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Observations du Conseil constitutionnel de juin 2000 à l'établissement de la liste des candidats

29 mai 2002

Cette première partie du bilan couvre l'activité du Conseil constitutionnel relative à l'élection présidentielle des 21 avril et 5 mai 2002 jusqu'à la proclamation du candidat élu (9 mai).

Une seconde partie couvre la période allant de l'établissement de la liste des candidats à la proclamation du candidat élu.

L'examen des comptes de campagne des seize candidats fait l'objet de la troisième partie de ce bilan.

Des observations du Conseil de juin 2000 à l'établissement de la liste des candidats

A la différence des élections législatives et sénatoriales, mais à l'instar des référendums (toutes consultations dont le contentieux lui incombe), le Conseil constitutionnel est mobilisé en amont et en aval du scrutin présidentiel.

En amont, parce que le Conseil constitutionnel doit :

  • Emettre un avis sur tous les actes préparatoires à l'élection (décrets, décisions réglementaires, circulaires, procès-verbaux et autres documents officiels) ;
  • Elaborer le formulaire de « parrainage » ; préparer la chaîne de traitement des « parrainages », notamment sur le plan informatique ; traiter les présentations (14 mars au 2 avril); effectuer toutes vérifications nécessaires ; dresser la liste des candidats (4 avril) ; régler le contentieux de la liste (7 avril) ; publier au Journal officiel 500 présentations pour chaque candidat ;
  • Elaborer et faire imprimer les documents relatifs aux comptes de campagne (reçus dons, mémento du mandataire financier, cadre comptable) ;
  • Répondre aux questions posées par l'entourage proche des candidats, les institutions et la presse, et diffuser une information en direction du public (site Internet) ;
  • Mettre en place la logistique (notamment informatique) du recensement national des votes, en relation avec le ministère de l'intérieur ;
  • Observer les évènements de la campagne (au travers du dépouillement de la presse quotidienne nationale et régionale) ;
  • Désigner ses délégués (près de 2000 magistrats) pour suivre sur place les opérations électorales ; les informer et les indemniser ;
  • Assurer une permanence téléphonique les jours du scrutin (essentiellement à l'intention de ses délégués).

Au lendemain de chaque tour, le Conseil recense les résultats (il fait donc office de commission nationale de recensement), examine les réclamations ainsi que le rapport de ses délégués, rectifie puis proclame les résultats.

En aval du scrutin, le Conseil remplit les fonctions qu'assure la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques (CCFP) pour les autres élections (examen des comptes de campagne et de la régularité des dons des personnes physiques).

Le Conseil constitutionnel statue sur les comptes en les approuvant, les réformant ou les rejetant. Ses décisions sont publiées au Journal officiel. S'agissant de l'élection présidentielle, la méconnaissance de la législation sur le financement de la campagne est sanctionnée non par l'inéligibilité, mais par la perte du remboursement forfaitaire.

I) Le Conseil constitutionnel et les actes préparatoires à l'élection présidentielle de 2002

La mission du Conseil constitutionnel couvre toute la gamme des actes préparatoires au scrutin. Elle s'exerce donc bien avant la tenue de celui-ci (en pratique deux ans auparavant).

A - Textes généraux

1) Loi organique

Faisant suite aux observations du Conseil constitutionnel du 22 juin 2000 et à sa décision n° 2001-443 DC du 1er février 2001, a été publiée le 6 février 2001 la loi n° 2001-100 du 5 février 2001 modifiant la loi organique n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel. Le législateur a très largement suivi les préconisations du Conseil, sauf en ce qui concerne la faculté souhaitée par ce dernier de moduler, selon la gravité des manquements, les conséquences financières du rejet du compte de campagne. L'avenir dira quelles conséquences emporte la position ainsi prise par la représentation nationale [voir commentaire JE Schoettl aux Petites affiches du 2 mars 2001]. La loi organique du 5 février 2001 a été déclarée intégralement conforme à la Constitution.

2) Décret d'application

Le 7 février 2001, le Premier Ministre a saisi pour avis le Conseil constitutionnel des modifications du décret n° 64-231 du 14 mars 1964. Il a ensuite consulté le Conseil d'Etat sur ce texte. A la suite de ces consultations, a été délibéré en Conseil des ministres le 7 mars le décret pris pour l'application de la loi du 6 novembre 1962 (modifiée en dernier lieu par la loi organique n° 2000-100 du 5 février 2001) relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

Le décret n° 2001-213 du 8 mars 2001, qui se substitue intégralement au décret n° 64-231 du 14 mars 1964, a été publié au Journal officiel du 9 mars 2001. Il est conforme aux observations du Conseil constitutionnel du 22 juin 2000, notamment en ce qui concerne les formalités de présentation des candidats par les élus habilités. Le décret du 8 mars 2001 a été complété, pour l'outre-mer, par le décret n° 2002-243 du 21 février 2002, également revêtu des trois visas (Conseil constitutionnel, Conseil d'Etat, Conseil des ministres).

3) Documents relatifs à l'élection présidentielle

Dans sa séance du 14 mars 2001, le Conseil constitutionnel a arrêté le contenu de trois documents relatifs à l'élection présidentielle : le formulaire de présentation des candidats, les « lettres-reçus » (pour les dons aux candidats), ainsi que le « mémento du mandataire financier » .

