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Textes à l'appui : sélection d'arrêts du Tribunal constitutionnel portugais*

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 10 (Dossier : Portugal) - mai 2001

Les trois arrêts ici publiés ont été choisis par les services du Tribunal constitutionnel portugais, parmi les plus récents, en vue d'illustrer l'approche du problème, qui se pose au Portugal, de la limitation des pouvoirs de contrôle du Tribunal constitutionnel face à la compétence des autres juridictions, lequel est semblable à la question qui se pose dans d'autres pays dans le domaine du « recours d'amparo » (Espagne) ou de la « verfassungsbeschwerde » (Allemagne).

Arrêt no 205/99 du 7 avril 1999

Affaire no 222/98
2e Chambre
Rapporteur : Maria Fernanda Palma
Le Tribunal constitutionnel, réuni en 2e Chambre, arrête :

I. Rapport

1. A.C. a été accusé le 1er septembre 1994 de violences corporelles involontaires, infraction prévue par l'article no 148-1 du Code pénal de 1982, dans sa rédaction antérieure au décret-loi no 48/95 du 15 mars 1995, punie d'une peine de prison maximale de six mois et un sursis maximal de cinquante jours.

Par décision du 23 septembre 1997, la neuvième Chambre criminelle de Lisbonne déclara la procédure criminelle prescrite, le délai de deux ans prévu à l'article 117-1/d du Code pénal de 1982 étant écoulé sans qu'entre-temps ne fût intervenue une quelconque cause susceptible d'interrompre ou de suspendre ce délai de prescription, aux termes des articles 119 et 120 du Code pénal. L'affaire fut donc classée. Le requérant(1), J.A., fit appel de ce jugement, en invoquant l'interruption du délai de prescription de la procédure pénale avant le 12 décembre 1995, date à laquelle l'accusé fût convoqué en vue de recueillir ses premières déclarations dans la phase d'enquête. Le recours était fondé sur une interprétation « nécessairement actualiste(2) » de l'article no 120 1/a du Code pénal. Alors que, en vertu du Code de procédure pénale de 1929, le législateur de 1982 considérait que la prescription était interrompue par l'ouverture de l'instruction préliminaire, la révision de 1987 propose de reporter cette interruption à la date de mise en accusation qui ouvre la phase d'enquête (art. 57, C. pr. pén.).

Dans son mémoire, l'accusé soutient que cette interprétation violerait les articles 120-1/a et 2-1 du Code pénal, l'article 9-2 du Code civil « parce que l'interprétation proposée ne se base pas sur la lettre du texte légal », ainsi que les articles 29-1 et 3, et 32-1 et 4 de la Constitution de la République Portugaise.

2. L'arrêt de la cour d'appel de Lisbonne rendu le 20 janvier 1998 sur le recours présenté par le requérant, décida que le délai de prescription de la procédure criminelle n'était pas échu, sur les fondements suivants :

1o il aurait fallu procéder à une interprétation extensive de l'article 120-1/a du Code pénal, au motif que « l'article 4 du Code de procédure pénale ne l'interdit pas et dans la mesure où la convocation de l'accusé par le ministère public pour son interrogatoire et la tenue de ce dernier ont un effet interruptif du délai de prescription de la procédure criminelle ». Cette interprétation s'imposerait, en premier lieu, par le caractère obligatoire de l'acte de mise en accusation. « Dès lors que, l'enquête étant engagée contre une personne déterminée, celle-ci fait des déclarations devant une autorité judiciaire quelconque ou un organe de police criminelle, il s'agit d'un acte de procédure qui donne à cette personne le statut d'accusé lequel, de ce fait, devient sujet de droits et obligations énoncés à l'article 61 du Code de procédure pénale ». En second lieu, parce que le ministère public peut prendre des actes décisoires, conformément à l'article 97 du Code de procédure pénale ;

2o l'article 11/a du décret-loi no 48/95 du 15 mars 1995, qui a approuvé le Code pénal révisé, circonscrirait le champ d'application de l'alinéa a) de l'article 120-1 du Code pénal de 1982 relatif à l'instruction préliminaire, dans sa version originelle, à la période pendant laquelle le Code de procédure pénale de 1929 était en vigueur. Ce texte aurait établi que, dans les procédures engagées jusqu'au 31 décembre 1987, la prescription de la procédure criminelle était interrompue par la convocation aux premières déclarations, à la comparution ou à l'interrogatoire de l'intéressé en tant qu'accusé dans l'instruction préliminaire. Cela signifierait que « le législateur a reproduit la norme de l'article 120-1/a du Code pénal de 1982 dans sa version originelle, la reportant à la période pendant laquelle était en vigueur le Code de procédure pénale de 1929 » et que « la norme de l'article 11/a du décret-loi no 48/95 du 15 mars 1995 renforce l'interprétation extensive ou actualiste de l'article 120-1/a du Code pénal de 1982 pour la période à partir de laquelle le Code de procédure pénale de 1987 est entré en vigueur ».

3. Cet arrêt de la cour d'appel de Lisbonne fit l'objet d'un recours près le Tribunal constitutionnel, conformément aux articles 2 et 70-1/b et f de la loi relative au Tribunal constitutionnel, sur le fondement que l'article 120-1/a du Code pénal de 1982, objet de l'interprétation extensive défendue dans l'arrêt cité, serait inconstitutionnel pour violation des articles 29-1 et 2, et 32-1 et 4 de la Constitution.

Devant le Tribunal constitutionnel, le ministère public souleva la question préalable de l'incompétence du Tribunal constitutionnel à connaître du recours, au motif que la question de constitutionnalité n'aurait pas été soulevée pendant le procès de manière adéquate, et n'aurait pas été portée aux conclusions de la pièce de procédure en cause. Subsidiairement, le ministère public admit que l'article 120-1/a du Code pénal violerait l'article 29-4 de la Constitution.

Le défendeur souleva également la question préalable de l'incompétence du Tribunal constitutionnel, en faisant valoir que la question de constitutionnalité n'avait pas été soulevée pendant le procès.

Le requérant répliqua qu'il avait soulevé la question de constitutionnalité avant le jugement du tribunal contesté, dans son mémoire final. Il justifia sa position par la prétendue absence d'une exigence expresse d'invocation formalisée de l'inconstitutionnalité, qui imposerait que cette question fût soulevée au moment des conclusions. Par ailleurs, le requérant argua que le non examen de cette question par la décision contestée n'affecte pas, en lui-même, la recevabilité du recours fondé sur ladite question devant le Tribunal constitutionnel. Le contraire constituerait une incompréhensible « limitation du droit au recours », si la décision contestée avait effectivement appliqué la norme.

II. Motivation

A. La question normative objet du recours en appréciation de constitutionnalité

4. L'objet du présent recours en appréciation de constitutionnalité est la confrontation d'une interprétation de l'article 120-1/a du Code pénal de 1982 aux articles 29-1 et 2, et 32-1 et 2 de la Constitution.

Une telle confrontation s'apparente-t-elle à une véritable question de constitutionnalité normative, pour laquelle le Tribunal constitutionnel est compétent, ou aurait-elle seulement pour objet de faire apprécier une éventuelle contradiction entre la décision contestée, dans sa substance purement décisoire, et la Constitution ?

La conclusion selon laquelle le Tribunal constitutionnel est confronté, dans ce cas, à une véritable question de constitutionnalité normative s'impose, même si une telle question devait résulter du fait que le tribunal contesté est parvenu à un résultat interprétatif contraire au principe d'interprétation restrictive des normes pénales.

En effet, plusieurs raisons laissent penser que la question soulevée ne prétend pas seulement susciter une simple révision par le Tribunal constitutionnel de la décision contestée.

Ainsi, le requérant ne soumet-il pas à l'appréciation du Tribunal constitutionnel un procédé interprétatif ponctuellement utilisé dans la décision contestée, en l'espèce l'insertion du cas concret dans un champ normatif prédéterminé par le juge. Ce n'est pas la subordination du cas d'espèce au cadre logique découlant de l'interprétation de la norme qui est véritablement en cause, mais plutôt une certaine interprétation attribuée à l'article 120-1/a. En réalité la question est de savoir si la détermination du sens de la norme, qui ferait de « la notification à l'accusé de la convocation du ministère public pour interrogatoire et de la réalisation de celui-ci » un cas d'interruption de la prescription, est une interprétation normative compatible avec la Constitution, au regard des articles 29-1 et 3 et 32-1 et 4. C'est donc le contenu final de l'interprétation, ou en d'autres termes le résultat interprétatif qui permet de déterminer la norme s'appliquant au cas d'espèce, norme dont l'application ne découle éventuellement pas de la Constitution, qui est soumis au contrôle de constitutionnalité.

À cela s'ajoute que ce contenu interprétatif n'est pas seulement déterminé par le cas d'espèce, mais correspond aussi à une référence hautement abstraite, sur laquelle se fonde une jurisprudence qui a utilisé la même perspective d'interprétation pour des cas identiques.

La question de constitutionnalité procède ainsi des conditions de l'interprétation. Il ne s'agit pas simplement des conditions d'application de la norme au cas concret, c'est-à-dire d'une situation où le requérant soulèverait seulement la correction logico-juridique de l'inclusion du cas dans la norme. Il s'agit en fait d'indiquer avec précision les critères juridiques génériquement et abstraitement rattachés par le juge au texte légal pour décider de cas semblables. En l'espèce, le juge a conféré à la norme une portée qui, selon le requérant, ne correspond pas fidèlement aux mots du législateur, violant ainsi le principe de légalité. C'est cette portée normative que le requérant veut voir appréciée.

Or, le Tribunal constitutionnel ne peut s'abstenir de contrôler la portée normative attachée par le juge à une loi, même lorsque celle-ci résulte d'une application analogique, dans des cas où sont constitutionnellement interdits certains modes d'interprétation ou l'analogie. Le résultat du processus d'interprétation ou de création normative (aussi bien de simples dimensions normatives que de normes autonomes), consubstantiel à l'activité interprétative des tribunaux, ne peut échapper au contrôle de constitutionnalité par les tribunaux de droit commun et par le Tribunal constitutionnel, lorsque la Constitution elle-même impose des limites très précises à de tels modes d'interprétation ou de création normative, limites qui retirent au juge toute faculté créative.

5. Il s'agit également de savoir si l'objet du recours est effectivement l'article 120-1/a du Code pénal ou une norme construite par le juge pour combler une lacune par analogie, conformément à l'article 10-1 et 2 du Code civil. Notons, d'abord, que dans les deux cas, nous sommes confrontés à une norme dont la conformité à la Constitution peut faire l'objet d'un recours devant le Tribunal constitutionnel. Dans la première hypothèse, il faudrait conclure que l'application analogique constitue aussi une activité interprétative, au sens large, ayant pour résultat une composante normative qui peut contrarier des normes ou principes constitutionnels. Dans la seconde hypothèse, une norme non écrite serait en cause et serait également susceptible d'être confrontée à la Constitution, aussi bien quant à son contenu que quant à sa genèse (le fait qu'elle soit obtenue moyennant une application analogique proscrite par l'article 29-1 et 3 de la Constitution l'entacherait d'inconstitutionnalité matérielle).

Néanmoins, cette question finit par n'avoir qu'une portée théorique dans la mesure où est toujours en cause la question de savoir si la norme qui détermine l'interruption de la prescription, obtenue à partir de l'article 120-1/a, est compatible avec la Constitution. Et, indépendamment de la contestation d'une interprétation extensive (ou application analogique) de cette norme légale, ce qui est en cause est de savoir si la norme, dimension, sens ou interprétation obtenus contrarient ou non, dans leur genèse, le principe de légalité et, concrètement, l'exigence de lex certa qui leur est consubstantielle.

B. La question préalable de l'irrecevabilité du recours pour défaut de soulèvement de la question de constitutionnalité pendant le procès

6. Dans son mémoire (p. 269), le requérant se réfère expressément à la violation des articles 29-1 et 3, et 32-1 et 4 de la Constitution par l'article 120-1/a du Code pénal de 1982. Seul le mode selon lequel a été soulevée la question de constitutionnalité devant le tribunal d'appel peut donc être examiné, et non, dans l'absolu, son défaut de soulèvement.

Quant au mode de soulèvement, il faut conclure que la question de constitutionnalité a été explicitement soulevée, dès lors que l'argument tiré d'une violation des « garanties offertes par la Constitution » ainsi que la référence aux préceptes constitutionnels sont un des fondements du mémoire du requérant. Par ailleurs, l'exigence légale de porter les questions soulevées aux conclusions des allégations du recours (art. 690 du C. pr. civ.) ne peut être comprise dans un sens excessivement formaliste puisqu'il suffit que de telles questions se révèlent être des conclusions logiques du recours. Il est donc possible de dire que la question de constitutionnalité étant l'argument central du recours, elle doit être entendue comme une conclusion du recours et que, de ce fait, elle exige une décision par le tribunal du recours, d'acceptation ou de rejet.

Le fait que l'arrêt prononcé par la cour d'appel n'ait pas examiné explicitement cette question ne signifie pas que l'application qu'il a faite du droit ait nécessairement impliqué une réponse négative à la question de constitutionnalité. Le défaut de problématisation de la question de constitutionnalité dans le texte de l'arrêt ne fait pas obstacle à une véritable décision sur cette même question (sur les pouvoirs d'interprétation du Tribunal constitutionnel quant au sens des décisions contestées, cf. entre autres, l'arrêt no 184/90, DR, II Série, 21 mai 1996). De telle sorte que le Tribunal doit connaître de la question de constitutionnalité soulevée par le requérant, et rejeter la question préalable soulevée tant par le ministère public que par l'autre défendeur.

Par ailleurs, l'invocation par le requérant de l'article 70/f (recours de légalité) de la loi relative au Tribunal constitutionnel est sans objet puisqu'il est impossible de discerner une quelconque question de légalité au sens du dit article.

C. L'éventuelle inconstitutionnalité de l'article 120-1/a du Code pénal de 1982, pour violation des articles 29-1 et 4, et 32-1 et 4 de la Constitution

7. Le problème de la constitutionnalité soulevé par l'article 120-1/a du Code pénal de 1982, comporte deux aspects.

Le premier est le doute sur l'interprétation de l'article 120-1/a du Code pénal de 1982, après l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale de 1987, s'agissant du moment de la constitution de l'accusé dans un procès pénal. Correspond-t-elle à une interprétation extensive ou à une analogie de ladite norme quant à l'interruption du délai de prescription de la procédure criminelle ? Le second est la mise en conformité de tels procédés interprétatifs avec la Constitution, dans l'institution de l'interruption du délai de prescription.

