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Vers un droit de l'environnement renouvelé

Michel PRIEUR - Doyen honoraire de la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, Directeur scientifique du CRIDEAU-CNRS-INRA

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15 (Dossier : Constitution et environnement) - janvier 2004

Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 27 juin 2003 fait entrer l'environnement dans la Constitution ce qui en soi n'est pas une innovation, puisque cela a déjà été fait dans de nombreux pays et dans tous les continents(1). Mais la constitutionnalisation de l'environnement à la française, constitue sur le plan du droit « une véritable révolution »(2). Elle nécessite une mise au point préalable.

Discuter de la question de savoir si l'environnement peut faire l'objet d'un droit de l'homme, est un faux débat. Un anthropocentrisme étriqué paraît aujourd'hui d'un autre âge. Il est scientifiquement admis par tous que la vie des hommes sur terre est étroitement liée à celle des autres espèces vivantes. Protéger la nature, à travers la faune, la flore et la biodiversité, est en même temps protéger l'homme. Détruire la nature ou épuiser ses ressources, prive l'homme d'un développement durable. La Déclaration de Rio de Janeiro de 1992 sur l'environnement et le développement énonce que « la terre constitue un tout marqué par l'interdépendance ». Si les êtres humains sont bien évidemment au centre des préoccupations relatives au développement durable, ils ont droit à une vie « en harmonie avec la nature » (principe 1). Il est donc évident que l'on ne peut, à propos de l'environnement, dissocier l'homme de son milieu de vie et des éléments physiques et biologiques qui composent ce milieu. Exiger la protection de l'environnement impose que l'homme se soumette à des obligations envers la nature ce qui n'implique pas pour autant que la nature ait des droits. C'est ce parti qui a été choisi par la commission Coppens composée de nombreux scientifiques. On le retrouve dans le préambule de la Charte à travers des formules qui, si elles n'ont pas de portée juridique directe, n'en sont pas moins l'expression d'une révolution culturelle et d'une prise de conscience des enjeux à la fois planétaires et environnementaux des activités humaines. L'interdépendance entre l'homme et son milieu fait l'objet d'un constat nettement affiché dans trois considérants :

  • les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;

  • l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;

  • la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de production et de consommation et par l'exploitation excessive des ressources naturelles.

La référence à certains modes de consommation évoque ici directement la formulation du principe 8 de la Déclaration de Rio selon lequel les États devraient réduire ou éliminer les modes de production et de consommation non viables pour parvenir à un développement durable.

Il résulte de ces affirmations que lorsque la Charte mentionne des droits et des devoirs vis-à-vis de l'environnement, elle vise nécessairement à la fois l'homme et son milieu physique et biologique.

Cette mise au point étant faite, la Charte va-t-elle transformer l'environnement ? À terme, le droit de l'environnement va évoluer vers un nouveau droit qui ne sera plus seulement un droit technicien réservé à des experts mais deviendra de plus en plus un droit universel et humaniste ou droit commun d'une société qui, loin de retourner à la bougie comme aiment à le caricaturer les tenants d'un scientisme radical, accompagnera lucidement les progrès à la condition qu'ils ne risquent pas de menacer l'avenir de l'humanité. L'idée de conditionnalité environnementale deviendra un nouveau guide pour la recherche et l'innovation, donc pour les politiques publiques. Mais l'environnement n'est le monopole ni des écologues (ou spécialistes de la science de l'écologie), ni des écologistes (ou militants de l'environnement), ni d'un parti politique, mais l'affaire de tous. Aussi le droit nouveau à l'environnement, par essence droit citoyen, contribuera à remettre en cause processus et procédures dans les relations gouvernants-gouvernés.

Un droit universel et humaniste

Le ton solennel du préambule de la Charte constitutionnelle cherche manifestement à lui donner un impact universel et humaniste en signifiant, aux yeux du monde, l'importance politique que la France souhaite donner à l'environnement dans le futur. À partir du moment ou le choix était fait de situer la Charte dans la Constitution au même niveau que les deux Déclarations des droits de 1789 et de 1946, on lui donnait une place historique.

L'universalisme de l'environnement contribue à mettre à mal les souverainetés nationales. L'expansion rapide et profonde du droit international de l'environnement en est la preuve. En se référant à plusieurs reprises à « l'humanité » et aux sociétés humaines, la Charte vise à se situer à l'échelle universelle et à transmettre un message destiné à l'extérieur. En qualifiant l'environnement de « patrimoine commun des êtres humains », le texte évite la confusion avec la catégorie existante de patrimoine commun de l'humanité(3), mais signifie que les biens communs constitués par les éléments de l'environnement (air, eau, faune, flore, terre, paysage), faisant aussi partie de ce qu'on appelle désormais « les biens publics mondiaux »(4), sont sous la responsabilité collective de tous, à l'échelle planétaire. Désormais l'environnement apparaît comme une richesse partagée qu'il convient de ne pas dilapider, comme un patrimoine par nature partageable et donc commun. Si l'environnement fait déjà partie du « patrimoine commun de la nation » (art. L. 110-1-I, c. env.), désormais il est en même temps, dans sa globalité, le patrimoine commun des êtres humains(5). Ce partage de l'environnement exige un partage de ses usages. Au plan interne, par exemple, il y a encore du chemin à parcourir pour partager des espaces naturels entre chasseurs et autres usagers de la nature. On en donnera pour preuve la provocation des chasseurs consistant à faire abroger par le Parlement la dernière phrase du dernier alinéa de l'article L. 420-1 du code de l'environnement (art. 2 de la loi n° 2003-698 du 30 juill. 2003) qui avait été introduite par la loi n° 2000-698 du 26 juillet 2000 et qui prévoyait simplement que la chasse devait être compatible avec les usages non appropriatifs de la nature, c'est-à-dire les usages des non propriétaires fonciers, promeneurs, randonneurs et sportifs de pleine nature.

Le souci mondialiste de la Charte apparaît également dans l'évocation des « autres peuples » vis-à-vis desquels les choix français de développement durable ne doivent pas compromettre les capacités à satisfaire leurs propres besoins. La politique économique et commerciale agricole est ici directement mise en cause par rapport aux produits du tiers monde. L'article 10 de la Charte vise à faire de celle-ci la source d'inspiration de l'action européenne et internationale de la France à travers les organisations internationales et les traités souscrits et mis en oeuvre en France. Il ne faudrait évidemment pas que la France utilise cet article pour amoindrir la portée des conventions internationales qu'elle a signées sous prétexte qu'elles sont trop protectrices de l'environnement(6). Selon l'exposé des motifs, l'article 10 doit servir de levier politique pour promouvoir une écologie humaniste, de plus l'ensemble de la Charte « pourra contribuer à l'interprétation par les juridictions des engagements internationaux en matière d'environnement auxquels la France est partie ».