B – Consultations

En application du III de l'art. 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 (modifiée en dernier lieu par la loi organique du 5 février 2001) et de l'article 46 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 régissant son propre fonctionnement, le Conseil constitutionnel a été consulté sur une grande variété d'actes :

  • le 7 février 2001, sur le nouveau décret d'application de la loi de 1962 modifiée (cf ci-dessus) ;
  • le 10 octobre 2001, sur la recommandation du CSA relative au traitement de l'information sur la campagne présidentielle (recommandation du 23 octobre 2001) ;
  • début novembre 2001, sur une question de principe relative à la future décision du CSA fixant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions de la campagne officielle ;
  • le 21 novembre 2001, par le ministre de l'intérieur, sur les mémentos à l'usage des candidats et de leurs représentants départementaux et sur les trois modèles de procès-verbaux (bureau de vote, bureau centralisateur, commission départementale ou territoriale de recensement) ;
  • le 19 décembre 2001, sur le décret fixant la date d'envoi des formulaires de présentation (décret publié le 21 février), et sur deux circulaires du ministre de l'intérieur aux préfets relatives aux formulaires de présentation (envoi des formulaires et mise à jour des fichiers d'élus habilités) ;
  • le 21 janvier 2002, sur les circulaires du ministre de l'intérieur aux maires et aux préfets relatives à l'organisation matérielle et au déroulement de l'élection ;
  • le 28 janvier 2002 sur le décret complétant (essentiellement pour l'outre-mer) le décret du 8 mars 2001 (décret publié le 23 février) ;
  • le 5 février 2002 sur la composition de la commission nationale de contrôle (décret du 15 février publié au J.O. du 17 février) ;
  • le 7 février, sur la circulaire aux postes diplomatiques et consulaires relative à la présentation des candidats par les membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger ;
  • le 18 février, sur le décret de convocation (délibéré en Conseil des ministres le 6 mars et publié le 14 mars) ;
  • le 20 février, sur le mémento des candidats pour le vote des Français de l'étranger, ainsi que sur la circulaire du ministre des affaires étrangères relative à l'organisation de l'élection présidentielle pour les Français de l'étranger ;
  • le même jour, sur la circulaire du secrétaire d'Etat à l'outre-mer relative à l'envoi des formulaires de présentation outre-mer et sur ses circulaires aux représentants de l'Etat et aux maires de Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Mayotte et Saint-Pierre et Miquelon ;
  • le 21 février, sur la circulaire conjointe du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur, du ministre de la défense et du secrétaire d'Etat à l'outre-mer sur le vote par procuration ;
  • le 7 mars sur la décision du CSA fixant les conditions de production, programmation et diffusion des émissions de la campagne officielle ;
  • Le 5 avril, le Conseil constitutionnel, peu après la commission nationale de contrôle de la campagne, a été consulté sur la grille des émissions radiotélévisées de la campagne officielle du premier tour, ainsi que sur les modalités du tirage au sort des candidats, retenues par le CSA ;
  • Le même jour, le Conseil s'est prononcé sur les modifications à apporter aux procès-verbaux des bureaux de vote en raison du nombre élevé de candidats ;
  • Le 15 avril, le Conseil a examiné un télégramme du ministère des affaires étrangères aux postes diplomatiques et consulaires relatif aux enveloppes à utiliser le jour du scrutin ;
  • Le 22 avril, le Conseil s'est prononcé sur le projet de décision du CSA fixant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions du second tour de la campagne radio-télévisée officielle ;
  • Le 26 avril, le Conseil constitutionnel, peu après la Commission nationale de contrôle, a été consulté sur la grille des émissions radiotélévisées de la campagne officielle du second tour, retenue par le C.S.A.

Font notamment l'objet d'un avis du Conseil constitutionnel les décisions du CSA fixant les grilles d'émission de la campagne officielle pour chaque tour.

A partir de son installation (22 février 2002), la Commission nationale de contrôle de la campagne organisée en vue de l'élection présidentielle (CNC) a été consultée, conformément au souhait de celui-ci, avant le Conseil constitutionnel.

Le calendrier était très « tendu » pour les grilles de la campagne officielle. Le CSA devait en effet consulter les candidats dès l'établissement de leur liste par le Conseil constitutionnel, soit les 4 avril (premier tour) et 25 avril (second tour). La CNC, puis le Conseil constitutionnel se prononçaient le lendemain (le vendredi 5 avril pour le premier tour et le vendredi 26 avril pour le second tour) afin de permettre la diffusion des premières émissions dès le lundi suivant.

De façon générale, le Conseil a adhéré aux grandes lignes de ces documents, mais les a souvent remaniés sur la forme dans un souci de lisibilité.

