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Environnement, droit international, droits fondamentaux

Alexandre KISS - Président du Conseil européen du droit de l'environnement

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15 (Dossier : Constitution et environnement) - janvier 2004

La biosphère est seul lieu dans l'Univers où la vie est possible - du moins selon nos connaissances actuelles. Or, elle court un danger croissant du fait d'activités humaines : ses éléments constitutifs sont pour une large part détruits, altérés ou menacés et, en particulier, ses équilibres fondamentaux sont ou risquent d'être bouleversés. Depuis la fin des années 1960, l'humanité est devenue consciente de ces dangers et il était normal que cette prise de conscience s'opérât au plan international, voire mondial.

Aussi, le droit international se devait-il de réagir en sécrétant des normes sous diverses formes : des règles conventionnelles, des principes inscrits dans des instruments formellement non obligatoires, voire des règles coutumières issues soit de la répétition de clauses analogues dans des traités, soit de celle de dispositions comparables dans des législations nationales. C'est ainsi que nous pouvons parler aujourd'hui non seulement de la protection internationale de l'environnement par le droit, mais aussi d'un droit au respect de l'environnement, progressivement reconnu en tant que droit fondamental de la personne humaine.

Cette reconnaissance a son origine dans la Déclaration adoptée par la conférence de Stockholm sur l'environnement humain, tenue en juin 1972. Aux termes du premier principe de cet instrument :

« L'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour les générations présentes et futures. »

Il est permis de penser que ce principe constitue un très fort lien entre environnement et droits fondamentaux. Parmi les termes utilisés dans la première phrase, la liberté, l'égalité et la dignité reflètent les droits civils et politiques, alors que les conditions de vie satisfaisantes et le bien-être rappellent les droits économiques, sociaux et culturels.

La première formulation de ce droit dans un traité international est due à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981. Son article 24 proclame que :

« Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement. »

L'article 11 du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, adopté à San Salvador le 17 novembre 1988, qui traite des droits économiques, sociaux et culturels, a apporté des précisions supplémentaires. Il est ainsi conçu :

« Droit à un environnement salubre

1. Toute personne a le droit de vivre dans un environnement salubre et de bénéficier des équipements collectifs essentiels.

2. Les États Parties encourageront la protection, la préservation et l'amélioration de l'environnement. »

Deux autres conventions internationales imposent aux États parties le devoir de protéger l'environnement, du moins sous certains aspects. L'article 24, al. 2 d. de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant engage les États à lutter contre la maladie « compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel ». De même, l'article 4, al. 1 de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail, relative aux peuples indigènes dans les pays indépendants, invite les États à prendre des mesures spéciales pour sauvegarder l'environnement de ces peuples.

Ces deux aspects du droit à l'environnement, droit de toute personne d'un côté, devoir de l'État de l'autre, se retrouvent, soit ensemble, soit séparés, dans une bonne centaine de Constitutions nationales. La question a été posée de savoir si l'on peut estimer que les deux dispositions ne constituent que les deux faces de la médaille ou si, au contraire, il s'agit de deux principes fondamentalement différents. L'enjeu est considérable : le droit à l'environnement, en tant qu'un des droits reconnus à tout individu, pourrait être interprété comme ne comportant pas une finalité autre que la protection directe des individus contre les détériorations de son environnement, en négligeant, notamment, la protection de la diversité biologique et des paysages. Attribuer des devoirs à l'État dans ce domaine peut, au contraire, couvrir l'ensemble de l'environnement.

Le « droit à l'environnement » a aussi suscité bien d'autres débats qui n'ont pas cessé, loin de là, mais qui peuvent contribuer, en fin de compte, à l'évolution de la matière. Trois tendances, apparues successivement, se sont dégagées. La première, la plus ancienne et celle qui est la plus généralement acceptée, est une conception procédurale du droit à l'environnement. La seconde cherche à insérer des préoccupations environnementales dans les droits déjà protégés par des instruments internationaux. La troisième, encore au stade de tâtonnements, tend à proclamer des droits substantiels pouvant être rattachés à la protection de l'environnement.

I. La conception procédurale du droit à l'environnement

Au cours des nombreuses discussions auxquelles a donné lieu la question de savoir si un droit à l'environnement pouvait être reconnu en tant que droit de tout individu, à l'instar d'autres droits fondamentaux, le principal argument consistait à dire que l'environnement ne pouvait pas être défini avec suffisamment de précision et que, de ce fait, sa mise en oeuvre par des instances judiciaires allait se heurter à des difficultés considérables.