Quant à l'humanisme, on sait que le président de la République en a fait une référence incontournable en souhaitant « inscrire une écologie humaniste au coeur de notre pacte républicain »(7). Pour réfuter d'avance le reproche de céder à une écologie intégriste, le préambule de la Charte se réfère expressément à l'homme ou à l'humanité dans six paragraphes sur sept. Un équilibre subtil fait alterner le collectif et l'individuel à travers le renvoi à l'humanité, aux sociétés humaines, à l'homme, aux êtres humains ou à la personne. Il est étonnant que la santé ait été omise. Elle est pourtant un facteur déterminant de l'épanouissement de la personne humaine et dépend, en partie, de la qualité de l'environnement. Certes la santé est mentionnée à l'article 1 au niveau de la proclamation du droit fondamental et on peut supposer qu'elle est implicitement présente dans les autres articles.

Les générations futures, qui avaient déjà fait leur entrée dans le droit positif avec la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs (art. L. 542-1 c. env.), puis dans la loi Barnier du 2 février 1995 (art. L. 110-1 c. env.), sont visées au titre du développement durable. Le texte a soigneusement évité d'évoquer « les droits » des générations futures ce qui posait des problèmes théoriques concernant les titulaires actuels de ces droits, pour ne traiter que de la « capacité » des générations futures. L'article L. 542-1 du code de l'environnement n'a pas ces scrupules.

Un droit vecteur de conditionnalité environnementale

L'environnement fait l'objet, soit de mesures juridiques directes ayant pour objet unique sa protection ou sa gestion, soit de mesures juridiques indirectes à l'occasion d'autres politiques publiques qui intègrent l'environnement dans leurs préoccupations. L'intégration de l'environnement dans les autres politiques est devenu un des modes les plus fréquents d'action législative ou réglementaire. C'est même une des conditions principales du développement durable énoncée au principe 4 de la Déclaration de Rio : « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément. » Cette recommandation devient une obligation figurant parmi les principes du traité instituant la Communauté européenne :

« Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en oeuvre des politiques et actions de la Communauté visées à l'article 3, en particulier afin de promouvoir le développement durable » (art. 6).

Il est étonnant que le principe d'intégration n'ait pas été lui-même formellement inclus parmi les principes fondateurs du droit de l'environnement même si les lois nouvelles ne manquent pas de rendre attentif à l'intégration dans toutes les politiques (urbanisme dès 1976, transports, énergie, politique agricole, sports, aménagement du territoire)(8). Malheureusement la Charte ne comporte aucune référence directe à ce principe. Cependant on peut considérer qu'il existe des références indirectes, en particulier à travers l'article 6 de la Charte qui impose la promotion du développement durable dans toutes les politiques publiques. Cette obligation de prendre en compte à la fois la protection et la mise en valeur de l'environnement dans toutes les politiques publiques est une traduction du principe d'intégration. Une technique procédurale qui permettrait de garantir la prise en compte du développement durable dans les politiques publiques serait d'exiger que tous les projets et propositions de lois fassent l'objet d'une étude d'impact évaluant les effets sur l'environnement et le développement économique et social. C'est ce qu'impose en principe déjà le règlement de l'Assemblée nationale depuis 1990 en son article 86. Une proposition de loi constitutionnelle, qui pourrait être reprise lors de la discussion parlementaire sur la Charte, en fait une obligation constitutionnelle(9). Dans le même temps le Premier ministre cherche à renforcer la procédure d'étude d'impact des projets de lois et décrets en Conseil d'État pour en améliorer l'efficacité(10).

Au-delà de l'affirmation du principe, l'intégration va se traduire par diverses formes de conditionnalité. L'environnement devenant une valeur sociale consacrée par la Constitution, sa préservation implique le respect de certaines conditions générales complétées par des conditions spéciales liées à la survenance de dommages et des conditions procédurales.

Les conditions générales qui découlent du respect du droit à l'environnement sont multiples. Elles concernent la finalité des actions entreprises qui doivent à la fois :

  • rechercher la préservation de l'environnement au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation ;

  • assurer et promouvoir un développement durable ;

  • concilier la protection de l'environnement avec le développement économique et social ;

  • prévenir ou, à défaut, limiter les atteintes à l'environnement.

Les conditions spéciales sont relatives aux dommages à l'environnement. On sait que la responsabilité environn(12)ementale fait l'objet de débats liés d'une part à la responsabilité objective et d'autre part à la réparation des dommages à l'environnement indépendamment des dommages aux biens et aux personnes. La convention de Lugano du Conseil de l'Europe du 21 juin 1993, bien que non en vigueur, constitue une contribution essentielle qui a servi de modèle dans plusieurs pays d'Europe(11). Mais c'est surtout la directive communautaire en discussion qui va servir de base au nouveau droit européen de la responsabilité environnementale. Cette proposition présente l'intérêt de prévoir la réparation des dommages aux biens environnementaux qui ne sont pas actuellement réparables, à savoir les dommages affectant la biodiversité, les eaux et les sols. Le régime de responsabilité est double : sans faute pour les activités professionnelles dangereuses énumérées dans l'annexe 1, et pour faute en cas de dommage à la seule biodiversité et pour les activités dangereuses autorisées par les lois et règlements.

La Charte va pouvoir servir de base à un nouveau régime à la fois en ce qui concerne la nécessité de la prévention et de la réparation. La Charte ne se réfère pas expressément au fameux principe pollueur payeur. Cela est d'autant plus critiquable que la France est déjà engagée par de nombreux traités qui imposent ce principe, dont entre autres, le traité de Maastricht(13). La commission Coppens a semble-t-il écarté le principe pollueur payeur sous prétexte qu'il exprimerait un droit à polluer et que tous les pollués sont aussi des pollueurs. En réalité on confond l'application du principe en tant que mesure de prévention et en tant que principe de réparation(14). S'il y a dommage, c'est naturellement au pollueur de le réparer, le seul problème à résoudre étant celui des pollutions diffuses, non abordé par la Charte mais qui devra l'être par la loi. La formulation de la Charte apparaît laxiste en permettant des exonérations et limitations de responsabilité puisqu'il n'y a pas d'obligation de réparation intégrale mais seulement une obligation de « contribuer » à la réparation, ce qui suppose seulement une réparation partielle (art. 4). Cela laisserait entendre que l'environnement étant un patrimoine commun, la collectivité, et pas uniquement le pollueur, pourrait être conduite à contribuer systématiquement à la réparation de biens non appropriés. Cette hypothèse anormalement favorable aux entreprises n'est pas conforme à la « morale de l'environnement ». Si cette formulation devait subsister, une certaine équité environnementale devrait bien distinguer les situations où le pollueur doit réparer seul l'intégralité du dommage subi par l'environnement et celles où la collectivité se trouve en situation d'y participer. Quant à la question de savoir si cette responsabilité exige la preuve d'une faute, on peut supposer que la loi à venir y renoncera à l'instar des systèmes particuliers de responsabilité environnementale(15).

