Décision

Décision n° 2014-4 LP du 21 novembre 2014

Loi du pays relative à l'accès à l'emploi titulaire des fonctions publiques de Nouvelle-Calédonie
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 septembre 2014, par recours enregistré au greffe du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie le 3 septembre 2014, présenté par le président de l'assemblée de la province des Îles Loyauté, dans les conditions prévues à l'article 104 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, de la conformité à la Constitution de la loi du pays relative à l'accès à l'emploi titulaire des fonctions publiques de Nouvelle-Calédonie.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution et notamment ses articles 76 et 77 ;

Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, ensemble la décision du Conseil n° 99-410 DC du 15 mars 1999 ;

Vu l'avis du Conseil d'État en date du 16 juillet 2013, transmis au Conseil constitutionnel en application de l'article 100 de la loi organique susvisée ;

Vu les observations, enregistrées au greffe du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et transmises au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 12 septembre 2014, présentées par le président de l'assemblée de la province Nord ;

Vu les observations, enregistrées au greffe du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et transmises au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 17 septembre 2014, présentées par la présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que le 21 janvier 2014, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a adopté une loi du pays relative à l'accès à l'emploi titulaire des fonctions publiques de Nouvelle-Calédonie ; qu'à la demande de douze membres du congrès, et conformément aux articles 103 et 104 de la loi organique susvisée, ce texte a fait l'objet d'une nouvelle délibération, intervenue le 27 août 2014 ; que l'auteur de la saisine conteste la conformité à la Constitution de son article 1er ;

2. Considérant que l'article 1er de la loi du pays déférée est applicable aux agents non fonctionnaires qui occupent un emploi correspondant à un besoin permanent au sein des services de la Nouvelle-Calédonie et de ses institutions, des provinces, des communes, ainsi que de leurs établissements publics ou des syndicats mixtes, et qui justifient d'au moins trois ans d'équivalent temps plein au cours des cinq dernières années ; que cet article 1er prévoit, en leur faveur, la mise en place, pour une durée maximum de cinq ans, d'un dispositif d'intégration directe aux corps et cadres d'emploi dont les fonctions correspondent à celles au titre desquelles ces agents ont été recrutés ;

3. Considérant que selon les présidents des assemblées des provinces Nord et des Îles Loyauté, les dispositions contestées méconnaissent le principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi dès lors que le dispositif d'intégration d'agents non titulaires institué par elles ne comporte pas de disposition favorisant les personnes durablement installées en Nouvelle-Calédonie ; qu'ils soutiennent également que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité ;

4. Considérant que le contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois du pays de la Nouvelle-Calédonie doit s'exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l'accord de Nouméa et des dispositions organiques prises pour leur application ;

5. Considérant que le principe de mesures favorisant les personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie pour l'accès à un emploi salarié ou à une profession indépendante, ou pour l'exercice d'un emploi dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie ou dans la fonction publique communale, trouve son fondement constitutionnel dans l'accord de Nouméa ; que celui-ci stipule en effet, dans son préambule, qu' « afin de tenir compte de l'étroitesse du marché du travail, des dispositions seront définies pour favoriser l'accès à l'emploi local des personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie » ; qu'en outre, en vertu du point 2 de l'accord, la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui fonde les restrictions apportées au corps électoral appelé à désigner les « institutions du pays », sert aussi de « référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local » ; qu'enfin, selon le point 3.1.1 de l'accord de Nouméa : « la Nouvelle-Calédonie mettra en place, en liaison avec l'État, des mesures destinées à offrir des garanties particulières pour le droit à l'emploi de ses habitants. La réglementation sur l'entrée des personnes non établies en Nouvelle-Calédonie sera confortée.
« Pour les professions indépendantes, le droit d'établissement pourra être restreint pour les personnes non établies en Nouvelle-Calédonie.
« Pour les salariés du secteur privé et pour la fonction publique territoriale, une réglementation locale sera définie pour privilégier l'accès à l'emploi des habitants » ;