L'examen de ces questions s'impose car le problème de la prescription de la procédure criminelle est habituellement soumis par la doctrine aux nombreux filtres limitatifs de l'interprétation juridique et de l'application de la loi dans le temps en droit pénal, notamment par obligation constitutionnelle (à propos de la nature de l'institution de la prescription en général, et de ses relations avec le principe de légalité, cf. Eduardo Correia, « Les actes de procédure qui interrompent la prescription », Revue de législation et de jurisprudence, 94e année, p. 353, et 108e année, p. 361 et s.; Figueiredo Dias, Conséquences juridiques du crime, 1993, p. 698 et s.). La soumission de la prescription aux conséquences du principe de légalité a été problématisée en fonction de sa qualification comme institution de droit pénal substantive ou adjective. Mais, indépendamment du traitement des relations entre la prescription et le principe de légalité sur le plan de la classification, une construction dogmatique basée sur les fondements spécifiques de la prescription indépendamment de sa nature pénale ou procédurale justifie l'institution pour des raisons à la fois de nécessité de la peine et de contrôle du pouvoir punitif de l'État (cf. Fernanda Palma, « Principe de l'application rétroactive de la loi (pénale) la plus douce et changement des délais de prescription », Rev. fisc., no 34, 1991). En effet, l'écoulement du temps n'implique pas seulement l'inutilité de la peine, lorsque le fait a déjà été assimilé ou oublié par la société, mais également une responsabilisation de l'État pour son inertie ou son incapacité à faire appliquer le droit dans le cas d'espèce (cf. à propos de cette dimension de garantie d'objectivité, inhérente à la légalité et à l'interdiction de la rétroactivité, Jakobs, Strafrecht, Allgemeiner Teil, 2e éd., p. 95 et s.).

Ce raisonnement a des effets sur l'interruption de la prescription, dans la mesure où la reprise de la computation du délai de prescription se justifie par une intervention des organes titulaires du pouvoir punitif, traduisant objectivement la possibilité effective que la règle générale s'applique dans le cas concret.

La prescription est en effet une institution qui met en cause une logique de relation punitive dans laquelle il est réclamé de l'État, titulaire du pouvoir de punir, une intervention rapide et efficace dans la définition et l'application du droit au cas concret. L'interruption de la prescription s'explique par la démonstration de la capacité et de la volonté de mettre en oeuvre les moyens adéquats à l'exercice ou à la continuité de l'exercice de l'action pénale. Une simple activité d'investigation ne suffit donc pas à interrompre la prescription.

8. En dépit, d'une part, de la non interdiction du raisonnement analogique sur la prescription et, d'autre part, du caractère douteux de l'existence d'un véritable droit de l'agent au bénéfice de l'inertie de l'État dans la procédure pénale, la prohibition de l'analogie en matière de prescription, notamment quant aux causes interruptives de la prescription, est sans doute justifiée par ledit contrôle du pouvoir punitif de l'État par le droit. De telle sorte que, sans la preuve de faits prévus par la loi pénale (domaine réservé à la loi) qui indiqueraient une volonté effective et continue du pouvoir punitif de l'État, il ne sera pas possible d'établir de causes interruptives de la prescription.

Ainsi, même si la garantie de la prévisibilité des délais de prescription pour les auteurs réels ou hypothétiques des crimes ne suffit pas à justifier l'interdiction de l'analogie, cette dernière s'impose eu égard à la sécurité démocratique et au contrôle de l'exercice du pouvoir punitif, lequel ne peut être exercé sans limites objectives démocratiquement stipulées. Au moins, en ce sens, l'interdiction du raisonnement analogique quant aux règles de la prescription, rejoint-elle la justification de la même interdiction appliquée à l'incrimination et s'insère-t-elle dans le domaine réservé à la loi pour la définition des crimes et des peines, prévue à l'article 168-1/b de la Constitution.

9. A-t-il été procédé dans l'application de l'article 120-1/a du Code pénal, à un véritable comblement des lacunes par analogie ? En tirant de ce précepte une règle qui n'y était pas explicitement prévue - celle selon laquelle l'interruption de la prescription (laquelle ne pouvait plus intervenir avec la notification pour l'instruction préliminaire au motif que l'instruction préliminaire ne figurait plus dans le système) serait déterminée par le premier interrogatoire de l'accusé, conformément au système institué par le Code de procédure pénale de 1987 -, comblerait-on une « lacune de réglementation » ? Il y a lieu de se demander si, après l'entrée en vigueur du Code pénal de 1987, qui a supprimé le système dans lequel s'insérait l'instruction préliminaire, il a été de la volonté du législateur de remplacer celle-ci par le premier interrogatoire de l'accusé, s'appuyant aussi sur la rédaction primitive de l'article 120-1/a du Code pénal.

La réponse serait sans doute positive si l'on admettait l'interprétation actualiste de ce texte. En maintenant le contenu de l'article 120-1/a du code pénal après avoir supprimé l'instruction préliminaire par la révision du Code pénal en 1987, la volonté implicite du législateur a été de considérer cette disposition comme conforme au dit Code pénal de 1987. Selon cette interprétation, le maintien de l'article 120-1/a dénoterait l'intention du législateur de substituer à la notification de l'accusé dans le cadre de l'instruction préliminaire la convocation au premier interrogatoire dans l'enquête.

Une telle intention ne pourrait cependant être déduite de la lettre de l'article 120-1/a à lui seul, mais seulement de la conjonction de ce texte avec le sens de la situation générée par la non-articulation de la réforme de la procédure pénale avec le contenu du Code pénal. Le sens du texte pénal serait alors déterminé par l'inertie législative même.

Un tel raisonnement résultant d'une interprétation de l'inertie législative quant à la reformulation de l'article 120-1/a, conduirait à une interprétation actualiste du texte. Ce serait cependant toujours le texte de la loi - le texte maintenu - qui conduirait à l'identification du critère correspondant fourni par le Code de procédure pénale de 1987.

10. Il s'agit alors de savoir si cette interprétation actualiste de l'article 120-1/a du Code pénal ne correspond pas, en réalité, à une analogie déguisée grâce à laquelle on colmaterait une « lacune de réglementation » générée par la réforme de la procédure pénale.

L'interprétation actualiste en cause, qui transpose la référence contenue à l'article 120-1/a du Code pénal de 1982 au contenu des normes du Code de procédure pénale de 1929 les plus proches du nouveau système pénal, dépasse, en fait, une simple détermination du sens actuel des mots. Une détermination du sens actuel des mots peut par exemple intervenir parallèlement à l'évolution du champ concerné par un concept, afin d'y intégrer des réalités qu'on ne pouvait antérieurement envisager, comme, par exemple, l'intégration des armes chimiques au concept d'arme, primitivement envisagé pour les seuls moyens mécaniques (cf., pour cet exemple, Arthur Kaufmann, Analogie und Natur der Sache, 1982, p. 70). À la différence de cette actualisation d'un concept, l'actualisation du texte qui est ici en cause implique une conversion des concepts intégrés au champ normatif primitif en concepts appartenant à un autre système. Cette diversité des systèmes affecte le sens et la fonction des phases de la procédure et se révèle, d'ailleurs, dans le fait que la direction de l'enquête appartient au ministère public qui formule l'accusation, alors que la direction de l'instruction préliminaire appartenait au juge d'instruction. D'un autre côté, la constitution de l'accusé qui, dans l'ancien système, n'était pas établie à un moment formellement bien défini et ne revêtait pas une dimension de garantie, a dans le système actuel acquis cette dimension (art. 59-2, C. pr. pén.). La conversion opérée par l'interprétation n'est donc pas une conversion nécessaire ou l'unique alternative pour conserver le texte légal. En effet, certains discutent de savoir si le passage de l'instruction préliminaire à l'enquête affecte tous les actes de l'enquête ou seulement ceux de nature instructive menés à terme pendant cette phase d'intervention d'un juge, ou encore, si la dimension de garantie de la constitution de l'accusé qui a été instaurée en 1987 pourrait entraîner, dans tous les cas, l'interruption du délai de prescription, alors que lui serait toujours associé un moment procédural, révélateur de la volonté punitive de l'État.

Face aux difficultés auxquelles nous confronterait la conversion automatique d'un système à l'autre, il est nécessaire de conclure que les raisonnements analogiques qui ont permis à l'interprète, dans l'arrêt contesté, de maintenir l'application de l'article 120-1/a par une interprétation actualiste, se fondent sur des options quant à la mise en conformité du Code pénal avec le Code de procédure pénale, dont ne peut librement disposer l'interprète. De par leur répercussion sur des droits fondamentaux, ces options relèvent en effet de la réserve absolue de compétence législative (art. 164/b et c, Const.).

Il faut donc conclure que l'article 120-1/a du Code pénal, dans la dimension normative qui réalise la conversion de la notification pour l'instruction préliminaire en notification pour le premier interrogatoire de l'accusé, même si elle ne doit pas être nécessairement qualifiée comme une norme créée par analogie, au sens classique de la distinction entre analogie et interprétation, est pour le moins le résultat d'une interprétation actualiste de la loi basée sur des raisonnements analogiques. Or, ces raisonnements impliquent des options constitutives d'un régime de droit, lesquelles relèvent de la réserve absolue de compétence législative de l'Assemblée de la République prévue aux articles 164/b et c de la Constitution.

Il est ainsi possible de conclure, pour qui adopte la position dogmatique la plus classique à propos de l'interprétation et de l'analogie, que nous sommes nécessairement devant un résultat interprétatif qui dépasse le sens possible des mots et ne trouve donc plus de fondement dans la pensée législative.

Même si cette opinion n'est pas partagée et en admettant qu'il soit discutable d'avoir procédé à un comblement de lacunes par analogie, dans la mesure où il existe un critère juridique que l'interprète a aussi tiré du texte légal à travers une conversion dans le langage du nouveau système procédural pénal, il faudra pour le moins conclure qu'il y a collision entre les possibilités interprétatives utilisées en l'espèce et celles autorisées à l'interprète par la réserve de compétence législative, collision qui viole l'article 29-1 et 3. En somme, dans cette perspective, l'interprétation de l'article 120-1/a, indépendamment de sa qualification en tant que type d'interprétation, confère audit article 120-1/a du Code pénal de 1982 une dimension normative qui présuppose de la part de l'interprète un rôle normatif substantiel, ayant des répercussions sur la configuration des conséquences du crime, rôle relevant de la compétence de l'Assemblée de la République (art. 164-1/b et c) et qui n'est donc pas non plus compris dans l'intention législative.

11. En adoptant ce raisonnement, par l'une quelconque des voies énoncées, le Tribunal peut s'abstenir d'envisager les questions de qualification comme interprétation extensive ou analogie du sens normatif sub judicio de l'article 120-1/a du Code pénal de 1982 et, en conséquence, n'a pas à se référer à la question d'une éventuelle interdiction constitutionnelle de l'interprétation extensive du doit pénal. En effet, la validité constructive du concept d'interprétation extensive, comme concept limitrophe de l'analogie (cf. Castanheira Neves, « Le principe de légalité criminelle », in Études en hommage au Professeur Eduardo Correia, I, 1984, p. 308 et s.), n'est pas partagée par toute la doctrine portugaise, encore moins que ne l'est la non interdiction constitutionnelle de ce procédé en droit pénal (cf., entre autres et pour des positions divergentes sur la question, Cavaleiro de Ferreira, Leçons de droit pénal, I, 1992, p. 64 ; Sousa e Brito, « La loi pénale dans la Constitution », in Études sur la Constitution, 2e vol., 1978, p. 253 ; Teresa Beleza, Droit pénal, 2e éd., 1985, p. 491 et s.; et Fernanda Palma, Droit pénal - Partie générale, 1994, p. 94 et s.).

12. Par ailleurs, l'argument tiré d'une éventuelle contradiction entre la norme sub judicio et l'article 29-4 de la Constitution n'est pas fondé. Il n'est pas possible, en l'espèce, d'identifier un véritable problème de rétroactivité et d'application des lois dans le temps. En effet, le fondement de la décision contestée n'est pas la norme prévue à l'article 121-1/a du Code pénal, après la révision de 1995, mais l'interprétation actualiste en cause de l'article 120-1/a du Code pénal de 1982. Le critère juridique de la décision n'a donc pas été rattaché au nouveau texte de la loi pénale, seulement introduit après la pratique des faits, mais à la norme déjà en vigueur, interprétée actualistiquement. De telle sorte que, d'une part, l'interprétation actualiste n'était pas en elle-même une application rétroactive du droit pénal parce qu'elle présupposait, de par la base textuelle sur laquelle elle s'appuyait, que le sens objectif de la loi pouvait déjà être déterminé avant la pratique des faits, mais aussi que, d'autre part, il est indiscutable que la dimension normative sub judicio résultait de divers arrêts rendus avant la pratique des faits (il en était ainsi des arrêts de la cour d'appel de Porto du 13 mars 1991 et du 11 novembre 1992 ; et de l'arrêt du Tribunal suprême de justice du 18 novembre 1992, cités dans la décision contestée, p. 292 et verso).

Pour toutes ces raisons, la violation de l'article 29-4 de la Constitution ne peut être établie.

13. Finalement, la violation invoquée de l'article 32-4 de la Constitution par l'article 120-1/a du Code pénal, dans la dimension normative conférée par l'interprétation actualiste en cause et dans la mesure où une telle interprétation normative renverrait à tout un système inconstitutionnel de direction de l'enquête par le ministère public, fait référence à une question déjà largement débattue par ce Tribunal. Le Tribunal constitutionnel, néanmoins, n'a jamais jugé inconstitutionnel ce régime institué par le Code de procédure pénale de 1987 (cf., entre autres, l'arrêt no 7/87, DR, I Série, du 9 févr. 1987). Le Tribunal suivra en l'espèce la même jurisprudence. L'argument selon lequel l'interprétation actualiste de l'article 120-1/a renverrait à un régime inconstitutionnel n'est donc pas fondé. Pour cette raison, le Tribunal ne conclura pas à la violation de l'article 32-4 de la Constitution.

III. Décision

14. Le Tribunal constitutionnel décide de juger inconstitutionnel l'article 120-1/a du Code pénal, interprété dans le sens où l'interruption du délai de prescription peut être établie à partir de la notification pour les premières déclarations de l'accusé dans la phase de l'instruction, pour violation de l'article 29-1 et 3 de la Constitution, reconnaissant, par conséquent, le bien-fondé du recours et révoquant la décision contestée, qui devra être reformulée en accord avec le présent jugement d'inconstitutionnalité.

Lisbonne, 7 avril 1999

Maria Fernanda Palma

Bravo Serra

Paulo Mota Pinto

Guilherme da Fonseca

José Manuel Cardoso da Costa

[d'opinion dissidente quant à la question de la recevabilité du recours, considérant que son objet n'appartient pas au champ de compétence du Tribunal. Ne pouvant pas exposer maintenant de façon détaillée le fondement de mon raisonnement, je dirai seulement, à ce propos, que l'argumentation développée aux nos 4 et 5 de cet arrêt n'est pas propre, à mon sens, à remettre en cause la conclusion (qui est la mienne) que, finalement, une question d'inconstitutionnalité « normative » n'est plus en cause en l'espèce - comme cela n'était pas non plus le cas dans les arrêts no 682/95 et 221/95, lesquels ne sont pas, toujours selon moi, « structurellement » différents de celui présentement soumis à l'appréciation du Tribunal].

