est tout le débat sur ce qu'on appelle improprement les « discriminations positives ». V. déc. n° 2000-429 DC du 30 mai 2000, loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives : L. Favoreu et L. Philip, préc., n° 33 bis.
(56) Déc. n° 98-404 DC du 18 déc. 1998, loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 : D. 2000, somm. p. 63, obs. F. Mélin-Soucramanien.
(57) Comp. avec l'hostilité des juristes à reconnaître des hypothèses de responsabilités collectives en droit civil sans un examen de la part prise par chacun dans la réalisation du dommage. Lire notre ouvrage préc., sp. n° 442-451.
(58) Déc. n° 99-422 DC du 21 déc. 1999, loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
(59) Dernièrement Cass. 2e civ., 5 juill. 2001, Mlle Tronchon c/ M. Tizghat, BICC, n° 543, n° 1003 ; 23 janv. 2003, BICC, 578 du 1er juin 2003, n° 658 : « Les dommages-intérêts doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ».
(60) Ainsi B. Mathieu, Droit constitutionnel civil, préc., sp. § 123.
(61) Sur ce procédé de reconnaissance implicite, L. Hamon, chron. préc., sp. p. 156.
(62) G. Lyon-Caen, « Les victimes d'accidents du travail, victimes aussi d'une discrimination », Dr. soc. 1990, p. 737 et s. Dans le sens de la négation de la valeur constitutionnelle de ce principe, S. Dion-Loye, préc., sp. p. 17.
(63) En ce sens, G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil. Les effets de la responsabilité, LGDJ, 2e éd., 2002, sp. n° 59-2. V. pourtant CA Paris, 1re ch., G, 11 déc. 2002 Ponnoussamy c/ Perruche: Resp. civ. et assur. 2003, comm. 140, obs. Ch. Radé, visant « le principe à valeur constitutionnelle, que rien ne permet d'écarter de la réparation intégrale du préjudice ».
(64) Déc. n° 85-198 DC du 13 déc. 1985, loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle : D. 1986, p. 345, note F. Luchaire.
(65) Cette recherche d'une indemnisation du préjudice effectivement subi est très nette dans les décisions n° 81-132 DC du 16 janv. 1982, loi de nationalisation, sp. § 58 à 61, n° 82-139 DC du 11 févr. 1982, loi de nationalisation (2e esp.), sp. § 8 à 30 (L. Favoreu et L. Philip, préc., n° 31), n° 86-207 des 25-26 juin 1986, loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social, § 61 (L. Favoreu et L. Philip, préc., n° 39), n° 89-256 DC du 25 juill. 1989, loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles, § 24.
(66) G. Vedel, « La technique des nationalisations », Dr. soc. 1946, p. 56 ; N. Molfessis, ouvrage préc., n° 91. L. Favoreu et L. Philip soulignent que « le Conseil constitutionnel a adopté, en définitive, une conception de l'indemnisation lui paraissant conforme à la philosophie libérale consacrée par notre système juridique et politique », et l'opposent à l'Italie où l'indemnisation n'est pas intégrale (préc., n° 31, § 66).
(67) J. Carbonnier distinguait ainsi ce qui relève de l' « exhaustivité » (réparation de chacun des chefs de préjudices) et de l' « efficacité » (rétablir le statu quo ante) (J. Carbonnier, Droit civil, tome 4, Les obligations, PUF, Thémis, 18e éd., 1998, p. 448). Lire sur ce point N. Molfessis, Les sources constitutionnelles du droit des obligations, préc., p. 83, § 24.
(68) Déc. n° 98-403 DC du 29 juill. 1998, loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions : D. 1999, p. 269, note W. Sabete.