Décision

Décision n° 93-1213 AN du 16 décembre 1993

A.N., Alpes-Maritimes (2ème circ.)
Annulation - Inéligibilité

Le Conseil constitutionnel,

Vu la requête présentée par M. Joseph Figueras, demeurant à Nice (Alpes-Maritimes), enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 6 avril 1993, et tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 21 et 28 mars 1993 dans la 2e circonscription du département des Alpes-Maritimes pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale ;

Vu le mémoire en défense présenté par M. Estrosi, enregistré comme ci-dessus le 26 avril 1993 ;

Vu le mémoire en réplique présenté par M. Figueras, enregistré comme ci-dessus le 24 mai 1993 ;

Vu les observations présentées par le ministre de l'intérieur, enregistrées comme ci-dessus les 25 mai et 22 juin 1993 ;

Vu le mémoire complémentaire et l'erratum à ce mémoire présentés par M. Figueras, enregistrés comme ci-dessus, respectivement les 25 et 28 juin 1993 ;

Vu les nouvelles observations en défense présentées par M. Estrosi, enregistrées comme ci-dessus les 22 juin, 19 juillet et 13 août 1993 ;

Vu la décision du 23 juillet 1993 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, enregistrée comme ci-dessus le 30 juillet 1993, approuvant le compte de campagne de M. Estrosi ;

Vu les mémoires en réplique présentés par M. Figueras, enregistrés comme ci-dessus les 9 et 28 juillet, le 9 septembre et les 10 et 18 octobre 1993 ;

Vu les nouveaux mémoires en défense présentés par M. Estrosi, enregistrés comme ci-dessus les 28 septembre et 18 octobre 1993 ;

Vu la décision ordonnant un supplément d'instruction rendue le 29 octobre 1993 par le Conseil constitutionnel et les observations suite à ce supplément d'instruction présentées par M. Figueras, enregistrées comme ci-dessus les 4, 16, 22, 25, 29 novembre 1993 et 1er décembre 1993, et par M. Estrosi, enregistrées comme ci-dessus les 5, 22, 30 novembre et 3 décembre 1993, par les éditions du Rocher, enregistrées comme ci-dessus le 5 novembre et le 3 décembre 1993, et par M. Grisoni, président de l'association Les Amis de Christian Estrosi, enregistrées comme ci-dessus les 8, 18, 19 et 26 novembre 1993 ;

Vu les observations présentées par M. Estrosi le 9 décembre 1993 et par M. Figueras le 10 décembre 1993, enregistrées comme ci-dessus ;

Vu l'article 59 de la Constitution ;

Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code électoral ;

Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;

Vu les autres pièces produites au dossier ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral « chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 » qu'il est spécifié que : « Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord, même tacite, de celui-ci, par les personnes physiques ou morales, les groupements et partis qui lui apportent leur soutien » que le premier alinéa de l'article L. 52-12 impose aussi que « le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié » qu'aux termes de l'article L. 52-8 : « Les dons consentis par des personnes dûment identifiées pour le financement de la campagne d'un candidat... ne peuvent excéder 30 000 F s'ils émanent d'une personne physique... » qu'aux termes de l'article L. 52-4 : « Pendant l'année précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où l'élection a été acquise, un candidat à cette élection ne peut avoir recueilli des fonds en vue du financement de sa campagne que par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné par lui, qui est soit une association de financement électorale, soit une personne physique dénommée »le mandataire financier". Lorsque le candidat a décidé de recourir à une association de financement électorale ou à un mandataire financier, il ne peut régler les dépenses occasionnées par sa campagne électorale que par leur intermédiaire, à l'exception du montant du cautionnement éventuel et des dépenses prises en charge par un parti ou un groupement politique. « qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-5 du même code : » L'association de financement électorale est tenue d'ouvrir un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières... "

2. Considérant que le requérant fait valoir que l'association Les Amis de Christian Estrosi a joué le rôle d'une association de financement parallèle pour les élections législatives du mois de mars 1993, en permettant d'occulter une partie des frais engagés par le candidat élu ; qu'en particulier, cette association a acheté 3 000 exemplaires d'un livre de propagande électorale, La Décadence du socialisme dont celui-ci est l'auteur ; qu'elle a participé à la campagne de promotion commerciale de cet ouvrage, notamment en finançant un affichage publicitaire et en organisant diverses séances de dédicace ;