Arrêt no 655/99 du 7 décembre 1999

Affaire no 306/95 1re Chambre Rapporteur : Paulo Mota Pinto Le Tribunal constitutionnel réuni en 1re Chambre arrête :

I. Rapport

1. M.C. et autres, dûment identifiés dans les actes de procédure, ont introduit près le Tribunal de instance de Peso da Régua, une action déclarative contre la société T..., ayant son siège dans la même ville, pour demander : a) que soit reconnu leur droit sur la propriété rurale qu'ils identifient, et dont ils ont vendu à l'accusée un lot de 950 m2 en 1982 ; b) que leur soit reconnue l'existence sur cette propriété d'un lot de 124 m2 que l'accusée a occupé en dépit de l'échec des négociations pour la vente de cette parcelle ; c) que l'accusée soit condamnée à démolir ce qu'elle a construit sur ladite parcelle, afin de la restituer aux demandeurs ; d) que l'accusée soit de même condamnée à murer les fenêtres qui s'ouvrent directement sur ledit terrain et à construire des parapets d'une hauteur minimale de 1,5 m sur les vérandas existantes ; e) que l'accusée soit condamnée à indemniser les demandeurs de la valeur à liquider en exécution du jugement.

En instance, le Tribunal a estimé fondée la demande des plaignants tendant à la reconnaissance de leur droit de propriété sur le domaine en question, domaine auquel est rattachée une parcelle de 56,04 m2 occupée sans titre par la construction de l'accusée. Cette dernière a en conséquence été condamnée à indemniser les demandeurs de cette occupation et du préjudice subi du fait de la destruction de la vigne d'appellation « Région démarquée du Douro » qui y était plantée.

La cour d'appel de Porto, près laquelle les demandeurs ont interjeté appel, jugea le recours non fondé et confirma le jugement rendu en première instance.

Les demandeurs se sont pourvus près le Tribunal suprême de justice qui rejeta la révision du jugement rendu en appel.

2. Insatisfaits, les plaignants ont saisi le Tribunal constitutionnel en vertu de l'article 70-1, alinéa b), de la loi no 28/1982, afin que fût appréciée la constitutionnalité de l'interprétation et de l'application faites par le Tribunal suprême des normes des articles 334, 566-1 et 829-2 du Code civil, soulevant leur inconstitutionnalité au regard des « principes consacrés par les articles 62, 17, 18-2 et 13 de la Constitution de la République portugaise ».

Après introduction du recours et conformément à l'alinéa 5 de l'article 75-A de la loi no 28/1982 relative au Tribunal constitutionnel, le Tribunal invita les requérants à fournir les pièces de procédure en cause. Ils présentèrent les conclusions suivantes :

" 1o Le droit de propriété est un droit économique consacré à l'article 62 de la Constitution, qui, en tant que droit fondamental bénéficie du régime des droits, libertés et garanties aménagé par l'article 17 de la Constitution.

2o Le droit de propriété jouit des garanties prévues audit article 62-1, de même qu'à l'article 18-2 de la Constitution.

3o Le droit de propriété se transmet entre vifs ou par suite de décès conformément à la Constitution et ne peut être restreint que par la loi, sous réserve que ces restrictions soient rendues nécessaires pour la sauvegarde d'autres droits et intérêts constitutionnellement protégés.

4o La défenderesse, en juin 1985, n'a pas obtempéré à la saisie d'un ouvrage en construction sur une parcelle de 950 m2 valablement achetée, mais empiétant sur le terrain des requérants de 56,04 m2 pour lesquels une demande en restitution est présentée dans ce recours.

5o Les requérants sont depuis lors arbitrairement privés de ladite parcelle, dont la restitution leur a été refusée par les tribunaux de droit commun ainsi que par le Tribunal suprême de justice.

6o Ce dernier, dans l'arrêt qui fait l'objet de ce recours, a interprété les dispositions de l'article 334 du Code civil comme non contraires aux principes définis aux articles 13, 18 et 62 de la Constitution, considérant que le droit de propriété dans toute sa plénitude doit céder lorsque cela se justifie et que la loi le prévoit. En l'espèce, la restriction de ce droit serait légalement prévue aux articles 566-1 et 829-2 du Code civil, et se justifierait par le caractère non raisonnable de la restitution.

7o Une telle interprétation est absolument inacceptable parce qu'elle n'établit ni distinction, ni hiérarchie entre, d'une part, les normes constitutionnelles qui régissent et garantissent le droit de propriété et, d'autre part, toutes les autres normes légales, telles que celles tirées du Code civil, qui ne se destinent même pas à la sauvegarde d'autres droits ou intérêts constitutionnellement protégés.

8o C'est la défenderesse qui a manifestement franchi les limites de la bonne foi et des « bons usages » en s'appropriant de façon délictuelle - pour autant que la désobéissance à la saisie soit encore considérée comme un délit dans notre ordonnancement juridique, et bien que jusqu'à présent ce « détail » semble avoir été négligé - la propriété privée des requérants sur une surface qui n'est pas si négligeable puisqu'elle permettrait de construire un appartement d'au moins trois bonnes pièces, ce qui, sur neuf étages, représente neuf appartements, et en se prévalant d'autorisations verbales - gravement illégales - de membres de la municipalité de Peso da Régua pour occuper un terrain que les autorités ont présenté comme appartenant à la commune.

9o Il en résulte que, pour ce qui est de l'interprétation par l'arrêt de l'article 334 du Code civil tendant à considérer « illégitime » la demande de restitution de ladite surface en raison du « dépassement des limites imposées par la bonne foi et les bons usages », une telle interprétation viole clairement les articles 62-1, 18-2 et 17 de la Constitution.

10o Il en va de même pour l'interprétation des normes mentionnées aux articles 566-1 et 829-2 du Code civil, étant donné que, d'une part, la remise en état est possible et que son caractère onéreux aurait obligatoirement dû être prévu par la défenderesse comme la conséquence naturelle et logique de son comportement consciemment illicite et que, d'autre part, l'abandon du droit à démolition représenterait une authentique expropriation dépourvue du moindre fondement légal et s'assimilant à une spoliation.

11o Même dans les cas où notre Constitution et les normes internationales admettent l'expropriation pour cause d'utilité publique, celle-ci est conditionnée par le paiement immédiat et effectif d'une juste indemnité, ce qui ne pourra jamais être établi en l'espèce, étant donné que plus de dix ans se sont écoulés depuis le début de la privation arbitraire dont sont victimes les requérants.

12o En conséquence, si l'arrêt du Tribunal suprême de justice devait être confirmé, la responsabilité de l'État viendrait à être engagée pour violation des normes de droit international et permettrait aux requérants de faire valoir leur droit devant les instances compétentes.

13o L'arrêt refuse l'application de la norme spéciale de l'article 1343 du Code civil qui traite expressément du prolongement d'édifice sur le terrain d'autrui parce que, comme il est démontré, la défenderesse ne pourrait jamais prouver sa « bonne foi » et cherche à contourner la difficulté en recourant à la norme générale de l'article 334 du code, alors même que les normes spéciales des articles 1341 et 1340-4 du Code civil s'accordent davantage à l'espèce et qu'elles ne font l'objet d'aucun doute quant au droit à la restitution du terrain et à la destruction de l'ouvrage réalisé. Cet arrêt commet donc objectivement et manifestement une discrimination au bénéfice de la défenderesse et, concomitamment, porte atteinte aux intérêts des requérants, ce qui est inadmissible et viole l'article 13 de la Constitution.

14o Ledit arrêt viole également l'article 2 de la Constitution en ne sanctionnant pas, comme cela s'impose, les comportements de la défenderesse pour ce qui a trait à la violation de la saisie et aux relations illégales et douteuses qu'elle entretient avec des membres de la municipalité.

15o Finalement, les principes consignés aux articles 17-2 et 29 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à l'article 1er du Protocole no 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les principes généraux de la « bonne foi », du « motif justificatif », de la « juste cause », des « bons usages », de la « non-exigibilité » et du « bon père de famille » doivent être, en l'espèce, interprétés et appliqués dans un sens contraire à celui qui leur a été donné par la cour d'appel de Porto [...]. "

Selon les requérants, l'interprétation et l'application par l'arrêt en cause des normes des articles 334, 566-1 et 829-2 du Code civil doivent être « déclarées » inconstitutionnelles, au motif qu'elles violent les principes et les normes consacrées aux articles 62, 17, 18-2, 13 et 2 de la Constitution de la République portugaise, aux articles 17-2 et 29 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et à l'article 1er du Protocole no 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, de même que les principes généraux de la « bonne foi », du « motif justificatif », de la « juste cause », des « bons usages », de la « non-exigibilité » et du « bon père de famille ».

3. À son tour, la défenderesse présenta les conclusions suivantes :

" 1) Les requérants demandent que l'interprétation et l'application par l'arrêt en question des normes des articles 334, 566-1 et 829-2 du Code civil soient déclarées inconstitutionnelles, ce qui ne ressort pas de la compétence de ce tribunal, conformément à l'article 225 de la Constitution.

Au demeurant :

2) L'interprétation et l'application des normes des articles 334, 566-1 et 829-2 du Code civil, ne sont pas inconstitutionnelles car le droit de propriété consacré à l'article 62 de la Constitution n'est pas un droit absolu, mais un droit dont l'exercice peut être limité ou réglementé, tant au moyen de dispositions légales, qu'au moyen d'une clause générale telle que celle de l'article 334 du Code civil. "

4. Après notification de la question préalable soulevant l'incompétence du Tribunal, les requérants ont contesté son fondement.

Après examen des visas légaux et remplacement(3) du rapporteur, il appartient au Tribunal de se prononcer.

II. Motivation

5. Il y a naturellement lieu de commencer par examiner la question préalable de la compétence du Tribunal soulevée par la défenderesse. Celle-ci estime que le recours n'est pas recevable au titre des normes invoquées par les requérants, au motif que ce n'est pas une question de constitutionnalité normative qui serait en cause, mais uniquement l'application de la norme par la décision judiciaire proprement dite, application qu'il s'agit finalement d'apprécier à nouveau.

En limitant le problème, à ce stade, aux articles 566-1 et 829-2 du Code civil, il apparaît que la constitutionnalité de ces normes n'a pas fait l'objet de contestation en temps voulu, étant entendu qu'une demande d'interjection de recours ne constitue plus le moment approprié pour soulever une inconstitutionnalité, conformément à une jurisprudence constante et uniforme (cf. arrêt no 155/95, publié au Diário da República, série, 20 juin 1995).

Ce raisonnement peut faire l'objet d'exceptions dans certaines hypothèses dispensant le requérant de l'obligation de soulever préalablement l'inconstitutionnalité, lorsqu'il peut être établi que l'opportunité ne s'en serait pas présentée. Ce n'est toutefois pas le cas en l'espèce.

En fait, aussi bien la décision du Tribunal de première instance que celle de la cour d'appel ont été prises sans que les requérants n'aient soulevé l'inconstitutionnalité des articles 566-1 et 829-2 du Code civil, comme ils en avaient le devoir pour pouvoir présenter valablement un recours en appréciation de constitutionnalité, conformément à l'alinéa b) de l'article 70-1 de la loi relative au Tribunal constitutionnel (cela, abstraction faite de la question de savoir si l'une quelconque de ces normes a ou non fait partie de la ratio decidendi, ou si elle a simplement servi, in casu, d'appoint à la décision).

6. Il reste alors la norme de l'article 334 du Code civil, appliquée dans l'arrêt en cause pour juger « illégitime » la demande de restitution présentée par les requérants, au motif que cette demande excède « manifestement les limites imposées par la bonne foi et les bons usages » et constitue donc « un abus de droit ».

Bien que les requérants aient soulevé la question de l'inconstitutionnalité de l'article 334 du Code civil pendant le procès - dans leurs conclusions aux recours présentés devant la cour d'appel de Porto et devant le Tribunal suprême -, il faut reconnaître que dans les deux cas cette inconstitutionnalité pourrait aussi bien être imputée à la dimension normative de la loi qu'à la décision judiciaire qui l'a appliquée:

« L'application de l'article 334 du Code civil est manifestement inconstitutionnelle au regard des articles 18 et 62 de la Constitution » (conclusion no 4 du recours devant la cour d'appel de Porto).

« En définitive et en l'espèce, l'interprétation et l'application par la cour d'appel de l'article 334 sont manifestement inconstitutionnelles car elles violent les articles 62, 17, 18, 2 et 13 de la Constitution, en plus des normes et principes généraux expressément invoqués et conduisant nécessairement à une conclusion contraire à celle adoptée » (conclusion no 8 du recours devant le Tribunal suprême).

Et, en réponse à la demande de compléments formulée aux requérants par le rapporteur, cette ambiguïté n'a fait que s'accentuer :

« Toutes les raisons invoquées conduisent à interpréter et à appliquer ledit article 334 dans un sens diamétralement opposé, c'est-à-dire en refusant son application dans la branche relative au »dépassement des limites imposées par la bonne foi et les bons usages " qui n'ont pas été dépassées par les requérants mais par la défenderesse [...]

Les normes et principes invoqués prévalent. Par conséquent, s'ils sont interprétés comme étant transgressés par l'application de l'article 334 du Code civil, l'application de ce dernier doit, en l'espèce, être rejetée et céder devant des normes supérieures. "

Cependant, la manière de soulever cette inconstitutionnalité peut ne pas être considérée décisive pour la non-recevabilité du recours (sous réserve de ce qui se dira par la suite, à propos de la clause générale de l'abus de droit, pour déterminer s'il s'agit d'une inconstitutionnalité normative).

Il est également possible de ne pas juger décisive l'incohérence de l'argumentation opposant l'intangibilité d'un droit de propriété (sur un terrain) à l'allégation d'un abus de droit invoqué en défense d'un autre droit de propriété tout aussi intangible (sur l'édifice construit). En effet, malgré l'évidence de la fragilité argumentative, on ne peut conclure que le recours est manifestement non fondé (ce qui, selon l'article 76-2 de la loi 28/82, serait un fondement suffisant à l'irrecevabilité du recours).

Une autre raison conduit, à elle seule, à l'impossibilité de connaître du recours : la structure même d'une telle clause générale dans son rapport à la décision judiciaire de référence.

7. L'institution de l'abus de droit est apparue dans notre codification civile à l'article 334,

Partie Générale du Code civil, qui dispose :

« L'exercice d'un droit devient illégitime lorsque son titulaire dépasse manifestement les limites imposées par la bonne foi, par les bons usages ou par la finalité sociale ou économique de ce droit. »

Cette rédaction ne coïncide pas avec celle de l'Avant-projet Vaz Serra - v. Adriano Vaz Serra, « Abus de droit (en matière de responsabilité civile) », BMJ, no 85, avr. 1959, p. 335 (art. 1er). Elle est le résultat de la première révision du Code, dans lequel il était cependant surtout question des « principes éthiques fondamentaux du système juridique ». C'est avec la deuxième révision que, sous l'influence de l'article 281 du Code grec de 1940 (qui, influencé à son tour par l'article 2 du Code civil suisse, est presque identique à notre article 334), les références à la bonne foi et aux bons usages font leur apparition.

Néanmoins, il faut d'ores et déjà souligner qu'une quelconque consécration légale de la prohibition de l'abus de droit et de ses critères n'a qu'une valeur très relative. Nous sommes en effet confrontés à l'affleurement d'un principe général doté d'une relative indépendance par rapport aux formulations spécifiques qui le concrétisent. La doctrine générale de l'abus de droit est donc fondamentale pour en déterminer le sens.

