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Sur l'introduction hypothétique du recours individuel direct devant le Conseil constitutionnel

Louis FAVOREU - Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III, Directeur du groupe d'études et de recherches sur la justice constitutionnelle, UMR-CRNS

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 10 (Dossier : L'accès des personnes à la justice constitutionnelle) - mai 2001

La question de l'introduction d'un recours direct en inconstitutionnalité ouvert aux particuliers dans notre système de justice constitutionnelle, n'a jamais été abordée en tant que telle en France (1). C'est qu'il y a le plus souvent une grande confusion, non seulement dans la classe politique mais aussi en doctrine, quant aux diverses voies d'accès à la justice constitutionnelle.

I.

Longtemps les uns et les autres se sont référés exclusivement à l'exemple américain - encore aujourd'hui parfois seul cité dans certains ouvrages - en l'interprétant de manière assez souvent erronée comme ouvrant la possibilité à tout individu de contester la constitutionnalité d'une loi devant la Cour suprême.

À cette présentation déjà inexacte - car, comme on le sait, un individu n'a qu'une chance infime de faire juger son cas par la Cour suprême fédérale, celle-ci n'acceptant d'examiner qu'une quarantaine de cas constitutionnels sur les cinq mille affaires qui lui sont soumises chaque année - s'ajoute parfois la croyance que la Cour peut être saisie directement et qu'elle statue, comme en France, sur la régularité des lois nationales ou fédérales, ce qui, en fait, est exceptionnel.

De là est née certainement la conception française de la justice constitutionnelle, uniquement centrée sur le contrôle de constitutionnalité des lois exercé par une Cour suprême à l'américaine et nourrie par une série de propositions de lois constitutionnelles formulées entre les deux guerres et après la seconde guerre, visant à instaurer un recours direct contre la loi devant une « Cour suprême » à l'américaine, en réalité une Cour constitutionnelle à l'européenne. C'est la tradition de la fausse imitation de la Cour suprême. La mythologie du contrôle de constitutionnalité des lois en France est également nourrie de toutes les retombées de l'ouvrage d'Édouard Lambert, « Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis » (2). De cet ouvrage remarquable, il a été surtout retenu le titre : le « gouvernement des juges » apparaissant désormais comme un épouvantail ou un « spectre » qu'il faut condamner surtout après que l'affrontement entre Roosevelt et la Cour suprême ait, au cours des années trente, paru confirmer cette méfiance.

Dès lors, à partir de l'entre-deux guerres, le contrôle de constitutionnalité des lois apparaît comme un instrument de conservation sociale, susceptible de faire obstacle aux réformes. Le mythe du « gouvernement des juges » est désormais ancré dans la conscience collective de la gauche : n'est-il pas significatif à cet égard qu'à l'automne 1981, l'actuel Premier ministre - alors secrétaire général du parti socialiste - ait déclaré à propos d'une menace de censure de la loi sur les nationalisations « jamais une réforme n'a été arrêtée par une Cour suprême » ?

Le paradoxe est, cependant, qu'alors même qu'est dénoncée l'intervention d'une Cour suprême, les propositions de réforme du Conseil constitutionnel - notamment formulées dans le « programme commun de gouvernement » - visent à instaurer une « em>véritable Cour suprême ». Ce qui montre la persistance d'une confusion dans les esprits due au fait que la méconnaissance du droit comparé - particulièrement du droit constitutionnel comparé européen - est toujours aussi grande.

II.

Mais voilà qu'au cours des années quatre-vingt, quelques constitutionnalistes découvrent avec une vingtaine d'années de retard, l'existence d'un modèle européen de justice constitutionnelle illustré par l'existence de puissantes Cours constitutionnelles dans divers États voisins de la France. Dès lors, le « retard » français en matière d'accès des individus à la justice constitutionnelle, est stigmatisé au regard de ces cas exemplaires, plutôt qu'au regard du cas américain. Alors que les expériences allemande, italienne, autrichienne, espagnole ou portugaise étaient jusque-là ignorées - malgré les efforts des équipes travaillant notamment à la mise au point de l'Annuaire international de justice constitutionnelle - elles sont tout d'un coup invoquées et citées en exemple pour mieux montrer du doigt le « mauvais élève » français.