Les dommages à l'environnement sont aussi présents dans la Charte à l'article 5 à propos du principe de précaution. On notera que c'est le seul article qui mentionne un « principe », alors que parmi les principes classiques du droit de l'environnement, c'est celui qui fait l'objet du plus grand nombre de controverses. La commission Coppens elle-même n'a pas réussi à atteindre un consensus sur ce thème puisqu'elle a formulé deux versions différentes concernant la précaution dont l'une avait délibérément rejeté le qualificatif de « principe ». Il est assez paradoxal que les autres droits fondamentaux énoncés dans la Charte se soient vus refuser l'appellation de « principes » alors qu'ils figurent déjà comme tels dans la loi Barnier (art. L. 110-1, c. env.). Qualifier de « principe » un droit fondamental constitutionnel n'a rien d'étrange. Comme le rapport Coppens le souligne (p. 41) on le retrouve dans la Déclaration de 1789 qui se réfère à des « principes simples et incontestables » et dans le Préambule de 1946 qui proclame des principes particulièrement nécessaires à notre temps. Certes l'énoncé de droits peut correspondre en réalité à des principes même s'ils ne sont pas qualifiés expressément comme tels.

Le principe de précaution est clairement délimité par l'article 5. Son champ d'application est limité aux risques pour l'environnement (comme il l'est déjà dans la loi Barnier, art. L. 110-1-II-1 °, c. env.) alors que la variante 2 de la commission Coppens y avait ajouté les risques pour la santé. L'opposition la plus farouche à ce principe venait des professions médicales et pharmaceutiques traumatisées par les drames du sang contaminé et de l'amiante, confondant la précaution avec la responsabilité civile et soucieuses de ne pas freiner la recherche. Le texte proposé excluant la santé devrait rassurer(16). Mais le principe de précaution est tellement galvaudé dans les médias et dans les déclarations des hommes politiques, que l'opinion continue à recourir à ce concept en dehors de son champ juridique d'application particulier. Ses conditions de déclenchement sont au nombre de trois : incertitude scientifique, risque de dommage grave à l'environnement, risque de dommage irréversible à l'environnement. Il est regrettable que le texte ait ajouté une condition en remplaçant l'expression du principe 15 de la Déclaration de Rio « dommages graves ou irréversibles » par « dommages graves et irréversibles ». Enfin les effets du déclenchement du principe consistent en ce que les autorités publiques prennent des mesures provisoires et proportionnées, ce qui équivaut à décider d'un moratoire, et organisent l'évaluation des risques encourus, ce qui implique des recherches particulières ou l'organisation d'une veille. Pour parfaire le mécanisme deux questions sont sans réponse : qui déclenche la procédure de précaution et à propos de quels actes ?

En dépit des craintes infondées exprimées lors des travaux de la commission Coppens, il est évident que les personnes compétentes pour déclencher le mécanisme de précaution sont les autorités publiques, à savoir l'État, les collectivités territoriales et les établissements publics. Bien entendu la mesure provisoire de précaution s'imposera à tous et affectera en particulier les producteurs ou fabricants privés des biens mis en cause. Imaginer, comme certains l'ont fait, que le principe ne s'imposerait pas aux industriels ou aux activités de recherche reviendrait à considérer que le droit ne s'applique pas à tous également. L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle précise bien que l'ensemble du texte s'impose à tous, pouvoirs publics, juridictions et sujets de droit, personnes morales comme physiques, privées comme publiques. Il est toutefois clair que l'obligation de déclencher la précaution ne repose pas sur le secteur privé mais sur les pouvoirs publics, sous réserve de nombreuses dispositions particulières qui obligent déjà les entreprises à notifier à l'autorité publique toute anomalie constatée dans un produit ou une activité. Ainsi par exemple, en matière de produits chimiques, tout producteur ou importateur se tient informé de l'évolution des connaissances de l'impact sur l'homme et l'environnement lié à la dissémination de ces substances et doit informer l'autorité administrative de toutes données nouvelles (art. L. 521-5, c. env. et art. 6 du décret n° 85-217 du 13 févr. 1985). Il en est de même en matière d'OGM (art. 20 de la directive n° 2001-18 du 12 mars 2001), de produits antiparasitaires à usage agricole et de produits assimilés. C'est le principe même de la surveillance biologique et environnementale du territoire qui est ici en cause, les organismes nouveaux de veille et de surveillance ne pouvant donner une alerte que dans la mesure ou ils sont informés des risques de futurs dommages. L'article L. 251-1-III du code rural déclare à cet effet que : « Toute personne qui constate une anomalie ou des effets indésirables susceptibles d'être liés à la dissémination ou à la mise sur le marché des produits mentionnés au présent article, en informe immédiatement le service chargé de la protection des végétaux. » De même l'article L. 211-5 du code de l'environnement oblige toute personne à informer le préfet ou le maire de tout incident ou accident présentant un danger pour les eaux.

Ainsi se généralise une nouvelle obligation liée au devoir de chacun de préserver l'environnement, consistant à dénoncer aux autorités administratives toute anomalie environnementale. Les citoyens sont les gardiens de l'environnement, celui-ci étant leur bien commun. Si l'autorité publique est seule compétente pour édicter des mesures provisoires en application du principe de précaution, ce sont l'ensemble des citoyens et des acteurs économiques qui ont l'obligation d'informer de toute situation risquant d'affecter gravement l'environnement. Selon les biens, matières, activités ou produits en cause, les mesures provisoires peuvent concerner aussi bien la recherche, la production, la vente, la consommation ou des travaux, et conduire à les suspendre. Si la mesure provisoire doit être proportionnée à la menace, elle n'est plus limitée par la référence au coût économiquement acceptable de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, ce qui paraît raisonnable face à un risque grave. Il est certain que l'évaluation ex ante d'un risque de dommage grave et irréversible en cas d'incertitude scientifique sera une opération controversée, d'autant plus que la Charte ne fixe aucun guide pour cette évaluation. La connaissance scientifique est souvent incertaine, aussi peut-on se demander qui déterminera que le degré d'incertitude a atteint le seuil de déclenchement du principe de précaution ? Si la menace est supposée grave, on ne peut attendre l'appréciation d'un juge, sauf procédure d'urgence applicable. Des garanties procédurales devraient entourer l'appréciation de l'incertitude. Celle-ci devrait être constatée par une autorité indépendante, telle le médiateur ou un collège comme la Commission nationale du débat public(17), à partir de deux expertises contradictoires, dont l'une ne doit pas émaner d'un organisme de recherche dépendant directement ou indirectement de l'administration ou de l'entreprise en cause(18).