Sans avoir la prétention d'en faire un exposé complet, il est possible de dire que ce n'est qu'au xixe siècle que l'institution de l'abus de droit, comme institution autonome, est apparue. Avant cela, seule la prohibition des actes émulatifs était connue (" malitis non est indulgendum " - v. Adriano Vaz Serra, « Les actes émulatifs en droit romain », BFDC, 1929, p. 529 et s.). C'est la jurisprudence française (d'abord par des décisions relatives aux relations de voisinage et aux droits réels) qui a ouvert la voie, alors même que l'on observe aujourd'hui un relatif déclin du recours à cette institution en France. Pendant longtemps, la référence à Gaïus et au principe " neminen laedit qui suo iure utitur " (« celui qui utilise son droit ne lèse personne ») a véritablement nuit à la reconnaissance de l'abus de droit (position défendue, par exemple, par Duguit - pour plusieurs références théoriques plus anciennes à l'abus de droit, v. F. Cunha de Sá, L'abus de droit, Lisbonne, 1973, p. 285 et s.). Il a également été dit que l'abus et la faute de droit ne pouvaient être qu'une seule et même chose, en soutenant le caractère logomachique de l'expression « abus de droit » (on disait que " le droit cesse où l'abus commence "). Mais ces points de vue n'ont pas porté leurs fruits, et l'oeuvre de Josserand, sur « l'esprit des droits et sa relativité », est devenue une étape fondamentale dans l'évolution de cette institution (Louis Josserand, De l'esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l'abus des droits, Paris, 1927), influençant de façon décisive la défense de l'abus de droit et lui assignant des critères d'ordre essentiellement sociologique.

De fait, d'innombrables points de vue sur le critère de l'abus ont été soutenus : si certains optent pour des perspectives sociologiques, d'autres nous placent au carrefour du droit et de la morale. Dans tous ces cas, on cherche à fonder métajuridiquement l'abus de droit. Il est ensuite possible de distinguer des conceptions subjectives de l'abus - qui portent leur attention sur l'état subjectif de l'agent -, des conceptions objectives - qui proposent de privilégier absolument l'intention de celui qui agit -, et des conceptions mixtes. Pour ce qui est de notre ordonnancement juridique, la formulation « contrariété criante au sentiment juridique dominant dans la communauté » a été retenue par Manuel de Andrade (Manuel de Andrade_, Théorie générale des obligations_, I, en collaboration avec Rui de Alarcão, éd., Coimbra, 1963, p. 63 et s.) puis par Vaz Serra (ob. cit.).

L'abus de droit a également été appréhendé comme une clause générale de « second rang », étant donné qu'il serait un critère pour l'application d'autres normes, doté comme tel d'une fonction de « soupape de sûreté » pour le système (Carlos Alberto da Mota Pinto, Cession de position contractuelle, Coimbra, 1970, p. 312 et s., et Théorie générale du droit civil, éd., Coimbra, 1985, p. 63 et s.). Pour Castanheira Neves et Cunha de Sá, le problème de l'abus de droit est d'ailleurs le problème même du fondement axiologique des droits subjectifs.

Selon une autre conception (défendue par Orlando de Carvalho, Théorie générale du droit civil. Sommaires développés à l'attention des étudiants de 2e année du cours juridique de 1980-1981, Coimbra, 1981, polycopié, p. 45 et s.), l'abus de droit est constitué lorsqu'il y a exercice d'un droit au-delà du pouvoir d'autodétermination qui est le fondement même des droits subjectifs. Le défaut d'intérêt à l'exercice du droit, à apprécier in abstracto ou in concreto, et la transcendance du préjudice par rapport à l'agent sont les critères retenus.

Certains qualifient encore l'abus de droit de « dysfonctionnement intra-subjectif » (António Menezes Cordeiro, De la bonne foi en droit civil, vol. I, Coimbra, 1984, p. 879 et s.).

On peut enfin se reporter à une distinction qui avait cours dans la doctrine allemande (déjà adoptée par exemple par Josef Esser, Schuldrecht, Band I, 4. Aufl, Karlsruhe, 1970, p. 34 et s., et Esser/Schmidt, Schuldrecht, Band I, 6 Aufl., Heidelberg, 1984, p. 149 et s.), entre « abus de droit institutionnel », relatif à l'exercice d'un droit objectif, et « abus de droit individuel », relatif au droit subjectif.

8. Prima facie, l'article 334 du Code civil consacre une conception objectiviste - ou, à tout le moins, mixte - de l'abus. Le concept renvoie, selon l'opinion dominante et pour ce qui nous intéresse, au dépassement manifeste des limites résultant d'une échelle des valeurs ou de standards, à savoir : les bons usages, la bonne foi et la fonction économique et sociale du droit.

La clause de l'abus de droit est une clause générale de « second rang » en ce qu'elle rend possible un contrôle du résultat de l'application des autres normes, y compris de celles qui contiennent d'autres clauses générales (voir, pour cette distinction, C. Mota Pinto, Cession..., cit., p. 311-2, et Théorie générale du droit civil, cit., 1985, p. 51-2). Elle revêt une singularité unique dans sa concrétisation, en accord, dans chaque acte de concrétisation/application, avec l'échelle des valeurs à laquelle elle renvoie. Cette singularité compromet sa faculté à être l'objet du contrôle de constitutionnalité, dès lors que ce contrôle est limité à des normes et exclut les décisions judiciaires. D'une certaine façon, il est possible de dire que la clause générale appliquée par une décision judiciaire implique à chaque fois, à la lumière du standard de valeur en cause dans les circonstances de l'espèce, un sens normatif concret qui, dans la perspective du contrôle de constitutionnalité, ne se distingue pas de sa concrétisation dans la décision.

Il a été souligné par notre doctrine (C. Mota Pinto, Cession..., loc. cit.), à propos de la nature spéciale de la clause de l'abus de droit, que :

« le dépassement de l'idée de l'économie maximale dans l'usage de concepts indéterminés n'a sa place, et pour cause, qu'en rapport avec des concepts de ce type insérés dans des dispositions légales immédiatement applicables à chaque situation concrète. Dans ces hypothèses, la clause générale intègre le dispositif de la norme et est nécessairement présente dans chaque application concrète. À côté de ces clauses, il est cependant possible d'en distinguer d'autres dont la fonction est de réaliser un contrôle des résultats de l'application directe d'autres normes. C'est le cas de la clause de l'abus de droit (art. 334) [...] Ces clauses, bien qu'elles soient mobilisées en référence à un cas concret, ne sont pas d'application directe et immédiate à chaque situation de la vie. Confronté à elles, le juge fait appel à d'autres normes du système juridique et détermine le résultat de leur application à la situation concrète. Ce n'est qu'alors, et en cas de criante et insoutenable offense au sentiment éthico-juridique, qu'il corrige la solution dégagée au moyen de cette échelle des valeurs, ainsi conçue comme une valve de sûreté » (italiques ajoutés).

Ainsi était défendue, dans le cas de l'application de clauses générales déterminantes pour les résultats de l'application des autres normes, comme c'est le cas de l'abus de droit, la « nécessité de la reconnaissance par le juge d'une criante et intolérable injustice concrète du résultat auquel on parviendrait d'une autre façon » (ob. cit., p. 314 - italique ajouté). En d'autres termes : « l'effacement du système juridique, derrière l'application de ces clauses, ne peut s'admettre que dans le cas d'une criante et intolérable injustice du résultat auquel on parviendrait en appliquant la norme dans laquelle l'hypothèse concrète se subsume » (Théorie générale..., cit., p. 52, note 1 - italique ajouté).

Il s'agit, en effet, d'une clause générale à laquelle on ne recourt que face à une hypothèse concrète, et qui reçoit en l'espèce, en accord avec le standard de valeur retenu, des concrétisations diverses, en fonction de la décision du juge. Ainsi, dans l'arrêt en cause, le Tribunal suprême, à l'instar des autres juridictions, a-t-il cru bon de limiter la condamnation du comportement de l'accusée à la réparation pécuniaire des préjudices causés, sans exiger la remise en état qui était demandée et qui aurait pu éventuellement résulter de l'application d'autres normes, dans une situation dont on rappelle les principaux traits : en leur qualité de copropriétaires d'une propriété rurale, les requérants ont vendu à l'accusée une surface de 950 m2 à retrancher de ladite propriété. Alors que la prétention de l'accusée à obtenir 72 m2 supplémentaires n'avait pas abouti, cette dernière avait construit un édifice d'une surface de 1064 m2 dont une partie avait été « cédée » par la municipalité. Pour le reste, les requérants n'ont pas réussi à prouver que la différence de 114 m2 entre l'aire effectivement occupée et celle vendue appartint à leur terrain, ce qu'ils ne parvinrent à établir que pour 56,04 m2. Les requérants demandaient, en plus de leur indemnisation, la condamnation de l'accusée à la remise en l'état initial, c'est-à-dire la restitution de la parcelle de terrain litigieuse, libre de toute construction.

Cette solution n'a pas été retenue par le Tribunal suprême, ni d'ailleurs par les jugements antérieurs. Au motif que l'accusée n'a pas prouvé sa bonne foi, l'arrêt a établi qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer les dispositions de l'article 1343 du Code civil (qui prévoit l'hypothèse du prolongement de la construction d'un édifice sur le terrain d'autrui et, en cas de bonne foi et sous respect de certaines conditions, l'acquisition de ce terrain moyennant indemnisation), mais n'a pas pour autant conclu à sa mauvaise foi, contrairement aux allégations des requérants, compte tenu de la confusion possible avec la cession de terrain par la municipalité. Tout au plus aurait-il été possible de conclure à l'existence d'indices de mauvaise foi, comme il a été jugé en première instance. Aussi, en l'absence de preuves de mauvaise foi, l'arrêt a estimé qu'il fallait recourir, pour rechercher les résultats que l'on obtiendrait en appliquant d'autres normes, à la norme de l'article 334.

Or, comme il a été décidé dans l'arrêt no 44/85 (arrêts du Tribunal constitutionnel, vol. 5, 1985, pp. 403-409), « en principe, le Tribunal constitutionnel ne peut censurer la façon dont les autres tribunaux appliquent le droit infra-constitutionnel ». Ce constat de l'existence d'une contrariété entre, d'une part, le résultat de la stricte application des normes et, d'autre part, le sentiment éthico-juridique (ou « la criante et intolérable injustice du résultat » auquel l'on parviendrait dans l'hypothèse concrète), en plus d'être dépourvu de sens normatif, se situe sur un plan infra-constitutionnel qu'il n'appartient pas à ce Tribunal de connaître.

Il résulte également de ce qui précède que l'adoption d'une conception de l'abus de droit tributaire des théories dites internes - qui placent les limites de chaque droit « dans les normes constitutives du contenu même du droit, c'est-à-dire à l'intérieur du droit » -, ou des théories dites externes - qui placent les limites de chaque droit dans « certains préceptes qui en circonscrivent l'exercice » (A. Menezes Cordeiro, De la bonne foi..., cit., vol. II, Coimbra, 1984, p. 863 et 874, respectivement, reprenant la distinction de Siebert) - est indifférente, puisque aucune de ces conceptions n'a le pouvoir de soustraire à une décision concrète le jugement sur l'existence d'un abus de droit, ce qui rendrait ce jugement susceptible d'un contrôle de constitutionnalité normative.

Au contraire, la meilleure doctrine défend que le jugement sur l'existence d'un abus ne se place même pas sur le plan de la légalité - voir Castanheira Neves, Question de fait/Question de droit ou le problème méthodologique de la juridicité (essai de reformulation critique), I. La Crise, Coimbra, 1967, p. 528 : « le problème de l » abus de droit « est un problème méthodologico-normatif de réalisation (ou d'application) concrète du droit, et non un problème dogmatique de détermination du contenu juridique positum (dans la loi) », concluant à la « nécessaire indépendance du problème (et de sa solution) de l » abus de droit « par rapport aux déterminations légales qui le visent » (pp. 528-529), étant donné que le même problème se pose qu'il existe ou non des normes comme celles de l'article 334 de notre Code civil :

« En premier lieu, parce que la véritable intention et le sens du droit ne peuvent être décrétés ou dominés par la loi [...] - il s'agit là d'un problème propre à un raisonnement juridique autonome et critique, indépendant des commandements du pouvoir politique. En second lieu, parce que la recherche des fondements ainsi que la réalisation concréto-matérielle du droit, en tant qu'intentions qui transcendent le contenu formel des normes positives, ne peuvent être ni prescrites, ni déduites de ces normes » (p. 529).

En somme : « l'abus est un mode d'être juridique qui se place au carrefour de la norme et de la solution concrète : en tant que tel, il ne dépend pas de la loi », pour reprendre ce que Menezes Cordeiro (ob. cit., p. 872) dit de la conception de Castanheira Neves - à propos de l'abus de droit, v. aussi Adriano Vaz Serra, « Abus de droit (en matière de responsabilité civile) », Bulletin du ministère de la Justice, no 85. Ou encore, comme le préfère ce civiliste de Lisbonne, l'abus de droit est le produit d'une « aspiration culturelle d'intégration systématique », « quand elle opère dans l'espace non-fonctionnel des droits subjectifs » (A. Menezes Cordeiro, ob. cit., p. 885). Même en défendant une conception de l'abus de droit selon laquelle ce qui est en cause n'est pas le contrôle d'un comportement contra legem (allant donc contre le droit objectif), mais plutôt la relation entre les images structurelle et fonctionnelle du droit subjectif (dans le sens où l'application du droit subjectif ne correspond pas au pouvoir d'autodétermination qui lui sert de fondement - à ce propos, v. Orlando de Carvalho, Théorie générale du droit civil - Sommaires, cit., pp. 54-77 ; v. égal. les références de António Pinto Monteiro, Clause pénale et indemnisation, Coimbra, 1990, p. 733-4, no 1648), le jugement à propos d'une telle relation n'en cesserait pas moins de renvoyer au caractère singulier de la décision à prendre dans un cas concret.

Quoiqu'il en soit, il est certain que le raisonnement qui applique le critère de l'abus de droit, concrétisé par une décision judiciaire prise face à un ensemble de circonstances particulières et concrètes (et, selon la conception dominante, d'après une échelle des valeurs déterminée), est dépourvu du sens normatif, indépendant de la décision de concrétisation, nécessaire à la constitution d'un objet de contrôle recevable par ce Tribunal - confiné qu'il est, en matière de recours, aux fonctions du contrôle de constitutionnalité normative. Ajoutons à cela qu'il est manifeste, en l'espèce, que ce que les requérants contestaient réellement était l'application par les juges du droit infra-constitutionnel, ce qui ne relève pas non plus de la compétence de ce Tribunal (cf., v.g., les arrêts nos 21/87, 339/87 et 279/92, publiés au Diário da República, série, respectivement le 31 mars 1987, le 19 sept. 1987 et le 23 nov. 1992).

Le Tribunal ne peut donc pas non plus connaître du recours fondé sur l'application, par la décision contestée, de l'article 334 du Code civil.

III. Décision

Pour toutes ces raisons, le Tribunal constitutionnel décide de ne pas connaître du recours et condamne les requérants aux dépens.