II) Le contentieux des actes préparatoires

Les décisions Hauchemaille, Larrouturou, Marini etc. rendues par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat depuis juillet 2000 ont conduit à grandement clarifier la répartition des compétences juridictionnelles s'agissant du contentieux des actes préparatoires aux élections politiques :

  • Le fondement de la compétence juridictionnelle exceptionnelle du Conseil constitutionnel sur les actes préparatoires à une élection est le même pour les élections parlementaires, le référendum et l'élection présidentielle ;
  • Les trois conditions permettant le déclenchement de cette compétence exceptionnelle sont alternatives : risque que soit gravement compromise l'efficacité du contrôle des opérations électorales ; risque que soit vicié le déroulement général du vote ; atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ;
  • Cette compétence juridictionnelle exceptionnelle du Conseil constitutionnel sur les actes préparatoires exclut les actes de portée permanente. Elle exclut également les actes accessoires ou de portée secondaire. Elle exclut enfin les élections législatives ou sénatoriales partielles. Toutes ces catégories d'actes, de loin les plus nombreuses, relèvent de la compétence du Conseil d'Etat.
  • Il ne devrait plus y avoir à l'avenir ni conflit positif ni conflit négatif de compétences entre les deux ailes du Palais-Royal. Ainsi, s'agissant des élections législatives générales, la compétence juridictionnelle exceptionnelle du Conseil constitutionnel pourrait se restreindre à l'avenir au décret de convocation.

Il en est résulté que :

  1. Le 14 mars 2001 a été rejeté le recours de M Stéphane Hauchemaille dirigé contre le décret n° 2001-213 du 8 mars 2001. Le Conseil constitutionnel a décliné sa compétence pour connaître des conclusions formées par le requérant, le décret contesté étant de portée permanente et non spécifique à l'élection de 2002.

  2. Le 13 décembre 2001, le Conseil constitutionnel a rejeté la requête par laquelle le même requérant lui demandait de réformer ou d'annuler en partie la recommandation n° 2001-4 adressée le 23 octobre 2001 aux services de radio et de télévision par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au sujet de la couverture de l'actualité relative à la campagne présidentielle de 2002. Les délibérations du CSA ne portant que sur un aspect partiel des opérations électorales (largement comprises), il n'appartenait qu'au Conseil d'Etat d'en connaître à titre juridictionnel (voir aussi ci-dessous, § VI).

  3. Le 5 avril 2002, le Conseil d'Etat s'est reconnu compétent pour statuer sur une requête de M Cazaux dirigée contre la circulaire du 5 février 2002 du ministre de l'intérieur relative à l'envoi des formulaires de présentation. Cette circulaire se bornant à commenter le droit applicable et à apporter des précisions pratiques, elle n'a pas de caractère réglementaire. Le recours était donc irrecevable.

  4. Le même jour, le Conseil d'Etat s'est déclaré incompétent pour connaître du recours dirigé par M Meyet contre le décret n° 2002-346 du 13 mars 2002 portant convocation des électeurs. Il n'appartient qu'au Conseil constitutionnel de connaître d'une telle demande.

  5. Le 15 avril 2002, le Conseil constitutionnel est resté dans la continuité de ces décisions. Il s'est déclaré incompétent pour connaître de divers actes contestés par trois requérants (MM Hauchemaille, Meyet et Cazaux). Aucune des conditions auxquelles est subordonnée sa compétence juridictionnelle d'exception n'était en effet remplie :

  • Soit que l'acte attaqué ait une portée permanente et ne soit donc pas spécifique au scrutin des 21 avril et 5 mai 2002 (décret du 14 octobre 1976 sur le vote des Français établis hors de France et refus de l'abroger ; décret du 30 août 2001 créant un fichier des élus au ministère de l'intérieur),
  • Soit qu'il revête un caractère secondaire ou accessoire (décret fixant la date d'envoi des formulaires de présentation, décret nommant les membres de la Commission nationale de contrôle de la campagne, arrêté du président de cette commission nommant ses rapporteurs, chapitre premier du « mémento du candidat » élaboré par le ministère de l'intérieur, circulaire du ministre de l'intérieur relative à l'envoi des formulaires).

Le Conseil constitutionnel s'est en revanche reconnu compétent, comme l'y invitait le Conseil d'Etat (décision Meyet du 5 avril 2002), pour statuer sur le décret du 13 mars 2002 portant convocation des électeurs .

Mais il a rejeté au fond la requête en écartant les deux moyens dont M Meyet l'avait saisi :

  • Le requérant ne pouvait utilement exciper de l'illégalité du décret du 14 octobre 1976 sur le vote des Français établis hors de France à l'élection présidentielle, car le décret de convocation, pris pour assurer le respect de l'article 7 de la Constitution (deuxième et troisième alinéas), ne constitue pas une mesure d'application du décret de 1976 ;
  • Si l'article 23 du décret du 14 octobre 1976 prévoit que « Sauf dispositions contraires arrêtées par le ministre des affaires étrangères, le scrutin est ouvert à huit heures et clos le même jour à dix-huit heures (heure locale légale) », l'article 22 du décret du 8 mars 2001, qui est également un décret en Conseil d'État délibéré en Conseil des ministres, dispose que : « Les heures d'ouverture et de clôture du scrutin sont fixées par le décret de convocation des électeurs ». En vertu de cette dernière disposition, l'article 3 du décret de convocation des électeurs a pu légalement préciser que le « Le scrutin sera ouvert à 8 heures et clos à 18 heures. Toutefois, pour faciliter aux électeurs l'exercice de leur droit de vote, les représentants de l'État (···) pourront prendre des arrêtés à l'effet d'avancer ou de retarder, dans certaines communes ou circonscriptions administratives, l'heure d'ouverture ou de fermeture du scrutin. Le ministre des affaires étrangères aura la faculté de faire de même pour certains centres de vote. En aucun cas le scrutin ne pourra être clos après 20 heures. Ces arrêtés seront publiés et affichés dans chaque commune, circonscription administrative ou centre de vote intéressé cinq jours au moins avant le jour du scrutin ».
  1. Le 29 avril 2002, le Conseil d'Etat a rejeté au fond le recours de M Meyet dirigé contre des décrets créant des centres de vote pour les Français établis à l'étranger. Il a écarté le grief tiré de ce que le Conseil constitutionnel aurait dû être consulté en constatant que ces centres de vote serviraient pour divers scrutins, y compris pour les élections européennes. Les décrets attaqués ne constituaient donc pas des mesures d'organisation de l'élection présidentielle.