La réponse à la première objection se trouve dans une certaine mesure dans les différents textes constitutionnels(1) qui proclament ce droit. Il est bien évident que le terme « environnement » en lui-même doit être interprété, le cas échéant en y ajoutant des qualificatifs. Ces derniers peuvent être plus ou moins développés, plus au moins centrés sur l'homme et ses besoins. Une formulation intéressante est celle de la Constitution péruvienne du 12 juillet 1979 dont l'article 123 reconnaît à toute personne « le droit de vivre dans un milieu sain, écologiquement équilibré et approprié au développement de la vie ainsi qu'à la préservation du paysage et de la nature ». Toutefois, en droit international il n'existe pas encore une formulation qui serait généralement acceptée.

Certes, même ainsi défini, le qualificatif « sain et écologiquement équilibré » pourrait donner lieu à des difficultés d'interprétation. En réalité la situation n'est pas tellement différente d'autres concepts que, notamment, la Cour européenne des droits de l'homme tout comme d'autres juridictions manient régulièrement : « ordre public », « proportionnalité », « moralité publique », « restrictions nécessaires dans une société démocratique ». Par ailleurs, la plupart des droits économiques, sociaux et culturels sont difficiles à définir dans l'abstrait (droit à la sécurité sociale, droit à un niveau de vie suffisant, droit de jouir du meilleur état de santé possible...). Finalement c'est la conscience publique de la société qui permet au juge ou à l'administration de leur donner un contenu suffisamment précis. Ainsi, les idées de plus en plus précises qui se sont dégagées au cours des dernières décennies pourraient conduire à définir le contenu du concept environnement et l'utiliser à bon escient, compte tenu de l'évolution du contexte social.

En ce qui concerne la mise en oeuvre du droit à l'environnement il convient de s'inspirer de celle d'autres droits fondamentaux garantis. En particulier, le droit de propriété peut servir de modèle. Aux termes de l'article premier du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». Cette disposition ne prescrit pas un droit qui consisterait à consacrer la revendication d'une propriété déterminée ou indéterminée. Ce qui est prescrit c'est le respect, donc la protection de la propriété. Il peut en être de même du droit à l'environnement : en réalité il s'agit d'assurer la protection de l'environnement et non pas d'attribuer une partie de l'environnement à une personne ou à une collectivité données. Dès lors, il convient d'assurer à toute personne et à tout groupe humain des procédures adéquates permettant de protéger « leur » environnement - que par ailleurs, dans l'écrasante majorité des situations, ils partagent avec d'autres. Le droit à l'environnement est ainsi compris comme un droit procédural, un droit à la protection de l'environnement : l'obligation des pouvoirs publics de prêter main forte à celui qui est lésé dans la jouissance de ce droit. En fait, cette façon de voir permet d'unifier les deux méthodes de protéger l'environnement. Finalement, les dispositions constitutionnelles et autres imposant à l'État l'obligation de protéger l'environnement ne font que formuler une règle générale créant un devoir plus ou moins abstrait, alors que le droit procédural de l'individu à la protection de l'environnement doit conduire les pouvoirs publics à intervenir dans des situations concrètes, sur plaintes individuelles(2).

Toutefois, en formulant ainsi le droit à l'environnement il y a lieu de tenir compte de la spécificité de l'objet de ce droit. L'expérience montre la difficulté de réparer les dommages écologiques, souvent très difficiles à évaluer à cause de leur nature même, à cause des conséquences à moyen et à long terme qu'ils peuvent produire et surtout à cause du caractère irréversible qu'ils peuvent revêtir. Aussi, sans nier l'importance des voies de recours pouvant être utilisées en cas de violation du droit à la protection de l'environnement, il y a lieu d'utiliser des méthodes permettant de prévenir de telles violations. Le moyen qui s'impose à ce point de vue est avant tout la vigilance des pouvoirs publics, mais cette vigilance doit être soutenue par les intéressés, titulaires du droit à l'environnement. Autrement dit, il convient d'offrir aux individus et à leurs groupements qui estiment que leur environnement est menacé, la possibilité d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard, en les informant des projets pouvant leur être préjudiciables et en leur offrant la possibilité de participer aux décisions qui risqueraient de porter préjudice à leur droit. Il est bien évident que des voies de recours doivent aussi être à leur disposition au cas où aurait été méconnu soit leur droit d'obtenir des informations soit leur droit de participation, sans que pour autant leur droit à la réparation pour d'éventuels dommages à leur environnement soit affecté.