Lisbonne, le 7 décembre 1999

Paulo Mota Pinto

Artur Maurício

Maria Helena Brito

Alberto Tavares da Costa
(d'opinion dissidente, conformément à la déclaration de vote jointe)

Maria Fernanda Palma
(d'opinion dissidente et rejoignant pour l'essentiel
la déclaration de vote
de M. le Conseiller Tavares da Costa)

Vítor Nunes de Almeida
(d'opinion dissidente et rejoignant pour l'essentiel
les fondements de la déclaration de vote
de M. le Conseiller Tavares da Costa)

José Manuel Cardoso da Costa

DÉCLARATION DE VOTE

Vaincu. J'ai entendu qu'on devait apprécier sur le fond, bien que, en tout cas, je désavouerai le recours, suivant une ligne d'argumentation que, maintenant, il n'est pas besoin de retenir. Force est de reconnaître qu'il est difficile, en l'espèce comme dans beaucoup d'autres cas, d'établir une ligne de démarcation nette entre le contrôle normatif et le nouvel examen de la décision judiciaire contestée - problème constamment soulevé lorsque l'interprétation ou le sens donné à la norme appliquée in concreto est en cause. Néanmoins, fidèle à l'orientation jurisprudentielle qui a ouvert le recours en contrôle de constitutionnalité en matière d'interprétations normatives, j'ai considéré (et je considère) que l'interprétation donnée par le Tribunal suprême de justice de la norme de l'article 334 du Code civil, indépendamment de sa nature, peut faire l'objet d'une appréciation de constitutionnalité.

En ce sens, il a été porté au projet d'arrêt que le Tribunal suprême, partant d'un examen des faits et du caractère technique de la norme, a dégagé une interprétation de celle-ci qui aboutissait, dans son application concrète, à un résultat qui offense le sentiment de justice dominant dans la communauté sociale, « dans des proportions intolérables pour le sentiment juridique dominant. Eu égard aux circonstances spéciales de l'espèce, il nierait en effet l'exercice d'un droit reconnu par la loi » (et il a été cité à titre d'exemple doctrinal, M. J. Almeida e Costa, Droit des Obligations, éd., Coimbra, 1984, p. 51 et s., et, à titre d'exemple jurisprudentiel, l'arrêt du Tribunal suprême de justice du 26 septembre 1996, publié au Bulletin du ministère de la Justice, no 459, p. 519 et s.).

Il ne me paraît donc pas que le jugement exprimé dans la décision judiciaire soit dépourvu de sens normatif, indépendamment de l'ensemble des circonstances particulières et concrètes qu'il présuppose.

Alberto Tavares da Costa

Arrêt no 383/00 du 19 juillet 2000

Affaire no 357/00 3e Chambre Rapporteur : Messias Bento Le Tribunal constitutionnel, réuni en 3e Chambre, arrête :

I. Rapport

1. M.S. a été condamné, par jugement rendu le 4 août 1999 par la Chambre du Tribunal criminel de Lisbonne, à une peine unique de sept années de prison, résultant du cumul juridique des peines correspondantes à dix infractions de falsification (art. 256-1/a et 3, C. pén.), huit infractions de fraude qualifiée (art. 217-1 et 218-1) et une infraction de fraude simple (art. 217-1).

L'accusé ayant interjeté appel, la cour d'appel de Lisbonne a jugé le recours partiellement recevable, par arrêt du 13 avril 2000. Elle déclara éteinte la procédure criminelle relative à trois des infractions de fraude, acquitta l'accusé d'une infraction de fraude qualifiée et d'une infraction de falsification de document, et confirma le jugement contesté s'agissant des " autres peines auxquelles il a été condamné " (neuf infractions de falsification de documents et cinq infractions de fraude qualifiée). En conséquence de ce nouveau calcul de cumul, le requérant fut condamné à une peine unique de six années de prison.

2. L'accusé a alors exercé un recours devant le Tribunal constitutionnel, conformément à l'article 70-1/b de la loi no 28/82, du 15 novembre 1982, en demandant « l'appréciation de la constitutionnalité de la première partie de la norme de l'article 256-3 du Code pénal combinée avec le no 1 du même article, et la définition de »document « par l'article 255/a et l'article 1-3 du même texte, alléguant la violation des articles 29-1, 3 et 4, et de l'article 165/c de la Constitution de la République portugaise ».

Le requérant présenta comme suit ses conclusions devant ce Tribunal :

I. L'arrêt contesté a condamné le requérant, aux termes de l'article 256-1/a et 3 du Code pénal, jugeant que l'altération et le changement des plaques minéralogiques des véhicules automobiles sont prévus et punis par l'article 256-3 du Code pénal, dans la mesure où ces éléments constituent un document authentique ou doté d'une force probante similaire.

II. La décision du juge du fond appliquait ainsi le précédent du Tribunal suprême de justice (TSJ), arrêt du 5 novembre 1998 - Diário da República, I Série, du 22 décembre 1998 - selon lequel, sous le Code pénal de 1982, l'altération frauduleuse de la plaque minéralogique s'apparente à une infraction de falsification de document prévue et punie par l'article 228-1/a et 2.

III. En réalité, l'arrêt contesté a appliqué l'article 256-3 du Code pénal sur les mêmes fondements que ledit arrêt n° 3/98 du TSJ, bien que ce dernier ait été appliqué sous l'empire du Code pénal de 1982.

IV. Cependant, nous estimons que seul peut être considéré comme un document authentique ou doté de « force probante similaire », ce que la loi définit comme tel. Ce n'est manifestement pas le cas de la plaque minéralogique. Dans le cas contraire, l'attribution à la plaque minéralogique d'un caractère authentique irait au-delà du sens possible des termes et des concepts légalement prédéfinis (cf. art. 9-2, C. civ.), et serait donc incompatible, entre autres principes, avec celui de la sécurité juridique des citoyens.

V. Il en résulte que l'article 256-3 du Code pénal et son interprétation retenue par l'arrêt contesté sont inconstitutionnels au regard des articles 29-1, 3 et 4, et 165-1/c de la Constitution de la République portugaise.

VI. L'arrêt contesté a adopté l'interprétation de l'article 256-3 du Code pénal retenue par l'arrêt n° 3/98 du TSJ, alors que ce dernier n'a pas non plus eu recours à la loi pour définir « document authentique ou doté de force probante similaire ». L'inconstitutionnalité est donc double : d'une part, normative puisque le législateur se doit d'accorder une attention particulière à l'élaboration des types pénaux, et d'autre part, interprétative, du fait de l'interprétation opérée par le juge.

VII. Sur l'inconstitutionnalité normative ; étant donné les conséquences qu'entraîne la commission d'infractions, les types d'infraction doivent être définis par la loi avec un degré suffisant de détermination de leurs présupposés, eu égard au principe de légalité démocratique et à la garantie effective des libertés fondamentales inhérente à un État de droit démocratique ;

VIII. Sur l'inconstitutionnalité interprétative ; l'assimilation de la plaque minéralogique à un « document doté de force probante similaire » à celle du document authentique, déduite de l'article 256-3 et opérée par l'arrêt contesté s'en remettant à l'arrêt n° 3/98 (TSJ) déjà mentionné, est matériellement inconstitutionnelle au regard de l'article 29-1, 3 et 4 de la Constitution et de l'article 1-3 du Code pénal.

IX. En effet, indépendamment du procédé interprétatif utilisé par le juge, en l'absence de « présupposés expressément » prévus par la loi « au moment des faits », le juge a « créé/réglementé » un type d'infraction, fonction qui incombe exclusivement au législateur (art. 165-1/c, Const.).

X. En tirant des dispositions de l'article 256-3 une dimension normative identique à celle de l'article 228-2 du Code pénal de 1982 et en s'éloignant de la notion légale en droit civil du « document authentique ou doté de force probante similaire », puisqu'il n'indique aucune source législative, le juge comble une lacune du droit en vigueur.

XI. Or et conformément au sens de ce qui est expressément disposé à l'article 29-3 de la Constitution de la République Portugaise, il n'appartient pas à l'interprète ou à celui qui applique le droit d'appliquer des normes pénales sur la base de critères formulés par lui.

XII. Avec l'interprétation adoptée par l'arrêt contesté, il n'est même pas possible au législateur (sans heurter la Constitution) d'établir par voie législative une solution identique à celle qui résulte de l'interprétation ou de l'intégration (inconstitutionnelle) de la loi opérée par le tribunal a quo. En effet, l'assimilation de l'altération frauduleuse de la plaque minéralogique à celle d'un document authentique ou doté de force probante similaire, obligerait toujours le législateur à définir, en premier lieu, « document authentique ou doté de force probante similaire », puis, indépendamment de cette définition, à qualifier expressément comme infraction aggravée la falsification des éléments d'identification des véhicules....

Dans ses allégations, le ministère public commença par affirmer qu'il n'existe ni fondement pour imputer à la norme pénale une quelconque inconstitutionnalité organique, en violation de l'article 165-1/c de la Constitution, ni une quelconque question se rapportant à l'application rétroactive de la loi.

S'agissant de la prétendue inconstitutionnalité de l'interprétation réalisée par les instances, le ministère public considéra qu'une telle question ne pouvait faire l'objet du recours, affirmant que :

Le Tribunal constitutionnel a déjà clairement défini, notamment dans l'arrêt n° 674/99 - adhérant à la thèse récemment soutenue par Rui Medeiros - que « les hypothèses où sont contestées certaines interprétations normatives pour violation du principe de la légalité des peines - ou les hypothèses identiques dans le domaine fiscal - reviennent non pas à soulever l'inconstitutionnalité de la loi mais celle de la décision contestée elle-même », et qu'elles ne peuvent en conséquence être contestées dans un système qui renvoie au Tribunal constitutionnel, non pas pour l'appréciation et le jugement d'un « recours d'amparo », mais pour l'examen de strictes questions d'inconstitutionnalité des « normes ». [...] La décision elle-même ne peut donc pas constituer l'objet d'un recours en appréciation de constitutionnalité de la norme qu'elle applique.

S'agissant de l'inconstitutionnalité « normative » invoquée, le ministère public affirma pour l'essentiel qu'" il n'y a lieu de constater aucune « indétermination fondamentale » du concept légal utilisé par le législateur au dit article 256-3 du Code pénal, qui serait incompatible avec les exigences du principe de la qualification ".

Ainsi, le magistrat du ministère public conclut dans les termes suivants :

1 ° Conformément à ce qui résulte de la jurisprudence de l'arrêt 674-99, l'imputation à la décision contestée d'une interprétation et d'une application extensives (ou analogiques) d'un concept légal, utilisé par le législateur pénal pour associer une infraction à un certain type, ne peut être en soi l'objet d'un recours en appréciation de constitutionnalité.

2 ° La norme tirée de l'article 256-3 du Code pénal, en ce qu'elle associe l'infraction de « falsification de document » au concept de « document authentique ou doté de force probante similaire », ne porte pas atteinte au principe de légalité, dès lors que ce dernier ne fait pas obstacle à ce que le législateur puisse recourir à des clauses générales ou à des concepts indéterminés pour définir les catégories d'infractions.

3 ° Il n'y a donc ni lieu de connaître de la question de l'inconstitutionnalité « interprétative » soulevée par le requérant, ni de reconnaître fondée la question de l'« inconstitutionnalité normative » soulevée relativement à l'article 266-3 du Code pénal.

3. Le requérant fut appelé à se prononcer sur la question préalable de la non-recevabilité partielle du recours.

Sur l'invocation de l'article 165-1/c, il précisa, pour l'essentiel, qu'il contestait « le fait que la norme du cas sub judice permette à celui qui applique la loi d'associer des peines à des infractions qui ne sont pas expressément prévues par ladite loi, et lui permette concrètement, en visant des concepts indéterminés, de créer des infractions, en violation flagrante du libellé de cet article ». Ainsi, l'interprétation " adoptée par le tribunal contesté « serait inconstitutionnelle, » dès lors que lorsque des droits fondamentaux sont en cause, la formulation de critères interprétatifs qui aboutiraient à créer des infractions ou à aggraver celles qui ont été créées par la loi est de la compétence exclusive du législateur, auquel incombe de modifier la portée ou de changer la règle en matière pénale ".

Sur la référence à l'article 29-3 et 4 de la Constitution, le requérant précisa qu'il l'estimait violé dans la mesure où l'infraction en cause avait été commise avant qu'ait été rendu l'arrêt du Tribunal suprême de justice, du 5 novembre 1998 ; or ce n'est qu'avec ce dernier qu'est apparue l'assimilation de la falsification des plaques minéralogiques à la falsification de documents dotés de la " même force probante " qu'un document authentique.

Sur la non recevabilité de l'objet du recours, s'agissant de l'interprétation faite par un tribunal, le requérant invoqua l'arrêt no 122/00 du Tribunal constitutionnel qui, en adoptant une orientation différente de celle consacrée par l'arrêt no 674/99, s'est prononcé en faveur de la recevabilité du recours. Il cita également l'opinion dissidente du conseiller Sousa e Brito accompagnant cet arrêt et concluant qu'il « n'a jamais mis en cause la décision considérée en elle-même, mais le sens qu'elle a tiré de la norme, indépendamment de la méthode interprétative utilisée, dès lors que - comme nous le défendons - ce résultat interprétatif ne relève pas du sens possible des termes d'une loi pénale ».

4. Le rapporteur ayant été remplacé (4), il appartient au Tribunal de décider si, avant tout, il doit connaître du recours.

II. Motivation

5. Quelques précisions :

5.1. Le présent recours a été introduit conformément à l'article 70-1/b de la loi relative au Tribunal constitutionnel, et vise à « l'appréciation de la constitutionnalité de la première partie de la norme de l'article 256-3 du Code pénal en association avec le no 1 du même article et la définition de » document « énoncée à l'article 255/a, et l'article 1-3 du Code pénal ».

Il faut avant tout souligner que l'article 1-3 du Code pénal ne peut être considéré comme faisant partie de l'objet du recours dès lors que, comme il résulte de la confrontation entre la requête d'introduction du recours et la conclusion VIII des allégations présentées devant ce Tribunal, le requérant a hésité à le considérer comme appartenant audit objet ou, plutôt, comme critère ou paramètre du contrôle de la prétendue inconstitutionnalité de l'article 256-3.

Il ne sera pas non plus connu de la supposée violation de l'article 29-3 et 4 de la Constitution, puisqu'aucun problème d'inconstitutionnalité de la loi n'est ici en cause, mais qu'il s'agirait plutôt d'une prétendue application rétroactive de l'arrêt du Tribunal suprême de justice du 5 novembre 1998.

D'ailleurs, il est nécessaire de souligner que, contrairement à ce que le requérant prétend, cet arrêt du TSJ n'a pas été appliqué par l'arrêt contesté, et n'aurait de toute façon pu l'être puisqu'il n'a été cité que pour interpréter les articles 228-1/a et 2, et 229-3 du Code pénal de 1982, qui n'étaient pas applicables en l'espèce.

L'« assento » (5) du TSJ a uniquement été retenu par l'arrêt contesté pour souligner que la nouvelle loi - recte, l'article 256-3 du Code pénal -, sur le point considéré, avait accueilli la solution qui était déjà consacrée par l'ancienne loi, telle que cette dernière a été interprétée par l'arrêt en question. En effet, l'arrêt contesté - après avoir souligné que « la rédaction de l'article 256-1 et 3 de l'actuel Code pénal correspond, point par point, à celle de l'article 228-1 et 2 du Code pénal de 1982 » ; et que « la définition de »document " « par l'article 255/a de l'actuel Code pénal correspond à celle qui était retenue par l'article 229 du Code pénal de 1982 - a ajouté que, sous l'empire du Code antérieur, » la question de savoir si la plaque minéralogique, après avoir été apposée sur une automobile, est un document doté d'une force probante similaire à celle d'un document authentique, a été largement débattue ", et ce n'est qu'à propos de ce débat qu'a surgi l'assento du TSJ. Et ledit arrêt d'ajouter : « bien que la nouvelle loi soit en cause, il s'agit de la confrontation des mêmes normes, si bien qu'aucune raison ne justifie d'altérer l'orientation fixée par le Tribunal suprême de justice ».