  2. Le 9 mai 2002, c'est-à-dire après la proclamation des résultats, le Conseil constitutionnel a rejeté divers recours en instance (MM Féler, Hauchemaille et Bidalou) qui lui avaient été présentés tardivement et qui contestaient également des actes préparatoires à l'élection présidentielle :

  • Conformément à la jurisprudence convergente des deux ailes du Palais-Royal, il s'est déclaré incompétent pour connaître soit d'actes de caractère secondaire (communiqué du CSA relatif à la campagne, refus des préfets de la Martinique et de la Guadeloupe d'anticiper l'horaire d'ouverture des bureaux de vote au premier tour), soit, à l'inverse, d'un décret de portée permanente relatif à l'élection présidentielle.
  • La compétence juridictionnelle exceptionnelle que s'est reconnue le Conseil constitutionnel sur les décrets propres à un scrutin présidentiel déterminé ne pouvait plus s'exercer, en tout état de cause, à l'égard du décret de convocation du 13 mars 2002. S'y opposait en effet l'intervention de la décision de proclamation du 8 mai 2002 qui, comme toutes les décisions du Conseil constitutionnel prises dans le cadre de ses attributions, est insusceptible de recours et s'impose à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l'article 62 de la Constitution.
  • Enfin, le recours de M. Bidalou contre la liste des candidats arrêtée par le Conseil le 4 avril 2002 était irrecevable à deux titres, puisque n'émanant pas d'un candidat et parvenu au Conseil après l'expiration du délai de deux jours prévu par l'article 8 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001. Le 7 avril 2002 (voir ci-dessous), le Conseil avait déjà rejeté diverses requêtes dirigées en temps utile contre sa décision du 4 avril précédent.

III) Établissement de la liste des candidats

En application des dispositions de l'article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, le Conseil constitutionnel a, lors de sa séance plénière du 4 avril 2002, arrêté la liste des candidats à l'élection présidentielle du 21 avril 2002.

Pour établir cette liste, le Conseil a effectué les vérifications qui lui incombaient :

  • Tant en ce qui concerne les présentations de candidats par les élus habilités (procédure dite des « parrainages »);
  • Qu'au regard des autres conditions auxquelles la loi organique subordonne la validité des candidatures (âge, possession des droits civiques, inscription sur une liste électorale, déclaration patrimoniale...).

Conformément à la décision du Conseil constitutionnel en date du 24 février 1981, l'ordre dans lequel figurent les candidats sur cette liste a été tiré au sort au cours de sa séance du 4 avril 2002.

Cette liste est la suivante :

  1. Monsieur Bruno MÉGRET
  2. Madame Corinne LEPAGE
  3. Monsieur Daniel GLUCKSTEIN
  4. Monsieur François BAYROU
  5. Monsieur Jacques CHIRAC
  6. Monsieur Jean-Marie LE PEN
  7. Madame Christiane TAUBIRA
  8. Monsieur Jean SAINT-JOSSE
  9. Monsieur Noël MAMÈRE
  10. Monsieur Lionel JOSPIN
  11. Madame Christine BOUTIN
  12. Monsieur Robert HUE
  13. Monsieur Jean-Pierre CHEVÈNEMENT
  14. Monsieur Alain MADELIN
  15. Madame Arlette LAGUILLER
  16. Monsieur Olivier BESANCENOT

Sur les 36 personnes ayant fait l'objet d'au moins une présentation valide, 16 ont donc rempli les conditions pour être candidates (pour la petite histoire, on notera que le nombre maximal de candidats prévu lors de la conception initiale des modèles de procès verbaux des opérations de vote du premier tour était de 15. Le nombre final de candidats a déjoué toutes le prévisions). Aucun scrutin présidentiel depuis 1962 n'en avait jusqu'ici connu un tel nombre, alors même que des voix se sont élevées - au début de la période de réception par le Conseil des formulaires de présentation - pour dénoncer le caractère « trop malthusien » du filtrage !... Rappelons que c'est précisément le grand nombre de candidats présents au premier tour de l'élection présidentielle de 1974 (douze) qui avait fait souhaiter au Conseil constitutionnel (voir observations au recueil de 1974, p. 57), suivi par le législateur en 1976, que les règles de « parrainage » soient rendues plus sévères (augmentation du nombre de présentations requises, répartition géographique···).