Les conditions procédurales de la mise en oeuvre des principes fondamentaux de la Charte apparaissent déterminantes. À l'heure actuelle le droit à l'environnement et les principes l'accompagnant sont de nature législative. La loi indique que la politique de l'environnement « s'inspire » des principes « dans le cadre des lois qui en définissent la portée » (art. L. 110-1, c. env.) et que le droit de chacun à un environnement sain est organisé par « les lois et règlements » (art. L. 110-2, c. env.). Il en résulte que ce droit et ces principes s'imposent normalement à la loi sous la réserve que celle-ci ne soit pas modifiée et dans les limites que la loi elle-même pourra fixer. L'invitation que le législateur s'était faite à lui-même d'organiser le droit à l'environnement et de définir la portée des principes, est restée lettre morte, à l'exception des multiples dispositions législatives sur l'accès aux informations environnementales.

La Charte de 2003 conduit à se poser la question de l'applicabilité directe des nouveaux droits fondamentaux proclamés ou de la nécessité d'une mesure complémentaire conditionnant l'application de la norme constitutionnelle. Il ne s'agit pas ici de « la réserve de loi » telle qu'elle est explicitée dans l'ouvrage de L. Favoreu(19). La révision constitutionnelle proposée ne complète pas l'article 34 de la Constitution pour ajouter l'environnement en bloc parmi les compétences réservées à la loi, contrairement à ce qui avait été réclamé à plusieurs reprises(20) et suggéré dans une ultime variante du rapport Coppens (p. 44). Il s'agit de renvois ponctuels au législateur pour quatre des principes : la prévention, la réparation, l'information et la participation. Cette conditionnalité législative aboutit en réalité à attribuer une compétence au Parlement dans des secteurs particuliers du droit de l'environnement. Compte tenu du champ transversal des dispositions concernées (art. 3, 4 et 7 de la Charte), cela équivaut à un complément de l'article 34 de la Constitution. Cette attribution de compétence est toutefois formulée de façon différente selon les principes en cause. Pour la prévention et la réparation, l'obligation juridique qui s'impose l'est « dans les conditions définies par la loi », ce qui a priori ne permet pas de mesures limitatives ou restrictives. Il en va différemment avec les principes d'information et de participation pour lesquels le mandat donné par le constituant au législateur précise que ces droits s'exercent « dans les conditions et limites définies par la loi ». Il en résulte que la marge d'action du législateur est plus grande lui permettant d'introduire des limites à l'exercice du droit constitutionnellement proclamé. Bien entendu ce pouvoir ne pourrait aboutir à dénaturer ou rendre ineffectif le droit constitutionnellement protégé. Ce sera au Conseil constitutionnel, s'il est saisi, de vérifier que la loi n'a pas restreint la portée des principes énoncés par la Charte.

Un effet inattendu de la réforme risque de provenir de la restriction constitutionnelle à l'expérimentation au sein des collectivités territoriales. En effet si la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République permet aux lois et règlements de comporter des dispositions à caractère expérimental (art. 37-1 de la Constitution), le nouvel article 72 de la Constitution interdit aux collectivités territoriales et à leurs groupements de déroger à titre expérimental aux règles qui régissent leurs compétences dans les domaines où sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'un droit constitutionnellement garanti. Or c'est souvent en matière d'environnement que le législateur propose des expérimentations locales.

La conditionnalité environnementale devra en tout état de cause faire l'objet d'arbitrages complexes car, en matière de droits de l'homme, il n'y a pas de hiérarchie des droits. Au nom du principe d'indivisibilité des droits, il n'y a ni concurrence ni hiérarchie entre les droits fondamentaux, mais complémentarité. Le fait qu'il s'agisse d'un droit nouvellement entré dans la famille des droits fondamentaux ne permet pas de lui donner un rang qui serait différent de celui des droits préexistants(21). Aussi le rattachement, par certains auteurs, du droit à l'environnement à une prétendue troisième génération des droits, n'a d'utilité que généalogique, mais ne permet en aucune manière de considérer le droit à l'environnement comme un droit de troisième rang. La Cour européenne des droits de l'homme a bien jugé à cet égard que : « nulle cloison étanche ne sépare les droits économiques et sociaux et les droits civils et politiques » (Airey, 1979). Cette égalité entre les droits fondamentaux est rappelée de façon superfétatoire par la Charte à deux reprises : dans les considérants et à l'article 6. Le sixième considérant se situe dans une perspective de définition des priorités et des fins poursuivies par l'État. Il s'agit d'intégrer l'environnement parmi les objectifs d'intérêt public de la nation et de ce fait hisser l'environnement au même niveau que les autres intérêts fondamentaux. Même si le vocabulaire utilisé ici n'a pas de signification juridique précise, l'allusion à l'intérêt général est évidente. Il ne s'agit alors pas d'une innovation puisque dès 1976 la loi du 10 juillet énonçait : « La protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont d'intérêt général. » Avec quelques aménagements, la loi Barnier du 2 février 1995 reprendra et confirmera l'intérêt général attaché à l'environnement (art. L. 110-1, c. env.). Par ailleurs, la protection de plusieurs autres éléments constitutifs de l'environnement sera également qualifiée d'intérêt général : les milieux aquatiques et le patrimoine piscicole (1984), la forêt (1985), le littoral (1986), l'eau (1992), l'air (1996). Parfois le législateur reconnaît même certaines politiques d'environnement comme « priorités nationales ». C'est le cas de la lutte contre l'intensification de l'effet de serre et la prévention des risques liés au réchauffement climatique(22). L'apport de l'article 6 de la Charte est plus novateur en ce qui concerne les conditions de mise en oeuvre des politiques publiques qui non seulement doivent à l'avenir « promouvoir un développement durable » au titre du principe d'intégration, comme on l'a vu, mais pour ce faire doivent concilier les exigences économiques et sociales et celles de l'environnement. Sous-jacente à cette conciliation des politiques, qui est de l'ordre de la stratégie de l'action publique, se profile une nécessaire conciliation juridique entre droits fondamentaux, puisque l'environnement est devenu un droit de même valeur que le droit de propriété ou la liberté d'entreprendre(23). La conciliation des droits devra se faire sous le contrôle des juges et l'on peut se demander si le droit à l'environnement, par son caractère à la fois universel et transversal, individuel et collectif, affectant l'homme, sa survie, sa santé, l'humanité et la diversité biologique, ne va pas se révéler comme devant bénéficier d'une certaine prééminence sur certains autres droits fondamentaux. La formulation quelque peu emphatique des considérants de la Charte et le seul fait que les droits et devoirs liés à l'environnement aient donné lieu à une mention dans le préambule de la Constitution de 1958 et à un texte spécifique de valeur constitutionnelle adossé à la Constitution, pourrait induire sinon une position hiérarchiquement supérieure aux deux autres déclarations des droits, du moins une position à part. Indépendamment d'une place différente, la conciliation entre les principes constitutionnels environnementaux et les autres principes constitutionnels pourrait facilement être à l'avantage de l'environnement comme la santé a pu l'emporter sur d'autres droits fondamentaux moins vitaux ou nettement contradictoires(24).

