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La démission du Général de Gaulle devant le Conseil constitutionnel

François LUCHAIRE - Membre du Conseil constitutionnel du 4 mars 1965 au 4 mars 1974

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 25 (Dossier : 50ème anniversaire) - août 2009

Le 28 avril 1969 étaient publiées, dans la matinée, les deux phrases du communiqué suivant :

« Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République »

« Cette décision prend effet aujourd'hui à midi ; C. de Gaulle ».

Le Premier ministre en informa le Conseil constitutionnel mais sans solliciter une décision quelconque.

Le Conseil constitutionnel se réunit aussitôt. Que pouvait-il faire ?

L'article 7 de la Constitution contient la disposition suivante : « En cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du président de la République, à l'exception de celles prévues aux arti-cles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, par le Gouvernement ».

Commençait à courir une rumeur selon laquelle le Conseil constitutionnel prendrait acte de la vacance mais ne se prononcerait pas sur la nature de l'autorité devant assurer l'intérim/; dans ce cas le Gouverne-ment constaterait que le président du Sénat ne pouvait exercer cet intérim et assurerait lui-même les fonctions du président de la République.

Rapporter ce que fut alors la délibération du Conseil n'est pas possible car ce serait contraire au secret des délibérations.

Or le Conseil prit une décision également datée du 28 avril 1969, et qui est la suivante :

« Le Conseil constitutionnel informé par le Premier ministre de la décision du Général de Gaulle, président de la République, de cesser d'exercer ses fonctions le 28 avril 1969 à midi, prend acte de cette décision. Il constate que, dès lors, sont réunies les conditions prévues par l'article 7 de la Constitution, relatives à l'exercice provisoire des fonctions de président de la République par le président du Sénat ».

Cette décision souligne donc que c'est bien le président du Sénat qui remplace le président de la République démissionnaire.

Mais aussitôt après l'adoption de cette délibération, une controverse s'éleva entre Gaston Palewski, président du Conseil constitutionnel et moi-même.

Je rappelai que le 28 décembre 1965, à la suite de l'élection présidentielle, le Conseil constitutionnel avait « proclamé Charles de Gaulle élu président de la République » et que Gaston Palewski s'était rendu au domicile personnel du Général de Gaulle pour lui communiquer cette proclamation. Il me semblerait donc normal que le même Gaston Palewski se rendît chez Alain Poher pour lui communiquer la délibération que le Conseil venait de prendre.

Gaston Palewski s'y refusa : ancien directeur du cabinet du Général de Gaulle, il lui semblait contraire à son tempérament comme à ses sentiments de se rendre chez Alain Poher pour l'inviter à prendre la place du Général de Gaulle.

J'insistais cependant ; nommé au Conseil par le président du Sénat, j'estimais qu'il était nécessaire de respecter la fonction de celui-ci.

Après une discussion aiguë mais courtoise, la procédure suivante fut adoptée : Gaston Palewski écrivit à Alain Poher une lettre, fort bien rédigée, pour l'informer de la délibération du Conseil. Mais cette lettre ne fut pas remise directement par le président du Conseil constitutionnel au président du Sénat, elle fut remise au secrétaire général du Conseil constitutionnel qui devait la transmettre au secrétaire général du Sénat pour que celui-ci l'apporte au président du Sénat.

Cette procédure une fois adoptée, je me rendis auprès d'Alain Poher pour lui en faire part. J'étais à côté de lui lorsque sonna midi, heure de l'effectivité de la démission du Général de Gaulle. La lettre de Gaston Palewski n'était pas encore arrivée. Que faire ? Alain Poher devait-il se rendre à l'Élysée de son propre chef ?

Mais voici qu'à midi, dépassé de sept minutes, François Goguel arriva pour apporter, sur un plat d'argent, la lettre du président du Conseil constitutionnel.

Alain Poher pouvait donc gagner l'Élysée ; ce qu'il fit aussitôt. Sa première décision fut de convoquer Gaston Palewski. Il n'avait rien de bien spécial à lui dire ; mais c'était en quelque sorte rétablir le lien juridique voulu par la Constitution entre le président du Conseil constitutionnel et le président par intérim de la République.