6. À propos de la question de la recevabilité du recours :

6.1. L'objet du recours est donc constitué par l'article 256-3 du Code pénal, associé au no 1 du même article et à « la définition de »document « retenue par l'article 255/a du même Code ».

En effet, l'arrêt contesté a conclu que l'altération de la plaque minéralogique d'un véhicule automobile est passible de sanction au titre de falsification de document authentique ou doté de force probante similaire.

Les articles du Code pénal mentionnés disposent :

- Article 256 (falsification de document)

1. Quiconque, avec l'intention de causer un préjudice à autrui ou à l'État, ou d'obtenir pour lui ou pour une autre personne un bénéfice illégitime :

a) Fabrique un faux document, falsifie ou altère un document, ou abuse de la signature d'une autre personne pour élaborer un faux document ;

b) Fait faussement passer pour document un fait juridique pertinent ; ou

c) Utilise un document auquel se réfèrent les alinéas précédents, fabriqué ou falsifié par une autre personne ;

est passible d'une peine de prison maximale de trois ans ou d'une peine d'amende.

2. [...]

3. Si les faits mentionnés au n° 1 concernent un document authentique ou doté de force probante similaire, un testament clos et scellé, une lettre de change, un chèque ou tout autre document postal transmissible par endossement, ou tout titre de crédit non inclus à l'article 267, l'auteur est passible d'une peine de prison allant de six mois à cinq années ou d'une peine d'amende allant de soixante à six cents jours.

- Article 255/a

Pour l'application des dispositions du présent chapitre, il sera considéré que :

a) constitue un document la déclaration formalisée par écrit, ou enregistrée sur disque, ruban magnétique ou tout autre moyen technique, intelligible par la plupart des personnes ou par un certain cercle de personnes, qui, permettant d'en identifier l'émetteur, est propre à prouver un fait juridiquement pertinent, que cette destination lui soit conférée au moment de son émission ou postérieurement ; de même que le signal matériellement fait, donné ou apposé sur une chose pour prouver un fait juridiquement pertinent et qui permet à la plupart des personnes ou à un certain cercle de personnes de reconnaître sa destination et la preuve qui en résulte.

6.2. D'après le requérant, l'arrêt contesté fait une interprétation inconstitutionnelle dudit article 256-3 du Code pénal, cette inconstitutionnalité ayant une double dimension: inconstitutionnalité normative, d'une part, qui se traduit par la violation du principe de légalité des peines, dans la mesure où « les types d'infraction [...] doivent être définis par la loi, avec un degré suffisant de détermination de leurs présupposés », ce qui n'est pas le cas de l'article 256-3 ; inconstitutionnalité interprétative, d'autre part, attendu que l'arrêt contesté, en considérant que « l'altération ou la substitution des plaques minéralogiques d'automobiles est prévue et punie » par l'article 256-3, « en vertu du fait que ces éléments concernent un document authentique ou doté de force probante similaire », est allé « au-delà du sens possible des termes et des concepts légalement prédéfinis », puisque seuls peuvent être considérés comme documents authentiques ou dotés de force probante similaire ceux que la loi définit comme tels, ce qui n'est manifestement pas le cas de la plaque minéralogique ". De ce fait, l'arrêt contesté violerait l'article 29-1, 3 et 4, et l'article 165-1/c de la Constitution.

Selon le requérant, la cour d'appel a en fait, dans l'arrêt contesté, « comblé une lacune de la réglementation », alors qu'il ne lui appartient pas d'« appliquer des normes pénales en se basant sur des critères formulés par elle ». En d'autres termes : « en assimilant l'altération frauduleuse de la plaque minéralogique à un document authentique ou doté de force probante similaire », l'arrêt contesté a procédé à une « interprétation ou intégration (inconstitutionnelle) de la loi ».

Donc, en conclusion, le requérant conteste que l'arrêt déféré ait qualifié la plaque minéralogique apposée sur une automobile de document authentique ou doté de force probante similaire. En d'autres termes, il lui conteste le fait d'avoir subsumé au concept de document authentique ou doté de force probante similaire la plaque minéralogique apposée sur une automobile. D'après lui, le principe de la légalité des peines doit, forcément, se limiter à la qualification imposée par l'article 29-1 de la Constitution ; toute interprétation qui dépasserait ces limites rendrait inconstitutionnelle la norme ainsi interprétée.

6.3. Si tel était le cas, ce que le requérant conteste réellement, ratione constitutionis, n'est pas un certain sens ou une dimension normative que l'arrêt contesté aurait tiré dudit article 256-3, mais, plus précisément, le procédé interprétatif qui a permis au tribunal contesté d'inclure dans le concept de document authentique ou doté de force probante similaire la plaque minéralogique apposée sur une automobile. Ainsi, le requérant ne conteste pas exactement le fait que le législateur ait pu « qualifier comme infraction aggravée la falsification des éléments permettant l'identification des véhicules » (cf. la conclusion XII). Il conteste, en fait, la décision judiciaire qui, en recourant à un procédé d'interprétation interdit par la Constitution, est parvenue à ce résultat.

C'est d'ailleurs ce que le Tribunal a eu l'occasion de souligner dans l'arrêt no 674/99 (publié au Diário da República, II Série, 25 janv. 2000), dans lequel était en cause une décision judiciaire qui avait inclus la réserve d'inexécution dans le concept de dol.

Cet arrêt rendait compte de la position du requérant dans les termes suivants :

Le procédé interprétatif utilisé par le tribunal a quo, en ne respectant pas les limites de l'interprétation de la loi pénale découlant du principe de la légalité des peines, garanti par l'article 29-1 de la Constitution, notamment l'interdiction de l'analogie et de l'interprétation extensive « qui dépasse le champ sémantique naturel des concepts juridiques », aurait pour conséquence l'inconstitutionnalité de la norme pénale incriminatoire elle-même, objet d'une telle interprétation, pour violation du principe constitutionnel susmentionné.

L'arrêt poursuit en posant la question suivante :

Encore faut-il déterminer si cette question s'assimile véritablement à une question d'inconstitutionnalité de la loi, c'est-à-dire à une question dont le Tribunal constitutionnel pourrait connaître, dans le cadre du recours en appréciation de constitutionnalité.

La même question se pose dans le présent recours.

6.4. C'est en se fondant sur l'arrêt no 674/99 déjà mentionné, dont la solution peut parfaitement être transposée à l'espèce, qu'une réponse pourra être apportée à la question de savoir si le Tribunal est compétent pour connaître du procédé interprétatif qui a conduit le tribunal contesté à qualifier la plaque minéralogique d'une automobile de document authentique ou doté de force probante similaire.

Avançons d'ores et déjà que la réponse est négative.

À ce propos, l'arrêt no 674/99 a établi que :

Le Tribunal constitutionnel, réuni en 2e Chambre, a tout d'abord considéré que dans de tels cas, « l'inconstitutionnalité de l'acte de jugement, et non l'inconstitutionnalité d'une norme juridique » serait en cause, si bien que le contrôle de constitutionnalité ne pourrait être exercé puisque seuls « les actes du pouvoir normatif » peuvent être l'objet dudit contrôle (cf. arrêt n° 356/86, arrêts du Tribunal constitutionnel, 8e volume, p. 571 et s.).

Cependant, dans son arrêt n° 141/92 (arrêts du Tribunal constitutionnel, 21e volume, p. 599 et s.), le Tribunal constitutionnel, réuni en 1re Chambre, malgré le vote dissident du Président Cardoso da Costa, a donné une réponse affirmative au problème :

De fait, il pourrait être soutenu que le Tribunal constitutionnel n'avait pas compétence pour connaître de l'objet de ce recours, dans la mesure où ne serait pas en cause une question proprement normative mais une question décisoire (le Tribunal suprême de justice, en confirmant la décision de première instance, aurait appliqué analogiquement une règle d'incrimination, en contravention immédiate avec la disposition de l'article 1-3 du Code pénal).

[...]

Nonobstant le caractère suggestif de ce raisonnement, ce dernier ne peut être retenu. En effet, le requérant a soulevé la question de l'inconstitutionnalité de la norme dans son recours devant le Tribunal suprême de justice [...]. Il y soutenait que le tribunal avait interprété de manière extensive ou appliqué analogiquement une règle d'incrimination, le caractère analogique de cette interprétation ou application résidant dans la création d'une norme analogue applicable à un cas omis par la loi, mais se révélant être contraire à la Constitution (une interprétation extensive serait tout aussi inconstitutionnelle, de même que le serait, pour les mêmes raisons, l'article 1-3 du Code pénal).

Or, sur le plan superficiel de l'analyse des présupposés du recours en appréciation de constitutionnalité, c'est-à-dire sur la base d'une évaluation prima facie de ces présupposés, il peut être estimé que les mêmes présupposés sont en cause dans le cas concret. Savoir si l'interprétation adoptée est ou non inconstitutionnelle, relève déjà de la connaissance de la question de fond. [...]

Cette dernière jurisprudence n'a cependant pas été suivie. En effet, le Tribunal constitutionnel a postérieurement établi - notamment dans l'arrêt n° 634/94 (arrêts du Tribunal constitutionnel, 29e vol., p. 243 et s.), l'arrêt n° 221/95 (Diário da Répública_, II Série, 27 juin 1995), l'arrêt n° 756/95 (arrêts du Tribunal constitutionnel, 32e vol., p. 775 et s.), l'arrêt n° 682/95 (inédit) ou, plus récemment, l'arrêt n° 154/98 (inédit) - que les hypothèses dans lesquelles sont mises en cause certaines interprétations normatives pour violation du principe de légalité des peines - ou les hypothèses ayant trait au respect du principe de légalité fiscale - ne relèvent pas véritablement de questions d'inconstitutionnalité normative, mais reflètent en fait des questions d'inconstitutionnalité relatives à la décision contestée elle-même._

Ainsi peut-on lire dans l'arrêt n° 221/95 déjà cité :

« Ce que la requérante met donc en cause, pour l'essentiel, dans le recours présenté devant le tribunal a quo, n'est pas la norme [...] interprétée en contradiction avec la Constitution, mais, plutôt la décision judiciaire [...] qui lui aurait inconstitutionnellement porté préjudice en appliquant une norme à son cas, sur la base d'une méthode d'interprétation qui heurte les règles générales d'interprétation des lois fiscales et les principes constitutionnels en la matière [...]. »

Par ailleurs, il fut déclaré à l'arrêt n° 154/98 déjà mentionné :

" Le requérant prétend que le tribunal contesté a interprété la norme de l'article 292 du Code pénal de manière extensive, en l'appliquant analogiquement et, donc, en violation de l'article 29-1 de la Constitution.

[...]

Or, cet objectif n'entre pas dans le champ du contrôle normatif. Il relève tout au plus d'un « recours d'amparo

Il faut aussi souligner que l'arrêt n° 682/95, précédemment mentionné, a suggéré que, dans de telles hypothèses, « ce qui est en cause n'est pas une dimension normative spécifique de la disposition », mais « la détermination de son champ d'application, en fonction de sa ratio

Plus récemment, cependant, cette position du Tribunal - qui n'était déjà plus unanime (cf. déclaration de vote du conseiller José de Sousa e Brito à l'occasion des arrêts nos 634/94 et 756/95) - paraît s'être infléchie dans l'arrêt n° 205/99 (Diário da República_, II Série, 5 nov. 1999) et l'arrêt n° 285/99 (Diário da República, II Série, 21 oct. 1999)._

Il fut en effet considéré dans l'arrêt n° 205/99 que : [...] (6).

Cet arrêt n'a pas non plus fait l'unanimité.

En effet, le Conseiller-Président a manifesté une opinion contraire à la solution qui fut adoptée - dans la déclaration de vote accompagnant l'arrêt - en considérant qu'il aurait fallu ne pas connaître du recours dans la mesure où « son objet n'appartient pas au champ de compétence et du pouvoir de connaissance du Tribunal » et que l'argumentation développée a contrario dans ledit arrêt ne remettait pas en question la conclusion que, « finalement, une question d'inconstitutionnalité » normative « n'est plus en cause en l'espèce - comme cela n'était pas non plus le cas dans les arrêts nos 682/95 et 221/95, lesquels ne sont pas [...] » structurellement « différents de celui soumis à l'appréciation du Tribunal » (7).

Postérieurement, le vice-Président Luís Nunes de Almeida adopta une position également distanciée à l'égard de cette nouvelle jurisprudence (cf. la déclaration de vote accompagnant l'arrêt 285-99).

En ce qui concerne à la question qu'il s'agit d'apprécier - l'éventuelle extension du système de contrôle de constitutionnalité aux normes dégagées pour combler une lacune -, Rui Medeiros affirme (La décision d'inconstitutionnalité - les auteurs, le contenu et les effets de la décision d'inconstitutionnalité de la loi, Universidade Católica Editora, Lisbonne, 1999, pp. 340-342):

La conclusion adoptée ne signifie pas, cependant, que le Tribunal constitutionnel puisse contrôler la constitutionnalité, non pas de la norme dégagée pour combler une lacune, mais du processus même conduisant à la détermination de la règle applicable. La question devient particulièrement importante dans les domaines où existe une prohibition constitutionnelle du recours à l'analogie. Ainsi en va-t-il, concrètement, du principe constitutionnel de légalité des peines.

Certains considèrent qu'il appartient au Tribunal constitutionnel de connaître des recours contre des décisions des tribunaux qui, en appliquant analogiquement une règle d'incrimination, violent le principe constitutionnel de légalité des peines.

Nous ne doutons pas qu'il s'agisse là de la solution la plus conforme à la logique du « recours d'amparo

En somme, il est possible de conclure que, dans les cas où le législateur peut lui-même (sans violer la Constitution) établir par voie législative une solution identique à celle résultant de l'interprétation ou de l'intégration inconstitutionnelle de la loi par le tribunal a quo, le Tribunal constitutionnel ne peut connaître du recours.

Il faut s'en remettre à cette motivation logique - nécessairement valable, tant pour les formes non admissibles d'interprétation extensive, que pour l'interprétation analogique -, et confirmer ainsi la jurisprudence de ce Tribunal suivie entre 1994 et 1998, et reprise dans les arrêts précédemment cités.

En effet, le requérant ne prétend pas que le contenu de la norme, interprétée par le tribunal, soit incompatible avec le texte constitutionnel. Ce qui est contesté par le requérant est seulement le fait que le juge puisse dégager ce même contenu normatif au moyen d'un procédé interprétatif_, puisqu'en y parvenant à travers un procédé non respectueux des limites fixées à l'interprétation de la loi pénale, il viole nécessairement le principe de légalité des peines. En d'autres termes, le fait que le comportement du requérant puisse faire l'objet d'une incrimination n'est pas contesté, il est seulement demandé si ce comportement correspond effectivement à la qualification de fraude._

Ainsi et sans équivoque, l'objet de la contestation du requérant n'est pas la norme en elle-même, mais la décision judiciaire qui l'a appliquée en recourant à un procédé interprétatif constitutionnellement interdit.