En réalité, avec la législation sur les installations classées et en particulier l'enquête publique, la France avait déjà appliqué une procédure inspirée du même esprit. La procédure d'étude d'impact qui s'est généralisée à partir des années 1970 allait dans le même sens. De son côté, la Communauté européenne y a apporté sa contribution en imposant aux pouvoirs publics le devoir d'informer le public, entre autres, de la qualité des eaux de baignade, des demandes d'autorisation pour les industries polluant l'air, des risques d'accidents majeurs et des projets devant être soumis à la procédure d'étude d'impact. La directive du 7 juin 1990 sur la liberté d'accès à l'information sur l'environnement a généralisé l'obligation d'informer le public sur tout ce qui peut affecter l'environnement(3).

Au plan international, la Déclaration adoptée par la conférence de Rio de Janeiro en juin 1992 a consacré cette méthode sans mentionner le droit à l'environnement autrement que par une affirmation très générale selon laquelle les « êtres humains... ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ». Par contre, elle a en quelque sorte codifié les règles découlant du caractère procédural du droit à l'environnement. Ainsi, le principe 10 de la Déclaration proclame que :

« La meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré. »

Plusieurs traités relatifs à la protection de l'environnement avaient déjà invité les États parties à donner des informations aux citoyens sur leur contenu et sur leur mise en oeuvre. Après Rio de Janeiro le nombre de tels instruments a considérablement augmenté. Une convention internationale élaborée au sein de la Commission économique des Nations unies pour l'Europe, relative à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, adoptée à Aarhus le 25 juin 1998, a en quelque sorte codifié et complété les règles ainsi énoncées.

La Convention commence par un long préambule proclamant le « droit de chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir, tant individuellement qu'en association avec d'autres, de protéger et d'améliorer l'environnement dans l'intérêt des générations présentes et futures ». Un autre alinéa du préambule fait état de « l'inquiétude du public au sujet de la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement » et souligne la nécessité d'accroître la transparence et de renforcer la participation du public au processus décisionnel dans ce domaine. Dans le corps même de la Convention, l'article 2, alinéa 3 entend répondre à cette préoccupation, en incluant dans les informations à donner celles concernant la diversité biologique et ses composantes, y compris les organismes génétiquement modifiés, ainsi que l'action qu'ils exercent sur les autres éléments.

Le dispositif de la Convention comporte une partie générale (art. 1 à 3), deux longs articles (art. 4 et 5) et une annexe consacrés à l'accès à l'information, trois articles sur la participation du public (art. 6 à 8) et un à l'accès à la justice (art. 9). Ces dispositions s'ordonnent autour de trois pôles : l'autorité publique, le public et les organes internationaux établis par la Convention. L'autorité publique comprend l'administration publique à l'échelon national ou régional ou à un autre niveau, à l'exclusion des organes exerçant des pouvoirs judiciaires ou législatifs. Les institutions de l'Union européenne en font également partie (art. 2, al. 2). Le terme « public » désigne des personnes physiques et morales, ces dernières comprennent les associations, organisations ou groupes (art. 2, al. 4), sans discrimination fondée sur la citoyenneté, la nationalité ou, pour les personnes morales sans discrimination concernant le lieu où elles ont leur siège officiel ou le véritable centre de leurs activités (art. 3, al. 9). Ainsi, une association japonaise pourrait demander des informations et participer à des procédures de décision touchant à l'environnement en Bulgarie. Les Parties doivent accorder la reconnaissance et l'appui voulus aux associations qui ont pour objet effectif la protection de l'environnement (art. 3, al. 4).