6. Considérant que l'article 77 de la Constitution a habilité le législateur organique à déterminer, pour la Nouvelle-Calédonie, « les règles relatives… à l'emploi » ;

7. Considérant que l'article 24 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie susvisée dispose, en son alinéa 1er, que « Dans le but de soutenir ou de promouvoir l'emploi local, la Nouvelle-Calédonie prend au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d'une durée suffisante de résidence des mesures visant à favoriser l'exercice d'un emploi salarié, sous réserve qu'elles ne portent pas atteinte aux avantages individuels et collectifs dont bénéficient à la date de leur publication les autres salariés » ; que le même article dispose, en son alinéa 2 que « de telles mesures sont appliquées dans les mêmes conditions à la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et à la fonction publique communale. La Nouvelle-Calédonie peut également prendre des mesures visant à restreindre l'accession à l'exercice d'une profession libérale à des personnes qui ne justifient pas d'une durée suffisante de résidence » ; que son alinéa 3 dispose : « La durée et les modalités de ces mesures sont définies par des lois du pays » ; que, dans sa décision du 15 mars 1999 susvisée, le Conseil constitutionnel a examiné les dispositions de cet article 24 de la loi organique du 19 mars 1999 ; qu'il a jugé qu'il appartient aux « lois du pays » prises en application de l'article 24, et susceptibles d'être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, de fixer, pour chaque type d'activité professionnelle et chaque secteur d'activité, la « durée suffisante de résidence » mentionnée aux premier et deuxième alinéas de cet article en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l'emploi local, sans imposer de restrictions autres que celles strictement nécessaires à la mise en œuvre de l'accord de Nouméa ;

8. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au législateur du pays de mettre en œuvre le principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi, consacré par l'accord de Nouméa, dans les mêmes conditions pour l'accès à l'emploi dans la fonction publique que pour l'emploi salarié ;

9. Considérant que les dispositions contestées ne comportent aucune disposition favorisant l'accès à l'emploi dans la fonction publique au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d'une durée suffisante de résidence ; que, par suite, elles méconnaissent le principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi en Nouvelle-Calédonie consacré par l'accord de Nouméa ;

10. Considérant que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions de l'article 1er de la loi du pays déférée, ainsi que de ses articles 2 à 11 qui n'en sont pas séparables, doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

11. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'examiner d'office aucune question de conformité à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Les articles 1er à 11 de la loi du pays relative à l'accès à l'emploi titulaire des fonctions publiques de Nouvelle-Calédonie sont contraires à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 novembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 21 novembre 2014.

JORF n°0271 du 23 novembre 2014 page 19674, texte n° 28
ECLI : FR : CC : 2014 : 2014.4.LP

Les abstracts

  • 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
  • 14.5. DISPOSITIONS TRANSITOIRES RELATIVES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE (article 77)
  • 14.5.4. Transferts de compétence
  • 14.5.4.4. Fonction publique de la Nouvelle-Calédonie

L'article 1er de la loi du pays déférée est applicable aux agents non fonctionnaires qui occupent un emploi correspondant à un besoin permanent au sein des services de la Nouvelle-Calédonie et de ses institutions, des provinces, des communes, ainsi que de leurs établissements publics ou des syndicats mixtes, et qui justifient d'au moins trois ans d'équivalent temps plein au cours des cinq dernières années. Cet article 1er prévoit, en leur faveur, la mise en place, pour une durée maximum de cinq ans, d'un dispositif d'intégration directe aux corps et cadres d'emploi dont les fonctions correspondent à celles au titre desquelles ces agents ont été recrutés.
Ces dispositions ne comportent aucune disposition favorisant l'accès à l'emploi dans la fonction publique au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d'une durée suffisante de résidence. Par suite, elles méconnaissent le principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi en Nouvelle-Calédonie consacré par l'accord de Nouméa.