Or, cette question - considérant _qu'elle ne concerne pas une inconstitutionnalité normative, mais une inconstitutionnalité de la décision judiciaire même - excède les pouvoirs du Tribunal constitutionnel, dans la mesure où notre ordonnancement constitutionnel ne consacre pas le « recours d'_amparo _ », notamment l'_amparo contre des décisions juridictionnelles violant directement la Constitution.

Quoi qu'il en soit, même s'il était considéré que ce Tribunal est compétent pour connaître des questions d'inconstitutionnalité résultant d'une interprétation analogique constitutionnellement prohibée ou d'une « opération équivalente » — une interprétation « basée sur des raisonnements analogiques » (cf. la déclaration de vote du conseiller Sousa e Brito accompagnant l'arrêt n° 634/94, ainsi que l'arrêt n° 205/99) -, il faudrait toujours exclure que le Tribunal constitutionnel puisse connaître d'éventuelles interprétations dégagées par les tribunaux de droit commun et tenues pour erronées, sur la base de la violation du principe de légalité.

D'ailleurs, s'il tel n'était pas le cas, le Tribunal constitutionnel contrôlerait systématiquement l'interprétation judiciaire des normes pénales (ou fiscales), puisque la violation du principe de légalité en matière pénale (ou fiscale) pourrait être imputée à toutes les interprétations tenues pour erronées par les requérants. Et, à dire vrai, le Tribunal constitutionnel devrait, pour les mêmes raisons, connaître de toute l'activité interprétative des lois, activité à laquelle se consacrent nécessairement les tribunaux - et notamment les tribunaux suprêmes de chaque ordre de juridiction -, puisqu'il serait toujours possible d'attaquer une norme législative lorsqu'elle aurait été interprétée en excédant son « sens naturel » (et quel est ce « sens naturel », dans chaque espèce ?), et sur la base de la violation du principe de séparation des pouvoirs, parce que ladite interprétation serait un simple produit de création judiciaire, en contradiction avec la volonté réelle du législateur. En outre, à chaque fois qu'une telle interprétation concernerait une norme relevant de la compétence réservée de l'Assemblée de la République, il serait toujours possible d'établir cumulativement l'existence d'une inconstitutionnalité organique.

Or, un tel raisonnement - élargissant incommensurablement la compétence du Tribunal constitutionnel - doit être rejeté, parce qu'il serait contraire au système du contrôle de constitutionnalité tel qu'il est défini par la loi fondamentale, dans la mesure où, pratiquement, il viderait de sa substance la limitation des recours en appréciation de constitutionnalité aux questions d'inconstitutionnalité normative. Ainsi, par exemple et dans le cas présent, pour décider de la question de l'inconstitutionnalité, le Tribunal constitutionnel serait appelé à commencer par résoudre les controverses doctrinales relatives au caractère factuel et typique de l'infraction de fraude (cf. verbi gratia_, José de Sousa e Brito, « La fraude dans l'article 451 du Code pénal - Tentative de systématisation »,_ Scientia Ivridica, tome XXXII, 1983, p. 131 et s.; et Maria Fernanda Palma et Rui Pereira, « Le Crime de Fraude dans le Code pénal de 1982 à 1995 », Revue de la Faculté de droit de l'Université de Lisbonne, vol. XXXV, 1994, p. 321 et s.).

Dans le cas d'espèce, où n'est même pas en cause une interprétation analogique ou une « opération équivalente », mais une simple interprétation de la loi, il faut donc conclure à l'absence d'une question d'inconstitutionnalité normative dont le Tribunal aurait à connaître.

6.5. Le Tribunal continue à appliquer la jurisprudence confirmée par l'arrêt no 674/99. De ce fait, il y a lieu de conclure qu'il n'est pas compétent pour connaître de la question de la constitutionnalité que le requérant lui soumet. En effet, il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une question d'inconstitutionnalité normative, dès lors que ce que le requérant conteste véritablement est la décision judiciaire elle-même - recte, le procédé interprétatif que cette décision a adopté lui permettant d'inclure la plaque minéralogique dans le concept de document authentique ou doté de force probante similaire. C'est bien ce que signifie le fait d'invoquer que l'arrêt contesté, en interprétant l'article 256-3 du Code pénal pour inclure la plaque minéralogique d'une automobile dans le concept de document authentique ou doté de force probante similaire, aurait adopté une voie - qu'elle soit uniquement celle de l'interprétation, ou, déjà, celle de l'intégration - interdite par la Constitution en ce qu'elle violerait le principe de la légalité des peines.

En conséquence, le Tribunal ne peut connaître de cette branche du recours et se déclare incompétent.

6.6. En revanche, la question soulevée par le requérant de l'inconstitutionnalité normative de l'article 256-3 du Code pénal est, quant à elle, une véritable question d'inconstitutionnalité dont le Tribunal doit connaître : cette question est en effet posée relativement au précepte légal lui-même.

Néanmoins, cette question d'inconstitutionnalité n'est pas fondée car rien n'interdit au législateur pénal d'utiliser des concepts indéterminés pour définir les infractions.

Le recours, pris en cette branche, doit donc être rejeté.

III. Décision

Pour toutes ces raisons, le Tribunal décide de :

a) rejeter le recours dans la branche déclarée recevable ;

b) condamner le requérant aux dépens.

Lisbonne, 19 juillet 2000

Messias Bento

Alberto Tavares da Costa

Maria dos Prazeres Pizarro Beleza

(d'opinion dissidente quant à la branche du recours dont le Tribunal a refusé de connaître. Elle aurait également jugé le recours non fondé, selon les termes de la déclaration de vote jointe)

José de Sousa e Brito

(d'opinion dissidente quant à la branche du recours dont le Tribunal a refusé de connaître, considérant que ce recours, relativement à ladite branche, aurait dû être jugé non fondé, conformément aux raisons exposées dans la déclaration de vote de la Conseillère Maria dos Prazeres Pizarro Beleza et à ma déclaration de vote accompagnant l'arrêt no 674/99)

Luis Nunes de Almeida

Déclaration de vote

D'opinion dissidente quant à la branche pour laquelle il a été décidé de ne pas connaître de l'objet du recours, pour les raisons suivantes :

1. Le Tribunal a jugé qu'il ne pouvait connaître de la question que le requérant désigne comme " inconstitutionnalité interprétative ", concernant la prétendue inconstitutionnalité de l'article 256-1/a et 3 du Code pénal, dans " son interprétation par l'arrêt contesté « selon laquelle » l'altération et la substitution de plaques minéralogiques des véhicules automobiles sont prévues et punies par l'article 256-3, dans la mesure où ces éléments concernent le concept de document authentique ou doté de force probante similaire ". Une telle interprétation, basée sur la doctrine formulée dans l'assunto no 3/98 du Tribunal suprême de justice, aurait " dépassé le sens possible des termes et des concepts légalement définis ", en violation de l'article 29-1, 3, et 4, ainsi que de l'article 165-1/c de la Constitution.

Il est notoire que l'objet du recours en appréciation concrète de la constitutionnalité prévu à l'article 1/b de la loi relative au Tribunal constitutionnel, est relatif aux normes effectivement appliquées pendant le procès. Et, en accord avec la jurisprudence de ce Tribunal, la norme juridique dont la constitutionnalité doit être appréciée, est considérée dans le sens qui lui a été interprétativement attribué par la décision contestée. Ainsi a-t-il été écrit, par exemple, dans l'arrêt no 168/99 (non publié): « Lorsque différents principes normatifs, ou différentes interprétations, sont dégagés ou peuvent être dégagés des dispositions légales en cause, il faut retenir comme objet d'appréciation de constitutionnalité les normes légales appliquées, en accord avec le sens normatif décisivement retenu et appliqué par le tribunal contesté. » En d'autres termes, l'objet du recours est la « norme telle qu'interprétée par la décision contestée, parce que ladite norme doit être appréciée dans le recours en fonction de l'interprétation qui lui a été donnée par cette décision » (Gomes Canotilho, Droit constitutionnel et théorie de la Constitution, Coimbra, 1998, p. 881).

La norme effectivement appliquée par le tribunal contesté est celle que ce dernier a dégagée, interprétativement, de l'article 256-1 et 3 du Code pénal. Le sens de cette norme, tel qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Lisbonne, est le suivant : l'altération de la plaque minéralogique d'un véhicule automobile est passible de sanction en tant que falsification d'un « document authentique ou doté de force probante similaire ».

En effet, après avoir précisé que " sous le Code pénal de 1982, la question de savoir si la plaque minéralogique apposée sur une automobile est un document avec force probante similaire à celle d'un document authentique, a été longuement débattue ", l'arrêt contesté a recouru à l'assunto du Tribunal suprême de justice du 5 novembre 1998, qui a répondu par l'affirmative, et a considéré qu'il n'existait aucune raison pour changer l'orientation fixée, bien qu'une nouvelle loi soit en cause, " étant donnée la similitude des normes confrontées ".

C'est la norme appliquée, dégagée par l'interprétation du texte de loi d'origine - et non cette source considérée en elle-même comme acte législatif ou disposition légale -, qui constitue l'objet du recours en appréciation de constitutionnalité prévu à l'article 70-1/b de la loi relative au Tribunal constitutionnel. Ainsi que l'affirme Armindo Ribeiro Mendes (dans son rapport présenté lors de la 1re Conférence sur la justice constitutionnelle d'Amérique latine, du Portugal et de l'Espagne - Les organes de contrôle de la constitutionnalité : fonctions, compétences, organisation et rôle dans le système constitutionnel, face aux autres pouvoirs de l'État, Documentation et droit comparé, no 71/72, Lisbonne, 1997, p. 719), " sont objet d'un contrôle de constitutionnalité les normes juridiques et non les préceptes normatifs qu'elles contiennent ". Le problème de savoir si la teneur de l'article 256-3 du Code pénal viole la Constitution, en définissant insuffisamment les présupposés de la sanction, n'a donc aucune autonomie et ne peut constituer une question différenciée de constitutionnalité. Ce qui n'empêche pas que l'analyse de la disposition légale en cause puisse être envisagée comme un moment pertinent du jugement de constitutionnalité normative à rendre.

2. Il est incontestable que les pouvoirs du Tribunal constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité s'appliquent à des normes juridiques et non à des décisions judiciaires. Mais le tracé des frontières entre les unes et les autres pour délimiter le champ du pouvoir de contrôle de constitutionnalité normative par le Tribunal constitutionnel, n'est en effet pas exempt de doutes [sur cette question, en termes génériques, cf. Rui Medeiros, La décision d'inconstitutionnalité - Les auteurs, le contenu et les effets de la décision d'inconstitutionnalité de la loi, Lisbonne, 1999, pp. 334-336, qui affirme : « La compétence du Tribunal constitutionnel doit, en effet, comprendre le contrôle de constitutionnalité d'une règle abstraitement énoncée pour faire l'objet d'une application générique, et non simplement le contrôle de la décision concrète d'un cas juridique » (p. 339)].

Le problème posé par le présent recours est celui de savoir s'il faut exclure du champ du contrôle du Tribunal l'appréciation de la constitutionnalité de normes interprétativement dégagées (ou d'interprétations normatives déterminées, ce qui revient au même) et appliquées par la décision contestée, pour violation du principe de légalité des peines.

Il faut rappeler avant tout que le Tribunal constitutionnel s'est en général considéré compétent pour juger de la constitutionnalité d'interprétations normatives, ou de normes interprétativement dégagées (l'interprétation étant ici entendue au sens large et comprenant la détermination de la norme applicable par analogie ou par interprétation au sens strict), en dépit de la difficulté pratique, parfois rencontrée, à distinguer la norme de la décision judiciaire. Comme il a été affirmé dans l'arrêt 612/94 (publié au Diário da República, II Série, du 11 janv. 1995), " Le Tribunal constitutionnel considère, dans une jurisprudence largement confirmée, qu'invoquer l'inconstitutionnalité de l'interprétation d'une certaine norme juridique revient à invoquer l'inconstitutionnalité de la norme elle-même dans cette interprétation - hypothèse qui ne se confond pas avec celle où est purement et simplement invoquée l'inconstitutionnalité de la décision elle-même ".

Il est indispensable que soit en cause un critère normatif de décision, sur lequel le tribunal contesté se serait basé comme ratio decidendi. Indépendamment de la question de savoir en quels termes se pose la distinction entre interprétation et application, le Tribunal constitutionnel ne peut évidemment pas connaître de l'acte de jugement, qui recouvre la pondération de l'impact spécifique de la décision au cas concret, ou de la décision, comme résultat de la conjugaison indissociable du fait et du critère normatif utilisé. Mais il peut et doit examiner la constitutionnalité de ce critère normatif. Ni l'application du critère normatif à une situation concrète - c'est-à-dire la subsumation du cas concret à la norme opérée par le juge -, ni la découverte par le juge d'une solution ne découlant pas de critères strictement normatifs, ne peuvent faire l'objet d'un recours.

À la lumière de ces considérations, l'objet du présent recours est indiscutablement une norme juridique, qui peut être énoncée avec généralité et abstraction : quiconque falsifie la plaque minéralogique d'un véhicule automobile est passible de sanction en tant qu'auteur d'une infraction de falsification d'un document doté de force probante similaire à celle d'un document authentique.

3. Cependant, cette affirmation ne suffit pas, à elle seule, à résoudre totalement le problème, dans la mesure où, la question de constitutionnalité soulevée résidant dans la prétendue violation du principe de légalité des peines par l'interprétation adoptée, certains estiment (et c'est cette solution qui a été arrêtée dans le cas présent) qu'un tel vice ne peut être connu du Tribunal qui, en la matière, a d'ailleurs pris des décisions dont le sens est équivoque (cf. les arrêts cités dans l'arrêt no 674/99, Diário da República, II Série, du 25 févr. 2000).

En ce qui concerne l'hypothèse dans laquelle le tribunal dégage une norme pénale à travers le mécanisme d'intégration de lacunes par analogie, Rui Medeiros (ob. cit., pp. 340-342) considère qu'il n'est pas possible de connaître du recours en appréciation de constitutionnalité pour violation de la légalité des peines car ce qui serait véritablement examiné ne serait pas la norme mais le " processus même de découverte de la règle applicable " (ob. cit., p. 341). Ainsi, en considérant que ce serait l'acte de jugement qui serait en cause et non l'inconstitutionnalité d'une norme juridique, il ne serait pas possible au Tribunal de connaître du recours dès lors que le législateur pourrait, sans heurter la Constitution, établir par voie législative une solution identique à celle qui résulte de l'interprétation ou de l'intégration inconstitutionnelle de la loi réalisée par le tribunal a quo.

L'arrêt no 674/99 a admis cette solution (bien qu'apparemment comme obiter dictum, puisqu'il a affirmé qu'en l'espèce, " il n'y a même pas eu intégration analogique ou une « opération équivalente », mais une simple interprétation de la loi qui est contestée par le requérant "), la jugeant applicable aux cas des normes pénales obtenues par voie d'" intégration analogique « ou de » formes non admissibles d'interprétation extensive ".