L'information sur l'environnement qui est au coeur de la convention doit être entendue comme comprenant toute information sous forme écrite, visuelle, orale ou électronique, portant sur l'état d'éléments de l'environnement et l'interaction entre ces éléments, ainsi que sur les facteurs qui ont pu ou peuvent avoir des incidences sur ces derniers. L'accès à l'information concerne aussi les analyses et hypothèses économiques utilisées dans le processus décisionnel en matière d'information. Les autorités publiques doivent mettre les informations sur l'environnement à la disposition du public dans un délai d'un mois, d'une façon transparente, sans que les demandeurs aient besoin de faire valoir un intérêt particulier. Un droit d'un montant raisonnable peut être perçu pour ce service (art. 4 et 5). La communication de l'information demandée peut être refusée pour des causes précises : l'autorité ne dispose pas de l'information, la demande est manifestement mal formulée, elle porte sur des documents qui sont en cours d'élaboration ou concernent des communications internes des autorités publiques. Il en est de même lorsque la divulgation des informations aurait des incidences défavorables sur le secret des délibérations des autorités publiques, sur les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité publique, la bonne marche de la justice, lorsqu'elle touche à un secret commercial ou industriel protégé par la loi, à des droits de propriété intellectuelle ou au droit à la vie privée. Une cause possible de refus concerne le milieu sur lequel portent les informations, comme les sites de reproduction d'espèces rares qui ne doivent pas être dérangées. Les motifs de rejet doivent être interprétés de manière restrictive et le rejet doit être notifié dans un délai d'un mois, par écrit et motivé (art. 4).

L'accès ne doit pas être assuré seulement à l'information déjà détenue par les autorités publiques. Celles-ci doivent également mettre en place des mécanismes pour être dûment informées des activités proposées ou en cours qui risquent d'avoir des incidences importantes sur l'environnement (art. 5, al. 2). En cas de menace imminente pour la santé et l'environnement, toutes les information susceptibles de permettre au public de prendre des mesures de protection doivent être diffusées immédiatement (art. 5, al. 1). Lorsqu'un processus décisionnel touchant à l'environnement est engagé, le public qui est touché ou risque de l'être par les décisions prises en matière d'environnement, doit être informé de l'activité proposée, de son impact prévisible ainsi que de la procédure envisagée (art. 2, al. 5). Tous les textes importants touchant à l'environnement doivent être publiés : textes législatifs, documents directifs, plans d'action, programmes, ainsi que, une fois par quatre ans au maximum, un rapport national sur l'état de l'environnement (art. 5).

La participation du public doit comporter la possibilité pour celui-ci de soumettre par écrit ou lors d'une audition ou d'une enquête publique toutes observations, informations, analyses ou opinions qu'il estime pertinentes au regard de l'activité proposée. L'annexe I à la Convention énumère les activités pour lesquelles la participation du public doit être assurée. Les résultats de la consultation doivent être dûment pris en considération. Une fois que la décision est prise, le public doit en être dûment informé. Toutefois, le public doit également être associé à l'élaboration des plans et des programmes relatifs à l'environnement, après avoir reçu les informations nécessaires (art. 8), ainsi qu'à celles des dispositions réglementaires et autres règles juridiquement contraignantes, d'application générale, qui peuvent avoir un effet important sur l'environnement. À ce dernier point de vue aussi, il doit avoir la possibilité de formuler des observations dont les résultats doivent être pris en considération dans toute la mesure du possible.

Le dernier volet de la procédure prévue par la Convention d'Aarhus a trait à l'accès à la justice. Il doit être assuré lorsqu'une personne estime que sa demande d'informations a été ignorée, rejetée abusivement ou insuffisamment prise en compte ; lorsqu'est contestée la légalité de toute décision concernant la participation au processus décisionnel en matière d'environnement et lorsque les actes ou omissions de particuliers ou d'autorités publiques vont à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement. Le recours doit être examiné par une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi. La procédure doit être objective, équitable et rapide, pouvant aboutir à une injonction permettant de redresser la situation. Toute décision ainsi rendue doit être accessible au public qui doit pouvoir engager des procédures de recours.

Pour tenir compte de l'évolution, le 23 janvier 2003 la Communauté européenne a remplacé la directive du 7 juin 1990 sur la liberté d'accès à l'information par une nouvelle directive intégrant les acquis de la Convention d'Aarhus dans l'ordre juridique communautaire(4). Toutefois, la nouvelle directive ne parle que de l'information et ne mentionne pas la participation et l'accès à la justice.

Il est heureux que la Convention d'Aarhus ait aussi exercé une influence en dehors de l'Europe. La nouvelle Convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, adoptée par l'Assemblée de l'Unité africaine le 11 juillet 2003, ne se contente pas de reconnaître le droit de tous les peuples à un environnement satisfaisant, favorable à leur développement, comme l'avait fait la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Elle proclame dans son article XVI des « droits procéduraux » comportant l'obligation des États parties d'adopter des mesures législatives et réglementaires nécessaires pour assurer en temps utile la dissémination des informations relatives à l'environnement, l'accès du public à de telles informations, sa participation à la prise de décisions et l'accès à la justice.