3. Considérant que la publication d'un ouvrage ne saurait, en principe, être regardée comme une action de propagande du seul fait que l'auteur de ce livre est candidat à une élection ; que, s'agissant cependant de l'ouvrage de M. Estrosi intitulé La Décadence du socialisme, ce livre est consacré à la critique en termes polémiques de l'action de la majorité sortante et à l'énoncé de réformes à accomplir dans le cadre d'une alternance politique que l'auteur appelle de ses voeux ; que ce livre apparaît ainsi comme un ouvrage de propagande politique ; que, par suite, les dépenses correspondant aux moyens engagés en vue d'assurer la diffusion de cet ouvrage et destinées à promouvoir auprès des électeurs l'image du candidat ont le caractère de dépenses effectuées en vue de l'élection pour le compte du candidat, au sens des dispositions précitées de l'article L. 52-12, et doivent dès lors être incluses dans son compte de campagne ;

4. Considérant que M. Estrosi a annoncé sa candidature le 18 novembre 1992 ; qu'à cette date le directeur de sa campagne a passé commande de 3 000 exemplaires de l'ouvrage en cause pour lequel le contrat d'édition a été signé par M. Estrosi le 26 novembre 1992 ; que cette commande a été prise en charge par l'association Les Amis de Christian Estrosi qui en a réglé le coût à l'éditeur en deux versements le 18 janvier et le 29 avril 1993 ; que, par ailleurs, le 18 novembre 1992 a également été signé un contrat d'affichage publicitaire de cet ouvrage avec la société Giraudy et que le lendemain a été signé un autre contrat d'affichage publicitaire avec la société Pisoni ; que cette campagne, qui avait été commandée pour une durée de sept jours, a concerné 121 panneaux de 4 mètres sur 3 mètres implantés dans Nice et son agglomération, 38 de ces panneaux se situant dans la circonscription ; qu'elle ne pouvait avoir un objectif commercial, le livre n'ayant été mis en place dans les librairies que le 13 janvier 1993 ; qu'à cette campagne publicitaire a succédé un affichage militant jusqu'à une période proche de l'ouverture de la campagne électorale, sur des supports de mobilier urbain de Nice par l'utilisation d'affiches semblables à celles de l'affichage publicitaire, mais d'un format plus réduit, pour accompagner l'annonce de diverses manifestations auxquelles participait M. Estrosi en sa qualité de candidat ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'une partie du coût de la campagne d'affichage publicitaire a été payée par l'association Les Amis de Christian Estrosi ; que cette association a été créée le 22 septembre 1992 dans le but « de soutenir l'action politique de Christian Estrosi afin de contribuer à son élection en tant que maire de la ville de Nice » que la permanence et l'association de financement électorale de M. Estrosi ont eu leur siège à la même adresse que cette association ; qu'il ressort de l'instruction que la société Pisoni a adressé à M. Estrosi en décembre 1992 deux factures, l'une pour un montant de 37 133,66 F et l'autre pour un montant de 11 136,54 F, correspondant à une partie du coût de l'affichage publicitaire ; que la société Afficolor a adressé à M. Estrosi le 30 novembre 1992 une facture d'un montant de 13 223,90 F correspondant au coût d'impression des affiches ; que ces trois factures ont été réglées par l'association Les Amis de Christian Estrosi ; que c'est seulement à la date du 20 avril 1993, selon les dires du président de l'association, que cette dernière a demandé à l'association de financement électorale de M. Estrosi de lui rembourser une somme de 23 992,78 F sur le montant des dépenses exposées par elle à ce titre au profit du candidat élu, qui s'établit à 61 494,10 F ;

6. Considérant qu'en outre il est établi que cette association a payé diverses dépenses correspondant à l'envoi du livre de M. Estrosi et qu'elle a organisé en janvier et février 1993 à ses frais plusieurs séances de dédicace de ce livre ;

7. Considérant par ailleurs que l'association Les Amis de Christian Estrosi a recueilli des cotisations ainsi qu'un don de personne physique d'un montant de 50 000 F, supérieur au plafond autorisé par l'article L. 52-8 ; que cette association a reçu le 30 mars 1993 de la formation politique dont se réclamait le candidat une somme de 115 000 F afin de contribuer au règlement des dépenses exposées par elle ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que cette association a, grâce aux recettes ci-dessus mentionnées, pris en charge des dépenses occasionnées par la campagne électorale de M. Estrosi ; que ces dépenses auraient dû être supportées par l'association de financement électorale du candidat, figurer, comme les recettes, pour leur totalité au compte de campagne de celui-ci et être retracées dans un compte bancaire unique en vertu des articles L. 52-4 et L. 52-5 précités dont les dispositions constituent des formalités substantielles ;

9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L.O. 128 du code électoral : « Est également inéligible pendant un an à compter de l'élection celui qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l'article L. 52-12... » qu'aux termes de l'article L.O. 186-1 : " ... le conseil, si l'instruction fait apparaître qu'un candidat se trouve dans l'un des cas mentionnés au deuxième alinéa de l'article L.O. 128, prononce son inéligibilité conformément à cet article et, s'il s'agit du candidat proclamé élu, annule son élection. " qu'il résulte de ces dispositions qu'il y a lieu pour le Conseil constitutionnel de constater l'inéligibilité de M. Estrosi pour une durée d'un an à compter du 28 mars 1993 et d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées dans la 2e circonscription des Alpes-Maritimes,