Le problème est que l'invocation d'exemples étrangers est assez souvent périlleuse en droit comparé dès lors que ceux qui y ont recours ne connaissent pas le plus souvent le contexte propre à chaque pays. Ainsi, se référer à l'institution espagnole de l_'amparo_ - qui permet à tout individu de se plaindre, auprès du Tribunal constitutionnel, de la violation de ses droits fondamentaux - pour montrer qu'à la différence de ce qui se passe en France, l'accès des individus au contrôle des lois est largement ouvert, constitue une erreur de taille dans la mesure où l'amparo est ouvert contre les actes administratifs et juridictionnels... mais non contre les lois. Et même, comme nous le verrons plus loin, lorsqu'existe un recours direct contre les lois, on ne peut en tirer les conséquences imaginées par les nouveaux convertis.

On est passé en France d'un extrême à l'autre. Jusqu'aux années soixante dix, beaucoup de juristes ne considéraient pas comme anormale la situation française caractérisée par une absence de contrôle de la loi conforme à notre tradition, et certains d'entre eux se contentaient de prôner un contrôle à l'américaine (« mal digéré ») avec le plus grand mépris pour le Conseil constitutionnel. À partir du moment où celui-ci s'est mis à exercer un contrôle original et de plus en plus efficace, les nouveaux convertis ont réclamé qu'il en fasse beaucoup plus en mettant en parallèle le caractère restreint de sa saisine et la généreuse ouverture de l'accès au juge constitutionnel à l'étranger. Sans s'apercevoir que ladite ouverture ne concernait pas le contrôle des lois - seule chose qui intéresse les juristes français - mais d'autres actes ou comportements. Sans vouloir remarquer également que plusieurs pays de l'Union européenne ne permettent aucun contrôle de la loi (3).

Le complexe d'infériorité observé chez de nombreux membres de la doctrine en France est irraisonné et irraisonnable ; l'occasion est donc bonne de tenter de clarifier ce qui constitue, pour les thuriféraires du contrôle ouvert, le nec plus ultra : à savoir le recours direct en inconstitutionnalité ouvert aux individus.

L'exercice va consister à se situer dans le contexte français et à vérifier ce à quoi conduirait l'insertion dans un tel contexte, de « l'arme absolue » : le recours direct ouvert aux individus contre les lois.

III.

C'est ce qui est uniquement perçu en France comme existant à l'étranger alors que, comme il va être constaté, ceci ne représente qu'une faible partie de l'activité juridictionnelle des Cours constitutionnelles.

Les principaux exemples sont offerts par les systèmes allemand, autrichien et belge.

En effet, bien que souvent appelée à statuer sur la constitutionnalité des lois, la Cour italienne est saisie, comme on le sait, par le biais de renvois, par les tribunaux ordinaires, de questions préjudicielles de constitutionnalité, selon le système dit du « contrôle concret des normes ». La création d'un recours direct, à la manière allemande ou autrichienne, a été envisagée lors de la vaste réforme constitutionnelle étudiée par la « Commission bicamérale » (4). Mais l'institution d'un tel recours a été rejetée au grand soulagement de la Cour constitutionnelle qui craignait d'être littéralement « étouffée » sous l'afflux des recours alors qu'elle a déjà une intense activité. Certains se sont même posé la question de savoir si une telle réforme n'avait pas été envisagée à cette fin par les adversaires de la Cour.

Les recours directs allemand et autrichien sont étudiés dans la même livraison et il ne nous appartient donc pas de les décrire. Il est intéressant cependant de noter, pour notre propos, que l'un comme l'autre aboutissent très rarement à l'examen au fond de la constitutionnalité d'une loi et encore moins souvent à l'invalidation de la loi. Ceci résulte des conditions très sévères de recevabilité découlant du caractère subsidiaire du recours direct et de la rigueur du filtrage. Ainsi, en 1999, en Autriche, sur 81 « requêtes individuelles » soumises à la Cour, trois ont été examinées au fond et une seule a donné lieu à invalidation. Dans le même temps, 2373 décisions ont été rendues sur recours direct contre des actes administratifs individuels (5).

Des chiffres semblables peuvent être avancés pour la République fédérale d'Allemagne : très peu de recours concernent les lois ; en revanche, plusieurs milliers de recours, donnant lieu à des milliers de décisions, sont dirigés contre les actes juridictionnels.

En Belgique, depuis 1989, la Cour d'arbitrage peut être saisie de recours directs en annulation contre des actes législatifs (lois nationales, décrets et ordonnances émanant d'autorités législatives des communautés ou des régions) par des particuliers. En 1999, la Cour a rendu 39 arrêts sur recours de particuliers. Dans le même temps, 82 arrêts ont été prononcés sur renvoi de questions préjudicielles.

IV.

Les trois exemples rapidement exposés invitent à la réflexion, dès lors surtout que se pose la question - théorique en l'état - d'une extension des solutions ainsi adoptées en France.

