Décision

Décision n° 89-1138 AN du 6 mars 1990

A.N., Bouches-du-Rhône (2ème circ.)
Rejet

Le Conseil constitutionnel,

Vu la requête présentée par Mme Marie-Claude Roussel, demeurant à Marseille, Bouches-du-Rhône, déposée à la préfecture des Bouches-du-Rhône le 12 décembre 1989 et enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 14 décembre 1989, et tendant à l'annulation de l'élection de M. Jean-François Mattei, élu député le 3 décembre 1989 dans la deuxième circonscription des Bouches-du-Rhône ; Vu les observations en défense présentées par M. Jean-François Mattei, député, enregistrées comme ci-dessus le 18 janvier 1990, et le mémoire en réplique à ces observations présenté par Mme Marie-Claude Roussel, enregistré comme ci-dessus le 5 février 1990 ; Vu les nouvelles observations en défense présentées par M. Jean-François Mattei, enregistrées comme ci-dessus les 19 et 26 février 1990 ; Vu les observations présentées par M. le ministre de l'intérieur, enregistrées comme ci-dessus le 23 janvier 1990 ; Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ; Vu l'article 59 de la Constitution ; Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu le code électoral, notamment son article L. 167-1 ; Vu la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée par les lois no 86-1210 du 27 novembre 1986, no 89-25 du 17 janvier 1989 et no 89-532 du 2 août 1989, notamment ses articles 1er, 16 et 62 ; Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ; Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'à l'appui de sa requête Mme Roussel, candidate au second tour de scrutin, fait valoir qu'au cours de trois émissions télévisées diffusées la veille ou le jour même des opérations électorales, des propos diffamatoires ou injurieux ont été tenus à l'égard du parti qu'elle représentait dans la compétition électorale face à M. Mattei, candidat proclamé élu ; qu'il est soutenu en particulier que les attaques portées par le Premier ministre à l'encontre du Front national, le jour même du second tour de scrutin, ont constitué tant une violation de l'article L. 49 du code électoral qu'une manoeuvre délibérée tendant à influencer les électeurs soit dans leur vote, soit même dans une conduite d'abstention ; que l'ensemble des faits litigieux doit entraîner l'annulation de l'élection contestée sauf au Conseil constitutionnel à surseoir à statuer dans l'attente de l'engagement de poursuites pénales fondées sur le non-respect de l'article L. 49 du code précité ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 modifiée l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle peut être limité dans la mesure requise par le respect « du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion » ; que l'article 16 de la même loi habilite le Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'une part, à fixer les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales qui incombent aux sociétés nationales de programme et, d'autre part, à adresser, pour la durée des campagnes électorales, des recommandations aux exploitants des services de communication audiovisuelle autorisés ; que l'article 62 de la loi assujettit, en outre, la société Télévision française 1 au respect du pluralisme de l'information et des programmes ; qu'enfin, aux termes du second alinéa de l'article L. 49 du code électoral : « A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication audiovisuelle tout message ayant le caractère de propagande électorale » ;

3. Considérant qu'il appartient au Conseil constitutionnel, en sa qualité de juge de l'élection des députés, de rechercher si les faits allégués par la requérante ont méconnu ces règles et d'en apprécier l'incidence sur l'issue du scrutin ;

4. Considérant, en premier lieu, que Mme Roussel dénonce la mise en cause par un des journalistes participant à l'émission intitulée « Club 6 » programmée par la chaîne de télévision M6 le 2 décembre 1989 à partir de 23 h 30 du parti sous l'étiquette duquel elle se présentait ; qu'il résulte de l'instruction que l'émission critiquée a revêtu le caractère d'un débat contradictoire entre journalistes représentatifs de courants d'opinion différents ; que le propos incriminé a été tenu le 3 décembre à 0 h 37 ; que la diffusion de l'émission en cause dans le département des Bouches-du-Rhône a été, au surplus, extrêmement limitée ; que, dans ces conditions, cette émission n'a pu exercer d'influence sur le résultat des opérations électorales,

5. Considérant, en deuxième lieu, que la requérante relève que le parti dont elle se réclame a fait l'objet d'attaques de la part du premier secrétaire du parti socialiste lors de la séquence du journal télévisé de la chaîne T.F. 1 à 0 h 24 dans la nuit du 2 au 3 décembre 1989 ; qu'eu égard à la circonstance que ces déclarations faisaient suite à une intervention du secrétaire général du Rassemblement pour la République, qu'elles n'apportaient pas d'élément nouveau à la controverse électorale et qu'elles ont été diffusées à une heure très tardive et de faible écoute, elles ne sauraient davantage être regardées comme ayant pu influer sur les résultats du scrutin ;