Décide :
Article premier :
M. Christian Estrosi est déclaré inéligible pour une durée d'un an à compter du 28 mars 1993.
Article 2 :
Les opérations électorales qui se sont déroulées dans la 2e circonscription des Alpes-Maritimes les 21 et 28 mars 1993 sont annulées.
Article 3 :
La présente décision sera notifiée à l'Assemblée nationale et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 décembre 1993, où siégeaient : MM. Robert BADINTER, président, Robert FABRE, Maurice FAURE, Marcel RUDLOFF, Georges ABADIE, Jean CABANNES, Jacques LATSCHA, Jacques ROBERT et Mme Noëlle LENOIR.
Le président,
Robert BADINTER

Journal officiel du 18 décembre 1993, page 17694
Recueil, p. 551
ECLI : FR : CC : 1993 : 93.1213.AN

Les abstracts

  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.5. Financement
  • 8.3.5.3. Présentation du compte
  • 8.3.5.3.2. Totalité des opérations financières

Le requérant fait valoir que l'association " les amis de... (nom du député élu) " a joué le rôle d'une association de financement parallèle pour les élections législatives du mois de mars 1993. Cette association a acheté 3 000 exemplaires d'un ouvrage rédigé par le candidat et assuré, notamment par une campagne d'affichage, sa promotion. Ce livre apparaît comme un ouvrage de propagande politique et les dépenses liées à sa diffusion doivent figurer parmi les dépenses du candidat. La commande de l'ouvrage, prise en charge par l'association, est simultanée par rapport à l'annonce de la candidature et à la signature d'un contrat d'affichage publicitaire. Une partie du coût de cette campagne a été payée par l'association laquelle a reçu à une date postérieure à l'élection, une somme de 115 000 F de la part de la formation politique dont se réclamait le candidat. La permanence électorale et l'association de financement électorale du candidat ont leur siège à la même adresse que cette association. Celle-ci a pris en charge des dépenses occasionnées par la campagne électorale du candidat. Ces dépenses auraient dû être supportées par l'association de financement électorale du candidat et figurer, comme les recettes, pour leur totalité au compte de campagne de celui-ci et être retracées dans un compte bancaire unique en vertu des articles L. 52-4 et L. 52-5 du code électoral dont les dispositions constituent des formalités substantielles. Inéligibilité.

(93-1213 AN, 16 décembre 1993, cons. 2, Journal officiel du 18 décembre 1993, page 17694)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.5. Financement
  • 8.3.5.4. Recettes produites au compte de campagne
  • 8.3.5.4.1. Plafonnement des recettes

L'association " Les amis de... (nom du candidat élu) " qui n'est pas son association de financement mais qui a pris en charge des dépenses et encaissé des recettes en vue de son élection, a recueilli des cotisations ainsi qu'un don de personne physique d'un montant de 50 000 F, supérieur au plafond autorisé par l'article L. 52-8 du code électoral. Inéligibilité.

(93-1213 AN, 16 décembre 1993, cons. 5, Journal officiel du 18 décembre 1993, page 17694)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.5. Financement
  • 8.3.5.5. Dépenses produites au compte de campagne
  • 8.3.5.5.2. Dépenses devant figurer dans le compte
  • 8.3.5.5.2.8. Ouvrage, brochure, publication

La publication d'un ouvrage ne saurait, en principe, être regardée comme une action de propagande du seul fait que l'auteur de ce livre est candidat à une élection. Cependant l'ouvrage du candidat intitulé " la Décadence du socialisme " est consacré à la critique en termes polémiques de l'action de la majorité sortante et à l'énoncé de réformes à accomplir dans le cadre d'une alternance politique que l'auteur appelle de ses vœux. Ce livre apparaît ainsi comme un ouvrage de propagande politique. Par suite, les dépenses correspondant aux moyens engagés en vue d'assurer sa diffusion et de promouvoir auprès des électeurs l'image du candidat ont le caractère de dépenses effectuées en vue de l'élection pour le compte du candidat, au sens de l'article L. 52-12 du code électoral et doivent être incluses dans son compte de campagne.

(93-1213 AN, 16 décembre 1993, cons. 3, Journal officiel du 18 décembre 1993, page 17694)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.10. Contentieux - Instruction
  • 8.3.10.1. Pouvoirs généraux d'instruction
  • 8.3.10.1.3. Vérifications administratives

Vérifications administratives.

(93-1213 AN, 16 décembre 1993, cons. 8, 9, Journal officiel du 18 décembre 1993, page 17694)
À voir aussi sur le site : Voir décision 93-1213R AN, Voir décision 93-1213 R2 AN.
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