A - Contrôle des présentations

Le nombre des présentations s' est élevé à 17815, chiffre supérieur à ceux enregistrés lors des trois élections précédentes. Il n'y a donc pas eu de « grève des parrainages ».

Pour que ces présentations permissent l'inscription de la personne présentée sur la liste des candidats, elles devaient, d'une part, être adressées au Conseil constitutionnel, ou aux représentants de l'État pour l'outre-mer ou l'étranger, du 14 mars au 2 avril 2002, par au moins cinq cents citoyens habilités par l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et, d'autre part, émaner d'élus d'au moins trente départements ou collectivités assimilées sans que plus de 50 d'entre eux puissent être les élus d'un même département ou collectivité assimilée.

Pour l'application de ces dispositions, sont regardées comme émanant d'un même « département » (fictif) les présentations signées par les représentants élus du Conseil supérieur des Français établis à l'étranger. Il en va de même de celles signées par les parlementaires européens de nationalité française et élus en France.

Quatorze formulaires sont parvenus au Conseil constitutionnel avant le 14 mars 2002. Ils ont été retournés à leurs expéditeurs, qui ont pu les renvoyer en temps utile au Conseil.

En outre, les formulaires arrivés rue de Montpensier les 3 et 4 avril par voie postale ont été pris en compte dès lors qu'ils avaient été postés avant le 2 avril à minuit (le cachet de la poste faisant foi) et qu'ils étaient parvenus au Conseil avant sa séance du 4 avril à 16 heures, séance au cours de laquelle devait être arrêtée, en vertu des textes, la liste des candidats.

En droit, cette solution fait logiquement prévaloir :

  • Les termes de la loi organique du 6 novembre 1962 (« Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées, dix-huit jours au moins avant le premier tour de scrutin .. »),
  • Sur ceux de son décret d'application du 8 mars 2001 qui parle des présentations « parvenues » au Conseil avant cette date (« Les présentations des candidats (...) doivent parvenir au plus tard à minuit le dix-neuvième jour précédant le premier tour de scrutin. »).

A noter que des retards parfois importants (jusqu'à quinze jours) dans l'acheminement postal des formulaires ont pu être constatés. Si ces retards n'ont empêché en l'espèce aucune des personnes présentées de figurer sur la liste des candidats dressée le 4 avril 2002, ils sont cependant préoccupants. On retrouvera la même observation à propos de l'acheminement postal des volets de procuration.

Le traitement systématique des formulaires présente deux aspects : un examen juridique confié à des magistrats ; un contrôle informatique à l'aide d'un logiciel mis au point à cette fin (spécialement conçu et réalisé par un collaborateur du Conseil, M Daniel Braytman) et utilisant un fichier d'élus quotidiennement mis à jour. Les opérations techniques et administratives afférentes à ce traitement ont mobilisé pendant près de trois semaines, sous l'autorité des membres du Conseil, ses dix rapporteurs-adjoints et tous ses collaborateurs. Elles se sont déroulées (comme les opérations de recensement consécutives à chacun des tours du scrutin) au quatrième étage de l'aile Montpensier du Palais Royal, spécialement aménagé à cet effet. Le greffier du Conseil, M Stéphane Cottin, en a assuré le pilotage.

En outre, comme le prévoient les textes, le Conseil constitutionnel a procédé à diverses vérifications sur les causes des erreurs ou omissions relevées dans certains formulaires. Il en est résulté, dans tous les cas, que cette cause se trouvait dans l'inattention ou la négligence du présentateur et non dans une volonté de fraude.

N'ont ainsi été déclarées non conformes que les présentations relevant de l'une ou l'autre des catégories suivantes :

  • Présentations n'utilisant pas le formulaire officiel qui avait été personnellement adressé à chaque élu habilité ;
  • Formulaire non renseigné ;
  • Nom du candidat non renseigné ;
  • Présentateur non identifié ;
  • Présentation précédée par une autre présentation valide émanant de la même personne.

Au total, sur 17.815 formulaires reçus, seulement 190 (soit environ 1 %) ont été écartés comme non conformes. Cette proportion est significativement plus faible qu'en 1995. Il faut y voir l'effet heureux des mesures prises par le Conseil constitutionnel en vue de simplifier et de clarifier les formalités de présentation (suppression de l'obligation de « certification » pour les membres des assemblées locales, meilleure « lisibilité » du formulaire, information diffusée avant comme pendant la période de réception des présentations, notamment sur le site Internet du Conseil).

B - Contrôle des candidatures

Le Conseil constitutionnel a ensuite vérifié que les personnes valablement présentées remplissaient les conditions légales pour être éligibles : être électeur, avoir 23 ans révolus, ne pas se trouver privé de ses droits d'éligibilité par une décision de justice, ne pas être pourvu d'un conseil judiciaire et être en règle avec les obligations imposées par la loi instituant le service national.

Il s'est également assuré du consentement des candidats. Conformément à la loi, ceux-ci lui ont remis, sous pli scellé, une déclaration de leur situation patrimoniale, ainsi que l'engagement, en cas d'élection, de déposer une nouvelle déclaration à l'issue du mandat.