L'autre aspect du droit à l'environnement est son intégration dans les droits déjà garantis(5).

II. Intégration du droit à l'environnement dans des droits garantis

Les droits de l'homme dans leur ensemble sont proclamés et leur respect est garanti par une série de conventions internationales, tant universelles que régionales. Deux de ces instruments qui sont aussi parmi les plus récents, cités plus haut, contiennent des clauses visant explicitement la protection du droit à l'environnement. Les autres, plus anciennes, garantissent des droits qui peuvent être invoqués dans cette perspective, en particulier lorsqu'il existe des institutions chargées d'en assurer l'application.

Au niveau des Nations unies, le Comité des droits de l'homme créé par le Pacte relatif aux droits civils et politiques, peut recevoir des communications permettant d'assurer le respect des droits garantis. Des affaires en rapport avec la protection de l'environnement ont ainsi invoqué devant cet organe les dispositions du Pacte relatives au droit à la vie(6) et à la protection des minorités(7) (Pacte, respectivement art. 4 et 27). Le droit à la santé, garanti par l'article 12 du Pacte des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a souvent été évoqué comme pouvant soutenir des revendications touchant à la protection de l'environnement. Toutefois, il n'y a que les rapports de la Commission des droits de l'homme des Nations unies qui en font état.

Au niveau européen ce sont surtout les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 10 (liberté d'expression) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 1er de son premier Protocole (protection de la propriété) qui ont fait l'objet de recours impliquant des questions d'environnement auprès de la défunte Commission européenne des droits de l'homme et de la Cour européenne des droits de l'homme(8).

Une série de requêtes invoquant le droit au respect de la vie privée et du domicile, portées devant ces instances, concernait des nuisances acoustiques. Dans deux cas, l'affaire s'est terminée par un règlement amiable entre le requérant et le gouvernement mis en cause(9). Dans un troisième, la Cour a trouvé que le bruit des avions de l'aéroport de Heathrow constituait une violation de l'article 8, mais que l'ingérence était justifiée par le deuxième alinéa de l'article 8 comme étant « nécessaire dans une société démocratique » pour le bien-être économique du pays(10). Enfin, dans un quatrième cas, la Commission a estimé que le niveau et la fréquence du bruit n'étaient pas suffisants pour constituer une violation de l'article 8, si bien que la requête n'a pas été jugée admissible(11).

D'autres requêtes concernant des projets industriels étaient également jugées inadmissibles car les projets visés étaient considérés comme justifiés par la nécessité d'assurer le bien-être économique du pays mis en cause(12). Par contre, une affaire déclenchée par l'installation d'une station d'épuration d'eaux et de déchets provenant d'une tannerie dans la ville de Lorca (Espagne) a abouti à un arrêt de la Cour européenne, qui est considéré à juste titre comme ouvrant la voie vers la reconnaissance du droit d'individus à un environnement sain(13). La station, dont l'ouverture n'était pas autorisée, causait des émanations de gaz et d'odeurs pestilentielles provoquant des troubles de santé et des nuisances auprès des habitants du quartier. Sur la foi de rapports de médecins et d'experts, la Cour a jugé que des atteintes graves à l'environnement peuvent affecter le bien-être d'une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l'intéressé. En conséquence, la Cour estimait que le gouvernement espagnol n'a pas su ménager un juste équilibre entre l'intérêt du bien-être économique de la ville de Lorca - celui de disposer d'une station d'épuration - et la jouissance effective par la requérante du droit au respect de son domicile et de sa vie privée et familiale. Aussi, la requérante s'est vu allouer la somme de 4 000 000 pesetas comme satisfaction équitable avec frais et dépens.