4. Même si elle se fonde sur une argumentation pondérée (cf., en sus de l'oeuvre déjà citée de Rui Medeiros, les points 49 à 53 de l'arrêt no 674/99 du Tribunal constitutionnel), une telle solution ne paraît pas devoir être retenue.

Avant tout, il importe d'avoir à l'esprit que la thèse discutée écarte certaines questions de constitutionnalité du contrôle du Tribunal constitutionnel non pas en fonction de leur objet (constitué d'une véritable norme), mais en fonction de leur fondement : la norme obtenue résulte-t-elle d'un procédé interprétatif non conforme au principe de la légalité des peines ?

Or, il n'y a pas de base constitutionnelle ou légale propre à exclure du contrôle de la constitutionnalité des normes (étant donné qu'il s'agit de normes effectives, même si elles sont interprétativement construites, comme dans le présent recours) l'appréciation d'un fondement particulier de cette inconstitutionnalité.

En fait, si la norme en cause peut être confrontée à la Constitution sur la base de la violation d'autres normes ou principes constitutionnels (ce qui n'est pas remis en question par la doctrine ici analysée), on ne voit pas pourquoi le fondement résultant de la violation de la légalité des peines devrait être exclu.

Il serait inacceptable d'affirmer que si le législateur avait pu directement formuler une norme dont le contenu aurait été celui auquel le juge a aboutit par voie interprétative, cette norme ne violerait pas la Constitution. Cet argument n'a pas de poids, puisque la norme dont la constitutionnalité est appréciée est celle qui a été appliquée dans le procès, et non une norme hypothétiquement créée par un acte législatif.

Du reste, l'inconstitutionnalité de la norme peut résulter de la violation de la loi fondamentale, non pas de par le contenu même de ladite norme, mais de par le processus de sa découverte : il suffit de penser aux hypothèses d'inconstitutionnalité organique et formelle, résultantes de la violation, au niveau du processus de formation de la norme, de préceptes constitutionnels de compétence et de forme. Dans ces hypothèses aussi, le législateur aurait la possibilité d'élaborer une norme au contenu identique, sans violer la Constitution. Mais ce serait là une autre norme, et non celle dont l'inconstitutionnalité organique ou formelle est soulevée.

L'argument selon lequel fonder le jugement d'inconstitutionnalité sur la nature du procédé d'interprétation ou d'intégration utilisé revient à contrôler l'" acte de jugement ", ne paraît pas non plus devoir être retenu. En fait, en matière de contrôle concret de la constitutionnalité normative, il faut distinguer - malgré les difficultés théoriques et pratiques que cela soulève inévitablement - entre, d'une part, tout ce qui résulte de la pondération du cas concret soumis au Tribunal et qui relève de la décision, et, d'autre part, ce qui constitue l'adoption de critères normatifs et qui relève de la norme appliquée. Or, lorsqu'un tribunal dégage, à partir d'une source, un critère normatif valable pour une série de cas, en recourant à un procédé herméneutique également considéré valable pour ces cas, ce n'est pas l'acte singulier de jugement qui est en cause, ni la décision concrète du tribunal à laquelle s'identifie cet acte. Au contraire, dans ces hypothèses, la question de constitutionnalité est manifestement normative.

Il faut ajouter que, à la rigueur, l'examen de la violation du principe de légalité des peines ne suppose pas nécessairement la qualification exacte de la démarche méthodologique utilisée (analogie, interprétation extensive), mais seulement de déterminer si la norme dégagée " dépasse le sens possible des termes de la loi pénale " (cf. la déclaration de vote du Conseiller Sousa e Brito accompagnant l'arrêt no 674/99 et l'arrêt no 205/99, Diário da República, II Série, du 5 nov. 1999). En d'autres termes, " indépendamment de savoir si une interprétation extensive ou une application analogique de cette norme légale est en cause, il est demandé si la norme, dimension, sens ou interprétation obtenus contrarient ou non, de par leur genèse, le principe de légalité et, in concreto, l'exigence de lex certa qui leur est consubstantielle " (arrêt no 205/99, suivi des arrêts nos 285/99 et 122/00, publiés au Diário da República, II Série, 21 oct. 1999 et 6 juin 2000, respectivement).

Mais il faut aussi considérer l'argument (utilisé dans l'arrêt no 674/99) selon lequel l'admission du recours dans des hypothèses comme celle du cas en examen, reviendrait à accepter que le Tribunal constitutionnel procède au contrôle de l'interprétation judiciaire des normes pénales, puisque " la violation du principe de légalité des peines pourrait être abusivement imputée à toutes les interprétations considérées erronées par les requérants [...] ". Ainsi, " il serait toujours possible d'attaquer une norme législative interprétée comme excédant son « sens naturel » (et quel est ce « sens naturel », dans chaque espèce ?), sur la base de la violation du principe de séparation des pouvoirs ", de même que si " une telle interprétation concernait une norme relevant de la compétence réservée de l'Assemblée de la République ", sur la base de l'" existence d'une inconstitutionnalité organique ".

Cet argument ne doit pas non plus être retenu, car il présuppose que le raisonnement critiqué impliquerait de considérer comme violation du principe de légalité une interprétation " erronée ", quelle qu'elle fût, parce qu'elle correspondrait à l'adoption d'un sens normatif divergent de son " sens naturel ", c'est-à-dire de l'interprétation « correcte ». Un tel argument n'est pas fondé, parce qu'il est dirigé à l'encontre d'une position dont personne ne prend, finalement, la défense. En fait, le caractère correct d'une interprétation est une chose, et la contrariété de cette interprétation à la Constitution en est une autre, bien distincte. Une disposition pénale peut faire l'objet de différentes interprétations compatibles avec le principe de légalité. Ce principe prohibe, en fait, que le juge applique, contre le principe nullum crimen sine lege certa, une norme dont le contenu dépasse le sens possible des termes de la loi.

Quant à la possibilité - prétendument fournie par la solution critiquée dans l'arrêt no 674/99 - d'imputer calomnieusement à l'interprétation concernée d'autres causes d'inconstitutionnalité (comme l'inconstitutionnalité organique), il faut rappeler que le Tribunal constitutionnel a, à diverses reprises, apprécié la constitutionnalité organique d'interprétations adoptées par les instances, dans des hypothèses où il existait des interprétations alternatives ne constituant pas une violation des règles constitutionnelles de compétence. Pour ne citer que des arrêts rendus en matière pénale, il faut mentionner l'arrêt no 609/95 (publié au Diário da República, II Série, 19 mars 1996), qui, confronté à la portée d'une norme révocatoire, a écarté l'interprétation qui aurait conclu à son inconstitutionnalité organique (il s'agissait, en l'espèce, de la révocation par un décret-loi non autorisé d'une norme pénale), et a retenu une interprétation qu'il a considérée conforme à la Constitution. De même, l'arrêt no 41/00 (non publié) a imposé une certaine interprétation de l'article 199 du Code de procédure pénale (contraire à celle adoptée par la décision contestée), de façon à écarter son inconstitutionnalité organique, en affirmant que : « _la norme de l'article 199 du Code de procédure pénale, si elle était interprétée comme concernant les titulaires de charges politiques, principalement les représentants des collectivités locales, violerait l'article 164/_m de la Constitution ». Dans l'arrêt no 520/99 (non publié), le juge reconnaissait la " difficulté si souvent ressentie, à établir, de façon non équivoque, la ligne de démarcation entre une question d'interprétation normative constitutionnellement susceptible de recours et un simple réexamen des faits et de l'encadrement juridique qui leur a été donné par les instances, et principalement par le tribunal a quo ". Mais le recours n'a pas été déclaré recevable attendu qu'il ne soulevait pas de " question de constitutionnalité normative - ou de son interprétation ".

5. Même si l'on ne souscrit pas intégralement à l'argumentation jusqu'ici développée, force est de prendre en considération que, en l'espèce, la décision de la cour d'appel de Lisbonne a assimilé la plaque minéralogique d'un véhicule automobile à un document doté de force probante similaire à celle d'un document authentique, en application de la doctrine fixée par l'assunto du 5 novembre 1998 du Tribunal suprême de justice (je suis également en désaccord avec le point no 5 de cet arrêt). En fait, l'arrêt contesté a affirmé (p. 7238):

" La question de savoir si, sous le Code pénal de 1982, la plaque minéralogique apposée sur une automobile, est un document doté de force probante similaire à celle d'un document authentique, a été largement débattue.

Le Tribunal suprême de justice, dans son assunto du 5 novembre 1998, a fixé l'orientation suivant laquelle, sous le Code pénal de 1982, l'altération frauduleuse de la plaque minéralogique s'analyse comme une infraction de falsification frauduleuse de document prévu et puni par l'article 228-1/a et 2 du Code pénal.

Bien qu'une nouvelle loi soit en cause, il n'y a pas de raison d'écarter la solution fixée par le Tribunal suprême de justice, étant donnée la coïncidence des normes confrontées ".

Après ces affirmations, la décision de la cour d'appel de Lisbonne s'est limitée, pour la partie ici pertinente, à transcrire certains extraits de l'assunto du Tribunal suprême de justice.

Rappelons enfin que le requérant a attaqué la dimension normative retenue par ce dernier assunto et y a expressément fait référence.

Ainsi, et en toute circonstance, dès lors que le Tribunal constitutionnel accepterait de contrôler la constitutionnalité des normes résultantes des assuntos du Tribunal suprême de justice (avec la portée qui découle de la rédaction initiale du Code civil ou qui leur a postérieurement été attribuée), il devrait connaître de l'objet du présent recours, et juger non fondée la question préalable soulevée par le ministère public.

6. En retenant donc comme norme à apprécier celle précédemment définie, il faudrait encore observer que le constat d'une violation du principe de légalité des peines, quant à sa qualification, ne correspond pas à la question de savoir si la disposition en cause a été bien ou mal interprétée, mais à celle de savoir si la norme appliquée (avec l'interprétation qui lui a été donnée), en ce qu'elle excède le sens possible des termes de la loi, se révèle imprévisible pour ses destinataires. Comme il a été affirmé dans l'arrêt no 168/99, " l'appréciation de l'existence d'une violation du principe de la typicité, comme expression du principe constitutionnel de la légalité, équivaut à apprécier la conformité de la norme pénale appliquée au regard du degré de détermination exigible pour qu'elle puisse remplir sa fonction spécifique - celle d'orienter les comportements humains pour prévenir l'atteinte à des biens juridiques pertinents ".

Pour le requérant, le raisonnement selon lequel la plaque minéralogique correspond à un document doté de force probante similaire à celle d'un document authentique ne saurait être admis, dans la mesure où il s'éloignerait de la " notion légale en droit civil de « document authentique ou doté de force probante similaire », sans indiquer un quelconque dispositif légal pour les définir ". Attendu qu'il n'appartient pas au juge d'" appliquer des normes pénales sur la base des critères formulés par lui ", l'inconstitutionnalité de l'interprétation citée pour violation du principe de légalité pourrait alors être établie.

Il faut avant tout souligner, en premier lieu, que la loi pénale peut évidemment formuler des concepts dont la portée ne coïncide pas avec celle des concepts de la loi civile, non seulement dans les cas où cette différence de portée est explicite (cf., par ex., la définition légale de « document » énoncée à l'article 225/a du Code pénal), mais aussi quand l'autonomie conceptuelle de la norme pénale découle de la loi.

En second lieu, il y a lieu d'observer que, s'il existe une notion civiliste de « document authentique », il n'en va pas de même pour le document doté de force probante similaire à ce dernier, et que seule existe, avec force probante probante, l'assimilation de documents privés authentifiés (cf. art. 377, C. civ.).

7. Voyons maintenant, en considérant que la plaque minéralogique du véhicule automobile appartiendrait à la catégorie des documents dotés de force probante similaire aux documents authentiques, si la jurisprudence dominante (celle qui a été retenue dans l'assunto déjà mentionné du Tribunal suprême de justice, du 5 novembre 1998, relatif à la version initiale du Code pénal de 1982), retenue dans l'arrêt contesté, n'a pas formulé une norme pénale en contrariété avec le sens possible des termes de la loi.

Quant à la notion de « document » régie par l'article 255/a du Code pénal, ladite notion paraît être suffisamment large pour englober, dans sa lettre, la plaque minéralogique (cf., sur cette question, Helena Moniz, annotation à la disposition en cause dans Commentaire du Code pénal - Partie spéciale, dir. Figueiredo Dias, tome II, Coimbra, 1999, pp. 668-669).

Quant à la question de savoir si la jurisprudence en cause peut être appliquée au concept de document doté de force probante similaire, il apparaît que l'expression littérale du précepte légal est également suffisamment large pour que ledit document puisse y avoir sa place. Il suffit de reconnaître que " la plaque minéralogique apposée sur un véhicule constitue le support matériel, visible par tous et obligatoire, d'un numéro créé par l'autorité publique ayant compétence à cet effet - donc doté de la notoriété publique et de la confiance qui y est attachée " (cf. assunto du TSJ cité). Ce qui rend plausible, en termes généraux, son assimilation à un document doté de force probante similaire. Rappelons que cette affirmation n'implique pas de jugement de valeur quant à la question de savoir si l'interprétation adoptée par les instances est la plus pertinente (relativement au problème des présupposés de la qualification d'infraction de falsification, sur le plan de l'interprétation du droit infra-constitutionnel, voir Helena Moniz, ob. cit., pp. 686-688).

La norme contestée n'apparaît pas comme transgressant le principe de typicité, comme expression du principe de la légalité des peines (art. 29-1, Const.).

Je jugerais donc le recours également non fondé dans cette branche.

Maria dos Prazeres Pizarro Beleza


* La version française de la loi relative au Tribunal constitutionnel portugais est disponible en ligne sur le site Internet du Tribunal (http://www.tribunalconstitucional.pt). Depuis l'arrêt 1/98, le texte intégral des arrêts du Tribunal constitutionnel est également consultable, en portugais, à cette adresse. Enfin, la version française de la Constitution portugaise est proposée à l'adresse http://www.parlamento.pt.

(1) Le requérant est la victime du crime ; en portugais : « Assistente ».
(2) NDLR : « actualiste » : néologisme utilisé pour signifier que le recours se fonde sur la législation en vigueur alors qu'il devrait se fonder sur la législation en vigueur au moment des faits.
(3) NDLR : la loi relative au Tribunal constitutionnel prévoit le remplacement du rapporteur en cas de désaccord sur la solution finalement adoptée par le Tribunal.
(4) NDLR : la loi relative au Tribunal constitutionnel prévoit le remplacement du rapporteur en cas de désaccord sur la solution finalement adoptée par le Tribunal.
(5) Les « assentos » étaient les arrêts (ayant force obligatoire générale) d'harmonisation de la jurisprudence du Tribunal suprême de justice. Avec l'abrogation, en 1995, de l'article 2 ° du Code civil, cette force obligatoire générale a été supprimée.
(6) NDLR : la citation correspondante est reproduite ci-dessus, p. 47 (arrêt n° 205/99 du 7 avr. 1999, II, A, argumentation développée aux numéros 4 et 5 de cet arrêt).
(7) NDLR : voir ci-dessus l'arrêt 205/99 et l'opinion dissidente de M. le Président José Manuel Cardoso da Costa publiée p. 50.