(2014-4 LP, 21 novembre 2014, cons. 2, 9, JORF n°0271 du 23 novembre 2014 page 19674, texte n° 28 )

Il résulte des dispositions de l'accord de Nouméa, de l'article 77 de la Constitution et de l'article 24 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie qu'il appartient au législateur du pays de mettre en œuvre le principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi, consacré par l'accord de Nouméa, dans les mêmes conditions pour l'accès à l'emploi dans la fonction publique que pour l'emploi salarié.

(2014-4 LP, 21 novembre 2014, cons. 8, JORF n°0271 du 23 novembre 2014 page 19674, texte n° 28 )
  • 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
  • 14.5. DISPOSITIONS TRANSITOIRES RELATIVES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE (article 77)
  • 14.5.8. Normes de contrôle

Le contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois du pays de la Nouvelle-Calédonie doit s'exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l'accord de Nouméa et des dispositions organiques prises pour leur application.

(2014-4 LP, 21 novembre 2014, cons. 4, JORF n°0271 du 23 novembre 2014 page 19674, texte n° 28 )
  • 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
  • 14.5. DISPOSITIONS TRANSITOIRES RELATIVES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE (article 77)
  • 14.5.9. Principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi

Le principe de mesures favorisant les personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie pour l'accès à un emploi salarié ou à une profession indépendante, ou pour l'exercice d'un emploi dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie ou dans la fonction publique communale, trouve son fondement constitutionnel dans l'accord de Nouméa.
L'article 77 de la Constitution a habilité le législateur organique à déterminer, pour la Nouvelle-Calédonie, « les règles relatives… à l'emploi ».
Dans sa décision du 15 mars 1999 , le Conseil constitutionnel a examiné les dispositions de l'article 24 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Il a jugé qu'il appartient aux « lois du pays » prises en application de l'article 24, et susceptibles d'être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, de fixer, pour chaque type d'activité professionnelle et chaque secteur d'activité, la « durée suffisante de résidence » mentionnée aux premier et deuxième alinéas de cet article en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l'emploi local, sans imposer de restrictions autres que celles strictement nécessaires à la mise en œuvre de l'accord de Nouméa.
Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au législateur du pays de mettre en œuvre le principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi, consacré par l'accord de Nouméa, dans les mêmes conditions pour l'accès à l'emploi dans la fonction publique que pour l'emploi salarié.

(2014-4 LP, 21 novembre 2014, cons. 5, 6, 7, 8, JORF n°0271 du 23 novembre 2014 page 19674, texte n° 28 )

L'article 1er de la loi du pays relative à l'accès à l'emploi titulaire des fonctions publiques de Nouvelle-Calédonie est applicable aux agents non fonctionnaires qui occupent un emploi correspondant à un besoin permanent au sein des services de la Nouvelle-Calédonie et de ses institutions, des provinces, des communes, ainsi que de leurs établissements publics ou des syndicats mixtes, et qui justifient d'au moins trois ans d'équivalent temps plein au cours des cinq dernières années. Cet article 1er prévoit, en leur faveur, la mise en place, pour une durée maximum de cinq ans, d'un dispositif d'intégration directe aux corps et cadres d'emploi dont les fonctions correspondent à celles au titre desquelles ces agents ont été recrutés.
Ces dispositions ne comportent aucune disposition favorisant l'accès à l'emploi dans la fonction publique au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d'une durée suffisante de résidence. Par suite, elles méconnaissent le principe de préférence locale pour l'accès à l'emploi en Nouvelle-Calédonie consacré par l'accord de Nouméa.
Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions de l'article 1er de la loi du pays déférée, ainsi que de ses articles 2 à 11 qui n'en sont pas séparables, doivent être déclarées contraires à la Constitution.

(2014-4 LP, 21 novembre 2014, cons. 2, 9, 10, JORF n°0271 du 23 novembre 2014 page 19674, texte n° 28 )
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Observations du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Observations du Président de la province Nord, Texte adopté, Saisine du président de l'assemblée de la province des Îles Loyauté, Observations du Président de la province Nord, Observations du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Références doctrinales, Version PDF de la décision.
Toutes les décisions