Première constatation troublante : les recours individuels contre des lois sont très peu nombreux - moins d'une centaine - alors que les Cours allemande et autrichienne sont, dans le même temps, saisies de plusieurs milliers de requêtes individuelles dirigées contre des actes infra-législatifs.

Que peut-on en déduire ? Il est tout d'abord possible d'avancer l'explication selon laquelle les conditions de recevabilité très strictes découragent les requérants. Mais pourquoi alors que 99 % des recours dirigés contre des actes infra-législatifs sont rejetés, les plaignants continuent-ils à introduire des requêtes par milliers ?

Force est alors d'envisager l'hypothèse selon laquelle le recours individuel contre la loi ne présente pas un intérêt majeur pour les particuliers. Mais une telle réflexion est iconoclaste et sera certainement critiquée très sévèrement. Alors quelle est l'explication ?

La question n'ayant jamais été posée de cette manière, il est difficile d'y répondre ; mais on attend avec impatience les réponses qui seront proposées par ceux qui savent. Pour notre part, nous en restons, en attendant ces explications, à la réponse précédente à moins de considérer que l'existence de délais courts (6 mois ou un an) ait une influence (v. infra), du moins dans les cas belge et allemand.

V.

Il est à remarquer, tout d'abord, que jusqu'ici nul n'a fait cette proposition. En fait, sans doute quelques-uns se sont-ils abstenus de le faire par prudence, et en connaissance de cause ; mais la plupart ne l'ont pas fait par ignorance. Cela ne pourra plus être le cas à compter de la publication de la présente série d'études, du moins peut-on l'espérer.

Quelles seraient les conditions d'introduction de ce nouveau mode de saisine dans le contexte français actuel ? C'est à un exercice de prospective qu'il nous faut nous livrer car, semble-t-il, la mise en place d'un recours direct n'a pas été envisagée concrètement jusqu'à présent. Il ne s'agit pas ici d'examiner toutes les modalités de l'introduction d'un tel mécanisme mais uniquement les principales ou celles qui soulèvent des problèmes particuliers.

Première question : toutes les lois pourront-elles faire l'objet d'un recours direct ou seulement, par exemple, les lois votées à partir de la réforme ? En 1990, pour un tout autre type de réforme il est vrai, aucune date n'avait été fixée. En outre, si l'on entend par « lois » l'ensemble des actes législatifs, c'est un énorme champ qui s'ouvrirait au contrôle. Les constituants belge et allemand (6) ont précisé que les actes législatifs ne pouvaient être mis en cause que dans le délai de six mois suivant leur publication pour le premier et d'un an pour le second (réduit à un mois dans certains cas). C'est une mesure sage qui devrait s'imposer si le recours direct était introduit en France ; et un délai de six mois serait convenable. Cela résout évidemment un autre problème posé plus haut : seules les lois « parlementaires » seraient susceptibles de recours.

Deuxième question : faut-il fixer une limite quant aux motifs de recours individuel ? On observera immédiatement que les Cours allemande et autrichienne ne peuvent être saisies qu'en cas d'atteinte aux droits fondamentaux du requérant, cette atteinte ne pouvant être potentielle mais nécessairement actuelle et effective. La réglementation belge paraît moins restrictive car d'autres moyens peuvent être invoqués au côté des droits fondamentaux : mais les droits fondamentaux invocables ne sont qu'au nombre de trois : l'égalité, la liberté d'enseignement et la non-discrimination.

Il semble ici que la solution française pourrait rejoindre les solutions allemande et autrichienne alors surtout qu'en 1990, c'est cette solution qui avait été préconisée. Depuis lors, la notion de droits fondamentaux s'est précisée, ce qui pourrait faciliter les choses.

Troisième question : le recours individuel doit-il être « subsidiaire », c'est-à-dire n'être recevable que s'il n'y a pas d'autres recours possibles ?

C'est la règle dans les cas allemand et autrichien : les requérants doivent épuiser toutes les autres voies de recours possibles, et même comme il est dit dans le rapport autrichien, « épuiser tout détour exigible ». L'attitude très exigeante des deux cours conduit à ce que le nombre de recours recevables est des plus faibles.

Il paraît raisonnable d'aller dans le même sens en imposant d'utiliser toutes les voies de recours possibles contre les actes d'exécution des lois avant d'introduire le recours direct.

VI.

Envisageons maintenant la possibilité d'introduire le recours direct dans le système français actuel de justice constitutionnelle en prenant en considération les trois conditions précédemment évoquées : lois votées dans le délai de six mois, atteinte aux droits fondamentaux, subsidiarité des recours.