Cet arrêt a été invoqué dans une autre affaire où c'est l'article 10 garantissant la liberté d'expression qui était le fondement de la requête(14). Il s'agissait de nuisances industrielles provenant d'une usine qui produisait des fertilisants et d'autres produits chimiques. Des habitants du voisinage ont saisi la Commission européenne des droits de l'homme en se plaignant, d'une part, de la non-adoption, par les autorités publiques, d'actions aptes à diminuer la pollution causée par l'usine et à éviter les risques d'accidents majeurs, d'autre part de l'absence de mesures d'information sur les risques encourus et les comportements à adopter en cas d'accident majeur. La Commission a examiné l'affaire sous l'angle de l'article 10 de la Convention et a estimé que les autorités compétentes ont failli à leurs obligations en ne donnant pas aux intéressés, résidant dans une zone à haut risque, « une information adéquate sur des questions intéressant la protection de leur environnement ». Cependant, la Cour, statuant dans l'affaire, a estimé que la liberté de recevoir des informations (art. 10, al. 2) interdit essentiellement à un gouvernement d'empêcher quelqu'un de recevoir des informations que d'autres aspirent ou peuvent consentir à leur fournir(15). Cette liberté ne saurait se comprendre comme imposant à un État dans des circonstances telles que celles de l'espèce, des obligations positives de collecte et de diffusion des informations. En conséquence, l'application de l'article 10 a été écartée. Par contre, la Cour a trouvé que l'incidence directe des émissions nocives sur le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale permet de conclure à l'applicabilité de l'article 8 qui a été violé par la défaillance de l'État admettant des atteintes graves à l'environnement.

La Cour européenne a aussi rendu plusieurs arrêts dans des affaires alléguant la violation du droit de propriété par des mesures tendant à protéger l'environnement. Pour diverses raisons, les requêtes n'ont pas abouti, sans même que la Cour ait à se prononcer sur les relations de ce droit avec l'environnement. Toutefois, si dans une affaire concernant la Suède la haute juridiction constate que les requérants ne contestent pas la légitimité de la loi suédoise de 1964 dont le but est la protection de la nature, elle affirme aussi ne pas ignorer que « la société d'aujourd'hui se soucie sans cesse davantage de préserver l'environnement ». S'il y a ingérence dans le droit de propriété, la mesure en cause doit ménager un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, donc la proportionnalité doit être respectée(16). D'autres arrêts reconnaissent aussi la légitimité de la protection de l'environnement, à condition que les restrictions imposées soient proportionnelles ou raisonnables(17).

Si l'on peut estimer que des pas sérieux ont été faits dans l'insertion de considérations relatives à la protection de l'environnement dans la pratique des organes internationaux judiciaires ou quasi judiciaires chargés de garantir le respect des droits de l'homme, force est bien d'admettre qu'il n'existe pas de jurisprudence systématique reconnaissant le droit à l'environnement en tant qu'un des droits de l'homme. Des progrès sont, néanmoins, à prévoir dans ce domaine mais il convient surtout de s'interroger sur la possibilité de reconnaître à chacun des droits substantiels.

Conclusion - Vers la reconnaissance de droits substantiels ?

Les développements intervenus ou en cours permettent d'entrevoir une évolution vers la proclamation de droits substantiels spécifiques détaillant le contenu du droit à l'environnement, comme le droit à l'eau, à l'air pur, à la jouissance de paysages, aux bénéfices de la biodiversité, donc en somme à la vie dans des conditions environnementales saines. Quelques pas importants ont déjà été esquissés dans cette direction, notamment sous la pression de la disette généralisée en eau potable qui menace. Ainsi, la Charte européenne des ressources en eau, adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 17 octobre 2001(18); proclame que toute personne a le droit de disposer d'une quantité d'eau suffisante pour satisfaire ses besoins essentiels(19). Au plan mondial, plusieurs organes des Nations unies ont aussi progressé dans cette voie(20). Enfin, le plan d'application des résultats du Sommet mondial sur le développement durable, adopté à Johannesburg en août 2002, fait une place importante à l'action internationale à entreprendre dans le domaine de la gestion de l'eau en vue d'assurer à chacun l'accès à l'eau potable(21). Ainsi pourrait se trouver progressivement intégré le droit à l'environnement dans le processus de développement durable, objectif affiché de tous les gouvernements.