Un droit citoyen

L'environnement est l'affaire de tous. Cette évidence signifie que chacun est à la fois acteur et victime de l'environnement, pollueur et pollué. C'est la raison pour laquelle le code de l'environnement a proclamé que l'environnement est le patrimoine commun de la nation ce qui engage chacun à contribuer à le surveiller et à le préserver.

Cette implication à la fois individuelle et collective correspond bien à la nature spécifique du droit à l'environnement en tant que droit pouvant s'exercer aussi bien individuellement que collectivement. La Charte donne « à chacun » le droit de vivre dans un environnement sain. Mais les articles 2, 3, 4 et 7 visent « toute personne », ce qui inclut tant les personnes physiques que les personnes morales.

Le droit citoyen se manifeste par des obligations et des droits. Les entreprises, soucieuses de ne pas apparaître comme uniques responsables de la dégradation de l'environnement, tenaient à ce que le droit à l'environnement soit accompagné de devoirs. Mais la contribution des individus à la détérioration de l'environnement est sans commune mesure avec celle des entreprises. On peut d'ailleurs se poser la question de savoir si les « devoirs » ont leur place dans les déclarations de droits. Ce n'est pas la tradition constitutionnelle française. On ne trouve aucun devoir dans la Déclaration des droits de 1789 et dans le préambule de 1946 ne figure que « le devoir de travailler ». Selon certains, l'énoncé de devoirs évoque les régimes autoritaires. Quoiqu'il en soit, le préambule de la Constitution modifié pour la première fois depuis 1958, intègre les « devoirs. » Il eut été plus opportun de mentionner dans le préambule les « droits et principes », de préférence aux « droits et devoirs » dans la mesure ou les devoirs ont déjà leur place dans le code de l'environnement.

La Charte, dans son article 2, suivant immédiatement l'article sur « le droit à », explicite le devoir : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. » La formulation paraît bien timide. Si elle vise aussi bien les individus que les acteurs économiques, elle n'impose qu'un devoir limité qui pourrait se traduire simplement par une contribution financière (ce qu'évoque le verbe prendre part), et non par un engagement personnel, concret et quotidien.

Le libellé du projet de Charte est d'autant plus critiquable qu'il est en retrait par rapport à la loi. En effet dès 1976, après une adaptation en 1995, la loi proclame fermement : « il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement » (art. L. 110-2, al. 2, c. env.). Cette obligation est beaucoup plus mobilisatrice que celle de la Charte et devrait soit subsister en tant que telle dans le code ou être transférée dans la Charte. Elle est complétée par une obligation générale fondamentale qui devrait aussi trouver sa place dans la Charte : « les personnes publiques et privées doivent, dans toutes leurs activités, se conformer aux mêmes exigences » (art. L. 110-2, al. 3, c. env.).

Juridiquement, l'énoncé de devoirs n'a de portée réelle qu'accompagné de sanctions pénales ou administratives. Or il n'existe aucune sanction spécifique en cas de non respect de ce devoir général. Le code pénal se contente de placer parmi les intérêts fondamentaux de la nation « l'intégrité de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement » (art. L. 410-1, nouv. c. pén.). Le système répressif environnemental est tout entier basé sur des incriminations techniques et sectorielles qui rend très difficile la répression(25). En 2000 la codification de l'environnement à droit constant n'a pas permis d'organiser sérieusement un véritable droit pénal de l'environnement. La tentative d'une loi d'harmonisation pénale proposée par la ministre de l'environnement Mme Lepage échouera(26). Si la Charte devait maintenir un tel devoir général de protéger l'environnement, il devrait être accompagné au niveau législatif par une incrimination pénale générale du type de celle déjà formulée par plusieurs propositions de lois(27).

Mais, selon nous, plus importants que les devoirs sont les droits. La Charte proclame deux droits fondamentaux aux articles 1 et 7. L'un est général et sans limite législative, l'autre est relatif à l'information et à la participation et pourra être précisé voir limité par la loi.

Le droit de chacun « de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé » est un nouveau droit fondamental de l'homme. Certes le droit subjectif ainsi proclamé eut gagné à figurer dans le préambule lui-même, dans le corps de la Constitution, à l'article 1 ou dans un titre nouveau. On peut toutefois admettre que sur le plan de l'esthétique constitutionnelle le choix du gouvernement est acceptable à partir du moment ou la Charte, en vertu du premier alinéa du préambule complété, met sur le même rang constitutionnel la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946 et la Charte de l'environnement de 2003. La proclamation de ce droit en fait une norme constitutionnelle de pleine valeur qui ne pourra dès lors être considérée comme un simple objectif de valeur constitutionnelle.

Le droit à l'environnement ainsi reconnu se traduira par des possibilités nouvelles d'actions juridictionnelles, mais aussi par la concrétisation d'obligations positives à la charge de l'État en fonction des développements jurisprudentiels en cours du juge européen de Strasbourg(28). On pourra décliner des « droits à » diverses composantes de l'environnement, tels que le droit reconnu à chacun à « respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » (art. L. 220-1 c. env.)(29) ou le droit à l'eau(30).