6. Considérant, en troisième lieu, que la requérante s'élève plus particulièrement contre l'intervention du Premier ministre au cours de l'émission « 7 sur 7 » diffusée par T.F. 1 à compter de 19 heures le 3 décembre 1989, alors que le scrutin n'a été clos qu'à 20 heures ;

7. Considérant que la mise en cause par le Premier ministre, le jour même du scrutin et avant la clôture de celui-ci, d'une formation politique engagée dans la compétition électorale a méconnu les règles applicables en matière de communication audiovisuelle pendant la durée des périodes électorales ;

8. Considérant, cependant, que pareille méconnaissance n'a pu avoir d'influence déterminante sur l'issue du scrutin en raison de la diffusion des propos du Premier ministre moins de trois quarts d'heure avant la fermeture des bureaux de vote et de l'important écart de voix séparant les deux candidats en présence au second tour ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu pour le Conseil constitutionnel de subordonner sa décision à l'issue de procédures qui auraient été ou viendraient à être engagées devant le juge pénal, que la requête de Mme Roussel doit être rejetée,

Décide :
Article premier :
La requête de Mme Marie-Claude Roussel est rejetée. Article 2 :
La présente décision sera notifiée à l'Assemblée nationale et publiée au Journal officiel de la Républiquefrançaise.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 mars 1990, où siégeaient : MM. Robert BADINTER, président, Daniel MAYER, Léon JOZEAU-MARIGNÉ, Robert FABRE, Francis MOLLET-VIÉVILLE, Jacques LATSCHA, Maurice FAURE, Jean CABANNES, Jacques ROBERT.

Journal officiel du 9 mars 1990
Recueil, p. 52
ECLI : FR : CC : 1990 : 89.1138.AN

Les abstracts

  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.1. PRINCIPES DU DROIT ÉLECTORAL
  • 8.1.3. Droits et libertés des partis et organisations politiques
  • 8.1.3.4. Pluralisme (voir également : Titre 4 Droits et libertés - Liberté de la communication)

En vertu de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle peut être limité dans la mesure requise par le respect " du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ". L'article 16 de la même loi habilite le Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'une part, à fixer les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales, qui incombent aux sociétés nationales de programme, et, d'autre part, à adresser, pour la durée des campagnes électorales, des recommandations aux exploitants des services de communication audiovisuelle autorisés. L'article 62 de la loi assujettit, en outre, la société " Télévision française 1 " au respect du pluralisme de l'information et des programmes. Enfin, aux termes du second alinéa de l'article L. 49 du code électoral, " à partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication audiovisuelle tout message ayant le caractère de propagande électorale ". Il appartient au Conseil constitutionnel, en sa qualité de juge de l'élection des députés, de rechercher si les faits allégués par la requérante ont méconnu ces règles et d'en apprécier l'incidence sur l'issue du scrutin.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 3, Journal officiel du 9 mars 1990)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
  • 8.3.11.1. Irrégularités qui ne modifient pas le résultat

La plupart des griefs établis entrant dans cette catégorie, il n'a pas été procédé dans cette section à un relevé exhaustif de la jurisprudence. Contestation par une candidate dans le département de B. d'une émission de télévision au cours de laquelle a été critiqué par des journalistes le parti sous l'" étiquette " duquel elle se présente. Il résulte de l'instruction que l'émission critiquée a revêtu le caractère d'un débat contradictoire entre journalistes, représentatifs de courants d'opinion différents. Le propos incriminé a été tenu le 3 décembre à 0 h 37. La diffusion de l'émission en cause dans le département de B. a été, au surplus, extrêmement limitée. Dans ces conditions, cette émission n'a pu exercer d'influence sur le résultat des opérations électorales.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 4, Journal officiel du 9 mars 1990)

La requérante relève que le parti dont elle se réclame a fait l'objet d'attaques de la part du premier secrétaire du Parti socialiste lors de la séquence du journal télévisé de la chaîne TF1 à 0 h 24 dans la nuit du 2 au 3 décembre 1989. Eu égard à la circonstance que ces déclarations faisaient suite à une intervention du secrétaire général du Rassemblement pour la République (RPR), qu'elles n'apportaient pas d'élément nouveau à la controverse électorale et qu'elles ont été diffusées à une heure très tardive et de faible écoute, elles ne sauraient être regardées comme ayant pu influer sur les résultats du scrutin.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 5, Journal officiel du 9 mars 1990)