- Un premier problème est posé par l'existence du contrôle a priori qui est la caractéristique du système français. Tout d'abord, il paraît raisonnable de considérer que les lois contrôlées sur recours préalable ne puissent être à nouveau mises en cause. Toutefois, doit être éclaircie la question de la contestabilité des dispositions non expressément examinées par le Conseil constitutionnel mais dont il a pu déclarer qu'il n'y avait pas lieu de soulever à leur propos un problème de constitutionnalité. C'est un débat classique que nous ne reprendrons pas ici (7), nous contentant de l'évoquer, en soulignant cependant que l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel tend à limiter la portée de l'autorité de chose jugée (8). Toutefois, ceci ne devrait pas jouer évidemment pour les lois organiques dont il est admis que le contrôle obligatoire est total : les lois organiques devraient donc être exclues du contrôle déclenché sur recours individuel, celui-ci étant réservé aux lois ordinaires.

L'existence du contrôle a priori soulève une autre question : en effet, un tel contrôle ne se justifie que dans la mesure où les décisions interviennent dans de brefs délais, toujours respectés. L'expérience espagnole a montré (9), en effet, que le contrôle a priori est condamné à brève échéance si le juge constitutionnel s'accorde des délais supplémentaires, pendant lesquels la mise en application des lois votées est suspendue. Cela suppose donc que le Conseil constitutionnel ait le temps de continuer à statuer dans le délai d'un mois - et parfois de huit jours - sur les recours a priori tout en examinant plusieurs dizaines de requêtes individuelles, du moins du point de vue de leur recevabilité. On peut penser, en effet, que dans la mesure où les lois promulguées ne pourraient être attaquées que dans le délai de six mois (délai proposé plus haut) le nombre de recours directs serait au même niveau que dans les trois pays cités plus haut : si l'on exclut en effet les lois organiques et les lois contrôlées a priori par le Conseil constitutionnel, le nombre de lois susceptibles d'être mises en cause n'est au plus que de quelques dizaines. Si l'on considère que plusieurs recours peuvent porter sur la même loi ou la même série de dispositions législatives, le nombre d'affaires à examiner sous l'angle de la recevabilité d'abord - éventuellement par des formations composées de trois juges - puis au fond, ne devrait pas être considérable (surtout au fond puisqu'en Allemagne et Autriche, la quasi-totalité ne passe pas le cap de la recevabilité).

VII.

Supposons que le problème soit posé dans les termes que nous venons d'exposer (10). Cela suffit-il à « balayer » toutes les objections à l'introduction d'un recours direct individuel en France ?

En fait, demeurent des objections de grande importance.

Tout d'abord, des objections de principe.

Admettre un tel recours c'est renoncer à l'immunité juridictionnelle de la loi promulguée. Or, d'un point de vue institutionnel, cela fait partie, en quelque sorte, de notre héritage républicain ; et d'autre part, c'est lié à l'idée de sécurité juridique dont elle constitue une garantie. En l'état actuel du droit positif, chacun est en droit de considérer que la stabilité de la loi promulguée est assurée et que l'on peut bâtir des projets sur la base de cette loi. Certes, aujourd'hui, le fameux contrôle de « conventionnalité » permet aux juridictions ordinaires d'écarter une loi contraire à la Convention européenne des droits de l'homme : mais la loi cesse d'être applicable dans un seul cas et reste valide dans tous les autres. Tandis que la déclaration d'inconstitutionnalité intervenant sur recours direct a normalement effet erga omnes.

Autre objection de principe : l'introduction du recours direct alourdirait l'assujettissement, déjà important, du Parlement législateur au contrôle du juge, diminuant ainsi d'autant l'autonomie dudit Parlement. Les partisans du « toujours plus »(11) oublient le plus souvent que l'examen a priori tel qu'il est assuré aujourd'hui par le Conseil constitutionnel est un des plus contraignants contrôles qui existent en droit comparé. La loi votée par le Parlement serait encore davantage placée sous la surveillance du Conseil constitutionnel : il est vrai que certains responsables politiques vont jusqu'à proposer que le Conseil constitutionnel contrôle toutes les lois (12) ! Ce qui évidemment supprimerait toute interrogation sur l'introduction d'un contrôle a posteriori et transformerait le Conseil constitutionnel en Sénat de l'Empire.

D'autres objections sont d'ordre technique.

Comment tout d'abord faire fonctionner en même temps et de manière satisfaisante, contrôle a priori et contrôle a posteriori (question déjà évoquée plus haut) ?

Qu'adviendrait-il ensuite des lois promulguées mais déférées au Conseil constitutionnel quelques mois, voire quelques semaines ou jours après leur promulgation ? On peut imaginer qu'au cours de la période d'attente qui suivrait, seraient sans doute suspendues quelques procédures telles que par exemple, la rédaction et l'édiction des décrets d'application.