La rédaction retenue par l'article 1 du projet de Charte n'est pas au niveau intellectuel des considérants. Vivre dans un environnement favorable à la santé revient à qualifier l'environnement de sain et renvoie aux remèdes ou habitudes de vie « bons pour la santé ». L'environnement semble pris ici au sens banal de cadre de vie. On est très proche de la qualité de la vie et très loin des relations entre l'homme et son milieu naturel. S'agissant d'un droit-créance, la Charte ne fait que réitérer le droit à la santé tiré du Préambule de 1946, élargi d'ailleurs par le Conseil constitutionnel au droit à la sécurité des personnes et des biens qui évoque un thème important du droit de l'environnement relatif aux risques majeurs(31). Le comité européen des droits sociaux, organe de contrôle du Conseil de l'Europe pour le respect de la Charte sociale européenne considère dans ses derniers rapports officiels que le droit à la protection de la santé prévu à l'article 11 de la Charte sociale européenne, impose une protection de l'environnement. C'est donc bien le droit à la santé qui implique une protection de l'environnement. Mais pour protéger l'environnement il ne suffit pas de protéger la santé(32). On notera la différence importante de formulation entre le Préambule de 1946 et la Charte de l'environnement. En 1946 la nation « garantit la protection de la santé », c'est une obligation positive pour l'État et la collectivité ; alors qu'en 2003 « chacun a le droit de vivre dans un environnement favorable à sa santé », c'est ici un droit individuel qui implique non seulement des prestations positives mais aussi des mécanismes administratifs et juridictionnels de réclamation tant à l'encontre de l'État que vis-à-vis des tiers.

Quant à l'environnement équilibré, on ne sait de quel équilibre il s'agit. Si le texte se réfère à l'article L. 110-2 du code de l'environnement, l'équilibre entre les zones urbaines et rurales ne mérite pas une mention constitutionnelle. S'il s'agit de l'équilibre écologique, il conviendrait de le préciser dans la mesure ou ce mot, d'origine scientifique, n'est pas utilisé dans les considérants. Or l'article 1 de la Charte, autant sinon plus que tous les autres, doit être compris par référence aux considérants dont le contenu scientifique et éthique est très marqué. L'équilibre concerne-t-il les rapports de l'homme et de la nature ou s'agit-il plus sûrement de l'équilibre naturel lui-même ? Selon l'exposé des motifs « l'environnement équilibré » recouvre le maintien de la biodiversité, l'équilibre des espaces et des milieux naturels, le bon fonctionnement des écosystèmes et un faible niveau de pollution. Il serait plus judicieux de mieux rattacher le nouveau droit de l'homme aux constats scientifiques des considérants en proclamant le droit à un environnement écologiquement équilibré préservant la biodiversité et en y ajoutant : les paysages et le patrimoine culturel.

La référence aux paysages pourra surprendre. Les Constitutions de l'Italie, de l'Allemagne, de la Suisse et du Portugal les mentionnent. Si la Charte ne définit pas à juste titre le concept d'environnement c'est que l'article L. 110-1 du code de l'environnement et plusieurs directives communautaires y pourvoient. Or toutes les énumérations des biens composant l'environnement ne manquent pas de citer les paysages. Une telle référence parait d'autant plus justifiée que le paysage, élément à la fois d'ordre naturel et culturel, est déjà intégré comme valeur environnementale collective dans le droit de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire et de l'environnement, et qu'il fait l'objet d'une convention spéciale signée par la France à Florence le 20 octobre 2000 et en cours de ratification(33). C'est pourquoi la Charte serait bienvenue d'intégrer le paysage comme patrimoine commun soit dans l'article 1 soit dans le 5 ° considérant accolé à la diversité biologique en s'inspirant de la stratégie paneuropéenne « de la diversité biologique et paysagère » adoptée par le programme des Nations unies pour l'environnement et le Conseil de l'Europe à Sofia en 1995. Dans la mesure ou les biens culturels sont indispensables à la qualité de l'environnement humain, et compte tenu de la volonté politique d'insister sur ce qui constitue l'humanisme de l'environnement, il serait bon de mentionner le patrimoine culturel comme indissociable du patrimoine naturel. L'évocation faite dans le rapport Coppens du projet de Charte du Conseil de l'Europe relative aux principes généraux pour la protection de l'environnement et le développement durable (p. 48) trouverait tout son sens puisqu'il lie étroitement le patrimoine commun naturel aux biens du patrimoine historique, architectural et archéologique qui sont totalement absents du projet de Charte constitutionnelle(34).

On peut rattacher à ce droit général à l'environnement les dispositions des articles 8 et 9 de la Charte concernant l'éducation et la recherche. Il n'est pas certain que l'éducation et la recherche aient leur place dans un texte constitutionnel, sauf à transformer celui-ci en programme d'action, ce qui n'est pas du tout la tradition constitutionnelle française. C'est la pression des membres non juristes de la commission Coppens et les demandes de l'opinion qui semblent avoir influencé le gouvernement au risque d'alourdir la Charte. On remarquera la formulation retenue à l'article 8 qui considère l'éducation et la formation à l'environnement comme une sorte de condition préalable à l'exercice des droits et devoirs sur l'environnement. Le Préambule de 1946 garantit déjà l'accès de tous à l'éducation devenue une priorité nationale de par la loi (art. L. 111-1, c. éduc.); l'environnement, en tant que nouvelle discipline, en est automatiquement bénéficiaire à la condition que des enseignements spécifiques soient organisés, ce qui n'est pas le cas. La Charte donnerait en plus une sorte de priorité à l'éducation en matière d'environnement. Elle implique, à tout le moins, un sérieux effort en la matière, requis en tout état de cause par la Convention d'Aarhus. En effet cette convention du 25 juin 1998 prévoit dans son article 3-3 : « Chaque partie favorise l'éducation écologique du public et sensibilise celui-ci aux problèmes environnementaux afin notamment qu'il sache comment procéder pour avoir accès à l'information, participer au processus décisionnel et saisir la justice en matière d'environnement. » C'est là une véritable éducation civique et juridique à l'environnement.

Quant à la recherche, elle ne contribue pas à l'exercice des droits et devoirs, ce qui aurait été tout à fait concevable compte tenu de son caractère déterminant dans les politiques de l'environnement. Est-ce parce que la recherche n'est pas encore reconnue comme une valeur fondamentale de niveau constitutionnel, mais comme une obligation simplement législative relevant des obligations de service public de l'enseignement supérieur (art. L. 123-2 et 3, c. éduc.)? Elle se contente d'apporter son concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement. Pourquoi ne pas alors y ajouter : « à la restauration, la remise en état et la gestion de l'environnement » ?