La mise en cause par le Premier ministre le jour même du scrutin et avant la clôture de celui-ci, d'une formation politique engagée dans la compétition électorale a méconnu les règles applicables en matière de communication audiovisuelle pendant la durée des périodes électorales. Cependant, pareille méconnaissance n'a pu avoir d'influence déterminante sur l'issue du scrutin en raison de la diffusion des propos du Premier ministre moins de trois quarts d'heure avant la fermeture des bureaux de vote et de l'important écart de voix séparant les deux candidats en présence au second tour.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 8, Journal officiel du 9 mars 1990)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
  • 8.3.11.1. Irrégularités qui ne modifient pas le résultat
  • 8.3.11.1.1. Irrégularités dont il n'est pas établi qu'elles aient permis des fraudes
  • 8.3.11.1.1.3. Opérations électorales

Contestation par une candidate dans le département de B. d'une émission de télévision au cours de laquelle a été critiqué par des journalistes le parti sous l'" étiquette " duquel elle se présente. Il résulte de l'instruction que l'émission critiquée a revêtu le caractère d'un débat contradictoire entre journalistes, représentatifs de courants d'opinion différents. Le propos incriminé a été tenu le 3 décembre à 0 h 37. La diffusion de l'émission en cause dans le département de B. a été, au surplus, extrêmement limitée. Dans ces conditions, cette émission n'a pu exercer d'influence sur le résultat des opérations électorales.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 4, Journal officiel du 9 mars 1990)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
  • 8.3.11.1. Irrégularités qui ne modifient pas le résultat
  • 8.3.11.1.2. Irrégularités qui, en raison de l'écart des voix, ne modifient pas le résultat
  • 8.3.11.1.2.5. Opérations électorales

La mise en cause par le Premier ministre le jour même du scrutin et avant la clôture de celui-ci, d'une formation politique engagée dans la compétition électorale a méconnu les règles applicables en matière de communication audiovisuelle pendant la durée des périodes électorales. Cependant, pareille méconnaissance n'a pu avoir d'influence déterminante sur l'issue du scrutin en raison de la diffusion des propos du Premier ministre moins de trois quarts d'heure avant la fermeture des bureaux de vote et de l'important écart de voix séparant les deux candidats en présence au second tour.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 8, Journal officiel du 9 mars 1990)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
  • 8.3.11.1. Irrégularités qui ne modifient pas le résultat
  • 8.3.11.1.3. Irrégularités qui ne modifient pas le résultat en raison de la réciprocité des manœuvres ou irrégularités
  • 8.3.11.1.3.2. Déroulement du scrutin

La requérante relève que le parti dont elle se réclame a fait l'objet d'attaques de la part du premier secrétaire du Parti socialiste lors de la séquence du journal télévisé de la chaîne TF1 à 0 h 24 dans la nuit du 2 au 3 décembre 1989. Eu égard à la circonstance que ces déclarations faisaient suite à une intervention du secrétaire général du Rassemblement pour la République (RPR), qu'elles n'apportaient pas d'élément nouveau à la controverse électorale et qu'elles ont été diffusées à une heure très tardive et de faible écoute, elles ne sauraient être regardées comme ayant pu influer sur les résultats du scrutin.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 1, Journal officiel du 9 mars 1990)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
  • 8.3.11.4. Principes du contrôle

En vertu de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle peut être limité dans la mesure requise par le respect " du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ". L'article 16 de la même loi habilite le Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'une part, à fixer les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales, qui incombent aux sociétés nationales de programme, et, d'autre part, à adresser, pour la durée des campagnes électorales, des recommandations aux exploitants des services de communication audiovisuelle autorisés. L'article 62 de la loi assujettit, en outre, la société " Télévision française 1 " au respect du pluralisme de l'information et des programmes. Enfin, aux termes du second alinéa de l'article L. 49 du code électoral, " à partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication audiovisuelle tout message ayant le caractère de propagande électorale ". Il appartient au Conseil constitutionnel, en sa qualité de juge de l'élection des députés, de rechercher si les faits allégués par la requérante ont méconnu ces règles et d'en apprécier l'incidence sur l'issue du scrutin.

(89-1138 AN, 06 mars 1990, cons. 3, Journal officiel du 9 mars 1990)
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