Enfin, si l'on dresse une sorte de bilan coûts-avantages, cela vaut-il la peine de risquer de bloquer le fonctionnement du contrôle a priori et de mettre en cause la sécurité juridique pour un résultat qui, en Allemagne et en Autriche, se résume parfois en une seule invalidation de dispositions législatives par an ?

VIII.

Est-ce à dire que ces objections sont absolument décisives et qu'il est impossible de passer outre ?

Ce n'est pas ce que nous soutenons, mais il importe d'avoir présent à l'esprit l'ensemble des paramètres d'une opération à réaliser avant d'effectuer celle-ci. Nous avons tenté d'en donner l'essentiel sans prétendre avoir dressé la liste complète de ces paramètres : cela mériterait sans aucun doute une étude plus approfondie.

En toute hypothèse, après cette mise en perspective non réalisée jusqu'ici à notre connaissance, se dessine une impression : l'introduction d'un recours direct, dans les conditions précisées plus haut, paraît en définitive plus faisable que la mise en place d'une procédure de renvoi préjudiciel par les tribunaux ordinaires à la manière italienne ou même à la manière française (version 1990) dans la mesure où cela ne perturberait pas le fonctionnement desdits tribunaux et de leurs juridictions suprêmes, ni ne les inciterait eux-mêmes à pratiquer un avant-contrôle de constitutionnalité.

Dans la mesure aussi où le nombre de lois susceptibles d'être mises en cause serait beaucoup plus réduit : la sécurité juridique serait moins perturbée par le recours direct que par la question préjudicielle de constitutionnalité, sauf si celle-ci, comme nous l'avons proposé (13), ne pouvait être introduite que par le Conseil d'État ou par la Cour de cassation.

(1) La question n'a jamais été abordée en tant que telle en France, c'est-à-dire en tant que réforme applicable au cas français. Il y a dix ans cependant le thème du recours individuel a fait l'objet de la première partie du colloque international organisé à Aix à notre initiative (Colloque des 12-13 juill. 1991, Cours constitutionnelles et droits fondamentaux - 1re partie, L'accès direct à la protection : techniques et résultats) : à partir des expériences allemande, autrichienne, espagnole et belge, il a été discuté, de manière générale, de l'utilité et de l'opportunité d'un tel recours (Annuaire international de justice constitutionnelle, VII-1991, pp. 89-175). La discussion avait en fait commencé lors d'une journée d'études tenue à Louvain en février 1990 sous la direction de Francis Delpérée (« em>Le recours des particuliers devant le juge constitutionnel », Economica et Bruylant 1991).
(2) L'expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, Paris, Giard, 1921.
(3) Pour un tableau récent, cf. L. Favoreu, « Le contrôle de constitutionnalité des lois en Europe de l'Ouest », La documentation française, Cahiers français, n° 299, 2001.
(4) A. Pizzorusso, « La présentation de la Cour constitutionnelle italienne », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 6, 1999, spécialement p. 35 ; R. Romboli (D.), E. Rossi, R. Tarchi_, La Corte costituzionale nei lavori della commissione bicamerale,_ Giappichelli, Turin, 1998.
(5) Rapport autrichien : « En raison des limitations relativement étroites, les requêtes individuelles ne sont en définitive que rarement considérées comme recevables par la Cour constitutionnelle. Elle sont rejetées dans l'immense majorité des cas. »
(6) En revanche, il n'y a pas de délai en Autriche et pourtant il y a moins d'une centaine de recours pas an.
(7) Cf. Th. Di Manno, Le Conseil constitutionnel et les moyens et conclusions soulevés d'office, Economica-PUAM, 1994.
(8) Ce qui a été fait, semble-t-il, dans la perspective de la réforme projetée de 1990.
(9) Il avait été prévu un contrôle a priori des lois organiques en Espagne.
(10) Ce qui ne peut être une certitude car les recours directs en France peuvent être plus nombreux qu'en Allemagne et Autriche.
(11) Qui, presque toujours, souhaiteraient inclure aussi les engagements internationaux dans le bloc de constitutionnalité, ce qui ne ferait qu'alourdir l'assujettissement.
(12) Déclarations du ministre Jack Lang, Le Monde, du 14 févr. 2001.
(13) « La question préjudicielle de constitutionnalité. Retour sur un débat récurrent », Droit et politique à la croisée des cultures, Mélanges Philippe Ardant, LGDJ-Montchrestien, 1999, pp. 265-273.