Le deuxième droit fondamental énoncé comme tel par la Charte est le droit de toute personne à l'information et à la participation de l'article 7. C'est en effet un droit indissociable du droit à l'environnement. Il a déjà largement été mis en oeuvre par la loi(35). Le code de l'environnement y consacre le titre II du livre premier sur les dispositions générales qui traite du débat public, des études d'impact, des enquêtes publiques et de la liberté d'accès aux informations. Contrairement au droit général à l'environnement, ce droit n'est pas absolu puisqu'il est conditionné par la loi. Mais il est étroitement lié au droit de l'homme à l'environnement dont il constitue une des principales procédures de mise en oeuvre. La Convention d'Aarhus du 25 juin 1998 en est la preuve directe puisque son article 1 impose le droit d'accès aux informations, la participation du public à la décision et l'accès à la justice en matière d'environnement en tant que contribution à la protection du « droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien être »(36). En réalité ce droit est devenu très largement conditionné par le droit communautaire et le droit international. Le texte proposé distingue bien l'information de la participation contrairement à la rédaction de la loi Barnier maladroitement corrigée par la loi démocratie de proximité (art. L. 110-1-II-4 °, c. env. tel qu'il résulte de l'art. 132 de la loi du 27 févr. 2002). L'enjeu le plus grand dans la mise en oeuvre du principe de participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement est sa traduction dans la procédure administrative non contentieuse, notamment pour satisfaire aux obligations qui s'imposent à la France en vertu de l'article 8 de la Convention d'Aarhus. Si la participation du public aux décisions relatives à des activités particulières est bien encadrée par le droit des enquêtes publiques et la commission nationale du débat public, la participation à l'élaboration des plans, programmes et politiques, l'est moins systématiquement. Quant à la participation à l'élaboration des dispositions réglementaires d'application générale, elle reste couverte par le secret protégeant les documents préparatoires. La nouvelle Charte combinée avec la Convention d'Aarhus va contribuer à l'avenir à la naissance d'un nouveau droit de la participation en matière d'environnement obligeant l'administration à publier les projets de décrets, à fixer des délais pour les commentaires du public et à prendre en considération ses observations. Cette transparence dans l'élaboration de textes généraux ne fera que s'aligner sur le processus de décision communautaire (dont on sait que les projets sont publiés dans l'édition C du JOCE) et sur le droit administratif du Canada et des États-Unis qui connaissent depuis plus de cinquante ans la fameuse procédure de « notice and comment » qui permet au public de participer à l'élaboration des décisions publiques(37).

Un paradoxe, parmi d'autres, de la réforme constitutionnelle en cours concerne les modalités de la participation à l'élaboration de la réforme elle-même. On a pu, à juste titre, souligner l'effort inédit, en matière constitutionnelle, d'association du public aux réflexions préliminaires : commission ouverte, questionnaire auprès du public, site Internet, assises régionales. Mais ces consultations ne portaient pas sur un projet de texte. Ni l'avis du Conseil d'État, ni le projet de loi constitutionnel avant son adoption par le Conseil des ministres, n'ont été accessibles au public(38). Pour satisfaire à l'article 8 de la Convention d'Aarhus qui vise les instruments normatifs juridiquement contraignants et, par anticipation aux dispositions de l'article 7 de la Charte, il eut suffi de rendre public le projet du gouvernement avant sa transmission au Conseil d'État et de fixer un délai (par exemple un mois) pour donner au public la possibilité de formuler des observations. La presse consciente d'une certaine frustration du public sur un sujet qui par définition intéresse tout le monde, a organisé un débat sur le texte de la Charte en proposant aux lecteurs d'améliorer le projet en vue de transmettre leurs amendements au Parlement(39).

L'adoption de la Charte constitutionnelle de l'environnement aura non seulement pour effet d'obliger à réformer les premiers articles du code de l'environnement, en veillant à ce que les acquis juridiques environnementaux soient préservés, mais elle entraînera aussi, directement et indirectement, à court terme et à long terme, législativement, réglementairement ou juridictionnellement, des transformations profondes du droit de l'environnement grâce à la nouvelle impulsion donnée aux politiques concernant l'environnement(40). Selon la ministre de l'écologie et du développement durable : « la Charte pose des principes constitutionnels sur lesquels pourra s'appuyer un véritable droit de l'environnement, avec pour objectif plus d'efficacité dans la lutte contre les atteintes à l'environnement et dans la mise en oeuvre du développement durable »(41). Le droit de l'environnement saisi par la Constitution devrait en effet engendrer un ordre juridique environnemental transformé. Un droit de l'environnement nouveau est en marche, il est entre les mains du peuple français et de ses juges.