C – Remarques générales

Les principes qui ont animé le Conseil constitutionnel dans sa mission d'établissement de la liste des candidats ont été les suivants :

  • Un effort de transparence vis-à-vis des personnes présentées puisque, pour la première fois, celles-ci ont été informées dès le jeudi 21 mars, puis chaque jour de la semaine suivante, du nombre de présentations qui avaient été émises en leur faveur et considérées, à ce stade de l'instruction, comme conformes, ainsi que du nombre de départements dont elles émanaient ;
  • Un second examen des présentations comportant des irrégularités de pure forme ou susceptibles d'être régularisées, afin d'éviter que l'esprit de la loi du 6 novembre 1962 ne soit altéré par un formalisme trop rigoureux.

La position adoptée par le Conseil en matière de régularité des formulaires n'a eu pour effet ni de permettre à tel ou tel candidat de franchir le seuil des 500 signatures, ni, à l'inverse, de faire passer tel ou tel autre sous le seuil des 500. Elle est donc restée neutre sur le nombre comme sur l'identité des candidats retenus.

IV) La question de la publicité des présentations

Cette question a suscité quelques polémiques et inspiré des propositions de réforme en sens diamétralement opposés, les uns souhaitant, au nom de la transparence, une publicité complète et « en continu », les autres appelant de leurs vœux le secret absolu, afin de soustraire les élus habilités aux pressions et intimidations.

Pour sa part, le Conseil constitutionnel s'est prononcé de longue date en faveur de la publication intégrale des noms des élus présentant chaque candidat, tout au moins une fois établie la liste définitive de ceux-ci (voir ses observations sur l'élection présidentielle de 1974, Rec. p. 57).

En 2002, il a été relevé que des pressions s'étaient en effet exercées sur les élus habilités à présenter un candidat, au demeurant dans les deux sens pour un même candidat : soit par l'équipe de campagne de ce dernier (pour les pousser à signer le formulaire de présentation), soit par divers groupements politiques ou associatifs (pour les en dissuader).

Les modalités selon lesquelles a été communiquée à l'extérieur une information sur les « parrainages » ont été les suivantes en 2002 .

A) Publication au Journal officiel

En vertu de la loi organique du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (dernier alinéa du I de l'article 3), « Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature ».

Cette publication (limitée, par conséquent, à 500 signatures par candidat) est intervenue :

  • Au Journal officiel du 10 avril ;
  • Sur le site Internet des Journaux officiels, ainsi que par renvoi au précédent sur le site Internet du Conseil constitutionnel.

Les 500 signatures par candidat ont été tirées au sort et de manière à respecter les deux conditions légales (pas plus de 50 signatures émanant d'un même département et au moins 30 départements différents).

B) Affichage dans les locaux du Conseil constitutionnel

Conformément à l'usage établi lors des deux précédentes élections présidentielles, l'intégralité des présentations valides a été affichée dans les locaux du Conseil constitutionnel (les 11, 12, 15 et 16 avril, de 9 à 19 heures sans interruption), mais n'a fait l'objet d'aucune autre forme de publicité (notamment ni au Journal Officiel, ni sur le site du Conseil).

C) Information donnée aux candidats

Le Conseil constitutionnel a décidé d'informer les candidats (qui en faisaient la demande expresse) sur l'en-cours des présentations établies en leur faveur.

Les modalités de cette information (support, périodicité, nature de l'information communiquée) ont, pour la première fois lors d'une élection présidentielle, été précisément déterminées par le Conseil.

A été transmis aux candidats un état provisoire des formulaires de présentation reçus à leur nom, et considérés « à ce stade » comme valides.

Cet état, établi par le Greffe du Conseil constitutionnel, ne portait pas sur des données nominatives.

Les totaux étaient fournis sous réserve des diverses vérifications opérées par les magistrats qui assistaient le Conseil dans ses tâches de contrôle. Le contrôle intervient en effet tant au fil des « arrivées » qu'a posteriori (par exemple dans le cadre de vérifications de routine).

Aussi les destinataires de l'état provisoire lisaient-ils dans celui-ci un avertissement ainsi libellé :

« Les informations qui suivent ne préjugent en aucune façon la validité définitive des présentations enregistrées. Elles ne garantissent pas le nombre de présentations, répondant à l'ensemble des conditions légales, qui sera finalement retenu par le Conseil constitutionnel. »

Les indications communiquées n'étaient pas rendues publiques par le Conseil, mais il était loisible aux candidats d'en faire état publiquement.

V) Contentieux de la liste des candidats

La liste des candidats arrêtée le 4 avril 2002 a été publiée au Journal officiel du vendredi 5 avril 2002. Cette publication a ouvert à toute personne ayant fait l'objet de présentations le droit , jusqu'au lendemain minuit, de former une réclamation (article 8 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001).

Quatre réclamations ont été enregistrées au Conseil constitutionnel avant le samedi 6 avril 2002 à minuit.

L'une a été rejetée pour irrecevabilité. En effet, son auteur, M. Stéphane HAUCHEMAILLE, n'avait fait l'objet d'aucune présentation (Cf. décision du 11 avril 1981, M. Scherne, p. 74 ; décision du 9 avril 1995, Bidalou, p. 41).