(1) Sur la centaine d'États dont la Constitution prévoit, d'une manière ou d'une autre, la protection de l'environnement, soit en tant que devoir de l'État, soit en tant que droit des personnes, soit les deux, nous rappellerons seulement ceux qui font actuellement partie de l'Union européenne : Allemagne, Belgique, Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède. En Autriche une loi de caractère constitutionnelle comporte l'obligation pour l'État de protéger l'environnement.
(2) V. Unesco, Environnement et droits de l'homme, Paris, 1987, pp. 13-28 ; Conférence internationale : la garantie du droit à l'environnement, Lisbonne, 1988, pp. 677-699 ; Essais sur le concept du droit de vivre, Bruxelles, 1988, pp. 65-72 ; Le droit à la qualité de l'environnement, Québec/Amérique, Montréal, 1988, pp. 65-90 ; A. Kiss, « Le droit à la conservation de l'environnement », Revue universelle des droits de l'homme (RUDH), 1990, pp. 445-448 ; A. Kiss, A Human Right to Environment, in Environmental Change and International Law : New Challenges and Dimensions, UNU Press, 1992, pp. 199-204 ; A. Kiss, Concept and Possible Implications of the Right to Environment, Human Rights in the 21 st Century, Kluwer, 1933, pp. 551-559.
(3) JOCE, n° L. 158 du 23 juin 1990. Voir aussi « Environmental Change and International Law : New Challenges and Dimensions », UNU Press, 1992, pp. 199-204 ; A. Kiss, Concept and Possible Implication of the Right to Environment, Human Rights in the 21 st Century, Kluwer, 1933, pp. 551-559 ; A. Kiss, « La reconnaissance de droits fondamentaux dans le domaine de l'environnement », in Droit et consommation XXX, Story Scientia, 1995, pp. 118-124 ; JOCE, n° L 158 du 23 juin 1990.
(4) Directive 2003/4/EC.
(5) V. sur l'ensemble de cet aspect : M. Déjeant-Pons et M. Pallemaerts, Droits de l'homme et environnement, Conseil de l'Europe, 2002.
(6) V. la communication n° 67/1980 concernant un dépôt de déchets nucléaires au Canada et la communication n° 645/1995 concernant les essais nucléaires fiançais dans le Pacifique.
(7) V., entre autres, la communication n° 511/1992 concernant l'exploitation d'une carrière sur un territoire appartenant traditionnellement au peuple sami et la communication n° 547/1992 relative aux droit des Maoris à la pêche.
(8) V. M. Déjeant-Pons, « L'insertion des droits de l'homme à l'environnement dans les systèmes régionaux de protection des droits de l'homme », RUDH, 1991, p. 461.
(9) Arrondelle c/ Royaume-Uni (1980) 19 DR 186 ; (1982) 26 DR 5 ; Baggs c/ Royaume-Uni (1985) 44 DR 13 ; (1987) 52 DR 29.
(10) Powell and Rayner c/ Royaume-Uni, Cour européenne des droits de l'homme, 1990, série A, n° 172.
(11) Vearncombe, Herbst, Clemens et Spielhagen c/ Royaume-Uni et République fédérale d'Allemagne (1989) 59 DR 186.
(12) B. et E. c/ Norvège (1984) 35 DR 30 ; S. c/ France (1990) 65 DR 250.
(13) Lopez-Ostra c/ Espagne, Cour européenne des droits de l'homme, 1994, série A, N° 303C.
(14) Anna Maria Guerra et 39 autres c/ Italie, CEDH, 1998-1, 64.
(15) La Cour se réfère à son arrêt dans l'affaire Leander c/ Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 29.
(16) Fredin c/ Suède, CEDH, 1991, série A, 192.
(17) Mates e Silva Lda. et autres c/ Portugal, CEDH, 1996-IV, 14 ; Pine Valley Development c/ Irlande, CEDH, 1991, série A, 222.
(18) Résolution 2001 (14).
(19) Cf. une disposition adoptée dans le cadre de la Commission économique pour l'Europe des Nations unies, l'article 5, alinéa 1 du Protocole de Londres sur l'eau et la santé du 17 juin 1999 complétant la Convention d'Helsinki du 17 mars 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux qui affirme qu'« un accès équitable à l'eau, adéquat du point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif, devrait être assuré à tous les habitants, notamment aux personnes défavorisées ou socialement exclus ».
(20) V., en particulier, le commentaire n° 15 (2002) du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur les problèmes posés par la mise en oeuvre du pacte international relatif aux droits économiques et sociaux, 26 nov. 2002, document E/C.12/2002/11.
(21) Plan de mise en oeuvre des résultats du sommet mondial pour le développement durable, nos 6 a), l) et m); 7 ; 36 et 38. Document l/CONF.199/L.6/Rev.2.