(1) V. « Le droit de l'homme à l'environnement en droit constitutionnel comparé dans les États de la Communauté européenne », RJE, n° 4-1994 ; et des extraits de constitutions étrangères dans réponse à question écrite de M. Jacques Oudin, JO, Sénat, 31 juill. 2003, p. 2468, et dans RJE, n° spécial 2003, « la Charte constitutionnelle en débat », p. 139.
(2) D. Perben, « Garde des Sceaux et ministre de la Justice », discours au colloque sur la Charte de l'environnement : enjeux scientifiques et juridiques, Paris, 13 mars 2003, dans Association française pour l'avancement des sciences, juin 2003, p. 44.
(3) A. Kiss, La notion de patrimoine commun de l'humanité, Cours La Haye, t. 175, p. 109 ; M. Rémond-Gouilloud, « L'autre humanité », in Les hommes et l'environnement, en hommage à A. Kiss, Frison Roche éd., 1998, p. 55.
(4) A. Barrau, Rapport d'information sur les relations entre l'Union européenne et les entités régionales, Assemblée nationale, n° 3211, 28 juin 2001, p. 75 ; décret n° 2003-811 du 22 août 2003 portant publication de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume de Suède relatif à la création d'un groupe de travail international sur les biens publics mondiaux signé à Paris le 9 avril 2003 (JO, 29 août 2003).
(5) J. Attard, « Le fondement solidariste du concept »environnement-patrimoine commun» », RJE, n° 2-2003, p. 161.
(6) M.-A. Cohendet, « Les effets de la réforme », RJE, n° spécial sur « la Charte constitutionnelle en débat », 2003, p. 51.
(7) J. Chirac, discours à Orléans le 3 mai 2001 reproduit dans la RJE, n° spécial, cit., 2003, p. 77.
(8) M. Prieur, Droit de l'environnement, Précis Dalloz, 5e éd., 2003, n° 77.
(9) Proposition de loi constitutionnelle de Mme Ch. Boutin et autres tendant à l'inscription du concept de développement durable dans l'exposé des motifs des propositions et projets de lois, Ass. nat. n° 867, 20 mai 2003.
(10) Circulaire du 26 août 2003 relative à la maîtrise de l'inflation normative et à l'amélioration de la qualité de la réglementation (JO, 29 août).
(11) G. Martin, « La responsabilité civile pour les dommages à l'environnement et la Convention de Lugano », RJE, 1994, p. 213.
(12) Proposition de directive du 23 janvier 2002 (JOCE - C du 25 juin 2002); P. Steichen, « La proposition de directive sur la responsabilité environnementale », RJE, n° 2, 2003, p. 177 ; Rapport d'information au titre de l'article 88-4 de la Constitution, par P. Lequiller sur la proposition de directive, Assemblée nationale n° 866 du 20 mai 2003.
(13) Art. 174-2 du traité instituant la Communauté européenne. V. H. Smets, « Le principe pollueur-payeur dans le rapport de la commission Coppens », RJE, n° spécial 2003, p. 71 ; réponse à question écrite sur l'application généralisée au plan international du principe pollueur payeur, JO, Sénat, 7 févr. 2002, p. 362.
(14) J. Lamarque, « Fiscalité écologique et égalité devant l'impôt : faux principes et fausses applications des principes », Mélanges B. Jeanneau, Dalloz, 2002, p. 183 ; l'auteur, tout en démontrant que le principe pollueur payeur est un faux principe, considère que son utilisation à l'article L. 110-II-3 °, c. env., ne vise que la prévention et non la réparation.
(15) G. Viney : « Il n'est pas du tout évident qu'il faille en limiter la portée en subordonnant sa mise en oeuvre à la preuve d'une faute de l'exploitant, au demeurant très difficile à établir en ce domaine », intervention au colloque sur les enjeux scientifiques et juridiques de la Charte du 13 mars 2003 à Paris, dans Association française pour l'avancement de la science, la Charte de l'environnement, juin 2003, p. 39.
(16) Lorsque le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Rec. p. 74 déclare au considérant 6 que le principe de précaution ne constitue pas un objectif de valeur constitutionnelle, il le fait non pas dans un contexte relatif à l'environnement mais à propos de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse.
(17) Devenue autorité administrative indépendante depuis l'article 134 de la loi démocratie de proximité du 27 février 2002 (art. L. 121-1, c. env.).
(18) L'indépendance des experts doit être garantie par un minimum de règles ; ainsi par exemple pour un groupe de travail au sein de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé il a été décidé que les membres du groupe de travail ne devaient avoir aucun lien direct ou indirect avec les entreprises dont les activités sont soumises au groupe (déc. du 5 août 2003, JO, 29 août 2003); cette règle élémentaire de déontologie professionnelle devrait devenir une obligation générale.
(19) L. Favoreu et alii, Droit constitutionnel, 5e éd., 2002, n° 1243.
(20) Proposition de loi constitutionnelle de A. Santini, Ass. nat. n° 1559 du 28 juin 1990 ; proposition de M. Barnier dans son rapport à l'Assemblée nationale, n° 1227 du 11 avr. 1990.
(21) L. Favoreu, op. cit., n° 1220.
(22) Art. L. 229-1, c. env., issu de la loi du 19 février 2001 portant création d'un observatoire national sur les effets du réchauffement climatique codifiée par l'article 31-III de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit.
(23) V. Saint James, La conciliation des droits de l'homme et des libertés en droit public français, PUF, 1995.
(24) Cas de la publicité en faveur de l'alcool et du tabac mettant face à face la liberté d'entreprendre et la protection de la santé, Favoreu, op. cit., n° 1342 (déc. 90-283 DC du 8 janv. 1991, Rec. p 11, lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme).
(25) D. Guihal, Droit répressif de l'environnement, éd. Economica, 2e éd., 2000.
(26) J. H. Robert, « Le droit pénal dans le code de l'environnement », Droit de l'environnement, n° spécial, Victoires éditions, janv. 2001, n° 85, p. 12.
(27) Proposition de loi M. Ciccolini, Sénat, n° 292, 6 avr. 1978 ; proposition de loi M. Hunault, Assemblée nationale n° 614, 13 févr. 2003.
(28) J.-P. Marguénaud, « Inventaire raisonné des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme relatifs à l'environnement », RED env., n° 1-1998, p. 5 ; observations sous l'arrêt de la CEDH, Oneryildiz c/ Turquie du 18 juin 2002, RED env., n° 1-2003, p. 67 ; Y. Winisdoerffer, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et l'environnement », RJE, n° 2-2003, p. 213.; Cath. Laurent, « Le droit à la vie et l'environnement », Droit de l'environnement, Victoires éd., n° 107, avr. 2003, p. 71.
(29) Et CEDH, Lopez Ostra, 9 déc. 1994, JCP 1995.I.3823, chron. F. Sudre, n° 33.
(30) H. Smets, « Le droit de chacun à l'eau », RED env., n° 2, 2002, p. 129.
(31) Cons. const., déc. 80-117 DC du 22 juill. 1980, Rec. p. 42.
(32) Ch. Cans, « Réflexions insolentes sur la place croissante des préoccupations sanitaires dans le droit de l'environnement », Droit de l'environnement, Victoires éd., n° 80, 2000, p. 10.
(33) R. Priore, « La convention européenne du paysage ou de l'évolution de la conception juridique relative au paysage en droit comparé et en droit international », RED env., n° 3, 2000, p. 281 ; M. Prieur, « La convention européenne du paysage », Naturopa, n° 98-2002, Conseil de l'Europe, Strasbourg ; et RED env., n° 3, 2003.
(34) Projet de Charte européenne, CO-DBP (2003), 2 du 13 déc. 2002, Strasbourg, Conseil de l'Europe.
(35) B. Delaunay, « De la loi du 17 juillet 1978 au droit à l'information en matière d'environnement », AJDA, n° 25, 14 juill. 2003, p. 1316.
(36) « La convention d'Aarhus », n° spécial, Rev. jur. env., 1999 (la convention d'Aarhus en vigueur le 6 oct. 2002 a été publiée par le décret n° 2002-1187 du 12 sept. 2002, JO du 21 sept. 2002).
(37) M. Prieur, Étude relative à la mise en place d'une procédure administrative de consultation et de participation préalable à l'élaboration des textes réglementaires en matière d'environnement, CRIDEAU-CNRS, Limoges, ministère de l'Environnement, 1994.
(38) J.-M. Février, « Élaboration de la Charte de l'environnement et principe de participation », Environnement, éd. du Jurisclasseur, n° 6, juin 2003, p. 23.
(39) La Croix, M. Verdier, Charte de l'environnement, participez au débat !, 27 août 2003, p. 8 et 9, en collaboration avec les magazines Phosphore et Terre sauvage.
(40) On ne peut cependant nier les risques liés aux problèmes complexes d'interprétation et d'articulation entre la Charte constitutionnelle et le droit communautaire et international, v. à ce propos M.-A. Cohendet, « Les effets de la réforme », RJE, n° spécial, 2003, p. 51.
(41) Réponse à la question écrite de M. Serge Mathieu, Sénat, JO, 24 juill. 2003, p. 2390.