Les trois autres étaient recevables puisque leurs auteurs avaient fait l'objet d'au moins une présentation.

M. Jacques CHEMINADE faisait valoir qu'il disposait de suffisamment de promesses de signatures mais qu'une centaine d'élus avaient été dissuadés de tenir leur engagement par des informations mensongères publiées dans la presse.

M. Jean-Marie MATAGNE affirmait que M. Jacques CHIRAC et M. Lionel JOSPIN avaient « sciemment enfreint (...) le traité de non prolifération nucléaire » et s'étaient « entendus pour exclure du débat national (...) les questions de défense », se rendant ainsi indignes, selon lui, de briguer la magistrature suprême···

Pour sa part, M. Pierre LARROUTUROU reprochait aux principaux moyens de communication audiovisuelle d'avoir insuffisamment fait état de sa candidature et d'avoir ainsi rendu plus difficile le recueil des présentations.

Confirmant sa jurisprudence de 1995 (9 avril 1995, M. Lebel, Rec. p. 49 ; même jour, Mme Néron, Rec. p. 53), le Conseil constitutionnel a écarté tous ces griefs comme inopérants. En effet, lorsqu'il établit la liste des candidats à l'élection présidentielle, il ne lui appartient que de contrôler le nombre et la validité des présentations, de s'assurer de la régularité des candidatures et du consentement des candidats, de constater le dépôt du pli scellé exigé pour leur déclaration de situation patrimoniale et de recevoir leur engagement de déposer, en cas d'élection, une nouvelle déclaration dans les conditions prévues l'article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962.

VI) La question des sondages d'opinion

Comme il a été dit plus haut (§ II 2), le Conseil constitutionnel a statué, le 13 décembre 3001, sur une requête mettant en cause la recommandation adressée le 23 octobre 2001 à l'ensemble des services de radio et de télévision par le Conseil supérieur de l'audiovisuel en vue de l'élection présidentielle.

Le requérant (M Hauchemaille) ne contestait qu'un passage de la recommandation, passage dont il convient de citer intégralement les termes :

« L'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 modifiée relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion dispose que la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage ayant un rapport direct ou indirect avec une élection sont interdits par quelque moyen que ce soit pendant la semaine qui précède le scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci. Néanmoins, par un arrêt du 4 septembre 2001, la Cour de cassation a jugé que les dispositions relatives à cette interdiction étaient incompatibles avec la Convention européenne des droits de l'homme. Les condamnations pénales qui seraient prononcées en application de cette disposition encourraient l'annulation par la Cour de cassation et semblent donc dépourvues de portée » .

A noter que le passage incriminé se terminait par la phrase suivante : « Une telle diffusion pourrait toutefois être considérée par le Conseil constitutionnel comme de nature à altérer la sincérité du scrutin, avec les conséquences électorales que cela pourrait comporter ».

La recommandation contestée avait fait l'objet d'un avis favorable du Conseil constitutionnel en application des dispositions combinées du III de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 portant loi organique relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (« Le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations et examine les réclamations dans les mêmes conditions que celles fixées pour les opérations de référendum par les articles 46, 48, 49, 50 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ») et de l'article 46 de la loi organique du 7 novembre 1958 (« Le Conseil constitutionnel est consulté par le Gouvernement sur l'organisation des opérations de référendum. Il est avisé sans délai de toute mesure prise à ce sujet »).

En rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation du 4 septembre 2001, contestable aux yeux du requérant, et en en tirant la conséquence que, faute de sanctions pénales, était désormais privée de portée l'interdiction de publier des résultats de sondage au cours de la dernière semaine précédant chaque tour de scrutin (prohibition édictée par l'article 11 de la loi de 1977), le CSA allait, selon M Hauchemaille, inciter les médias à diffuser à la dernière minute des résultats de sondage susceptibles d'affecter la sincérité du scrutin, créant par là le risque de « compromettre gravement le contrôle des opérations électorales par le Conseil constitutionnel ».

Il en concluait que le Conseil constitutionnel était exceptionnellement compétent pour statuer à titre juridictionnel sur le passage incriminé et qu'il devait, à l'instar du Conseil d'Etat (Section, 2 juin 1999, Meyet) et à l'inverse de la Cour de cassation (chambre criminelle, 4 septembre 2001, Amaury), déclarer l'article 11 de la loi de 1977 compatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, dès lors, pleinement applicable à l'élection présidentielle à venir.

L'argumentation présentée pour soutenir la « conventionnalité » de la loi de 1977, largement inspirée de la décision Meyet du Conseil d'Etat, n'était pas sans mérites.

N'était pas non plus à sous-estimer le risque, évoqué par le requérant, qu'une totale liberté de diffusion de résultats de sondage le jour du scrutin, par des moyens de communication recueillant une large audience, ne fausse la sincérité du scrutin en cas de faible écart de voix, conduisant le juge de l'élection à prendre une lourde décision.

On sait en effet que, indépendamment de toute législation sur les sondages d'opinion, la diffusion massive et prématurée de résultats peut conduire à l'annulation de l'élection si l'écart de voix est faible (Conseil d'Etat, 14 mars 1984, Elections municipales de Schoelcher). La presse avait d'ailleurs imaginé un tel « scénario catastrophe » (Le Monde du 3 décembre 2001, « Sondages électoraux : la loi ou la jungle ? », G Courtois).

Plus généralement, le juge de l'élection (et le Conseil constitutionnel lui-même, lorsqu'il statue en matière électorale, ne fait pas exception à la règle) se montre sensible à l'impact sur la sincérité du scrutin de tout type d'information largement diffusé et susceptible d'affecter le comportement des électeurs lorsque les scores sont serrés (voir n° 98-2552 du 28 juillet 1998, AN, Var, 1ère circonscription, cons. 2, Rec. p. 274).

Le juge électoral, dont la mission est de s'assurer de l'authenticité de la consultation, a en effet le devoir d'invalider celle-ci en cas de doute sérieux sur la sincérité des votes. Cette jurisprudence trouverait à s'appliquer en l'absence de législation prohibant explicitement la diffusion de tel ou tel type d'information.

Le Conseil n'a pu cependant que se déclarer incompétent pour connaître de la requête de M Hauchemaille. Celle-ci était en effet dirigée contre une recommandation du CSA. Or il résulte de l'ensemble de la jurisprudence récente et concordante des deux ailes du Palais Royal relative aux pouvoirs juridictionnels exceptionnels du Conseil constitutionnel sur les actes préparatoires à une élection de son ressort que ces pouvoirs ne s'exercent qu'à l'égard des principaux décrets spécifiques à une élection déterminée (voir ci-dessus § II 2). Le Conseil constitutionnel n'a donc pas eu à prendre parti face à la divergence de jurisprudence entre nos deux cours suprêmes à propos de la conventionnalité de la loi de 1977.

Il avait déjà réservé cette question dans une affaire où elle se posait de façon latérale (Décision du 8 novembre 2001, Sénat, avant-dernier considérant, Union des contribuables). Il ne pourra peut-être pas l'éluder à l'avenir, puisque, en tant que juge électoral, il lui appartient de statuer sur la conformité de la loi au traité (voir 21 octobre 1988, AN, Val d'Oise, 5ème circonscription, Rec. p. 183 ; 11 septembre 2000, Meyet, cons. 3, Rec. p. 148 ; 20 septembre 2001, Marini et Hauchemaille, et commentaire JE Schoettl aux Petites affiches du 1er octobre 2001, p. 13.).

On ajoutera que M Hauchemaille se méprenait sur la portée de la recommandation critiquée. Le passage contesté se bornait en effet à rappeler l'état de la jurisprudence judiciaire et poussait le souci d'assurer aux diffuseurs l'information la plus complète possible en réservant la position du juge de l'élection : « Une telle diffusion pourrait toutefois être considérée par le Conseil constitutionnel comme de nature à altérer la sincérité du scrutin, avec les conséquences électorales que cela pourrait comporter ».

Il n'en reste pas moins que la question soulevée par M. Hauchemaille était sérieuse.

Afin de limiter les risques en 2002, il a semblé opportun au Conseil que des mesures législatives claires et dissuasives soient rapidement prises en vue d'interdire et de sanctionner efficacement, sur le plan pénal comme sur le plan disciplinaire, la diffusion de sondages relatifs aux résultats de l'élection à compter du vendredi précédant chaque tour de scrutin à minuit.

Aussi a-t-il adressé au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents des deux assemblées, le 13 décembre 2001, une lettre rédigée dans les termes suivants :

« Dans sa rédaction actuelle, l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977, relative à la publication et à la diffusion des sondages d'opinion, interdit toute publication ou diffusion de sondages portant sur une élection politique au cours de la semaine précédant chaque tour de scrutin, ainsi que pendant le déroulement de celui-ci.

Par son arrêt Amaury du 4 septembre 2000, la Cour de cassation a jugé cet article incompatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Dans un contexte juridique désormais incertain, le risque est grand que plusieurs résultats de sondage soient diffusés la veille et le jour même du scrutin par la presse et les moyens de communication audiovisuelle et qu'ils atteignent une large audience. La sincérité de l'élection présidentielle de 2002 pourrait être alors mise en cause en cas de faible écart des voix, tant au premier qu'au second tour.

Afin de prévenir une telle situation, il apparaît extrêmement souhaitable au Conseil constitutionnel, chargé de veiller au bon déroulement de l'élection présidentielle, que des mesures législatives claires et dissuasives soient rapidement prises en vue d'interdire la diffusion de sondages relatifs aux résultats de cette élection au moins la veille et le jour de chaque tour de scrutin.

Le Conseil relève d'ailleurs que deux propositions de loi ont été récemment déposées dans ce sens l'une au Sénat, l'autre à l'Assemblée nationale. »

A la suite de cette démarche a été adoptée, de façon très consensuelle, la loi n° 2002-214 du 19 février 2002, dont l'article 5, modifiant l'article 11 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977, réduit à la veille et au jour du scrutin la période d'interdiction de la diffusion des résultats de sondages d'opinion portant sur ce scrutin. Le Conseil constitutionnel n'a pu que s'en féliciter, d'autant que les nouvelles dispositions ont été bien respectées lors des deux tours de l'élection présidentielle de 2002.